Jamais il n'écrivit pour un orchestre ‘préexistant’, toujours pour des distributions intégralement originales. En un temps où s'imposait le romantisme tape-à-l'oeil stalinien, il s'attela à un certain nombre d'ouvrages théoriques pour se rendre compte par lui-même de ses expériences, lesquelles ne pourraient sans doute jamais être réalisées...
Schäffer prend volontiers place parmi les musiciens de l'orchestre; aussi écrivit-il souvent des parties intitulées ‘comme pour moi-même’: en effet, le compositeur en tant que dirigeant qui ne fait que critiquer obtient bien moins de résultats que lorsque les musiciens le considèrent comme un des leurs...
Un leitmotiv typique de Schäffer: ‘Pourquoi ne serions-nous pas en premier lieu curieux? Thomas Mann appelle cela intérêt, lequel est, à côté de l'amour, le plus puissant moteur de la création’.
Schäffer représente ‘le penseur’ en musique, l'hyperindividualiste, le non-conformiste par excellence.
Toutefois, les années 80 font apparaître une tendance chez les jeunes compositeurs à se servir de l'orchestre tel qu'il est, prêt à attaquer du Beethoven ou du Mahler!
Schäffer par contre nous a appris que la recherche du beau mène immanquablement au kitsch, qu'il n'est pas possible de répéter une fois encore ce que le romantisme a jadis si magnifiquement formulé...
La NCRV
(Nederlandse Christelijke Radio Vereniging-Association néerlandaise chrétienne de radio) a passé commande pour son jubilé de 65 ans d'existence aux anti-schäffériens Hans Kox et Ed de Boer. De Boer est né en 1957; c'est un élève de Kox, né quant à lui en 1930. Ce dernier étudia la composition, dans les années 1951-55, chez Henk Badings. Le style de Badings (gamme octophonique) apparaît à l'évidence chez Kox comme chez De Boer. Badings,
Hans Kox (o 1930).
lui, fut élève de Willem Pijper, le compositeur néerlandais le plus autorisé de l'entre-deux-guerres.
Eh bien, je trouve que Kox et surtout De Boer ne composent pas de façon plus moderne que le professeur de leur professeur (et ainsi de suite): du reste Kox est en outre quelque peu influencé par l'école polonaise (il utilise des agglomérats sonores à la Penderecki).
L'oratorio pour trois solistes, choeur et orchestre de Kox, Sjoah, inspiré du psaume 89 rappelle l'ampleur musicale de son oeuvre précédente. Je pense à la cantate In those days (En ces jours - Bataille de Arnhem) et à la cantate à Anne Frank A Child of Light (Un enfant de lumière). Mais des titres comme Vangoghiana pour cuivres, cordes et percussions manifestent la même tendance.
Tout comme Badings, Kox oscille entre modernité et romantisme, par exemple dans ses Vues des Anges pour baryton et violon, écrit dans une gamme à trente et un tons. Rien à voir certes avec la ‘mission’ donnée par Schäffer d'aborder chaque fois quelque chose de nouveau. Mais on peut dire, sans plus, que Kox s'y entend à écrire de la musique descriptive.
Toutefois, son élève Ed de Boer fait davantage encore usage du passé grandiose. Sa Eerste symfonie (Première symphonie) tirée de Het dagboek van Etty Hillesum (Le Journal d'Etty Hillesum), dédiée en toute amitié et admiration à Hans Kox, s'inscrit directement dans la tradition de Mahler et de Chostakovitch. Elle est parfaitement composée pour le grand apparat, avec beaucoup de métier, mais très certainement pas avec l'intention de découvrir des combinaisons de sons encore jamais imaginées,
Les exergues des trois parties de la symphonie manifestent son caractère extra-musical: 1. Ruines, ‘... j'essayais toujours de traquer l'homme dans sa petitesse et sa nudité, qu'on ne peut souvent pas retrouver au milieu des ruines monstrueuses de ses actes insensés’, 2. Systemes, ‘Ce qui vous remplit d'angoisse, c'est que les systèmes s'élèvent au-dessus des gens et tiennent les gens dans une satanique emprise, concepteurs tout autant que victimes du système, tout comme de grands immeubles et tours, construits par des gens de leurs propres mains, jaillissent à un moment donné audessus de nous, nous dominent et peuvent s'écrouler sur nous pour nous ensevelir’, 3. Épilogue, ‘C'est comme si la vie ne pouvait jamais me faire quelque chose, comme si toutes les choses pénibles et difficiles, étaient déjà acceptées par avance’.
Dès 1981, Ed de Boer méditait de donner forme dans une symphonie à son inquiétude devant les menaces croissantes sur l'environnement. En 1985, il reçut de la NCRV la commande précitée et relia cette symphonie aux idées d'Etty Hillesum, telles qu'il les avait trouvées dans son journal. Pour ne pas apparaître comme un prophète de malheur il injecta dans sa symphonie les positives pensées de Hillesum, qui mourut en 1943 à Auschwitz, mais éprouvait la vie néanmoins comme ‘belle et pleine de sens’. C'était une femme d'un exceptionnel courage.
Il s'agit là naturellement de points de départ extrêmement respectables, mais la musique n'estelle pas le plus abstrait de tous les arts?
En l'occurence, De Boer usa, nous l'avons dit, de l'idiome de