Septentrion. Jaargang 13
(1984)– [tijdschrift] Septentrion– Auteursrechtelijk beschermd
[pagina 77]
| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
BelgiqueL'electeur Belge apres le 17 juin 1984Au lendemain d'élections, quotidiens, hebdomadaires, télévision et radio ne semblent jamais disposer de la place ou du temps nécessaires pour permettre à tout un chacun de présenter son interprétation des résultats du scrutin. En Belgique, le phénomène n'est probablement pas plus grave qu'ailleurs..., et tel fut donc à nouveau le cas à l'issue de la deuxième journée d'élections pour le Parlement européen, qui se déroula le dimanche 17 juin dernier. Pour la deuxième fois, plus de six millions de Belges furent appelés à envoyer vingtquatre de leurs compatriotes au Parlement européen à Strasbourg pour les cinq années à venir. On avait prédit que ce serait une catastrophe politique: rarement les hommes politiques belges s'étaient vus confrontés à une telle indifférence en pleine période électorale. Les réunions électorales n'attiraient guère de monde. La justice allait jusqu'à brandir la menace de peines sévères, nombre de personnes essayant de se soustraire à l'aimable invitation à remplir en ce dimanche l'une ou l'autre fonction au sein de quelque bureau électoral ou à participer aux opérations de comptage vespérales. Bref, on se rendrait compte plus que jamais que le vote obligatoire tel qu'il existe en Belgique constitue toujours une fiction. La plupart des électeurs émettraient un vote blanc ou nul; de toute façon, on était bien obligé de se rendre dans l'isoloir, donc... Grande fut dès lors la surprise lorsqu'il apparut que le nombre de votes blancs ou nuls ne dépassait pas celui qu'on enregistre normalement aux élections législatives ou communales en Belgique; au contraire, il était bien inférieur. On peut affirmer en toute quiétude que le 17 juin, l'électeur belge, cette fois-ci du moins, s'est montré un électeur incontestablement plus actif que son collègue néerlandais ou britannique, par exemple. L'indifférence manifestée avant le 17 juin n'aurait-elle été qu'une manoeuvre de diversion ou n'aurait-elle été qu'apparente? Ou bien l'électeur belge se serait-il vraiment découvert une âme européenne? | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
Elections européennes en Belgique.Lors des élections pour le Parlement européen, la Belgique pratique un système électoral tout à fait spécial, qui s'écarte du système en vigueur pour les élections législatives nationales. Dans ce dernier cas, en effet, on vote par arrondissement: un Anversois vote à Anvers pour des Anversois, et un habitant d'Arlon, dans la province de Luxembourg, vote pour un candidat luxembourgeois, tout comme un Liégeois doit voter pour un candidat de la région liégeoise. Pour les élections européennes, la Belgique ne compte que deux circonscriptions électorales, appelées en l'occurrence ‘collèges électoraux’: un collège électoral flamand et un collège électoral de langue française. Cela signifie qu'en Flandre, Brugeois, habitants d'Hasselt et Malinois peuvent tous porter leurs voix sur les mêmes candidats; il s'agit donc de listes électorales flamandes pour chacun des différents partis en lice. Idem pour la région de langue française du pays, où les électeurs expriment leur préférence pour des candidats francophones figurant sur les listes des différents partis d'expression française. Dans la région bilingue de Bruxellescapitale et environs l'électeur peut choisir entre les listes flamandes ou de langue française: les résultats sont alors additionnés à ceux des collèges électoraux respectifs. Les Flamands et les Bruxellois néerlandophones envoient treize mandataires au Parlement européen, les Wallons et les Bruxellois francophones onze. Dès 1979, lors des premières élections européennes, ce système électoral donna lieu à de fortes querelles politiques. A l'époque, le pays traversait une crise politique particulièrement grave, qui se prolongea pendant une centaine de jours. Certains partis redoutaient que le démocrate-chétien Leo Tindemans, premier ministre sortant et figure prédominante dans la lutte électorale, ne remporte un succès | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
[pagina 78]
| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
Tract pour les élections européennes. Karel van Miert, président des socialistes flamands.
tel qu'il y aurait pratiquement lieu de parler d'un plébiscite. Et tel fut effectivement le cas: Tindemans recueillit près d'un million de votes de préférence. Et cette foisci également, le système électoral pratiqué a abouti à certains résultats individuels dont l'interprétation appelle une grande circonspection. | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
Encore Tindemans.Leo Tindemans, qui n'était plus candidat direct mais suppléant, se vit accorder, cette foisci, la confiance de quelque trois cent trente mille électeurs. Karel van Miert, président des socialistes flamands, obtint près d'un demi-million de voix, et José Happart, bourgmestre de la commune de Fourons - devenu le porc-épic communautaire belge depuis une bonne vingtaine d'années - et candidat élu sur la liste des socialistes francophones, recueillit plus de deux cent trente mille voix, ce qui représente tout de même la population d'une ville importante. Se pose évidemment la question de savoir si un tel plébiscite en faveur d'une personnalité populaire ne comporte pas de risques politiques: dès les premiers jours suivant le 17 juin, par exemple, il est apparu que José Happart nourrit l'intention d'exploiter son succès au maximum, y compris et principalement au niveau belge. Autre problème: le résultat d'une liste où figurent une ou plusieurs de ces figures de proue à grand succès se trouve forcément en partie faussé. Les libéraux francophones, par exemple, qui siègent au gouvernement actuel avec les démocrates-chrétiens, se félicitent d'avoir remporté un franc succès le 17 juin - contrairement à leurs collègues flamands -, mais le progrès enregistré leur est apporté presque exclusivement par Roger Nols, bourgmestre de la commune de Schaerbeek, dans l'agglomération bruxelloise, que l'on désigne dès à présent à l'étranger comme le Jean-Marie le Pen belge. Bref, celui qui regarde avec sérénité les résultats des élections pour le Parlement européen en Belgique n'échappe pas à certaines réserves. Il n'empêche que ce scrutin permet de faire quelques constatations passionnantes pour ce qui est de la partie d'échecs que se livrent les partis politiques belges. | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
Les partis non traditionnels.Dans des articles antérieurs, nous avons déjà indiqué comment l'échiquier des partis politiques belges se divise entre formations politiques traditionnelles - partis démocrate-chrétien, socialiste et libéral - et groupements politiques non traditionnels de date plus récente. Parmi ces derniers, les écologistes ont manifestement réussi à conquérir une place: l'électeur a envoyé un écologiste flamand et un écologiste francophone à Strasbourg. Du point de vue purement mathématique, le succès des deux partis verts en ce 17 juin se traduirait, pour des élections législatives nationales, par un nombre global de pas moins de dix sièges à la Chambre des députés, soit un gain de six sièges, et cela sans qu'ils aient mené une véritable campagne au sens traditionnel du terme. Il faudra donc vérifier si cette percée - les écologistes n'ont fait leur entrée sur la scène politique nationale qu'aux élections législatives de 1981 - se confirmera aux prochaines élections législatives, qui auront lieu en 1985. Pour les autres partis non traditionnels, c'est-à-dire les partis fédéralistes, tout s'est passé comme prévu. Le déclin des deux partis fédéralistes francophones se | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
[pagina 79]
| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
Tract de la ‘Volksunie’, parti nationaliste flamand pour les élections européennes.
confirme, alors que la Volksunie, parti nationaliste flamand, se maintient. Cette évolution illustre clairement la thèse selon laquelle le nationalisme flamand, contrairement au nationalisme wallon, a effectivement besoin d'une expression politique appropriée. Il ne subsiste pour ainsi dire plus rien du Rassemblement wallon, qui groupait les nationalistes wallons; et à Bruxelles, le Front démocratique des francophones, de premier parti bruxellois qu'il était, perd de plus en plus de son influence au profit des libéraux. En Flandre, la Volksunie demeure une donnée constante. | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
Electorat stable.Le succès remporté par les écologistes ainsi que le nombre toujours croissant des petits partis - cette fois-ci, on ne comptait pas moins de dix-huit partis qui briguaient la faveur de l'électeur - pourraient donner l'impression que les formations politiques traditionnelles voient réduire leur électorat. A long terme, c'est indubitablement exact. Dans les années cinquante, les trois grandes familles politiques récoltaient ensemble encore quatre-vingt-dix pour cent des voix; aujourd'hui, elles n'en recueillent plus que soixante-quinze pour cent. Mais elles se maintiennent à ce niveau depuis dix ans. Globalement, elles peuvent donc compter sur un électorat relativement stable. Cette impression doit être nuancée quand on regarde de plus près la répartition de ces voix. Pendant très longtemps, démocrates-chrétiens flamands et francophones obtinrent ensemble quarante pour cent des voix; maintenant, ils sont descendus en dessous des trente pour cent. Ce 17 juin, les socialistes, quant à eux, ont de nouveau dépassé la barre des trente pour cent, ce qui ne leur était plus arrivé depuis 1936; ils deviennent ainsi la première famille politique du pays. Pour les libéraux, l'évolution est beaucoup moins claire. Le 17 juin, ils ont perdu par rapport aux élections législatives nationales de fin 1981, mais ils ont progressé par rapport aux élections européennes de 1979; ensemble, ils prennent à leur compte quelque vingt pour cent des voix. Ces pourcentages
Tract des écologistes wallons pour les élections européennes.
devraient encore être davantage précisés en les dédoublant selon les deux régions linguistiques, mais même dans ce cas-là, les grandes lignes demeurent identiques. Mais tout cela nous écarte beaucoup de cet électeur indifférent mais particulièrement actif du 17 juin dernier. Personne ne démentira que l'opinion publique belge ne se montre guère enthousiaste à l'égard des affaires européennes, tant s'en faut. D'aucuns prétendent que les médias consacrent insuffisamment d'attention à l'Europe politique, mais les hommes politiques mêmes n'ontils pas commis d'erreurs? En 1979, toutes les grandes vedettes | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
[pagina 80]
| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
politiques voulaient absolument figurer sur ces listes, de préférence en tête. Cette fois-ci, certains partis ont vraiment dû exercer des pressions sur certains hommes politiques pour qu'ils veuillent bien y occuper une place. D'aucuns semblent en effet considérer le Parlement européen comme une sorte d'exil politique, même si le mandat est plus que convenablement rémunéré. En outre, les partis ont misé sur des figures telles que les bourgmestres Happart, de Fourons, ou Nols, de Schaerbeek, qui annonça d'avance qu'il n'irait pas à Strasbourg... Voilà autant de signes que l'électeur aussi doit avoir perçus et dont il a tiré la conclusion que les élections du 17 juin, en somme, n'étaient que des élections intermédiaires à usage interne. Il est d'autant plus regrettable qu'en agissant de la sorte, on ait laissé passer une occasion historique - et en l'occurrence cet adjectif n'est aucunement déplacé - de concrétiser davantage l'Europe à travers un Parlement européen spécifique, fût-il doté de compétences trop peu nombreuses et trop limitées. Les manuels consacrés à l'histoire de l'unification européenne ne comportent-ils pas quelques noms de Belges célèbres? Alors...? MARC PLATEL Oudstrijderslaan 6, B-1950 Kraainem Traduit du néerlandais par Willy Devos.
|
|