Musique
Le Festival de Hollande présente de la musique moderne française
Voila déjà bien des années que le Festival de Hollande propose des sujets thématiques comme ‘la voix humaine’, ‘musique américaine’, etc. Un thème vient même d'être étalé sur deux ans, à savoir ‘la France aux Pays-Bas’; en 1985, l'accent était mis sur les ‘Influences dans le passé’; en 1986, c'étaient les ‘Développements contemporains’ qui étaient à l'ordre du jour.
Les compositeurs qui, au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale, donnèrent corps à la nouvelle musique en continuant et en développant la musique rigoureusement structurée d'Anton Webern (avec comme mot d'ordre: unité jusque dans les couches les plus profondes, tous les éléments, tels la hauteur, la durée, la puissance et le timbre s'impliquant les uns les autres) y tenaient la vedette: il s'agit bien sûr de Jean Barraqué et de Pierre Boulez. Barraqué, qu'André Hodeir appelle le plus grand génie après Beethoven, mais qui continue à être un des avant-gardistes les moins joués, montra, au premier concert de l'Ensemble Asko, un Concert pour clarinette, vibraphone et 18 instruments d'une inaccessible rigueur, que l'auditeur se met peu à peu à broder, si l'on peut dire, sur la sombre et profonde splendeur des instruments à vent. La Séquence pour voix et instruments de Barraqué (texte de Nietzsche, bien qu'Hermann Broch fût son favori) est plus parlante, d'un lyrisme plus souple. L'austère et énigmatique Barraqué, qui composa peu, écrivit encore une sonate pour piano, qui avec les trois sonates de Pierre Boulez peut être comptée au nombre des oeuvres les plus importantes que l'on ait écrites pour cet instrument. Il est vrai qu'elles sont aussi inaccessibles que celles du Beethoven de la vieillesse!
Au regard de personnages héroïques comme Barraqué et Boulez, tous les autres ne pouvaient que pâlir. Il en fut du reste de même pour la présentation de l'avant-garde italienne qui constituait le deuxième thème du Festival de Hollande. Des 50 compositions de 30 compositeurs italiens, ce furent à nouveau celles de l'octogénaire (81 ans) Giacinto Scelsi (d'une orientalité intemporelle) et du presque sexagénaire (59 ans) Franco Donatoni (d'une implacable rigueur dans la mise en oeuvre de conceptions de fer; le résultat final intéresse moins Donatoni) qui convainquirent le plus.
Toutefois, je n'aurais pas voulu manquer une oeuvre comme La variation ajoutée de Gilbert Amy (successeur de Boulez au Domaine Musical de Paris et fondateur du Nouvel Orchestre Philharmonique de Radio-France). A partir d'une bande magnétique résonnent de pseudo-xylophones, de pseudo-cymbales et de pseudocloches auxquels le petit orchestre superpose sa ‘variation ajoutée’. Les sons de l'enregistrement ont été calculés par l'ordinateur VAX 11/780 suivant les programmes dits Cmusic et Chant. Vive la technologie, la fascination de l'avant-garde française! Une fascination qui s'applique aussi aux sommets du spectre sonore, aux variations de timbre. L'avantgarde italienne de l'austère école de Donatoni est plus compassée et pointilleuse; elle se concentre sur la relecture d'un ensemble compact de notes sans cesse répétées avec des sonorités différentes. Cela présente encore la puissance de Barraqué et de Boulez des débuts. Les Français, dont Tristan Murail (Désintégrations, à nouveau pour bande magnétique et instruments) offrit un exemple marquant, sont un peu prolixes, un peu chaotiques. Mais rarement grossiers, souvent d'une juste délicatesse et d'une extrême sensibilité sonore.
Les oeuvres d'Amy et de Murail furent exécutées impeccablement mais avec une grande froideur par l'Ensemble Intercontemporain, fondé en 1976 par Boulez à l'initiative du ministre de la culture de l'époque, Michel Guy, et composé de 30 musiciens de diverses nationalités. Il travaille régulièrement avec d'importants compositeurs comme Luciano Berio, Karlheinz Stockhausen et Mauricio Kagel
Ernst Vermeulen
(Tr. J. Fermaut)