d'une régionalisation. Ainsi se réalisait enfin le verdict de l'ancien premier ministre Gaston Eyskens qui, à la fin des années soixante, affirmait que la Belgique de 1830 avait vécu, que le temps était venu d'accorder aux régions ainsi qu'aux communautés du pays la place qui leur revenait. Cette Belgique modernisée fonctionne maintenant depuis cinq ans, et personne ne semble finalement se féliciter de la construction échafaudée en août 1980. Tant s'en faut! A l'occasion de la constitution du nouveau gouvernement national, en novembre 1985, on a pu capter des signaux qui témoignent d'un malaise croissant, tant au nord qu'au sud de la frontière linguistique, y compris parmi ceux qui, en août 1980, se disaient convaincus que le système pourrait bel et bien fonctionner, si du moins on lui en donnait l'occasion.
Rappelons qu'en 1980, l'Etat belge s'est transformé en un Etat régionalisé et communautarisé. La Région flamande et la Région wallonne - nous laissons de côté la Région bruxelloise, problème institutionnel demeuré sans solution jusqu'à présent - assument depuis lors, indépendamment du gouvernement national, un certain nombre de compétences d'ordre plutôt concret, tels que l'emploi, le logement, l'aménagement du territoire et ainsi de suite. Flamands et francophones organisent aussi leur vie culturelle de manière autonome. C'était déjà le cas depuis l'instauration de l'autonomie culturelle, en 1970, mais ce secteur se vit élargi aux matières dites personnalisées que sont notamment les soins de santé, la politique d'aide aux handicapés, la formation préscolaire et postscolaire, et ainsi de suite.
Pour assumer ces responsabilités, il faut disposer de moyens, notamment et surtout financiers. Et c'est là où le bât blesse. La déclaration de politique générale de l'exécutif flamand - qui gère les matières régionales et communautaires de la Flandre - pour les quatre années à venir n'était, en réalité, qu'une longue lamentation: Nous voulons mettre la main à la pâte - ‘Ce que nous faisons nousmêmes, nous le faisons mieux’, telle est la devise -, mais nous ne disposons pas de moyens financiers. Nos ressources consistent en dotations qu'il faut arracher au gouvernement national, lui-même sérieusement à court de finances et qui préfère garder pour sa propre politique les deniers qu'il parvient à recueillir. En outre, cette deuxième coalition démocratechrétienne et libérale, qui se succède à elle-même pour un nouveau mandat de quatre ans, ne songe pas à céder de compétences supplémentaires aux régions et communautés. Le gouvernement garde par-devers lui ce qu'il doit légalement leur céder. Serait-ce par hasard? Ou par mauvaise volonté? Ou l'expérience s'est-elle avérée négative? Pour répondre à ces questions, il convient de souligner qu'il s'agissait tout de même d'institutions politiques nouvelles et dotées de compétences législatives, qu'il a fallu créer de toutes pièces et qui avaient sûrement droit à une période de rodage... Peu d'Etats, en effet, se sont imposé un bouleversement aussi fondamental sur le plan institutionnel que ne l'a fait la Belgique en août 1980.
Du côté flamand, on s'est certes efforcé de s'y prendre de manière constructive: on a, par exemple, conçu une politique industrielle flamande, on a résolument créé des ouvertures vers l'étranger - pas toujours à la grande satisfaction du ministre national des Relations extérieures, d'ailleurs... Bref, on a essayé de s'en sortir au mieux avec les moyens du bord nouvellement acquis. Du côté francophone, en revanche, on éprouve manifestement des difficultés à donner corps aux nouvelles institutions. Certaines des décisions qui y sont prises ne manquent pas de susciter de vives contestations de la part d'une Flandre qui, à tort ou à raison, les ressent comme un acte d'agression. Il en résulte de véhémentes polémiques et finalement des procédures jusque devant la Cour d'arbitrage, institution créée spécialement pour trancher des conflits de compétence et appelée, en fait, à incarner la nouvelle loyauté fédérale belge. Mais la Cour d'arbitrage n'est pas un tribunal des référés, de sorte que les dossiers et les contestations s'accumulent, et entre-temps, la loyauté fédérale, si elle a jamais existé, s'effrite un peu plus chaque jour. Par ailleurs, les démocrates-chrétiens et libéraux qui constituent la majorité au niveau national se sont également imposés comme majorité au niveau régional et dans les institutions communautaires. Le fait que pour y arriver au sein du Conseil régional wallon ils aient dû recourir à des procédures pour le moins contestables ne semble guère les gêner. Ils invoquent comme argument que les choses iront mieux dès lors que les mêmes partis sont au
pouvoir à tous les niveaux... Peut-être... Seulement, en août 1980 on a incorporé au système un ressort centrifuge qui, à l'heure actuelle, semble très tendu... Gare, donc, le jour où il se cassera...
Marc Platel
(Tr. W. Devos)