‘La grande arche des fugitifs’
Les huguenots et leur apport dans les Provinces-Unies
Parmi les pays qui ont accueilli les huguenots dans les deux dernières décennies du xviie siècle, les Provinces-Unies occupent une place toute particulière. Cette terre d'asile était déjà considérée par le philosophe et journaliste Pierre Bayle comme ‘la grande arche des fugitifs’. En effet ces provinces ‘s'élargirent en liberalitez qu'on ne sauroit decrire par des termes assez forts’, déclare le pasteur de Delft Elie Benoît dans son Histoire de l'Edit de Nantes... (Delft, 1695). Des pensions furent distribuées aux officiers, aux gentilshommes et aux ministres de la Divine Parole et les villes ordonnèrent des collectes pour pouvoir subvenir aux besoins de tous les pauvres malheureux qui arrivaient aux Pays-Bas, démunis de tout et souvent à bout de forces. Certes au début on ne regarda ni à la dépense ni à la peine pour faire face à cette marée de fugitifs, et cet élan d'hospitalité émanait d'une compassion sincère et d'une véritable charité chrétienne; toutefois les autorités municipales et provinciales croyaient servir en même temps leurs propres intérêts. N'espérait-on pas donner un coup de fouet à une économie stagnante, par l'afflux de population, la création d'industries modernes et les capitaux apportés par les plus fortunés des réfugiés? Ainsi faisaiton miroiter aux futurs réfugiés l'obtention de toutes sortes de droits et de privilèges: exemption de tout impôt pour une période de plusieurs années, attribution gratuite et définitive du droit de bourgeoisie, entrée dans les corporations sans frais ni
formalités, et autres facilités d'établissement. Grâce à toutes ces mesures prises à différents niveaux et aux liens culturels qui existaient depuis longtemps entre la France et les Pays-Bas - ainsi les relations entre calvinistes français et Eglise réformée néerlandaise étaientelles devenues depuis la fin du xvie siècle de plus en plus étroites -, des milliers et des milliers de huguenots débarquèrent dans les Provinces-Unies à partir de 1680.
A ce jour, il est difficile d'évaluer le nombre exact de huguenots accueillis aux Pays-Bas du Nord. Seul un dépouillement systématique de tous les registres des archives néerlandaises qui se rapportent aux réfugiés dans les décennies autour de 1700 permettra de parvenir à une estimation plus proche de la réalité. Si l'on admet que quelque 200 000 huguenots ont quitté la France autour de 1685, il est certain que le plus grand nombre d'entre eux, environ 75 000 personnes, se réfugia tout d'abord dans les Provinces-Unies. Au moins 45 000 huguenots s'y établirent définitivement ou pour une longue période, mais tant que les résultats d'une grande enquête sérielle et quantitative qui vient de commencer aux Pays-Bas en collaboration avec plusieurs autres pays en Europe, ne sont pas connus, tous les chiffres restent des estimations globales.
Si leur nombre a sans doute été considérable, on n'échappe guère à la question de leur répartition dans les différents secteurs de la vie socio-culturelle néerlandaise. Vu dans sa totalité, l'apport français à l'économie doit être considéré comme marginal et l'immigration huguenote n'a pas provoqué à long terme un redémarrage économique, même si l'industrie textile a profité des compétences techniques des dessinateurs et tisserands français et si dans le domaine bancaire l'afflux de capitaux fut au début si important qu'il obligea les banquiers à baisser momentanément le taux de l'escompte. Mais dans l'ensemble l'immigration a revêtu un caractère trop massif et l'élite, ni par sa qualité, ni par sa compétence, ni non plus par le volume des capitaux qu'elle a apportés, n'a sensiblement modifié les bases du fonctionnement économique néerlandais. On peut tout au plus dire