Septentrion. Jaargang 13
(1984)– [tijdschrift] Septentrion– Auteursrechtelijk beschermd
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Lettre flamandehugo claus, indomptable enfant terrible des lettres flamandes et artiste polyvalent, a clos avec un peu de retard l'année Hendrik Conscience en signant, comme scénariste, régisseur et dialoguiste, la version filmée du roman épique de Conscience, Le Lion de Flandre (1838), qui contribua à susciter une prise de conscience culturelle chez le peuple flamand. Ce fut un véritable défi que de vouloir réaliser en 45 jours de tournage seulement et avec un budget relativement restreint: 90 millions de FB, un feuilleton télévisé de quatre épisodes de 50 minutes, coproduction des télévisions flamande et néerlandaise. Le film qui en a été distillé fut présenté en première, le 27 janvier 1984, au XIe Festival du cinéma de Bruxelles, en présence des souverains belges. Certaines critiques flamandes étaient assez réservées. Le film groupant uniquement les scènes clés du livre - la cour de France, l'emprisonnement de Guy de Dampierre, la Joyeuse entrée de Philippe le Bel et de Jeanne de Navarre à Bruges, l'enlèvement de Mathilde, la fille du ‘lion’ Robert de Béthune, la nuit des Mâtines brugeoises et la bataille des Eperons d'or du 11 juillet 1302 -, reliées entre elles par la voix d'un narrateur, l'histoire se déroule
Hugo Claus lors du tournage du ‘Lion de Flandre’.
quelque peu par à-coups, manque d'équilibre au niveau de la composition, d'élan dramatique et de cohérence sur le plan du style. Pour les scènes de cour, la figure du ‘lion’ et la bataille, l'accent est mis sur l'esprit chevalersque, parfois en donnant dans le mélodramatique, ce qui confère à l'élément aventureux un aspect mythique et une force visionnaire soulignée encore par la musique. Les autres séquences rejoignent le naturalisme cinématographique flamand caractéristique, notamment pour ce qui est du cadre et du contexte historique, et traduisent un regard plus cynique sur l'histoire. Claus qualifie son film de ‘western médiéval’: ‘Ma mise en scène demande au public une participation comme dans un de ces “Cow-boys” d'autrefois, où l'on prenait parti pour les bons contre les mauvais. J'ai exactement respecté la panoplie de ce genre-là!’ Le nom de Claus nous garantit en outre une foule de sous-entendus anarchisants et des clins d'oeil sarcastiques et satiriques à l'adresse des deux parties en présence, sans parler de scènes teintées d'érotisme et de violence que Conscience, soucieux de ne jamais faire rougir une vierge, n'aurait guère osé imaginer... La photographie, notamment des paysages, la musique et l'interpré- | |
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tation des rôles principaux recueillent des commentaires des plus louangeux. La critique francophone se montra moins récalcitrante, sauf sur un tout autre point. Le Soir estimait qu'‘à l'heure où certains politiciens sont plus qu'agressifs, on peut craindre que ce film ne réveille encore de sournois nationalismes...’ La Libre Belgique parle d'un ‘sauvage règlement de comptes entre (Claus) et les Français de France. (...) Spectacle d'un chauvinisme et d'un fanatisme exacerbés où des personnages légendaires, sortis tout droit des manuels de notre enfance, qui se nomment Jacques de Châtillon, Philippe le Bel, Jeanne de Navarre nous sont présentés comme d'abjectes canailles et où l'on s'est arrangé pour faire parler à tous les Français la langue de Vondel...’, ce qui est sûrement le comble de l'abomination. La Wallonie ne voit dans cette ‘superproduction’ flamande ‘ni un bon western, ni une bonne parodie. (...) Ce manichéisme, sans doute destiné à plaire au public néerlandophone, est dénué de toute subtilité. La Dernière Heure estime qu'à cette époque de tension communautaire, Claus n'a pas manipulé certains souvenirs de l'Histoire sans réaliser parfaitement ce qu'il faisait. Son film ‘prend une coloration passionnelle. (...) dans la salle (...), certains visages touchaient presque à l'extase. Et pas tellement pour des raisons cinématographiques, mais pour le sujet explosif.’ Et ‘devant le ton, ou plutôt le langage employé par les différents protagonistes, on se trouve devant un “chant de guerre”, un film capable d'enflammer les esprits. En résumé, une nouvelle Muette de Portici à la sauce flamande, pour le meilleur, à la sauce “flamingante”, pour le pire.’ Côté hebdomadaires, Pourquoi Pas?, pourtant expert dans le dépistage du flamingantisme exacerbé, trouve que ‘ce Leeuw van Vlaanderen de cinéma ne vaut pas La Muette de Portici. Et si Conscience a appris à lire à son peuple, les oeuvres d'Hugo Claus comme les autres, on ne peut dire qu'avec ce film, celui-ci a renvoyé l'ascenceur au vieil homme de la moedertaal.’ Le Vif s'étonne qu'Hugo Claus nous présente ce ‘spectacle inquiétant d'une exaltation nationaliste poussée à son point extrême. Ce n'est pas tant la division entre “bons” Flamands et “mauvais” Français qui choque, mais l'affirmation d'une supériorité raciale qui devient bientôt le seul argument du film. Face à la corruption latine (...), c'est un peuple supérieur qui se dresse et triomphe. Un tel discours étonne et inquiète, tant il véhicule de dangers et de haines. (...) Un film navrant; ceux qui l'applaudissent devraient avoir honte.’ Le lion de Flandre serait-il donc un hymne à la gloire du nationalisme flamand contemporain? Claus - qui a écrit le scénario il y a une dizaine d'années - s'en défend. On n'y entend pas le cri de guerre Wat wals is vals is! Slaat dood! (Ce qui est wallon/français est traître! A mort! - cri non repris dans les traductions françaises du livre, du reste); les étendards jaune et noir au lion de Flandre sont plutôt clairsemés; et surtout il a essayé de peindre sans passion le meneur de la rébellion des Brugeois, Pieter de Coninck haranguant les foules, dont il abhorre précisément le discours qu'il tient à dénoncer comme ferment de tous les nationalismes. ‘D'ailleurs, on peut déjà le conclure d'après les oeuvres que j'ai écrites dans ma vie, non?! Je n'ai jamais fait l'apologie de quelque racisme que ce soit. Mes livres en témoignent.’ Le satirique Pan vient à son secours: ‘(...) la tentative n'est pas idiote, d'exalter une mythologie populaire bien de chez nous. Les Anglais ont Robin des Bois; pourquoi Jan Breydel et Pieter de Coninck ne seraient-ils pas les Fanfan la Tulipe du plat pays? Les cinéastes wallons, empêtrés dans l'avant-garde ou le militantisme, pourraient en prendre de la graine. Encore faudrait-il, pour exalter les héros locaux, qu'il y eût une nation wallonne -ce qui (...) reste à démontrer’, affirmation qui risque de relancer tout le débat... Entre-temps, au sortir du spectacle, spectateurs flamands et autres semblent avoir calmement regagné leurs pénates respectifs. Le lion de Flandre n'entonnant pas d'hymne patriotique, contrairement à la chantante muette de Portici, la révolution flamande se fait toujours attendre. De mauvaises langues prétendent même que si les combattants de 1302 avaient suivi le scénario du film, le bon Hendrik Conscience aurait probablement dû chercher ailleurs un sujet pour son best-seller...
‘l'univers des belges’ représente un volet d'une vaste enquête sur les valeurs de l'Europe occidentale après la période idyllique des prometteuses années 60, enquête conçue par un groupe international de sociologues devenu entre-temps la fondation European Value Systems Study Group. Ce travail s'orientait vers les principaux domaines de valeurs: travail, loisirs, famille, sexualité, politique, religion, éthique, et se propose de contribuer à une réflexion approfondie et à la préparation collective d'un avenir meilleur. Le volume rend compte des tendances principales. Il s'ouvre par une introduction historique à l'étude des valeurs par Rudolf Rezsohazy, qui examine en détail la rupture des années 60, la crise de civilisation et l'actuelle crise économique, tout en soulignant une série de contradictions sous-jacentes, et comporte six | |
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Couverture de ‘L'univers des Belges’.
chapitres consacrés à des secteurs spécifiques. Jan Kerkhofs analyse quelques attitudes devant des thèmes éthiques centraux tels que le bien et le mal, la permissivité, la vie et la mort, etc. Karel Dobbelaere étudie le vécu des pratiques et l'acceptation des croyances et des règles éthiques des religions traditionnelles ainsi que la place qu'y occupent encore les Eglises. Roselyne Bouillin-Dartevelle examine nombre d'éléments contribuant à favoriser l'harmonie individuelle et collective ou susceptibles de la perturber et permet au lecteur de se classer parmi les confiants, les satisfaits, les inquiets ou les amers. Nicole Delruelle-Vosswinkel aborde le vaste chapitre des valeurs politiques et des options d'ordre éthique et sociologique qui s'y rattachent. En Belgique, des clivages d'ordre philosophique et religieux ou linguistico-communautaire compliquent déjà singulièrement les données idéologiques traditionnelles. Ces dernières années, les répercussions de la crise et des réformes institutionnelles ont fait émerger des clivages supplémentaires; ceux-ci pourraient hypothéquer politiquement l'avenir d'un pays qui, de toute façon, devient de plus en plus difficile à gouverner. Jan Lauwens, enfin, analyse les motivations des Belges face au travail, les satisfactions qu'ils en tirent et l'aliénation qu'il provoque. Une étude comme celle-ci, à l'évidence, ne se laisse pas résumer. Elle permet avant tout au lecteur de vérifier le degré de confirmation ou d'infirmation de ses propres opinions, voire de ses idées préconçues, et ce ne sont pas les matières qui font défaut. Les commentateurs se sont particulièrement attardés sur les questions concernant la foi et la pratique religieuses par rapport au rôle et à l'importance que revêtent le parti démocrate chrétien et les nombreux organismes et institutions chapeautés directement ou indirectement par l'Eglise, qui ont toujours fortement marqué la société belge et, apparemment, conservent leur influence en dépit d'une décléricalisation croissante de la population. ‘Rien n'est plus compliqué que d'expliquer à un étranger ce qu'est la Belgique et ce que sont les Belges. D'autant plus que ceux-ci ne sont pas nécessairement d'accord entre eux sur la question’, dit Rezsohazy dans sa postface, qui précise en outre que ‘le facteur linguistique ne creuse pas entre nos concitoyens une division aussi profonde que la lecture de l'actualité politique le laisserait entendre. Quand nous comparons les Flamands aux Hollandais et les francophones aux Français, il apparaît qu'ils sont plus proches les uns des autres que de leurs voisins dont ils partagent la langue. On peut même se demander s'il n'y a pas plus de différence entre (...) un Marseillais et un Lillois qu'entre un Flamand et un Wallon.’ Si la Belgique ne constitue pas une nation inspirée par une vocation historique quelconque, ‘l'observateur attentif y décèle des traits qui l'identifient. Si les influences et les avatars du passé en ont composé une mosaïque multicolore, ils ont aussi formé tout un héritage commun dans le domaine du mode d'existence et de l'art de vivre.’ Dans une interview accordée à l'hebdomadaire flamand Knack, Christine Ockrent, journaliste à Antenne 2 et d'origine belge, déclarait récemment: ‘Il y a cet aspect typiquement belge qui rend le pays si intéressant: il est constamment occupé à prouver qu'il n'existe pas. La Belgique existe par la grâce de ses contradictions.’ Ô sublime et difficile belgitude!... L'Univers des Belges. Valeurs anciennes et valeurs nouvelles dans les années 80, publié par Rudolf Rezsohazy et Jan Kerkhofs, Ciaco s.c., Louvain-la-Neuve, 1984, 217 p. La synthèse européenne des résultats de cette enquête a été publiée également: J. Stoetzel, Les valeurs du temps présent. L'Europe au carrefour, Presses universitaires de France, Paris, 1983. c'est à double titre que le célèbre polyptique de l'Adoration de l'Agneau mystique, retable peint par Jan et Hubert van Eyck à la demande de Judocus Vydt et d'Isabella Borluut et installé dès 1432 dans la chapelle Vydt de l'église Saint-Jean, à Gand, devenue par la suite la cathédrale Saint-Bavon, a fait parler de lui cette année-ci. Il y a cinquante ans, en effet, dans la nuit du 10 au 11 avril 1934, deux panneaux disparurent: l'un représentant Les juges intègres, l'autre un Saint Jean Baptiste en grisaille, qui se trouvait au dos du retable. Un échange de messages s'engagea entre l'évêché de Gand et un correspondant anonyme qui exigeait 1 million de FB, signait D.U.A. et | |
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Signalement du panneau volé.
Extrait d'une des lettres adressées par Arseen Goedertier à l'évêque de Gand.
se faisait répondre par des annonces à publier dans le quotidien libéral La Dernière Heure. Pour prouver qu'il possédait effectivement les tableaux et témoigner de sa bonne volonté, le 29 mai, D.U.A. restitua le tableau en grisaille, que l'on trouva déposé à la consigne de la gare du Nord de Bruxelles. Suivent un épisode magico-réaliste autour de la rançon, le 14 juin, puis des lettres de reproches et de menaces de destruction... Le 25 novembre, à l'issue d'un meeting politique à Termonde, Arseen Goedertier, agent de change et bedeau à Wetteren, s'effondra, puis, transporté à la maison de son beau-frère, confia à un avocat ami qu'il savait où se trouvaient Les juges intègres... et rendit l'âme au moment où il semblait sur le point d'en révéler la cachette..., secret qu'il emporta dans sa tombe... Des perquisitions mirent à jour les doubles des treize lettres envoyées et un brouillon disant notamment: ‘Les ... reposent dans un lieu où ni moi, ni personne d'autre ne peuvent l'enlever sans éveiller l'attention publique.’ Et voilà lancé l'un des mystères du siècle! L'identité de l'auteur du vol demeura encore secrète jusqu'au 12-13 mai 1935. Pendant tout ce temps, les autorités ecclésiastiques et civiles ainsi que la police semblent avoir accumulé maladresses et bévues - il y avait entre autres des contestations juridiques concernant la propriété du polyptique. Depuis, c'est une théorie de recherches sérieuses, de témoignages, de suggestions fantaisistes, y compris de voyants et de radiesthésistes, de rumeurs, de curieux silences aussi. Mais Les juges intègres ne sortent pas de l'ombre, si ce n'est, par intermittences, par le biais d'articles ou d'un livreGa naar eind(1) ou par le canal de la télévision, comme en 1968, où une émission consacrée à l'affaire se termina par un appel direct: | |
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‘Quelqu'un parmi les téléspectateurs de ce soir sait où se trouve le panneau.’ Celui-ci se trouvait-il de nouveau à la cathédrale en novembre 1942, d'où il aurait été enlevé juste avant la visite d'un commissaire allemand à la protection des oeuvres d'art? La copie - réalisée en 1941 par Van der Veken, qui y a notamment incorporé le profil du roi Léopold III - aurait-elle été remplacée par l'original sur lequel on aurait apporté les modifications intervenues? Le panneau aurait-il été ‘vendu pour une bouteille au videur (d'un bar amstellodamois), un soir d'ivresse’ et ‘nos juges dévots ont(-ils) trôné au-dessus des ivrognes et de souteneurs’, comme l'écrit Albert Camus dans La chute, ou chercherait-on tout de même à couvrir une famille en vue?... Au mois de février dernier, à l'issue d'un long calvaire, une commission consultative a rendu public un projet de protection du polyptique contre toute forme d'agression - vandalisme, effraction, incendie, incidents dans la rue adjacente - et de menace de dégradation par l'haleine des visiteurs de plus en plus nombreux qui ne cessent de défiler. On le délogerait de la chapelle Vydt pour l'installer à l'emplacement de l'actuel baptistère, à gauche de la tour, dans un espace de verre trempé d'où le visiteur verrait le retable désormais encastré dans une sorte de niche, de coffre en béton armé. Il est évident que ce projet suscite beaucoup de protestations d'ordre architectonique -la structure gothique de la façade arrière intérieure s'en trouverait dégradée - et esthétique: le béton s'alliant mal à ce joyau du moyen âge finissant, dont on ne verrait plus le dos des panneaux latéraux, avec les portraits des donateurs, la modification des conditions d'éclairage, etc. Bref, si Les juges intègres décidaient, un jour, de réintégrer leur place aussi discrètement qu'ils l'ont quittée il y a un demi-siècle, il se pourrait qu'ils ne s'y rétrouvent plus du tout et qu'en raison de la solidité des nouveaux matériaux destinés en fait à les protéger au besoin contre eux-mêmes, ils se verraient contraints à errer éternellement dans l'intemporel et entreraient définitivement dans la légende artistique de ce siècle... karel mortier en noël kerckhaert, De diefstal van de Rechtvaardige Rechters. Kriminologische studie (Le vol des Juges intègres. Etude criminologique), 1966. WILLY DEVOS
Adresse: Herdersstaflaan 38, B-1170 Brussel-Bruxelles |
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