Septentrion. Jaargang 12
(1983)– [tijdschrift] Septentrion– Auteursrechtelijk beschermdLettre flamande
James Ensor, ‘Le Christ et les critiques’ (1891).
◼ le peintre ostendais james Ensor a eu les honneurs du Musée royal des beaux-arts d'Anvers, qui, du 20 août au 30 octobre 1983, a exposé cent trente tableaux, cent vingt dessins et aquarelles et cent cinquante gravures - soit l'oeuvre graphique complète - de sa main. La présence d'oeuvres moins connues ainsi qu'une section documentaire permettaient au visiteur intéressé de se faire une idée globale de cette oeuvre originale. Né en 1860, ce fils d'aventurier anglais et de mère flamande était un enfant prodige. Fréquentant très tôt l'école des beaux-arts d'Ostende, puis, de 1877 à 1880, celle de Bruxelles, il peint avec virtuosité, depuis 1875, des scènes réalistes de la vie ostendaise et des tableaux obscurs évoquant l'atmosphère étouffante, l'ennui et le conformisme qui régnaient dans les familles petites-bourgeoises dont il était issu et qu'il abhorrait. En 1883, il se trouve parmi les fondateurs du cercle artistique ‘Les Vingt’, qui lui apporte des contacts avec les milieux bruxellois. Après un voyage en Angleterre, en 1886, il introduit dans ses tableaux la lumière ainsi que des éléments fantastiques. Des | |
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dessins de cette époque montrent des visages caricaturaux, qui préfigurent la grande période des tableaux à masques - sa mère vendait des masques dans son petit magasin de souvenirs -, qui assureront sa célébrité. Chargés d'une valeur symbolique qui, comme chez le dramaturge Michel de Ghelderode, en fait pour ainsi dire des archétypes, ces masques stigmatisent la bêtise et tous les défauts de la bourgeoisie et dévoilent l'envers de la société frivole de la Belle Epoque, dont Ostende fut un véritable haut-lieu. Cet art, qui apparente Ensor à la tradition expressionniste de Bosch et de Bruegel, culminera dans L'entrée du Christ à Bruxelles (1888), toile devenue mondialement célèbre. Mais ces tableaux exprimaient en même temps le mal-être et la schizophrénie d'un Ensor qui, avec Evrard Munch et Vincent van Gogh, fut parmi les premiers marginaux explorant leur monde intérieur et le traduisant en images visionnaires. Ni les critiques ni ses concitoyens ne pouvaient suivre, voire apprécier ces oeuvres, ce qui ne manquait pas de renforcer encore davantage l'amertume de leur auteur, considéré comme un bouffon chérissant avant tout l'épate. C'est de France que lui vient la consécration, en 1899, avec le numéro spécial et l'exposition de La Plume. Ensor devient une figure de société célèbre. Son imagination s'exprimera encore, avec plus de générosité dorénavant, dans des fantaisies érotiques, des paysages irréels. Auteur de proses injurieuses et amateur de musique, il publiera encore des Ecrits et composera un ballet, La gamme d'amour. Le roi Albert Ier lui confère le titre de baron en 1929. En 1931, la ville d'Ostende lui érige une statue, qu'Ensor couvrit lui-même d'un voile de crêpe le jour où, pendant la deuxième guerre mondiale, la BBC annonça sa mort. Décédé en 1949, il repose à l'ombre de la petite église Sainte-Marie-des-Dunes à Mariakerke, qu'il peignit à maintes reprises. James Ensor. Catalogue. Textes de Harald Szeemann, Marcel de Maeyer, Lydia Schoonbaert et Susan Canning. Environ deux cents illustrations. (Bruxelles), Museumfonds, 1983, 235 p. 500 FB. ◼ a la fois synthèse historique critique et beau volume illustré pour les étrennes, Histoire de Flandre se présente comme une approche historique plus ou moins globale de l'évolution qu'a connue la Flandre, telle qu'elle se profile depuis deux, trois millénaires. Il s'agit d'un ouvrage collectif dépassant le récit événementiel et l'histoire purement politique, où les auteurs ont cherché à appréhender, pour chaque époque, les thèmes économiques, sociaux, politiques et culturels dans leur interaction et leurs implications et conséquences sociologiques. Renée Doehaard se penche sur le peuplement de la région - qui devait donner naissance à la frontière linguistique -, la structure des pouvoirs à l'époque franque, la christianisation et les structures économiques de cette société agraire. Wim Blockman étudie l'évolution de celle-ci, du onzième au quinzième siècle, vers une société urbanisée, qui appelait des institutions adaptées, aboutissant à un nouvel équilibre des pouvoirs, et contribuait à l'essor d'une économie nouvelle modifiant considérablement les conditions de vie. Après une période de crise, les Bourguignons instaurèrent le modèle dynastique et centralisé et firent connaître à la Flandre un premier apogée dans tous les domaines. Hugo Soly évoque le développement du capitalisme commercial en Flandre durant les temps modernes, avec la polarisation sociale qu'il entraîna. C'est d'abord l'époque des incertitudes, des troubles politiques et des querelles religieuses de la Réforme, auxquelles succéda un nouvel ordre politique, teinté d'absolutisme, ainsi que spirituel. Puis la Flandre devint le champ de bataille de l'Europe. Sa désurbanisation annonça un déclin qui fut de longue durée. Luc Dhondt examine la transition entre l'Ancien Régime et l'époque révolutionnaire. La seconde moitié du livre est consacrée aux deux derniers siècles et, dès lors, à la Flandre dans le contexte belge. Els Witte analyse en profondeur les différents aspects de la Flandre économiquement et socialement appauvrie du dix-neuvième siècle, avec la prolétarisation de sa population et l'industrialisation tardive. Elle démontre comment le rôle joué par l'Eglise et son impact sur le peuple expliquent l'implantation toujours considérable, de nos jours, de la démocratie chrétienne. La francisation active au sein du jeune Etat belge suscita des réactions conduisant finalement à un Mouvement flamand d'abord culturel, puis timidement politique, dont les premières conquêtes - en dépit de complications sur le plan politico-idéologique - préparent l'éveil socio-politique au vingtième siècle. Jan Craeybeckx - qui, dans l'introduction, retrace les dominantes de cette histoire - décrit l'ère des mutations accélérées au lendemain de la première guerre mondiale. Il esquisse, dans toute sa complexité, la constitution et l'évolution des partis d'inspiration nationaliste face aux partis politiques traditionnels. Il donne un | |
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aperçu de l'industrialisation naissante, puis du dynamisme et de l'expansion économiques des années soixante, avec les répercussions sur la mentalité des nouvellés générations d'industriels flamands. Les changements de la société intervenus par suite de la croissance industrielle et de la société de consommation, d'une part, contribuèrent à provoquer des conflits sociaux et, d'autre part, en marge de la dépression des années soixante-dix, suscitèrent une réflexion pré-écologiste sur le bien-être et l'environnement. Sur le plan culturel, on assiste à la néerlandisation progressive, puis généralisée de l'enseignement à tous les niveaux, ce qui a notamment permis une plus grande diversification et un élargissement sur le plan culturel. Craeybeckx consacre un dernier chapitre aux problèmes politiques et sociaux d'après la deuxième guerre mondiale, qui ont révélé des divergences entre les deux communautés linguistiques de la Belgique. Conjuguées, les revendications culturelles flamandes et les exigences de la Wallonie, découlant du déclin économique, ont contribué à secouer sérieusement l'édifice belge, qui, depuis une bonne décennie, cherche à tâtons des solutions institutionnelles allant dans le sens d'une régionalisation provisoirement timorée. Voilà un ouvrage qui, grâce à la conception et la richesse d'information, incontestablement, ‘aidera le public francophone à mieux percevoir les caractéristiques de la Flandre d'aujourd'hui’, comme Els Witte, au nom de ses collaborateurs, en exprime l'espoir dans l'avantpropos. Histoire de Flandre des origines à nos jours, (Bruxelles), La Renaissance du Livre (12, place du Petit Sablon), 1983, 359 p., ill. Une édition néerlandaise a paru simultanément sous le titre Geschiedenis van Vlaanderen van de oorsprong tot heden, idem. ◼ roger avermaeteGa naar eind(1), écrivain et publiciste flamand écrivant en français, au franc-parler hyperindépendant et volontiers pamphlétaire, dans Belgique où vas-tu?Ga naar eind(2), revient, bien à contrecoeur, sur le thème de la brochure La Belgique se meurt qu'il publia en 1938 et où on pouvait lire: ‘... par la faute des Flamands, par la faute des Wallons, par la faute de Bruxelles’. Sur le ton d'un ‘éloge de la folie belge’, il nous présente un miroir désabusé et décourageant et esquisse un portrait physique et moral ni flatté ni flatteur du Belge - ‘doux anarchiste’, ‘animal démocratique’, ‘demiintellectuel’ aux ‘besoins d'un ordre nettement matérialiste’, ‘individu qui laisse faire’ -, dont il dénonce tout particulièrement les formes d'inculture - notamment au niveau de la culture officielle - et l'esprit moutonnier, qu'il impute aux péripéties dont l'histoire gratifia nos provinces depuis la scission des Provinces-Unies: ‘Sous la férule espagnole, (ces régions qui forment l'actuelle Belgique) vont subir une cléricalisation systématique dont les effets sont loin d'avoir disparu aujourd'hui.’ Avermaete y va de sa ‘Pauvre Belgique’ à lui quant à l'histoire politique récente. Il fustige les bêtises du pouvoir et le manque de clairvoyance des pouvoirs publics. S'agissant des revendications parfaitement justifiées de la question flamande, il constate que ‘la mauvaise volonté - ou la bêtise - des uns n'a fait qu'accroître l'obstination des autres’. Les hommes politiques en prennent pour leur grade. Avermaete dénonce leurs excès et leurs mesquineries, leur manque de civisme et la manière dont ils ‘créent un authentique climat de racisme’Ga naar eind(3) dans leur oeuvre de ‘détérioration méthodique de l'Etat’. A court d'idées et de thèmes à proposer à l'électeur, les partis traditionnels ont emboîté le pas au nationalisme flamand - remontant aux années vingt et surtout d'ordre culturel - ainsi qu'au nationalisme wallon plus récent - répondant à des impératifs d'ordre économique - pour s'adonner à un régionalisme des gros sous de plus en plus centrifuge. L'indifférence du Belge ‘donne le champ libre à cette race d'individus pour qui la politique est une arme et surtout une profession’. D'autres pays ‘s'efforcent péniblement d'unir leurs efforts afin de mieux défendre leurs intérêts’; en revanche, ‘en Belgique triomphe la division. L'esprit mesquin contre une vue de grandeur.’ Sur ce, Avermaete conclut en rendant hommage à ‘l'élite silencieuse du pays’, traitée avec dédain par la démocratie. Au seizième siècle, nombre d'intellectuels et d'esprits créateurs de nos régions durent prendre le chemin de l'exil. Aujourd'hui, il sont exilés dans la médiocrité ambiante... Comment briser ce cercle apparemment vicieux et trouver un terrain d'entente minimum entre le pouvoir et l'esprit? ◼ la flandre célèbre avec éclat, cet automne et cet hiver, le centenaire de la mort de Hendrik Conscience - ‘Il a appris à lire à son peuple’; ‘Il a donné une âme | |
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Caricature de Henri Conscience.
nationale à son peuple’ -, survenue le 10 septembre 1883. Sous les auspices de la fondation Hendrik Conscience, créée en 1981, une médaille commémorative sera frappée, un timbre spécial édité; de nombreuses expositions et manifestations se dérouleront un peu partout; des études, des conférences, représentations théâtrales, des livres et des films lui seront consacrés. Anvers, sa ville natale, propose trois expositions: ‘Henri Conscience et son époque’; ‘Le lion, symbole et arme universelle de la Flandre’, sur les sources utilisées par l'auteur pour son chef-d'oeuvre Le lion de Flandre (1838), dont Hugo Claus réalise une version cinématographique, ainsi que sur les aspects héraldiques du lion; enfin, ‘Cinquante ans d'Archives et musée de la vie culturelle flamande’, institution dont l'origine remonte à l'acquisition, en 1899, par la ville, des archives littéraires de la famille Gentil Antheunis-Conscience. Par ailleurs, celles-ci permirent la mise sur pied, en 1912, de la première grande manifestation de commnémoration lors du centenaire de sa naissance. A Bruxelles - où il vécut les quatorze dernières années de sa vie en qualité de conservateur du musée Wiertz et où la publication de son centième titre fut l'occasion, le 25 septembre 1861, d'une célébration extraordinaire, avec un hommage en masse de tout le peuple flamand - se tient une exposition ‘Conscience et son engagement social’, et le théâtre de marionnettes de Toone joue une adaptation ‘bruxellisée’ de De leeuw van Vlaanderen. Sachant lire grâce à Conscience, donc, nous nous rendons compte aujourd'hui, assez paradoxalement, que la grande majorité de ses livres sont devenus illisibles et que les quelques titres encore réédités, de préférence en un néerlandais remanié, passent tout au plus pour des récits plus ou moins aventureux pour un public jeune; il décrivait un monde simpliste, naïvement manichéen et fortement idéalisé, aux personnages schématisés à l'extrême, et ce dans un style pompeux et sur un ton moralisateur; ce fils d'ancien marin français, qui s'était porté volontaire contre les armées hollandaises en 1830, eut tout de même le courage de franchir la barrière linguistique; sur le plan social, il prônait le respect de l'ordre établi et un paternalisme humiliant et, vu les conditions de vie de l'époque, ses récits apportaient en fait aux lecteurs une fuite illusoire hors de la réalité; cet esprit libéral, se voulant ‘écrivain pour tout
Frontispice par G. Wappers de la première édition du ‘Lion de Flandre’ de Henri Conscience.
le peuple’, refusait toujours de prendre position sur le plan politique et acceptait de se faire censurer par l'Eglise; pour lui, comme pour nombre de ses contemporains issus de la petite bourgeoisie flamande et dotés de quelque talent intellectuel ou artistique, l'écriture était l'unique moyen pour réaliser une ambition sociale - comme en témoignent les honneurs officiels qui lui échurent ainsi que sa carrière administrative - et d'accéder ainsi à une élite culturelle distincte de l'élite financière, économique et politique belge, qui était francophone et le resterait encore longtemps. Il n'empêche que ses romans historiques, traduits en plusieurs langues et généralement plus lisibles dans celles-ci, valurent à Conscience une réputation européenne - il reçut les visites de Victor Hugo et d'Alexandre Dumas, qui lui fit même l'honneur de le plagier! - et que malgré tout, compte tenu de son époque et du peuple culturellement arriéré auquel il s'adressait, il fut le premier de nos géants littéraires, qui eut le mérite de faire de la langue flamande l'instrument de la prise de conscience et de l'émancipation de tout un peuple.
willy devos
Adresse: Herdersstaflaan 38, B-1170 Brussel. |
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