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Belgique
Soixante-dix ans de radiodiffusion en Belgique
Même s'il faut renoncer aux festivités fastueuses - l'institut de radiodiffusion de Belgique étant astreint, comme tout le monde, à des économies - la journée du 28 mars 1984 ne passera certes pas inaperçue. En effet, il y aura exactement soixante-dix ans, jour pour jour, qu'a débuté l'histoire de la radiodiffusion belge, une des premières d'Europe, une pionnière, dont il y a lieu d'être fier.
Le 28 mars 1914, un concert exécuté au palais royal de Laeken, à proximité de Bruxelles, fut diffusé en direct. Voici ce que l'on doit avoir entendu: d'abord quelques signaux en morse, puis l'annonce par le présentateur Joseph Longé: ‘Un, deux, trois, quatre..., dix, Allo, allo. Poste radiotélégraphique et radiotéléphonique, près de Bruxelles. Messieurs les amateurs de télégraphie sans fil, nous allons vous faire entendre un concert dédié à Sa Majesté la Reine Elisabeth. Nous commençons par l'air de La Tosca chanté par monsieur... (nom incompréhensible)’. Le tout en français, cela va de soi à l'époque. Le succès fut tel que l'on décida de diffuser dorénavant un concert chaque samedi soir, toujours depuis le Palais royal, émissions qui pouvaient être captées dans un rayon de soixante-dix kilomètres.
Les historiens n'étant pas d'accord sur la notion d'‘émissions d'un organisme de radiodiffusion’, nous ne répondrons pas à la question de savoir s'il s'agissait, en l'occurrence, des premières émissions en Europe d'une société de radiodiffusion. Les émissions depuis Laeken ne se prolongèrent guère: quand les Allemands entrèrent à Bruxelles, le roi donna l'ordre de faire sauter l'émetteur.
La véritable histoire de l'organisme de radiodiffusion belge débute fin 1923, plus exactement le 24 novembre de cette année-là, avec les premières émissions de Radio-Belgique. Radio-Belgique était une création de l'entreprise privée ‘Société belge de radioélectricité’ (SBR), première entreprise de Belgique à se spécialiser dans la fabrication de postes de radio et qui ne pouvait rêver meilleure publicité...
Cette première station de radiodiffusion ne représentait pas grand-chose: un seul étage d'une maison située rue Stassart, près de la porte de Namur, à Bruxelles. Au début, on n'émettait que de la musique, le tout en direct, bien sûr. A partir de 1924 vint s'ajouter quotidiennement un ‘radiojournal’ d'un quart d'heure, et Radio-Belgique louait en outre du temps d'émission à des entreprises et à des associations politiques et religieuses. Un émetteur commercial avant la lettre, donc.
L'Histoire de Radio-Belgique fut aussi celle du journaliste Théo
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Fleischmann, le père du journalisme parlé en Belgique, qui, vers le milieu des années trente, ‘couvrit’ notamment en direct les funérailles du roi Albert et de la reine Astrid. Radio-Belgique était exclusivement francophone. Ce n'est qu'en 1928 que fut créé, à Anvers, l'équivalent flamand: la Vlaamse Radio Vereniging (Association radiophonique flamande), à l'initiative de quelques radioamateurs désireux de grouper tous les auditeurs flamands. Ce projet resta sans lendemain, car plusieurs autres associations radiophoniques, d'orientation idéologiques celles-là, furent créées à la même époque. Ainsi, les catholiques avaient leur Katholieke Vlaamse Radio Omroep (KVRO), les socialistes leur Socialistische Radio Omroep voor Vlaanderen (dit Sarov), les libéraux leur Liberale Radio Omroep (dit Librado) et les nationalistes flamands leur Vlaamse Nationale Radio Vereniging (dit Vlanara). Toutes ces associations de radiodiffusion étaient des entreprises privées qui dépendaient de fonds privés, et par conséquent aussi de la publicité.
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INR: l'Institut national belge de radiodiffusion
Alors que les associations radiophoniques privées semblaient avoir l'avenir devant elles, l'idée fit son chemin dans les milieux officiels que les pouvoirs publics ne pouvaient demeurer indifférents à ce phénomène: pardelà
Le NIR (Nationaal Instituut voor de Radio-Omroep - Institut national belge de radiodiffusion) fondé en 1930.
les limites des partis, chacun voyait bien que la radiodiffusion était en passe de jouer un rôle important dans l'évolution de la société. Un autre élément dans la discussion était le fait que Radio-Belgique était confrontée à des difficultés financières. C'est ainsi que fut votée sans grands problèmes, en 1930, la fondation de l' Institut national belge de radiodiffusion (INR) - Belgisch Nationaal Instituut voor de Radio-Omroep (NIR), qui fut chargé de la production d'émissions radiophoniques, y compris des radiosjournaux, tenus à une impartialité absolue. Inutile d'ajouter que les quotidiens ne considéraient pas d'un bon oeil ce nouveau concurrent, alimenté par les deniers publics. Le propriétaire d'un poste de radio devait dorénavant payer une taxe de soixante francs par an, ce qui n'était pas peu à l'époque. L'Institut ‘national’ de radiodiffusion comprenait une section flamande et une section de langue française ayant chacune sa direction et produisant chacune ses propres programmes, mais il ne comptait qu'un seul conseil d'administration. Celui-ci se composait de trois catholiques, trois libéraux et trois socialistes, qui, en outre, se répartissaient ainsi: trois Flamands, trois Bruxellois et trois Wallons, ce qui illustre parfaitement l'art des équilibres dans lequel la Belgique est passée maître.
En cette période de début, l'INR-NIR, abstraction faite des orchestres, occupait en tout un personnel de soixante-huit membres. Son premier programme fut mis en ondes le 1er février 1931, de 17 à 22 heures. Des trente-cinq heures d'émission par semaine, l'institut devait en céder douze aux différentes associations qui existaient toujours. Celles-ci continuaient à faire appel à des fonds privés et, contrairement à ce qui était le cas de l'institut national, pouvaient donc recourir à la publicité. A la veille de la deuxième guerre mondiale, l'INR-NIR put occuper ses nouveaux locaux dans un imposant bâtiment nouvellement construit place Eugène Flagey, à Ixelles (Bruxelles), que l'on abandonna vers le milieu des
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Le bâtiment de l'INR-NIR, construit place Eugène Flagey à Ixelles en 1938.
années soixante pour s'installer dans un nouveau centre radiophonique flambant neuf, boulevard Auguste Reyers, à Schaerbeek (Bruxelles), où les deux sections coexistent toujours fraternellement. Au début de la guerre, les émetteurs locaux avaient perdu leur autorisation d'émission; l'INR-NIR quant à lui, arrêta ses émissions. En 1942, le gouvernement en exil à Londres annonça la création de l' Office de radiodiffusion nationale belge (ONRB) - Dienst voor de Belgische Nationale Radio-Omroep (BNRO), qui émettait vers la Belgique par l'intermédiaire de la BBC. Simultanément, une station émettrice fut construite dans la capitale du Congo belge, Léopoldville (actuellement Kinshasa), laquelle émettait sur ondes courtes.
L'emblème de la BRT (Belgische Radio en Televisie - Radio Télévision Beige néerlandophone).
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RTB-BRT
Les ‘Emissions congolaises’ diffusées à partir de Léopoldville furent à l'origine des Emissions mondiales, qui existent toujours mais dont l'émetteur est aujourd'hui établi à Bruxelles. Il s'agit d'un office de radiodiffusion autonome disposant de ses propres services d'information et organisant ses propres émissions adaptées, destinées aux ‘Compatriotes d'outre-mer’, et cela non seulement en néerlandais, mais aussi en anglais, en espagnol et en plusieurs langues zaïroises.
Au lendemain de la guerre, l'INR-NIR avait repris la place de l'ORNB-BRNO, mais les associations de radiodiffusion privées ne voyaient pas renouveler leur autorisation d'émission d'avantguerre, ce qui sonna le glas des émetteurs publicitaires, par ailleurs souvent très populaires. Dorénavant, la radio, en Belgique, serait exclusivement l'affaire des autorités, le monopole des pouvoirs publics, situation qui persiste toujours.
Il est vrai que l'émetteur national fut doublé d'émetteurs régionaux officiels, mais ceux-ci relevaient de l'autorité du grand frère à Bruxelles. Ces émetteurs régionaux flamands existent toujours; ils forment ensemble le deuxième programme de la BRT. Ils avaient pour mission de refléter la vie locale et régionale. Au cours des dernières années, cette situation a évolué sous la pression de la concurrence provenant des ‘radios libres’: maintenant, BRT 2 vise plus particulièrement le public jeune, diffuse par conséquent plus de musique pop et devient, plus généralement, l'émetteur de musique légère.
Au cours des premières années de l'après-guerre, l'office de radiodiffusion connut une croissance notable. Ses moyens matériels furent doublés. Ainsi, à côté des Emissions mondiales, on accorda une attention particulière aux émissions destinées aux écoles et on organisa des émissions s'adressant aux Belges germanophones. En 1955, on mit en ondes, en outre, un troisième programme, consacré principalement à la musique sérieuse et à des programmes parlés. Voilà qui nécessitait des fonds considérables et beaucoup de personnel. Ce n'était pas facile, d'autant plus qu'en 1953, on commença également à mettre sur pied des émissions télévisées.
Dix ans avant que ne fût instaurée légalement l'autonomie culturelle pour les Flamands et les
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Le nouvel immeuble de la BRT, avenue Aug. Reyers, à Bruxelles.
francophones, en 1970, les deux communautés culturelles se virent accorder cette autonomie au niveau de l'office de radiodiffusion. En 1960, l'INR-NIR fut transformée en une Radio Télévision Belge (RTB, devenue entretemps RTBF) et en une Belgische Radio en Televisie (BRT), soit deux offices de radiodiffusion indépendants ayant chacun leur conseil d'administration et leur direction propres, en dehors de toute ingérence des autorités. L'office demeurait une affaire des pouvoirs publics, mais ceux-ci ne disposaient plus d'aucune possibilité de se mêler avant diffusion des programmes, y compris des programmes d'information; il ne peut donc être question de censure de la part des autorités.
C'est précisément cette grande autonomie dans le domaine de l'information qui, ces dernières années, est devenue une pierre d'achoppement aux yeux des hommes politiques. On reproche à l'institut d'être trop à gauche ou trop à droite, d'être trop critique ou pas assez, de consacrer trop d'attention à des phénomènes sociaux marginaux, en un mot, de manquer d'objectivité. C'est pourquoi on réclame un contre-poids sous la forme d'un système où l'auditeur sache clairement quelle est la couleur politique de ceux qui s'adressent à lui - les journalistes de la BRT, tout comme les autres membres du personnel, officiellement du moins, n'ont pas de couleur politique -, ce qui a abouti à ce qui s'appelle aujourd'hui des ‘émissions réalisées par des tiers’. Aussi bien à la radio qu'à la télévision, les partis politiques, les syndicats, le patronat et d'autres groupes de pression se voient accorder régulièrement un temps d'émission déterminé dont ils peuvent disposer comme bon leur semble. Un retour, en fait, au système des associations de radiodiffusion des années trente.
Par ailleurs, ces dernières années, l'éclosion des radios libres a considérablement perturbé le monde de la radiodiffusion. Vers le milieu des années soixante-dix, ce fut soudain mode en Flandre: quiconque avait un peu d'argent et voulait jouer à la radio s'achetait l'appareillage nécessaire, s'installait quelque part dans une chambrette et lançait ses propres émissions radio. Résultat: une véritable cacophonie dans l'éther flamand. D'aucuns voyaient dans l'avènement des radios libres un premier pas vers la suppression du monopole de la BRT et voulaient leur laisser la bride sur le cou. Toutefois, la pléthore appelait quelques coupes sombres: les radios libres doivent introduire une demande de reconnaissance et remplir un certain nombre de conditions; ainsi, les émissions ne
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La tour de la BRT pour les émissions eurovision.
peuvent dépasser un périmètre déterminé.
Entre-temps, l'institut officiel demeure tel qu'il était. A première vue, du côté flamand - l'évolution est quelque peu différente du côté francophone -, au début des années quatre-vingts, on n'est pas beaucoup plus avancé qu'il y a cinquante ans: un grand institut de radiodiffusion officiel qui doit céder du temps d'émission à des ‘associations de radiodiffusion et de télévision’ de tendance idéologique et, en plus, des émetteurs locaux tels qu'il en existait il y a un demi-siècle. Le seul frein, c'est que la publicité demeure toujours interdite, aussi bien à la radio officielle que pour les petites radios, jadis autorisées à faire de la publicité. Pour le reste, apparemment, on se retrouve au point de départ de l'histoire de l'institut de radiodiffusion et le cercle est bouclé.
MARC PLATEL
Adresse: Oudstrijderslaan 6, 1950 Kraainem.
(Traduit du néerlandais par Willy Devos)
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