Septentrion. Jaargang 12
(1983)– [tijdschrift] Septentrion– Auteursrechtelijk beschermd
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Lettre flamande◼ début 1982, sous l'impulsion de son ministre-président Gaston Geens, l'exécutif régional flamand lança la campagne en faveur de la Troisième révolution industrielle en Flandre pour la présenter officiellement au public le 1er octobre de la même année. Cette vaste opération d'information avait pour but de sensibiliser l'opinion publique, de motiver les chefs d'entreprise, les travailleurs et les organisations syndicales, et devait provoquer une prise de conscience quant aux nécessités et aux possibilités pour l'avenir et permettre une valorisation maximale du potentiel de recherche et des talents en présence. Il s'agit de mettre la Flandre à même de suivre l'évolution technologique sans prendre trop de retard par rapport à la course que se livrent l'Amérique du Nord et le Japon dans ce domaine et qui, d'ici peu, marquera profondément l'Europe. Des journées de technologie
La poignée de main ‘hi-tech’ échangée entre l'homme et le robot, geste universel de bienvenue et de coopération et symbole à la fois attirant et repoussant du sentiment d'angoisse et d'espoir devant l'avenir, qui servait d'enseigne publicitaire omniprésente de ‘Flanders' Technology’.
furent organisées, des groupes de technologie créés en coopération avec la fédération économique flamande - ayant pour doux noms Flag, Meditek, Agriv, Flora et Energik -, chargés de la coordination dans les différents secteurs de la technologie de pointe. Des programmes d'action furent élaborés concernant des formations professionnelles appropriées, la coopération entre les universités et les entreprises et le guidage des petites et moyennes entreprises. Un important objectif supplémentaire de cet acte d'autoaffirmation est de donner à l'étranger une image de marque bien profilée de la Flandre en vue de susciter des échanges et de conquérir encore quelques parties de créneaux sur les marchés technologiques internationaux. Le premier point culminant de l'opération fut Flanders' Technology, premier Salon international de l'innovation technologique, | |
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qui s'est tenu au Centre de congrès international de Gand du 3 au 7 mai 1983. Comme la Flandre, d'habitude, recourt plutôt à son glorieux passé ou à ses peintres - depuis les primitifs jusqu'aux expressionnistes en passant par Rubens ou Bruegel - lorsqu'il s'agit de se faire connaître par-delà ses frontières, on est en droit de s'étonner de l'ampleur insolite et absolument inattendue qu'a prise cette nouvelle initiative entièrement axée sur l'avenir. Le salon présentait onze secteurs clés pour l'industrie nouvelle: trois technologies de base: micro-électronique, biotechnologie, nouveaux matériaux et techniques; huit technologies appliquées: télématique, bureautique, robotique, aéronautique et espace, nouvelles techniques d'énergie, technologie médicale, agro-industrie, engineering. Dans les coulisses se sont tenus d'importants colloques et séminaires sous l'égide de l'Institut technologique de l'Association des ingénieurs flamands et se sont déroulés des événements culturels régis par des ordinateurs. Le catalogue à lui seul constitue déjà un précieux lexique trilingue spécialisé. En pleine crise économique, Flanders' Technology s'est d'emblée imposé comme la manifestation la plus imposante et importante du genre au niveau mondial. Près de six cents exposants, dont deux cent quinze étrangers, y ont vu défiler un flot de cent dix-sept mille visiteurs appartenant à toutes les couches de la population, dont dix mille étrangers. D'innombrables contacts ont été pris, des contracts conclus. Le succès immédiat fut éclatant. La fête terminée, il est à espérer que le message sera reçu et qu'il pourra être traduit en termes économiques réalistes. Dans une Belgique non fédéralisée et insuffisamment régionalisée, l'amélioration
‘Flanders' Technology’ vu par le caricaturiste de l'hebdomadaire bruxellois ‘Pourquoi pas?’, avec M. Eyskens, L. Tindemans, G. Geens et W. Martens comme robots politiques.
du climat d'investissement et surtout la manipulation des leviers financiers demeurent des problèmes cruciaux - comme le démontrent déjà les débats autour des dossiers industriels plus traditionnels. Par ailleurs, syndicats, écologistes et économistes critiques ont souligné que les questions d'emploi, de qualité de la production, de climat et de redistribution du travail restent dans le vague, ont rejeté la foi naïve et dépassée dans le progrès et dénoncé le cynisme avec lequel le néocapitalisme parvient à se maintenir en provoquant des crises pour s'en remettre ensuite aux autorités publiques, auxquelles on présente la note à payer. Entre-temps, l'exécutif flamand a mis sur pied la Fondation Technologie en Flandre, qui étudiera les conséquences sociales de toute cette évolution. Quoi qu'il en soit, rendez-vous est pris pour un nouveau salon en 1985... En 1838, avec Le lion de Flandre, le cher Hendrik Conscience provoqua une renaissance culturelle flamande en évoquant la bataille des éperons d'or. Qui sera le chantre du chip d'or futuriste? ◼ ces flamands de culture française, tel était le titre d'un dossier proposé récemment par le quotidien La Libre BelgiqueGa naar eind(1). Jo Gérard y situe le phénomène des élites francophones dans le contexte historique depuis l'époque du comté de Flandre et les siècles où la Flandre était un grand carrefour international. Il indique comment, dans le cadre du jeune Etat belge, des aspirations cultu- | |
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relles et sociales se doublèrent de revendications linguistiques avant que le Mouvement flamand ne prît des accents nationalistes plus prononcés. Soulignons que les francophones n'ont jamais pu invoquer le statut de minorité honteusement opprimée en Flandre: par suite, notamment, du régime français de l'épisode napoléonien (1795-1815), ils ont appartenu à la bourgeoisie dirigeante dans tous les domaines. La Belgique ayant été érigée, en 1830, en Etat de langue française, ils ont ressenti les succès de la lutte d'émancipation flamande en premier lieu comme une rupture de contrat. Ce fut après les lois linguistiques de 1932 - résultant du refus, par les Wallons, d'un bilinguisme généralisé qui, de toute façon, ne les aurait jamais vraiment atteints chez eux -, qu'ils se trouvèrent petit à petit relativement isolés. Dans son reportage - qu'accompagnent des entretiens avec plusieurs personnalités du monde culturel et politique et quelques repères bibliographiques -, Jean Kestergat divise les Flamands de culture française en quatre catégories: les derniers ‘fransquillons’ nourrissant encore la nostalgie de la caste; les francophones discrets; ceux qui se sont parfaitement intégrés à l'élite politique, sociale et économique flamande; les anxieux qui se culpabilisent, généralement de francisation plus récente. Les manifestations d'hostilité sporadiques dont ils ont pu être victimes à quelques périodes cruciales de la lutte d'émancipation flamande ont nettement diminué depuis dix ans, mais ils continuent à se proclamer Flamands et sont vigoureusement attachés à leur ‘plat pays’. Comme en Belgique rien n'est jamais simple, soulignons encore le paradoxe que les francophones, par ailleurs, n'y détenaient pas le monopole de la francophilie sincère dans ses différents aspects: de par l'histoire, l'environnement et l'éducation, jadis, nombre de Flamands culturellement et politiquement militants trouvaient outre-Quiévrain une sorte de seconde patrie spirituelle. Kestergat nous emmène dans les milieux francophones de Bruges, Gand, Courtrai, Anvers et Hasselt, essaie de saisir de plus près la notion de ‘belgitude’ - ‘Le Belge est Belge parce qu'il n'est rien d'autre’, dit l'un de ses interlocuteurs - et note que c'est en Flandre que se manifeste le souci le plus vif de ménager et de créer des liens nouveaux entre les régions. Ceux-ci devront évidemment se fonder sur des bases différentes de celles définies par les rapports de force traditionnels belges, où le facteur démographiquement et démocratiquement majoritaire flamand ne suffit pas pour infléchir à lui seul tous les éléments au bénéfice des néerlandophones ni ne permet de leur imputer tous les pouvoirs. Un ‘rapprocheur’ wallon, Jean-Pierre GailliezGa naar eind(2), déclare: ‘En tant que wallon, je me désole de voir la Wallonie se replier sur elle-même. Je me désole de l'ignorance dans laquelle elle se trouve de l'autre communauté. Elle ignore l'histoire du Mouvement flamand, elle ne sait pas toutes les raisons que les Flamands avaient de se battre pour leur langue. L'injustice que les Flamands ont connue, les Wallons ne la ressentent pas. Mais d'autre part, il faut aussi que les Flamands comprennent que les francophones actuels ne peuvent être tenus pour responsables de ce qu'ils ont souffert. On n'est pas responsable de l'histoire.’ Décidément, la miniguerre civile belge n'est pas encore pour demainGa naar eind(3). ◼ ‘en exprimant en français leur sensibilité, de grands écrivains ont contribué à enrichir le patrimoine culturel de la Flandre et à assurer à celle-ci un rayonnement qu'on aurait tort d'ignorer’, écrit encore Jo Gérard. Une revue flamande leur a consacré un numéro spécialGa naar eind(1) comportant une anthologie bilingue - forcément trop limitée mais dépassant tout de même les quelques noms archiconnus - de dix-huit d'entre eux, composée par Liliane Wouters et encadrée de neuf articles (en néerlandais) sur ce phénomène culturel. Marc Reynebeau esquisse le contexte sociologique dans lequel cette ambivalence biculturelle a soudain émergé dans des oeuvres de haute qualité, évoquant une Flandre en grande partie imaginaire et mythique, au dernier quart du dix-neuvième
Suzanne Lilar, auteur d'‘Une enfance gantoise’, 1976 (photo Guyaux).
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siècle. Elle avait comme substrat aussi bien des phénomènes sociaux de classe que des aspects artistiques (symbolisme) et des facteurs purement individuels. Antoon Roosens approfondit la signification politico-sociale de la prédominance de la bourgeoisie francophone en Flandre à l'époque. Liliane Wouters apporte son témoignage personnel et croit, quant à elle, au rôle du hasard et au concours de circonstances. Des articles sont encore consacrés à
Emile Verhaeren, dont le premier recueil de poèmes ‘Les Flamandes’, parut en 1883 (dessin de Cagnat).
Affiche du film ‘Les Gueux au Paradis’ (photo: comité Gaston Martens).
Charles de Coster, au dadaïste oublié Clément Pansaers, à un chapitre biographique sur Michel de Ghelderode et à deux auteurs célèbres qu'il ne s'agit pas d'annexer, mais dont l'oeuvre comporte des aspects indéniablement flamands, fût-ce de manière latérale: Marguerite Yourcenar (à la recherche de ses racines en Flandre française) et Conrad Detrez (avec son baroquisme et son utilisation du catholicisme étriqué flamand comme repoussoir). On peut s'étonner de ne pas rencontrer les noms de Daniel Gillès ou de Françoise Mallet-Joris, par exempleGa naar eind(2). La race des écrivains flamands de langue française semble en voie de disparition, à moins que quelques individus veuillent encore prendre place dans cette lignée par un choix délibéré et pour des motifs purement littéraires. ◼ la commune de zulte (Flandre orientale) célèbre cette année-ci le centenaire de la naissance de Gaston Martens (1883-1967), brasseur et auteur dramatique. Si nous en faisons état, c'est parce que Martens vécut de 1937 à 1945 à Mandelieu, dans la région de Cannes, où il se mit à traduire plusieurs de ses pièces éminemment populaires. L'une d'entre elles, Les gueux au paradis (Paradijsvogels, 1932), triompha à Paris avec quatre cents représentations pendant la seconde guerre mondiale, puis fut transposée à l'écran par René Le Hénoff, avec Raimu et Fernandel dans les rôles principaux. Le village des miracles (Het dorp der mirakelen, 1947) y connut un succès quasi égal à partir de 1951. Depuis, ces deux pièces ont été jouées en trente-quatre pays du monde et considérées comme typiquement flamandes en raison de l'esprit de Bruegel et d'Uilenspiegel qu'elles illustrent et de l'humour populaire combinant un comique bouffon avec un brin de nostalgie.
WILLY DEVOS
Adresse: Herdersstaflaan 38, B-1170 Brussel-Bruxelles. |
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