lijnen van geleidelijkheid (Par voies de progressivité), roman assez féministe par endroits et dont l'action se passe en Italie. D'aucuns ont attribué cette activité débordante au désir de l'auteur de se lancer le plus tôt possible dans la composition de ce qu'il devait appeler lui-même ‘mon roman indien issu des milieux de l'administration coloniale’. Il est probable toutefois que des problèmes d'argent n'ont pas été totalement étrangers à cette brusque fougue créatrice, le séjour dans l'île s'étant avéré beaucoup plus coûteux que ne l'avaient prévu les Couperus.
Sans la présence de sa famille à Java, Couperus n'aurait sans doute jamais pu écrire De stille kracht. En effet, celle-ci lui fournit quantité de renseignements indispensables tant sur le fonctionnement de l'administration coloniale que sur certains phénomènes paranormaux (auxquels renvoie d'ailleurs le titre du livre et qui, à en croire de nombreux témoins dignes de foi, ne doivent rien à la fantaisie des Javanais). De plus, certains membres de sa famille ont même servi de modèles aux personnages du roman. De tels emprunts auraient pu aboutir à un banal roman à clé. Grâce au génie littéraire de l'auteur, nous voilà, au contraire, en présence d'une oeuvre remarquable. Un demi-siècle avant que la décolonisation n'entraîne la rupture définitive, le roman nous montre, de façon prémonitoire, comment la haine secrète de l'Indonésien finira par avoir raison d'un colonisateur qui, bien que persuadé d'accomplir consciencieusement son satané devoir, n'a jamais réussi à comprendre.
A vrai dire, la prude Hollande de l'époque s'offusqua moins de la description peu flatteuse du régime colonial que de la liberté avec laquelle le romancier abordait des sujets jusqu'alors tabous, tels que l'érotisme et la sexualité. Il n'y eut pas jusqu'à Lodewijk van Deyssel lui-même, critique redouté et, du reste, ardent défenseur du naturalisme, qui ne s'étonnât du franc-parler d'un Couperus se complaisant à détailler sans gêne les fesses et le basventre de Madame Van Oudijck, une des protagonistes de son roman. Tout observateur un tant soit peu informé sur l'évolution des moeurs aux Pays-Bas sait pertinemment qu'aujourd'hui, de telles réactions feraient plutôt sourire.
De retour en Europe, Couperus décide de s'établir à Nice, avenue Saint-Maurice. Le premier roman qu'il y écrira s'intitulera Babel, bientôt suivi de la série De boeken der kleine zielen (Les livres des petites âmes) (1901-1903), une de ses oeuvres majeures, conçue, entre autres, en vue d'éponger les lourdes dettes que lui avait values l'aménagement de sa demeure niçoise. ‘Ecrire, l'unique activité dont je sois capable’, devait-il s'excuser un jour. Aveu sincère ou fausse modestie? Quoi qu'il en soit, comme le soulignait F.L. Bastet dans la postface d'une récente réédition de De stille kracht, voilà une activité dans laquelle il sut s'illustrer avec éclat.
Jan Deloof
(Tr. U. Dewaele)
louis couperus, La force des ténèbres, traduit du néerlandais par Selinde Margueron, préface de Philippe Noble. Ed. du Sorbier, Paris, 1986, 304 p.