Milieu
La guerre de lisiers aura-t-elle lieu?
Le voyageur qui, ces jours-ci, parcourt les Pays-Bas, apercevra, en de nombreux endroits, des panneaux portant des inscriptions telles que ‘de landbouw wordt ziek van deze landbouwpolitiek’ (l'actuelle politique agricole rend l'agriculture malade). Cette campagne de sensibilisation prolonge en quelque sorte les importantes manifestations récemment organisées un peu partout dans le pays par les agriculteurs soucieux de clamer bien haut leur mécontentement.
Les raisons profondes du malaise paysan (tant aux Pays-Bas que dans les autres pays de la CEE) sont suffisamment connues: depuis des années, l'agriculture européenne se voit confrontée à l'épineux problème de la surproduction et des prix trop bas. Aussi les responsables de la politique agricole commune se trouvent-ils acculés à l'impérieuse nécessité de réduire les excédents, tout en garantissant des prix susceptibles d'assurer aux agriculteurs un revenu décent. Or, bien qu'elle absorbe, à elle seule, les trois quarts des dépenses budgétaires de la Communauté, cette politique agricole ne s'est guère montrée efficace jusqu'ici. Pas plus que leurs collègues européens, les paysans néerlandais n'échappent évidemment aux difficultés qu'on vient d'évoquer. Toutefois, grands éleveurs de bovins, ils sont, de plus, durement touchés par la taxe ‘spéciale’ frappant les excédents laitiers.
Comme si tous ces sujets de mécontentement ne suffisaient pas, un autre, tout récent celui-là, est venu gonfler encore un peu plus l'effervescence qu'on observe actuellement dans les milieux agricoles néerlandais: le projet de loi relatif aux lisiers élaboré conjointement par les ministres de l'Agriculture et de l'Environnement, et dont l'entrée en vigueur est prévue pour le 1er janvier 1987. Le texte du projet comporte une série de dispositions inspirées par des préoccupations essentiellement écologiques.
La production annuelle de lisiers s'élève, aux Pays-Bas, à quelque quatre-vingt-dix millions de tonnes. L'épandage de cette énorme quantité porte doublement atteinte au milieu. Tout d'abord, il y a le problème de l'azote ammoniacal, élément constitutif des lisiers en grande partie responsable des pluies acides et, d'une façon plus générale, de l'acidification du milieu, entraînant les conséquences désastreuses que l'on sait. En second lieu, les lisiers contiennent des quantités assez importantes de phosphates et de nitrates. En cas de fumaison excessive, ceux-ci risquent non seulement d'épuiser les sols mais aussi de contaminer, par lixiviation et infiltration, la nappe phréatique et, par voie de conséquence, l'eau potable elle-même. Diverses analyses ont démontré qu'en de nombreux endroits (y compris en Flandre), l'eau potable contient effectivement trop de nitrates.
La loi sur les lisiers comporte toute une série de mesures visant à régler les problèmes que soulève leur utilisation. Elle fixe la quantité maximale de lisier (autrement dit, des phosphates et des nitrates) qu'on est autorisé à épandre par hectare et interdit formellement tout épandage en période hivernale. En outre, les lisiers ne pourront plus être épandus par arrosage (la manière traditionnelle). Désormais ils devront être, pour ainsi dire, injectés dans le sol. Enfin, et ce n'est pas là la moins sévère des dispositions, les agriculteurs qui produiront un volume de lisiers proportionnellement supérieur à la surface totale des terres dont ils disposent, seront soumis à un impôt spécial.
Les élevages intensifs de bétail et de volailles, très développés dans certaines régions des Pays-Bas, se verront présenter une facture plutôt salée. L'interdiction d'épandage en hiver signifie pour la quasi-totalité des éleveurs des frais supplémentaires puisque cela les contraindra à doter leurs exploitations de grandes fosses en vue du stockage des lisiers.
Les diverses dispositions contenues dans la loi sur les lisiers entreront progressivement en vigueur et donneront lieu à des contrôles de plus en plus sévères. Les ministres concernés espèrent en arriver ainsi, vers l'an 2000, à un règlement acceptable au plan écologique sans pour autant heurter de front les intérêts légitimes des agriculteurs. On aurait mauvaise grâce à suspecter de si louables intentions ministérielles. Toutefois, il faut reconnaître que, pour