| |
| |
| |
Chronique néerlandaise
Sadi de Gorter,
Paris.
Je m'étais installé paisiblement dans un compartiment de seconde classe d'un train qui relie au milieu de la journée Paris à Amsterdam, délaissant le confortable Trans Europ Express auquel je dois d'avoir été véhiculé d'innombrables fois entre les deux capitales. Par manque d'argent, maintenant que voyager en solitaire coûte les yeux de la tête? Certes, l'économie est appréciable, mais une autre raison avait dicté mon choix. Je voulais en fait m'isoler dans la foule anonyme pour lire d'un bout à l'autre du trajet sans être dérangé. Entre la France et les Pays-Bas, il ne m'était jamais arrivé dans le TEE de ne pas entendre ce cri détestable et détesté de Hé Sadi ou de Hallo Saadi, proféré, selon le cas, par une relation française ou néerlandaise, elle aussi en déplacement. A ouvert ou A fermé, adieu la lecture, place à la con-ver-sation. En ai-je entendu, en ai-je prononcé au fil des kilomètres, des tomes de confidences, de réflexions, de mondanités. Cette fois, j'étais sûr de ne pas rencontrer de diplomate en poste à La Haye, à Bruxelles ou à Paris, de journaliste en veine d'interview, de professeur en fin ou au début de mission, bref de notable appartenant - comme moi - à une tribu franco-belgo-néerlandaise composée d'un nombre limité de personnes, avec laquelle elles font intégralement corps. Autant l'avouer sans ambages: je me suis cruellement trompé. Je n'ai pu me plonger dans la lecture de mon dossier, bien que je n'aie pas entendu le cri abhorré. Mais il était astucieusement remplacé par des Dag Meneer de Gorter ou des Quelle heureuse surprise,
mon cher ami. De toute évidence, mes activités passées ont percé le mur des classes ferroviaires. J'étais ravi, mais je constatai une fois de plus qu'une grande part de la conversation courante s'articule autour de questions que l'on pose de part et d'autre.
La contradiction entre les souhaits et les faits telle qu'elle apparaît dans l'anecdote du train, je la retrouve à tout moment. Par exemple dans le commentaire rédactionnel qui ouvre la livraison du mois d'août d'une revue artistique néerlandaise. L'éditorial dont il s'agit (et qui engage je suppose la responsabilité de la rédaction de ce mensuel appelé Kunstbeeld) ‘expose’ que les expositions d'art organisées un peu partout sont de plus en plus une industrie sujette aux influences politiques et économiques, de sorte qu'il vaut mieux conseiller aux amateurs de visiter les vastes collections permanentes des musées de par le vaste monde. Moi, je veux bien, mais je m'étais abonné à cette revue pour y suivre le compte rendu des expositions, seule matière traitée par elle.
En feuilletant un périodique consacré au tourisme dans les Pays-Bas, j'ai constaté que, de page en page, une annonce de publicité comportait un
| |
| |
Ciseaux dessinés dans le pointillé des bons de publicité à découper dans les annonces publiées par les journaux. A gauche, ciseaux figurant dans les bons néerlandais (prononcez ‘bonn’); à droite, ceux des bons de la ‘pub’ française.
texte encadré que l'on était censé renvoyer avec nom, prénom, adresse, code postal, et parfois âge, sexe et profession, afin de recevoir gratuitement broohures, photos, prospectus, renseignements supplémentaires, livres ou jumelles à l'essai pendant dix jours, sans obligation d'achat, et, pour que l'on sache bien ce qu'il convenait de faire, le profil d'une paire de ciseaux était reproduit dans un coin du texte à découper. Sur 60 pages, j'ai compté 41 bons d'examen gratuit, bons de commande à prix réduit jusqu'à la fin du mois, le cachet de la poste faisant foi, bons pour deux flacons de limonade extemporanée pour le prix d'un seul, bons pour une visite d'un manège de Scheveningen, etc. Faire de la réclame, réclame des procédés publicitaires assez semblables en France. Les ciseaux que j'ai découpés dans les bons à découper attestent de la similitude des objectifs à atteindre de part et d'autre des frontières.
Si j'étais seul au monde, privé de parents et d'amis, je remplirais tous les bons que je trouverais dans les journaux et magazines. A défaut de correspondants réguliers et même occasionnels, je recevrais néanmoins un courrier de ministre.
J'ai relevé une contradiction non moins évidente chez un enfant flamand lisant un livre intitulé (je traduis du néerlandais): Les meilleures histoires drôles à l'intention de la jeunesse. Plongé dans sa lecture, l'enfant ne riait pas. Pas un trait de son visage ne bougeait. Il affichait un air de profond ennui. La bonne et franche blague succédait au mot d'esprit, les situations humoristiques aux événements burlesques, l'anecdote marrante à la contrepèterie juvénile: le gosse ne riait pas. Or, quelque temps plus tard l'enfant éclata de rire en racontant l'une de ces histoires comiques à un petit copain.
Lu dans un hebdomadaire néerlandais qu'un libraire de Bruxelles avait placé côte à côte le roman Camera Obscura (de Nicolaas Beets) et un livre de Helder Camara (le prélat brésilien) dans la section Photographie de son établissement et le journaliste de se gausser de ce malhabile représentant de la culture. S'il fallait relever toutes les bévues de ce genre, une vie de chroniqueur n'y suffirait pas. Je me rappelle avoir demandé un jour à un agent de police d'Amsterdam où se trouvait la rue Velasquez et l'honorable représentant de l'ordre de me répondre ‘dans le quartier des musiciens’. Plus tard, je sus qu'il avait dit vrai. Il m'a fallu chercher plus haut le pince-sans-rire.
‘Nous savons que dans quelques années la télévision clouera chaque soir au petit écran des millions de spectateurs. Que faisons-nous pour le développement des talents de création en mesure de produire autre chose que des fadaises?’ Cette pertinente question a été posée par Jan Kassies, ancien directeur de l'Ecole supérieure du théâtre à Amsterdam... il y a tout juste un quart de siècle. Laissons les vérités enterrer les vérités.
On a attiré mon attention sur le relevé des séances de l'Assemblée européenne. Je ne serai jamais un lecteur assidu de ces kilomètres de textes parlementaires, mais je suis sûr que d'autres s'imprègnent de la prose de nos élus communautaires. Et c'est tant mieux. Ce que je vais en dire relève davantage de la fierté du supporter sportif, de l'émotion de l'aficionado que de l'homme de culture que je suis censé être. Voici l'observation chiffrée que l'on peut tirer du tableau comparatif de l'emploi des langues de la Communauté au parlement de Strasbourg au cours des six premiers mois de fonctionnement. Les 80 parlementaires de Grande Bretagne épaulés par les 15 Irlandais sont parvenus à remplir à eux seuls 1132 colonnes de texte, bien entendu en langue anglaise. Ils sont suivis - j'allais dire talonnés - par les Français et les Belges de langue française. Les Allemands et les Italiens occupent les deux dernières places du ‘championnat linguistique’ avec moins de 500 colonnes, pour un nombre identique d'élus. Pour évaluer l'importance de ces prestations verbales, on doit diviser le total des colonnes dans chaque langue par le nombre des parlementaires européens des ‘grands’ et des ‘petits’ pays. On constate à l'examen des moyennes par orateur que les parlementaires de langue anglaise occupent 11,7 colonnes par tête, mais qu'ils sont battus d'un paragraphe par les Néerlandais et les Flamands qui prennent la première place avec
| |
| |
11,8 colonnes par tête. Les Danois occupent une place honorable avec 8,6 colonnes par tête. Ainsi voyons-nous que les individus qui passent pour les moins bavards d'Europe (Néerlandais, Flamands, Britanniques, Danois) ont néanmoins dans le concert européen la langue bien pendue.
Titre d'un article néerlandais sur la vie languissante du théâtre à Paris: ‘Dans le monde du spectacle règne une atmosphère de ‘allons, Grand-Père, raconte encore une fois mai 68!’
Membre coopté d'un Conseil d'établissement de lycée parisien, j'ai suivi comme à l'accoutumée le déroulement des épreuves du baccalauréat, encore qu'à mon âge je sois plutôt tenté par d'autres réjouissances. De la sorte, je fus agréablement surpris (comme on doit dire en période d'examen) par l'énoncé d'un des sujets de géographie proposés à la sagacité des candidats au bac des Académies de Paris en sections A, B, C, D. Les élèves pouvaient plancher sur ‘L'Agriculture du Benelux’ si le coeur ou le savoir leur en disaient. L'agriculture du Benelux! Ainsi, pour un aspirant-bachelier français ce problème est un sujet, tandis que pour les gouvernements concernés ce sujet est un problème.
Dans l'émission de Bernard Pivot, Apostrophes, que diffuse chaque semaine la télévision française, des personnages d'une exemplaire correction ont, voici deux mois, ferraillé à propos de leurs encyclopédies et dictionnaires respectifs ou, compte tenu de leurs fonctions, concurrentiels. A fleurets mouchetés, comme il se doit, ils se sont livrés à des assauts dans la pure tradition d'honorables gens de lettres. Bien entendu, ces mercenaires du langage et du savoir livraient un dur combat, en particulier contre le représentant du plus connu des dictionnaires de langue française qui n'hésite pas à affirmer dans l'avis aux lecteurs, en tête du plus petit des formats de ses éditions: ‘On ne dit plus aujourd'hui: Consulter le dictionnaire, mais: Voyons ce que dit le Larousse’.
La publicité a ses lettres de noblesse! Larousse... lave plus blanc; au moins la mémoire de ceux qui le consultent.
Les vacances venaient de finir. J'ai regardé dans un certain nombre de dictionnaires la définition du mot ‘guide’, car je m'imagine fort bien un débat entre spécialistes du tourisme sur les guides de voyage. Bleus, verts, descriptifs, analytiques. Nous savons que le Touriste, avec un grand T, prépare ses itinéraires en fonction des curiosités à découvrir et des lieux à ne pas manquer. Quel est le guide qui saura le mieux lui servir de Baedeker? Personnellement, je suis heureux de trouver dans le pli 18 de la carte Michelin 88, à 65 kilomètres de Paris, l'abbaye de Jouarre datant du VIIe siècle.
L'Abbaye de Jouarre en Seine et Marne où séjourna la princesse de Bourbon, l'une des épouses de Guillaume le Taciturne.
Et de lire dans mon guide que les grandes dames de France ne dédaignaient pas le titre d'abbesse de cet établissement. Au XVIe siècle, l'une d'elles, princesse de Bourbon, passa à la Réforme et épousa Guillaume d'Orange. Mon guide ajoute, pour situer le Taciturne: ...qui a arraché aux Espagnols l'indépendance des Pays-Bas. Ah! les bonnes vacances.
Ayant dans une chronique (Septentrion 3/79) vanté les mérites du guide Michelin sur la Hollande, je ne puis décemment passer sous silence la parution d'un nouveau guide bleu sur mon pays. Il porte lui aussi le nom de Hollande et chaque fois que je lis ce mot, je me dis que les Pays-Bas ne se sont fait qu'un prénom. Après tout, on tutoie chez nous ceux qu'on appelle par le prénom. Ce nouveau guide de la maison Hachette n'est pas si nouveau que cela, mais il fait, dit la préface, ‘son entrée dans la nouvelle génération des Guides Bleus’. Refondu, modernisé, pourvu de symboles divers en marge des textes, agrémenté de plans en quatre couleurs, le volume - près de 700 pages - ne ressemble aux éditions précédentes que dans la mesure où les Pays-Bas n'ont pas trop changé de visage entretemps. Une nouvelle génération de collaborateurs a fait son apparition. Ceux-ci ont revigorifié l'ouvrage. Or, je viens de dire qu'il n'est pas si nouveau que ça. C'est que j'avais pour l'ancienne version rédigé le chapitre sur la peinture hollandaise et voilà que je le retrouve dans son intégralité dans la nouvelle édition. Hachette a conservé uniquement le produit de ma fabrication. Si, comme André Gide, j'écrivais pour être relu? Rédigé dans les années soixante, mon article remplaçait celui de Madame Emilie Tillion, auteur du Guide Bleu de 1938. Pour rendre hommage à cette femme admirable, morte au camp de Ravensbrück en 1945, j'avais intercalé dans mon texte, outre des citations de Claudel, Bazin, Malraux, Knuttel, un extrait de son étude sur l'art hollandais. Cette citation fait partie aussi de la nouvelle édition.
| |
| |
Jeune femme de profil.
S'agirait-il de Marguerite d'Autriche? OEuvre du Maître de Moulins, d'origine flamande.
Dans les indications bibliographiques et cartographiques, le Guide Bleu ne mentionne pas l'Atlas des Voyages consacré aux Pays-Bas par Jacques de Sugny en 1962. Pour autant que je m'en souvienne, la lecture en était savoureuse. Je me rappelle que l'auteur avait pris le contre-pied de Jarry qui disait dans Ubu Roi: s'il n'y avait pas la Pologne, il n'y aurait pas de Polonais. Sugny affirmait que s'il n'y avait pas de Hollandais, il n'y aurait point de Hollande. Amusante rencontre dans l'histoire des temps: la Pologne vient de nous donner le premier pape étranger depuis le XVIe siècle au cours duquel les Hollandais avaient fourni le dernier en la personne d'Adrien VI.
On peut aussi aller trop loin dans la guidomanie et je n'en veux pour preuve que la publication en 1972 d'un guide littéraire de la Belgique, des Pays-Bas et du Luxembourg entreprise par Hachette sous la triple responsabilité de Roger Bodart, Marc Galle et Garmt Stuiveling, tous trois éminents spécialistes de la chose écrite. Le guide qui reprend dans ses grandes lignes l'itinéraire touristique du Guide Bleu traditionnel est tellement bien fait, est tellement exhaustif, est tellement plein d'érudition qu'il est bien incapable d'intéresser le non initié. Rien qu'à la page 93, l'une des 20 pages consacrées à Anvers et ses environs, l'on trouve mentionnés 58 noms propres en caractères gras, 35 titres d'oeuvres en caractères italiques et 57 dates de naissance, de décès et de parution, le tout en 54 lignes. Amsterdam, cela va de soi, ne peut s'incliner devant une telle profusion: on propose au lecteur 7 promenades littéraires. Rien que la quatrième flânerie nous ‘familiarise’ avec 66 noms en caractères gras. Ne dénigrons cependant pas ce guide trop parfait: l'énumération des personnages célèbres du monde littéraire occupe à elle seule 70 pages du guide bénéluxien, soit un dixième du volume entier.
Je n'ai pas beaucoup d'illusions quant au sort de la traduction française du livre capital d'Eddy du Perron Le Pays d'Origine, magistralement effectuée par le jeune néerlandiciste Philippe Noble. Admirateurs de l'écrivain néerlandais d'entre les deux guerres, nous sommes déjà satisfaits de sa parution chez Gallimard... 45 ans après sa publication aux Pays-Bas. ‘On s'épargnera tout commentaire sur la diligence de nos éditeurs à nous faire connaître les grandes oeuvres étrangères’, écrit Maurice Nadeau dans La Quinzaine littéraire. Il est orfèvre en la matière... étant aussi éditeur lui-même. Quant à Hubert Juin, il insiste dans le journal Le Monde sur la modernité de ce ‘grand roman’ qui permet enfin au public français d'aller à la ‘découverte d'Eddy du Perron’. Je n'ai pas lu dans la presse un éloge du traducteur et pourtant il mérite un coup de chapeau pour la qualité de sa version française. Tout se passe comme si l'éditeur (et parfois le journaliste aussi) estime que le traducteur est suffisamment récompensé par l'adjonction de son nom à l'ouvrage.
Le Festival de Flandre 1980: plus de 120 manifestations; le Festival de Hollande 1980: plus de 330 manifestations. Au total, 450 représentations, concerts, expositions ont témoigné une fois de plus de la prodigalité festivalière des bas pays. La culture s'y porte bien. Nul n'en peut douter s'il a lu dans le livre de Patricia Carson traduit de l'anglais par l'infatigable Maddy Buysse, Miroir de la Flandre, que lors d'un grand banquet offert à Lille par Philippe le Bon, duc de Bourgogne, en 1454, les invités assistèrent à l'ouverture d'un énorme pâté d'où surgit un orchestre de 28 musiciens.
Un reportage sur Bruxelles dans un hebdomadaire d'Amsterdam. Rien n'y manque: le conflit linguistique, sans doute le plus intense dans le monde par kilomètre carré, le car des touristes devant l'Atomium, le Pavillon japonais, l'Eglise royale Sainte-Marie, la Grand-Place, la rue de l'Etuve. ‘Vos caméras sont-elles prêtes?’, interroge sou- | |
| |
dain le guide. Une minute d'arrêt, chacun se précipite. ‘Avez-vous remarqué, dit le guide, qu'il est gaucher?’
Le prix Erasme de cette année a été décerné pour la 21e fois en septembre dernier, cette fois à deux musiciens. Fondé par le prince Bernhard, le prix récompense des personnalités ou des institutions qui ont livré une importante contribution pour l'Europe dans les domaines culturel, social, socioscientifique. Au cours des ans, il a été attribué à des Européens actifs dans des domaines aussi distincts que la politique, la philosophie, l'humanisme, la psychologie, le droit, l'histoire, l'histoire de l'art, l'anthropologie, l'architecture, le ballet, le cinéma, la peinture. la muséographie, les droits de l'homme, le journalisme, l'éducation... Le prix Nobel des sacrifiés de Stockholm. Mais à l'échelle de l'Europe, la matière première de l'esprit ne fait pas défaut. L'originalité du Prix consiste dans le fait que le lauréat doit réinvestir la moitié des 100.000 florins de la haute distinction dans l'une des disciplines que le Prix Erasme récompense. Or, justement, dans un Essai d'une analyse mentale de l'Europe publié par la revue trimestrielle Ethnopsychologie, éditée par l'Institut Havrais de Sociologie Economique et de Psychologie des Peuples, fondée il y a 34 ans par mon regretté ami Abel Miroglio, Monsieur Georges Peyronnet observe qu'il faut que la culture européenne d'aujourd'hui soit ouverte, cohérente et lucide, afin de présenter au monde une image mentale sans pénombre et sans trouble. ‘C'est là, écrit-il, que doit intervenir l'éthnopsychologie, comme instrument opérationnel des analyses indispensables. On doit absolument voir clair dans ce vocabulaire embrouillé tissé de peuples, d'états, de
nationalités, de nations, de cultures, de civilisations, le tout vidé par une accumulation de steréotypes sclérosés. Si les Européens ont vraiment conservé leur esprit critique, ils seront à l'avant-garde pour un travail ethnopsychologique authentique, à la fois empirique et constructif.’
Il est amusant de voir dénoncer un vocabulaire embrouillé tout en vantant les mérites de l'ethnopsychologie. Or, à Septentrion, nous faisons de l'ethnopsychologie, comme Monsieur Jourdain faisait de la prose. Pour s'en convaincre, il suffit de lire la définition que le Petit Robert donne de la chose: ‘étude des caractéristiques psychiques des collectivités et des groupes ethniques’.
La fréquentation des cimetières n'a jamais figuré parmi mes passe-temps favoris. Hélas, avec l'âge, je prends de plus en plus le chemin de ces lieux et je n'arrête pas d'enterrer amis et connaissances. Dernièrement, je me trouvais au cimetière de Saint-Denis de l'Hôtel où l'on conduisait la dépouille de Maurice Genevoix. L'endroit est sinistre en bordure de la route nationale où se succèdent les poids lourds. Certes, le village descend poétiquement vers les berges de la Loire, mais la nature chantée par l'écrivain s'est blottie dans ses livres, désertant ces lieux sans joie où l'académicien a trouvé cependant l'inspiration jusqu'à un âge avancé. Je connaissais Maurice Genevoix depuis plus d'un quart de siècle; ma présence au milieu de la foule provinciale et de quelques confrères venus de Paris - après les fastueuses obsèques officielles - n'avait rien d'obséquieux. En regagnant mon domicile, je me dis que je devais relire le compte rendu de la Conférence des lettres néerlandaises qui s'est tenue il y a un an à Hasselt dans le Limbourg. Je retrouvai vite le document que j'avais mis de côté pour une raison particulière et je me souvins aussitôt que je le lisais le jour de l'enterrement de Jean-Paul Sartre, en regardant par la fenêtre la foule innombrable qui suivait les cendres de l'écrivain. C'est l'une des résolutions adoptées par la Conférence qui m'avait frappé. Il y était dit que la Conférence générale des lettres néerlandaises estimait souhaitable que dans les deux dernières classes préparatoires à l'enseignement scientifique, la possibilité soit offerte aux élèves, outre l'étude
obligatoire existante des langues, de suivre un cours facultatif de littérature néerlandaise et que cette discipline puisse, le cas échéant, servir aussi de matière d'examen. Par mesure de prudence, la résolution ajoutait: étude de la littérature néerlandaise, dans le contexte de la littérature universelle. Ainsi donc une partie de la jeunesse néerlandaise studieuse(!) ne bénéficie pas de l'enseignement de SA littérature? Je suis surpris de cette carence sur laquelle des écrivains flamands et néerlandais, des éditeurs des deux pays, des libraires, des bibliothécaires, des représentants du monde du spectacle et de l'audio-visuel attirent notre attention. Ce n'est pourtant pas faute d'avoir des auteurs. Le Musée littéraire de La Haye possède des collections formées par les apports de plus de 5.000 écrivains d'expression néerlandaise. Cinq mille, ce n'est pas rien. Il était temps que les gouvernements de Belgique et des Pays-Bas signent une ‘Union Linguistique Néerlandaise’. Après l'Union douanière, après l'Union économique, une Union de cette sorte est un événement capital pour la pérennité de la langue de Jacob van Maerlant qui est commune à la Flandre et aux Pays-Bas dès le XIIIe siècle. D'autres diront les mérites de cet instrument diplomatique unique en son genre. Ils étudieront comme il convient les 23 articles du traité. Dans cette chronique, je dirai que je suis heureux que la langue néerlandaise fasse enfin l'objet et le sujet d'une reconnaissance internationale alors que dès 1482 on trouve le terme ‘nederlantsch’ (néerlandais) dans un incunable. Il a fallu le XXe siècle (et plus précisément
| |
| |
Vue sur le Hall d'entrée du Musée municipal de La Haye. OEuvre de l'architecte Berlage (1856-1934), la municipalité accepta il y a cinquante ans les plans de ce bâtiment fonctionnel et stylisé.
la quatre-vingtième année de ce siècle) pour que tous ceux qui emploient cette langue sachent qu'ils parlent le néerlandais. Désormais, les autres sauront également qu'environ vingt millions de gens le savent.
En consacrant à la fin de l'année dernière un article à César Domela, j'avais laissé entrevoir que le peintre serait invité par le musée municipal de La Haye à prêter son concours pour l'organisation d'une rétrospective de son oeuvre. La manifestation a eu lieu et je suis allé à cette remarquable exposition du dernier survivant du mouvement du Stijl. Le musée municipal est une vénérable institution qui regorge de richesses de tous les âges et dont la visite approfondie est de réel profit pour l'amateur d'art, éclairé ou non. De plus, des expositions de haut niveau - celle consacrée à Domela en est un bon exemple - y sont périodiquement organisées. J'arrivai donc dans les meilleures dispositions d'esprit et je vis, malgré de nombreuses visites antérieures, ce musée pour la première fois. Mieux est: je le vis comme s'il avait été bâti de la veille, et inauguré en même temps que l'exposition Domela, tant il me semblait moderne par l'esprit et dans l'exécution. Et je me dis que le vieil architecte Berlage dont les plans avaient été acceptés il y a à présent tout juste un demi-siècle, avait profité de la leçon donnée par tant de peintres et sculpteurs abstraits de ces dernières décades. Or. Il était né en 1856 et il avait été le maître de ceux - fort nombreux - auxquels il semblait s'apparenter. C'est dire la jeunesse de cet architecte qui fut le premier moderne des Pays-Bas et dont la nouvelle Bourse d'Amsterdam datant de la fin du siècle dernier reste le puissant modèle. |
|