relle par-dessus la faille qui semble couper si radicalement les poèmes de la seconde période, du personnage du poète-diplomate. Il y dégage les constantes, déjà présentes dans l'oeuvre des débuts, qui sautent également aux yeux dans les recueils les plus récents.
Tout d'abord la sensualité: ‘Si sa poésie est intellectuelle... elle est avant tout sensuelle; elle est fille de ses cinq sens’. Chez De Gorter, le sens le plus important se révèle être la vue. Non pas le regard du peintre, cette caractéristique la plus frappante de l'homme des Plats Pays, mais l'oeil perçant du visionnaire: ‘Il regarde au fond des choses pour en faire surgir toutes les implications possibles...’ Mais, à tout prendre, l'odorat n'est pas moins important:
L'odeur me fait comprendre
L'odeur me fait comprendre
L'odorat éveille chez le poète les souvenirs les plus complexes, souvenirs que l'image seule n'aurait jamais pu retrouver d'une manière aussi personnelle. Naturellement, les autres sens aussi jouent pleinement leur rôle dans ce processus d'abstraction, où les stimuli sensoriels se transmutent en vers parfois heurtés et plus que denses: ‘Cet amalgame d'associations sensuelles qu'exprime l'apparent désordre ou tumulte des mots appartient au domaine poétique de Sadi. Il arrive que cette écriture conflictuelle ne provoque pas toujours le même intérêt... Il est des mots qui vont à l'eau, et d'autres qui partent en feu d'artifice. Rien ne sert d'en chercher la raison. C'est ainsi’.
La sensualité est la source directe de l'érotisme toujours sous-jacent chez Sadi de Gorter. Mais il y a une deuxième constante qui marque aussi indéniablement de son sceau sa poésie; les sens réagissent en effet à des stimuli inhérents à notre tumultueuse époque: ‘... les apprêts de la guerre pressentie, puis de la guerre vécue;... la misère qui pèse, qui déforme, qui creuse des stigmates et qui détruit; et puis les mécaniques, les métros publics... les machines qui comptent et décomptent; mais pas seulement les machines inanimées, les machines-hommes et leurs inventions, les banques, les bourses, les caisses d'épargne, tous les trucs d'une modernité qu'il ne récuse pas en soi, mais dont la toxicité fait frémir...’ Le poète ne condamne pas, juge à peine, mais enregistre, élabore les données pour déchaîner ensuite contre elles ses sarcasmes.
Le thème de sa poésie, c'est la vie entière de l'homme dans notre siècle technologique, avec ses nuits creuses et ses jours pleins, et toutes ses virtualités exploitées et inexploitées. Avec ce que nous nous sommes mis à appeler les prolongements de nos membres et de nos sens. Chez Sadi de Gorter il s'agit essentiellement d'un prolongement de nos jambes: ‘Le voyage est omniprésent dans l'oeuvre de Sadi. Le vrai voyage bien sûr, mais aussi tous les autres, le voyage au coin du feu ou le voyage dans le quotidien...’ Yves Cazaux en donne divers exemples, qui donnent à l'érotisme sous-jacent un relief particulier, mais contrastent en même temps curieusement avec la deuxième constante: l'impact du vingtième siècle; ils sont comme une pause, un jeu, au sortir du pénible bilan de tous nos manquements.
Le passage de l'introduction où Yves Cazaux appelle notre attention sur ‘la mythologie des pluriels’ dans l'oeuvre de Sadi de Gorter mérite une mention particulière. ‘On ne peut pas aborder ce singulier pluriel sans y faire halte. Serait-ce une tendance chez Sadi à collectiviser...? Serait-ce pluriels de majesté? J'en écarte l'idée. Car tous les pluriels de Sadi sont accompagnés d'adjectifs possessifs. Mes Amstels, mes Christs, mes Italies...’ Pour Cazaux, il s'agit ici bien plus du sentiment d'une si envahissante complexité, d'une telle luxuriance d'idées, d'images, de sons, de rêves... ‘qu'il les pluralise’.
L'introduction s'achève sur une présentation un peu plus fouillée de Caisse d'Epargne, un recueil de 1977, qui, selon Cazaux, ‘demeure pour l'instant la somme poétique des témoignages de Sadi sur notre monde et sur lui-même... C'est une longue méditation, tantôt détendue, tantôt crispée autour de sa vie, de la vie, du destin, de la solitude, de l'amour, du métier, des souvenirs qui nous collent à l'esprit... Une longue ironie, amère ou doucereuse, constate avec lucidité ce qu'a vu ou ce qu'a subi, ce qu'a brûlé dans sa drôle de