Septentrion. Jaargang 14
(1985)– [tijdschrift] Septentrion– Auteursrechtelijk beschermdUn regard sur Ernest Claes.Le 6 septembre 1968, on inhumait l'écrivain flamand Ernest Claes, (né en 1885), à l'ombre du mur de l'abbaye des prémontrés d'Averbode, qu'il affectionnait particulièrement, sous une pierre tombale portant l'inscription Deus est amor, ‘Dieu est amour’. Ce jour-là, une foule importante de ses lecteurs, représentant toutes les couches sociales, vint y rendre un dernier hommage à un homme empreint de bonté et à un écrivain devenu aussi populaire que son héros le plus célèbre: de Witte van Sichem, le blond de Sichem. Ce fut d'autant plus remarquable que la grande popularité est, en règle générale, réservée aux coureurs cyclistes et aux hommes politiques, mais très rarement aux écrivains. Claes était le septième enfant d'une modeste famille de paysans de Sichem, petit village du nordest de la province de Brabant. Le hasard le mit sur la voie du collège et de l'Université catholique de Louvain, où il décrocha en 1912 son doctorat en philologie germanique. Il y fut actif dans le Mouvement flamand estudiantin et y écrivit son premier récit Uit mijn dorpken (De mon petit village) en 1906, année où Stijn Streuvels, l'un de ses maîtres, conçut son chef-d'oeuvre De vlaschaard (Le champ de lin). Il fut soldat et prisonnier de guerre pendant la première guerre mondiale. De 1913 à 1944, il fut attaché au service de traduction de la Chambre des représentants. A sa mort, Claes avait derrière lui une longue vie, dont soixante années avaient été consacrées à l'écriture dans plusieurs genres (romans, nouvelles, mémoires, journalisme) et avec des tonalités différentes, où prédominait un humour bonhomme. Plus qu'un
Ernest Claes (1885-1968) et sa femme, la romancière Stephanie Claes-Vetter (1884-1974).
véritable créateur, il était un conteur. En prudent réaliste mâtiné de romantisme, il racontait un monde de plus en plus édulcoré au fur et à mesure qu'il avançait en âge, un monde qui semblait de plus en plus révolu et légendaire. Lire Claes est avant tout un acte de nostalgie et un retour à une époque de vagabonds, de paysans, de curés de campagne et de petites gens à la psychologie simple - ou simplifiée? -, dont l'auteur a observé avec amour et sympathie les joies et les peines. On lui reproche un certain manque d'originalité et de profondeur, et on l'a toujours fait passer pour un auteur avant tout populaire, voire folklorique, sentimental et débonnaire, parfois quelque peu puéril. Mais sous le récit humoristique et cocasse perce néanmoins quelquefois la misère d'un monde cruel et de l'injustice sociale, et certaines oeuvres sont portées par un ton plus amer, acerbe, une rare fois même franchement cynique. Par ailleurs, cet écrivain régionaliste catholique et flamingant, suspecté d'incivisme, s'est retrouvé au lendemain de la seconde guerre mondiale dans la prison de Saint-Gilles (Bruxelles), dans la Cel 269 (Cellule 269, titre d'un de ses livres). Bien qu'il eût été acquitté et réhabilité en 1949, un relent de l'inhumanité - le mensonge et la calomnie dans le contexte politi-co-culturel de ces années troubles - rencontrée à cette époque l'a toujours poursuivi. C'est à tort que Claes est surtout considéré comme l'auteur d'un seul livre: De Witte (1920, Le blond, traduit sous le titre de Filasse; la version néerlandaise connut sa centième édition en 1964). Le héros de ce livre réussi et fort, à la fois hilarant et dur, est une sorte de Tom Sawyer ou de Poil de Carotte à la campinoise, tourmenté par la pauvreté et souffre-douleur de tout son entourage, contre lequel il cherche à se révolter à sa manière espiègle. Une version cinématographique très idyllique et folklorique en fut tirée en 1934; en 1980, Robbe de Hert réalisa une nouvelle version filmée - qui remporta le premier prix au festival d'Orléans la même année -, qui mit enfin l'accent sur l'élément social chez Claes, trop longtemps passé sous silence, voire occulté délibérément. Dans ses vieux jours, Claes n'avait plus à se faire de soucis. Il avait, depuis plusieurs années, achevé son oeuvre volumineuse: plus de cinquante publications. Des milliers de lecteurs et d'admirateurs dévoraient ses récits, dont plusieurs furent transposés en feuilleton télévisé. Des honneurs octroyés tant par l'Eglise que par l'Etat égayèrent le soir de sa vie. Et sa maison natale, où le temps semble s'être arrêté, sera conser- | |
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vée pour la postérité et abritera le musée Ernest Claes. A l'instar d'autres endroits analogues - la maison de Guido Gezelle à Bruges, celle de Stijn Streuvels à Ingooigem et celle de Herman Teirlinck à Beersel -, elle fera partie de ces souvenirs de famille du patrimoine culturel flamand qui maintiennent et consolident le lien entre l'homme et la littérature. Il est bon qu'il en soit ainsi pour le peuple flamand; dans d'autres pays, on n'agit pas autrement. Mises à part quelques publications dépassées, ni la vie ni l'oeuvre d'Ernest Claes n'ont donné lieu, jusqu'à présent, à des études ou à des analyses plus poussées. Serait-ce le sort généralement réservé à des auteurs à succèsGa naar eindnoot(1) à caractère principalement ou prétendument humoristique? En attendant que cette lacune soit comblée, un somptueux livre de commémoration nous est présenté, à l'occasion du centenaire de la naissance de ClaesGa naar eindnoot(2). Dans sa magnifique présentation graphique de Leo Fabri, avec ses photos et ses dessins encadrant quarante témoignages souvenirs de personnalités connues et d'amis, consacrés à cet auteur qui, lui aussi, puisait principalement dans sa mémoire, cet ouvrage constitue un excellent cadeau en l'honneur d'un homme qui appelait tant d'amitié et d'intérêt qu'il aurait sûrement apprécié cette attention des plus délicates. Luc Decorte
(Tr. W. Devos) |
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