Septentrion. Jaargang 15
(1986)– [tijdschrift] Septentrion– Auteursrechtelijk beschermd
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José Vermeersch: un artiste insaisissable
La peau est sensible et le corps a été diligemment assemblé de couches d'argile qui semblent nées les unes des autres.
Chaque fois que je me mets à écrire sur José Vermeersch un peu plus qu'un compte rendu d'exposition, je suis pris d'angoisse. Je me sens comme un nain devant un géant, comme un ignare face à un magicien. Car cet homme est insaisissable, sa conquête des techniques artistiques ne s'arrête pas et le comble est que le seul domaine où il était censé ne pas avoir réussi s'avère être celui où il a été précurseur, peut-être bien sans s'en aviser vraiment lui-même: la peinture.
L'homme et son chien. A l'aide de diverses sortes d'argile, Vermeersch tente de s'approcher de la réalité du textile.
Ce qui différencie José Vermeersch de la plupart des autres artistes, c'est que chez beaucoup d'entre eux, on peut se rendre compte de la manière dont ils ont évolué; on sent comment ils maîtrisent de plus en plus le trait ou la peinture ou encore la création d'un langage formel bien à eux. On se sent confronté à un lent apprentissage. On a l'impression de voir clair, de pouvoir les décrire, les encercler, les encadrer. Ce n'est pas le cas de José Vermeersch. Bien entendu, comme tout le monde, il a connu | |
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des années d'études. Il a été quelque temps tributaire de ses maîtres, de Walter Vaes à l'Institut supérieur d'Anvers et puis un peu plus tard, c'est-à-dire après la guerre, de Constant Permeke. Mais après cette formation de peintre, il a pris son sort en mains. A un certain moment, il s'est passé quelque chose d'étrange, d'exceptionnel, de très rare et qui semble se répéter constamment dans sa vie d'artiste: l'intrusion d'une créativité presque spontanée, alliée à une perspicacité technique étonnante et à un besoin de recherche davantage tourné vers l'introspection que vers l'exploration. Cette inventivité dans le domaine de la terre cuite n'est pas tombée du ciel bien entendu; mais il est de fait que les uns possèdent des dons innés refusés à d'autres. Sans aucun doute, le peintre a pu commencer à développer ses talents de céramiste lorsqu'avec ses frères, il a monté en 1954 - alors qu'il avait 32 ans - une affaire de fabrication et d'installation de cheminées à bois, de dalles et de carreaux. Les affaires marchaient bien, mais le besoin de créer l'habitait toujours. Heureusement! Au début des années soixante, il a fini par construire un atelier avec un grand four à bois. Quelques années plus tard, il était un céramiste étonnamment habile, béni des dieux. En effet, José Vermeersch est tout le contraire d'un artiste qui élabore l'essentiel de sa carrière à partir de ses études. Nous l'avons déjà dit: il puise en lui-même et comme certains privilégiés il trouve la nourriture nécessaire à son inspiration inlassable dans le monde qui l'entoure, avec lequel il communie pleinement: les campagnards, les animaux et la nature en général. Ne croyez pas au dithyrambe de ma part. Tous ceux qui le connaissent tant soit peu s'étonnent du naturel de ses connaissances, de sa soif d'en savoir plus et mieux sans tomber pour autant dans l'étude livresque. Il sait les choses; la terre les lui apprend, celle qu'il pétrit et celle qu'il interroge, celle où poussent les plantes et où vivent les animaux, celle qui se prête à être ventre pour qu'y soient cuites ses statues, four en plein air où ont été placées des dizaines de céramiques, terre qui accueille le feu comme dans une cérémonie initiatique et qui ensuite sur un signal du maître et gardien
Il arrive que la passion déforme un peu plus les apparitions humaines.
Les têtes parlent, mais elles incarnent en même temps un besoin de représenter et d'illustrer un acquis et un patrimoine, fussent-ils encore ceux d'un seul homme.
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Certaines têtes surprennent par leur morphologie classique et universelle.
Soudain apparaît une abstraction étonnante.
des sortilèges s'ouvre sur une armée de personnages qui, debout ou couchés, attendent la lumière du jour, tel ce tombeau chinois qui s'est ouvert sur un corps de garde pétrifié depuis des siècles. Deux fois, José Vermeersch a fait un four en plein air, c'est-à-dire dans un champ et dans son jardin. Le petit démon qui a veillé comme dans un mythe sur la cuisson trône maintenant dans la maison du maître. Voilà en gros Vermeersch. Tout le reste est anecdote ou verbiage. Dès que l'un de ses personnages peints a incarné la conscience d'une liberté créatrice, l'artiste a en quelque sorte tourné le dos à la ‘culture’, à une certaine forme de culture qui fige au lieu de nourrir, qui racornit au lieu d'épanouir. Ce personnage qui tourne le dos à la culture ou à tout ce qui est artificiel en elle n'est pas une manière imagée de ma part de décrire le moment décisif où José Vermeersch s'est affirmé à lui-même d'abord et puis aux autres, mais c'est une réalité. Admettons que cette réalité n'ait pas été reconnue d'emblée par le public. Rares ont été ceux qui ont manifesté quelque admiration voire quelque intérêt à ce bonhomme aux gestes triomphants et qui est en quelque sorte le prototype de toute cette tribu d'hommes, de femmes et de chiens qui peuplent son univers. Le livre le plus récent qu'on lui ait consacré reproduit quatre toilesGa naar eind(1). Ce sont les seules que Vermeersch ait vendues avant de s'imposer comme céramiste ou sculpteur. Les personnages qui figurent sur ces toiles expriment la sensation de liberté qu'a éprouvée l'artiste à un certain moment. Cette sensation a peu à peu submergé sa conscience, atteignant aujourd'hui son apogée ou du moins un point culminant dans sa participation à la Biennale de Venise 1984: toute la presse internationale écrite, parlée ou télévisée l'a salué comme la révélation de cette Biennale. Quand on parle d'un artiste, on se sent obligé d'établir clairement les phases de son évolution. Celle qui nous intéresse particulièrement est celle qu'il appelait jadis sa période de libération ou de liberté. Elle suit celle de sa jeunesse, celle des études, celle de la crise. Elle se poursuit depuis quelques dizaines d'années. Un jour, il reviendra à quelqu'un de la périodiser. | |
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Puis l'artiste crée un tissu composé de plusieurs argiles et cherche à s'approcher de la réalité.
Est-ce une évolution ou un besoin momentané d'épurer comme dans un rythme cyclique?
Elle a débuté par les peintures et les premières céramiques un peu lourdes et quelque peu anecdotiques. Elle a connu un premier sommet avec ses grands personnages majestueux que nous avons tendance à appeler esthétiques puisqu'ils illustrent le triomphe de la création, la beauté du corps humain, la richesse de la matière. Déjà à cette époque-là, on s'est étonné de la maîtrise technique de Vermeersch qui construit ses personnages à partir des pieds. Après la beauté esthétique, est venue celle du for intérieur; l'énigme s'est installée, le temps a montré ses griffes, la vérité de la gent humaine a fini par buriner les corps, nus d'abord, peints parfois, habillés de cheveux ou d'ornements. Puis ces hommes, ces femmes, ces enfants portés d'abord sur les épaules puis devenus silencieux ont eu un compagnon, un chien, debout sur ses quatre pattes frêles ou assis, émouvant, vrai, éloquent, étonné, inimitable quoique imité. Plus tard encore est venu l'âge du bronze. Les êtres sont devenus trapus, la plupart du moins, car d'autres se sont redressés, fiers de leur corps marqué. Ensuite, Vermeersch a mélangé toutes sortes d'argiles, pour que la peau soit encore plus éloquente ou pour créer l'illusion de vêtements. Des groupes se sont formés, certains parlaient, d'autres écoutaient. Tout était dans l'attitude et la position du corps. Lors d'une exposition consacrée à la technique du raku, on a pu constater, devant de petites statuettes pâles et des fragments de corps éminemment fragiles et d'une expressivité étonnante, combien il était passé maître dans cette technique ancienne et raffinée. Et tout cela continue, il cherche et trouve de nouvelles expressions, une autre peau, un autre raffinement. La terre lui obéit, elle fleurit sous ses doigts, elle se fait objet, bijou, personnage, joie et peine, animal, éclat soulevé d'une sensibilité extrême. Et jamais on ne sent que l'oeuvre est fabriquée; elle est née. HUGO BRUTIN
Licencié en philologie romane. Professeur et critique d'art. Adresse: Groentemarkt 5, B-8400 Oostende. |
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