de générations, intolérance, énergie nucléaire, criminalité, manipulations, matérialisme, industrie et environnement.
Tout ceci ne suffit guère à expliquer le succès des textes de Toonder. Un rôle très important revient sans aucun doute à la possibilité d'identification offerte par le personnage principal des histoires: Monsieur Bommel. Il a le physique d'un ours car dans l'univers de Toonder, les protagonistes ont une apparence animale, à l'exception des habitants d'un monde parallèle où l'on dispose encore de forces mystérieuses et merveilleuses: ces derniers présentent un comportement moins typiquement humain que les personnages animaux mais ont paradoxalement des visages humains. Monsieur Bommel est le plus reconnaissable, le plus humain de tous les personnages principaux qu'on puisse imaginer. Il n'y a pas de qualité, bonne ou mauvaise, qu'on ne puisse retrouver chez lui: le besoin de jouer le beau rôle, de faire le bien, d'être pris au sérieux, par vanité mais aussi par désir sincère d'être un homme de bonne volonté; à côté de cela, l'angoisse de faillir, l'envie d'accomplir à bon compte des actions d'éclat, la tendance à ne pas renoncer aux facilités que procurent les privilèges et l'argent. Car Monsieur Bommel est très certainement un homme de bonne volonté mais il ne manque aucune occasion de déclarer qu'il est homme de qualité. La première de ces caractéristiques lui impose des devoirs et l'incite à la générosité. La seconde lui procure des droits et rend manifeste son égoïsme. C'est ainsi que des composantes contraires le poussent à se jeter à corps perdu dans des aventures où il pense pouvoir jouer un rôle unique et souvent sauveur mais où il sombrerait lamentablement, s'il ne disposait pas d'un ami et auxiliaire fidèle: Tom Pouce, un petit
chat blanc, pétri de bon sens, qui va même jusqu'à accorder à Monsieur Bommel, une fois l'aventure heureusement conclue, de s'en attribuer l'honneur et d'ignorer les services rendus. Alors qu'Astérix a un ami d'une force prodigieuse mais doit lui-même déployer l'ingéniosité qui mènera l'aventure à bonne fin, le sieur Bommel dépend de l'ingéniosité de son ami. Lui-même nous apparaît comme un personnage dont le mélange de faiblesses humaines soulève des problèmes qu'il échoue à résoudre seul. C'est vraisemblablement cette caractéristique qui le rend si cher au lecteur néerlandais, amateur de héros dont la maladresse face à autrui et à la société complique la vie autant qu'à lui-même.
Quelle est l'ultime arme dont dispose un anti-héros de ce genre? Son langage. Dans son désespoir tout comme dans ses moments de gloire, le sieur Bommel dispose d'un arsenal d'expressions qui ont acquis droit de cité dans la langue du public néerlandais: ainsi ‘J'ignorais que j'avais ça en moi’, ‘si vous voyez ce que je veux dire’, ‘un Monsieur doit tout faire seul’.
Les dessins de Toonder nous montrent en quoi la réalité peut nous affecter. Son texte nous dévoile surtout comment, dans notre faiblesse, nous habillons cette réalité de nos histoires, de nos mythes, comment nous essayons de conjurer dangers et imperfections par toutes sortes de moyens dont le verbe ne nous paraît pas le moins efficace ni le moins affectionné, surtout quand il se nimbe d'une douce ironie.
AART VAN ZOEST
Collaborateur en chef scientifique à l'Institut français et occitan de l'Université d'Utrecht.
Professeur associé de Néerlandais à la Sorbonne.
Adresse: Leeteinde 4-6, NL-1151 AK Broek in Waterland.
Traduit du néerlandais par Jacques Fermaut.