Septentrion. Jaargang 10
(1981)– [tijdschrift] Septentrion– Auteursrechtelijk beschermd
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Lettre flamande◼ le 31 mars 1911, cinq députés flamands des trois familles politiques déposèrent à la Chambre belge des représentants une proposition de loi visant à néerlandiser l'Université d'Etat de Gand. C'était l'aboutissement d'un long processus de prise de conscience, le résultat d'une intense campagne menée par ‘les trois coqs chantants’, Frans van Cauwelaert, Camille Huysmans et Louis Franck et le coup d'envoi du Mouvement flamand politique au vingtième siècle. Le jeune Etat belge avait, en 1835, réorganisé et francisé l'Université d'Etat de Gand que Guillaume Ier avait fondée en 1817 et dotée du latin comme langue d'enseignement. Les Pétitions de 1840 - première initiative politique du Mouvement flamand littéraire et culturel - et la Commission des griefs en 1857 avaient notamment demandé l'égalité de traitement pour le néerlandais et le français dans l'enseignement secondaire et les universités d'Etat. Une série d'initiatives aboutirent vers 1890 à la création de la première section de philologie germanique de Belgique à Gand. Entre-temps, les premières lois linguistiques des années 1870 et surtout leur sabotage accélérèrent la prise de conscience et convainquirent le groupe restreint des intellectuels flamingants - principalement libéraux - de la nécessité d'une formation en langue néerlandaise pour les Flamands. En mai 1897, Julius Mac Leod, dans le rapport d'une commission ad hoc, prôna la néerlandisation progressive de l'université. D'autres suggérèrent des répétitions en néerlandais ou des dédoublements de cours. Le camp catholique s'y opposa catégoriquement pour des raisons d'ordre patriotique et d'intérêt religieux: ne pas détourner les Flamands de l'Université catholique de Louvain. En 1906, les évêques invoquèrent encore le ‘rôle supérieur auquel doit prétendre une université’ pour expliquer que ‘la race flamande serait du coup réduite à des conditions d'infériorité dans la concurrence universelle’! De son côté, Lodewijk de Raet entrevoyait l'essor économique et technique futur et voyait dans l'enseignement en néerlandais à tous les niveaux un facteur de dignité susceptible de renforcer la notion de peuple, de mobiliser l'énergie des Flamands et de stimuler ceux-ci à se consacrer au bien-être de leur communauté. En août 1906, présentant le rapport radical d'une nouvelle commission, il proposa la néerlandisation intégrale de l'université de Gand, y compris des écoles techniques réputées, qui devaient être intégrées à une nouvelle faculté scientifique. Ce dernier rapport servit de base à la proposition de loi, mais, avant la première guerre mondiale, des péripéties politiques et
August Vermeylen (1872-1945), historien de l'art, essayiste et romancier, fut en 1930 le premier recteur de l'université néerlandisée.
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Le 21 octobre 1930, la première année académique de l'université néerlandisée fut déclarée ouverte.
des manoeuvres en retardèrent l'examen. Sous l'occupation allemande, les Flamands ‘passivistes’ refusèrent toute solution non belge aux questions linguistiques. Les ‘activistes’, en revanche, accueillirent favorablement le projet du gouverneur général Von Bissing de créer une université néerlandaise à Gand. Celle-ci fonctionna du 24 octobre 1916 au 22 octobre 1918. Au lendemain de la guerre, une brutale répression en frappa les professeurs comme les étudiants, dont on retrouvera par la suite les noms dans les différents groupements et courants du Mouvement flamand militant de l'entre-deux-guerres. Tablant sur le changement des rapports de force consécutif à l'instauration du suffrage universel et se référant aux promesses faites par le roi Albert Ier à l'armistice, les Flamands redéposèrent la proposition de loi le 19 décembre 1921. La Chambre en affaiblit la portée et le Sénat la rejeta. Le gouvernement élabora un compromis et la loi du 3 juillet 1923 instaura une formule hybride: deux sections bilingues à raison de deux tiers des cours en une langue et un tiers dans l'autre. Cette solution ne satisfaisait aucun des deux camps et du côté francophone, on créa l'Ecole des hautes études pour compléter le cycle français. Dans la perspective du centenaire de la Belgique, le gouvernement entendait mettre fin à la question linguistique et parvint à faire adopter la loi du 5 avril 1930 relative à l'emploi des langues à l'université de Gand. Le 21 octobre 1930, l'historien de l'art, essayiste et romancier flamand August Vermeylen, en sa nouvelle | |
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qualité de recteur, déclara ouverte la première année académique de l'université néerlandisée. Celle-ci devait connaître son véritable essor dans les années 1970, quand les bourses d'études et une nouvelle réglementation de l'accès aux universités annoncèrent la démocratisation de l'enseignement supérieur. Par la suite, l'essaimage des ‘candidatures’Ga naar eind(1) dans le cadre de l'expansion universitaire devait assez paradoxalement freiner son épanouissement et faire stagner le nombre d'étudiants en deça du plafond prévu. Le rôle et la place que tient l'Université d'Etat de Gand dans la communauté flamande justifie amplement les efforts de tous ceux qui ont combattu pour qu'elle devienne un instrument d'émancipation de la Flandre, lutte que nous présente le directeur des archives de l'institution dans une chronique illustréeGa naar eind(2). Cette lutte, du reste, se poursuit, car dans son discours de commémoration, le 17 novembre 1980, le recteur a dénoncé la discrimination dont les universités flamandes sont toujours victimes dans le domaine de la recherche scientifique. ◼ en novembre 1980, le ministre de la Culture néerlandaise a décerné le premier Prix triennal d'Etat pour l'animation socioculturelle à Jan Hardeman et à son équipe de l'association de développement communautaire Opbouwwerk Heuvelland, fondée en 1966. Il couronne ainsi les pionniers, en Flandre, du développement
Jan Hardeman à qui a été décerné le premier Prix triennal d'Etat pour l'animation socio-culturelle (Photo Paul van den Abeele).
communautaire dans un ensemble de quatorze villages formant la région des Monts de Flandre, la pointe sud du Westhoek, au sud de la ligne Poperinge-Ypres (Flandre occidentale). S'inspirant d'exemples néerlandais remontant eux-mêmes à des expériences d'animation de collectivités aux Etats-Unis, Hardeman, dans les années soixante, dressa le bilan de cette région rurale limitrophe et isolée, menacée de dépeuplement sélectif (exode rural, navetteurs, départ forcé des jeunes diplômés) et souffrant d'un manque d'emplois et d'équipements. Le premier souci fut de secouer la population (environ seize mille habitants) et, par la voie d'enquêtes, d'information et de dialogue permanent, de lui faire surmonter son apathie résignée et son conservatisme. Ce travail de base contribua à motiver la population et sut progressivement intéresser les administrations, le but commun étant d'aboutir à un développement durable de la région et d'augmenter la viabilité des villages en tant que noyaux d'habitat. Soucieux de préserver le caractère éminemment rural du site légèrement vallonné, on chercha à réorganiser l'agriculture, à proposer un tourisme de détente, à restructurer l'enseignement primaire, à stimuler les activités sportives et culturelles, à améliorer l'aspect des villages, etc. Pareille entreprise demande beaucoup de patience, de persuasion pour vaincre des résistances et des habitudes. L'idéalisme et le volontariat déployés jusqu'ici mériteraient un plus grand intérêt de la part des autorités flamandes désormais culturellement autonomes, qui semblent s'intéresser davantage aux centres urbains ou aux réalisations plus spectaculaires et perdre facilement de vue les besoins spécifiques des communautés rurales. Opbouwwerk Heuvelland connut forcément ses problèmes, notamment à la suite de conflits d'intérêts, et ses échecs. Ainsi, lors de la fusion des communes de 1976, des regroupements inopportuns démembrèrent la région. Puis, la crise économique bouleversera à nouveau nombre de projets. Mais une série de petites initiatives continuent: itinéraires touristiques, musée de jeux populaires, moulin, etc. Un des points culminants de cette action fut sans contredit le grand spectacle Nooit brengt een oorlog vrede (Jamais une guerre n'apporte la paix), mis sur pied par la population de cette région rudement touchée par la | |
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première guerre mondiale pour commémorer le soixantième anniversaire de l'armistice. Le résultat principal réside incontestablement dans la participation active d'individus et de groupes de personnes qu'elle rendait plus conscients d'appartenir à une collectivité. Puisse la reconnaissance officielle des efforts de Jan Hardeman susciter l'intérêt pour ces vingt ans de réalisations éminemment sociales de promotion concrète du bien-être de l'individu; puisse-t-elle aussi encourager d'autres collectivités à suivre cet exemple et inciter les pouvoirs publics à suivre avec une plus grande bienveillance des initiatives de ce genre: face à un avenir qui s'annonce plus sombre après le progrès et la prospérité des années soixante, elles favoriseront notre retour à l'échelle humaine. Opbouwwerk Heuvelland, Streekhuis ‘Malegijs’, Dorpstraat 12, B-8948 Kemmel. ◼ le 2 novembre 1980 est mort, à Louvain, Bernard Kemp (pseudonyme de Bernard Frans van Vlierden), né le 22 août 1926 à Hamont (province de Limbourg). Il s'était avant tout fait une excellente réputation de critique littéraire et d'historien de la littérature néerlandaise. Docteur en philologie germanique à l'Université de Louvain en 1965, avec une thèse sur Guido Gezelle, il devint, en 1969, professeur aux Facultés universitaires Sint-Aloysius à Bruxelles, dont il s'était fait l'un des principaux promoteurs. Homme profondément religieux mais large d'esprit, curieux et érudit, méticuleux, combatif et épris de justice, partisan farouche du dialogue constructif et animateur infatigable et toujours inspiré, Kemp était actif dans de nombreuses associations et commissions
Bernard Kemp (1926-1980) quelques semaines avant sa mort.
et présida notamment l'Association des écrivains flamands dans les turbulentes années de l'après-mai 1968. A ce titre, il s'intéressait plus particulièrement aux droits sociaux, matériels et intellectuels de l'écrivain. Kemp sacrifia dans une large mesure aux activités précitées sa carrière d'écrivain dont nous restent une nouvelle, une pièce de théâtre et cinq romans. D'aucuns les qualifient de ‘jeux intellectualistes’. Toutefois, la présence de la mort, assumée depuis une première crise cardiaque en 1976, introduisait une gravité et une pondération plus grandes chez ce joueur amoureux de la vie. De plus, son dernier roman Het weekdier (littéralement: Le mollusque; mot à mot: L'animal d'une semaine) nous révèle un opus éminemment moderne, à la fois jonglerie verbale et effort dantesque d'appréhension de l'histoire et de l'époque contemporaine à travers une approche magistrale du langage et du patrimoine culturel européen. Dans le domaine de la critique, ce lecteur particulièrement doué et éclectique laisse une majestueuse et originale ‘poétique du roman flamand’. Avec la disparition de Bernard Kemp, la minirépublique des lettres néerlandaises de Flandre a perdu prématurément un de ses ‘seigneurs’. WILLY DEVOS |
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