Septentrion. Jaargang 9
(1980)– [tijdschrift] Septentrion– Auteursrechtelijk beschermd
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José BoyensEtudes de langue et de littérature néerlandaises à Tilburg. Docteur en histoire de l'art à Utrecht en 1974 avec une étude sur l'oeuvre sculpturale d'Oscar Jespers, comportant aussi un catalogue raisonné. | ||||||
Madame Kröller-Müller et sa collection.L'origine du Musée national Kröller-Müller doit être cherchée dans le mariage d'une jeune et énergique Allemande avec un Néerlandais de Rotterdam. En 1888, Hélène Müller, âgée de dix-neuf ans, épousa Anton Kröller, qui travaillait à la firme Wm. H. Müller et Co., entreprise navale et commerciale située à Düsseldorf et possédant une filiale à Rotterdam. Lorsque son beau-père mourut une année plus tard, Anton Kröller fut chargé de la direction d'une entreprise en pleine expansion, ayant de sérieux intérêts dans des sociétés minières d'outre-mer ainsi que dans le commerce des céréales. C'est grâce à son sens des affaires et à ses succès commerciaux que put naître ce qui deviendrait ultérieurement la collection Kröller-Müller. Hélène Kröller achetait de temps à autre quelques meubles anciens et des faïences de Delft, comme c'était la coutume dans les milieux bourgeois aisés aux Pays-Bas, jusqu'au jour où elle fit la connaissance de H.P. Bremmer, en 1907. Bremmer était critique et professeur d'art. Il organisa des cours dans plusieurs villes néerlandaises, où il analysait des oeuvres d'art, le plus souvent selon la méthode comparative, en se servant de reproductions. Lorsque Hélène Kröller s'inscrivit à son cours à La Haye en 1907, ce fut un véritable tournant dans sa vie. Bremmer allait devenir son conseiller esthétique et le resterait jusqu'à la fin de ses jours. Tout commença du fait qu'elle désirait voir en réalité, puis posséder les oeuvres d'art que Bremmer savait commenter avec tant d'intelligence. Parmi les premières acquisitons, faites en 1909, il y avait des Tournesols, un Semeur et une Nature morte avec une bouteille, des citrons et des oranges, trois peintures à l'huile de Vincent van Gogh. La même année, madame Kröller, excellente cavalière comme son mari, acheta | ||||||
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Le ‘musée de transition’ de Henry van de Velde, 1937. Vue des salles autour de l'espace central. Panneaux du plafond servant aussi de chauffage. De gauche à droite, trois Van Gogh: ‘L'Arlésienne’, ‘Le facteur Roulin’ et le ‘Pont d'Arles’, réalisés tous les trois à Arles en 1888.
dans la Hoge Veluwe, sorte de lande située au coeur des Pays-Bas, une ferme délabrée avec 450 ha de terres. Il n'y avait aucun lien entre cette acquisition et son amour des arts plastiques. Hélène Kröller aimait beaucoup le paysage rude de la Veluwe, qu'elle parcourait à cheval lors de ses longues randonnées. On raconte que le contact avec la nature avait tellement d'importance aux yeux de cette dame féodale que les membres du personnel de la ferme du domaine avaient reçu l'ordre de se soustraire à sa vue lorsqu'elle s'approchait, au besoin en plongeant au dernier moment dans les buissons. Toujours est-il que la famille Kröller, d'acquisition en acquisition, finit par posséder un domaine d'une superficie de 6800 ha. Le musée Kröller-Müller est né du désir de madame Kröller d'abriter sa collection de plus en plus riche dans un décor qui en fût plus digne, c'est-à-dire dans une maison qui devait également être intéressante du point de vue architectural. A La Haye, les amateurs pouvaient visiter sa collection sur demande écrite. Les tableaux y étaient accrochés aux murs par rangées de trois ou quatre les uns audessus des autres. Le même immeuble abritait en outre les bureaux de monsieur Anton Kröller. Quittant ceux-ci pour se rendre dans les appartements où régnait son épouse, il a dû murmurer souvent, non sans une ironique bonhomie: ‘Maintenant nous passons du côté crédit au côté débit’Ga naar eind(1). Le désir que nourrissait madame Kröller de faire valoir sa collection dans un environnement plus adéquat n'était pas dû uniquement à des considérations d'ordre pratique. Ayant visité en 1910, en compagnie de sa fille, la ville de Florence, elle avait été impressionnée par le mécénat de la famille des Médicis. C'est ainsi que naquit en elle le désir de créer quelque chose d'impérissable qui reflétât sa personnalité. Le 7 septembre 1911, elle écrit à son adepte et futur biographe Sam van Deventer à propos du bâtiment à construire: ‘Ainsi, cela pourrait être, dans cent ans, un intéressant monument de culture, une grande leçon témoignant de la civilisation intérieure à laquelle sera parvenue une famille commerçante du début du siècle’Ga naar eind(2). Son idéal, la construction d'une maison de ‘silence paisible’Ga naar eind(3), avait trouvé un fondement théorique. H.P. Bremmer fut, bien sûr, associé à l'exécution de ces projets. Les architectes allemands Peter Behrens (1868-1948) et Ludwig Mies van der Rohe (1886-1969) présentent un plan en 1911 et 1912 respectivement. Le choix est difficile. C'est à ce moment-là que nous pouvons constater à quel point Anton Kröller soutient sa femme et prend des décisions en des moments difficiles où elle hésite encore: il donne l'ordre d'exécuter les projets de la taille prévue, en bois et en toile, et de les faire transporter sur des rails jusqu'à l'endroit où devront s'élever la maison et la galerie annexe. L'architecte néerlandais Hendrik Petrus Berlage (1856-1934), qui s'était fait une grande réputation depuis 1903 avec la Bourse d'Amsterdam, est invité lui aussi à proposer un plan. Lorsque l'avis de Bremmer est sollicité - le projet de Behrens avait été abandonné entre- | ||||||
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temps -, il est très concis: ‘Ceci est de l'art,’ dit-il au sujet du travail de Berlage, ‘ceci pas,’ pour ce qui est du projet de Mies van der RoheGa naar eind(4). Hélène Kröller n'était pas dépourvue de jugement personnel, comme en témoigne le fait que le projet de Berlage ne fut pas exécuté non plus. Toutefois, Berlage construisit en 1920 sur la Veluwe le pavillon de chasse Saint-Hubert, d'après un plan en forme de bois de cerf. Il conçut également les meubles, l'éclairage, les objets domestiques, le linge. Comme il estimait que la construction et le matériel devaient parler un langage clair, c'est à peine s'il restait de la place pour des oeuvres d'art. Depuis 1911, Hélène Kröller s'était de plus en plus convaincue que sa collection devait être mise au service de la collectivité; cela seul permettrait à la famille commerçante de vivre après sa mort. Ainsi l'idéal d'une maison pleine d'oeuvres d'art fut remplacé par celui d'un véritable musée. Il est vrai aussi que depuis 1911, le choix des oeuvres d'art était régi, encore plus que par considérations de goûts personnels, par le souci plus objectif de rassembler une collection représentative. Madame Kröller se rendait à des ventes et visitait des galeries d'art et des ateliers aux Pays-Bas comme à l'étranger, toujours accompagnée de H.P. Bremmer ou munie de ses conseils. Les deux courants qu'Hélène Kröller se proposait de réunir dans sa collection étaient le réalisme et l'idéalisme. Les réalistes représentaient la réalité; les idéalistes exprimaient leur propre idée de cette même réalité. La collectionneuse estimait qu'à travers les siècles les deux courants artistiques se relaient sans cesse. Grâce à cette théorie que lui inspira Bremmer, elle réussit à conférer à sa collection, comme elle souhaitait, le caractère d'une oeuvre qui échappe au temps. Parmi les réalistes qu'elle achetait, il y avait notamment Millet, Breitner, Fàntin Latour, Renoir; parmi les idéalistes, Gris, Léger, Picasso, Mondriaan et surtout Bart van der Leck. Van der Leck conclut un contrat avec madame Kröller; le musée possède quaran-te-deux huiles et environ quatre cents dessins de sa main. La transition du réalisme vers l'idéalisme était notamment représentée par Signac, Seurat et Jan Toorop. Au-dessus de tous ces courants, elle plaçait Vincent van Gogh, en vertu de sa personnalité qui échappe au temps. Si, procédant de cette manière, elle ne se présente pas comme une forte théoricienne, elle ne fit pas moins preuve d'un esprit prévoyant. Son orientation essentiellement française est frappante. L'absence de figures appartenant au groupe allemand Die Brücke, qui poursuit la ligne de Van Gogh et présente en même temps une idée spécifique de la réalité, est curieuse. Le groupe d'idéalistes par excellence que fut Der Blaue Reiter à Munich n'est pas représenté non plus. | ||||||
Le musée conçu par Henry van de VeldeDès 1910, Hélène Kröller avait été impressionnée par la villa construite en 1903, du docteur Leuring, conçue par Henry van de Velde. L'architecte belge est invité pour discuter des plans. Madame Kröller s'enthousiasme pour lui et pour ses oeuvres. Le 29 octobre, elle écrit à Sam van Deventer: ‘Berlage est le calviniste hollandais et Van de Velde a du sang français dans les veines. Il tend plus vers le musical, l'abstrait, alors que Berlage (...) est plus austère dans le choix de son matériel. Van de Velde construit de la musique, Berlage vous impose des murs’Ga naar eind(5). Henry van de Velde conclut avec la firme Wm.H. Müller et Co. et avec les époux Kröller un contrat de deux ans; leur collaboration devait durer six ans. Pour le domaine de la Veluwe, Van de | ||||||
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Le musée conçu par Henry van de Velde: la salle de sculptures ajoutée en 1953. De gauche à droite: B. Hepworth: ‘Pastorale’; O. Zadkine: ‘Rebecca’; ‘Tam-tam des Nouvelles-Hébrides’; M. Marini: ‘Cheval et cavalier’; au mur: J. Baljeu: ‘Relief’.
Velde conçoit un musée gigantesque qui fait penser quelque peu à une casemate et qui est évalué, en 1920, et compte non tenu des terrasses, à six millions de florins. La construction est interrompue en 1922 à la suite de la crise générale. Jusqu'en 1926, et contre toute chance de voir ses projets se réaliser, Van de Velde continue, à la demande de madame Kröller, d'élaborer tous les détails sur le papier; le musée actuel possède au moins mille dessins jamais exécutés. Pour les époux Kröller, Van de Velde construira en 1930 la villa Groot Haesebroek à Wassenaar. En vue de sauver en cas de nouvelle crise économique le domaine de la Hoge Veluwe, le pavillon de chasse Saint-Hubert et la collection destinée à la collectivité, la fondation Kröller-Müller est créée en 1928: celle-ci fait don de la collection à l'Etat, à condition que celui-ci, dans un délai de cinq ans, charge Henry van de Velde de la construction d'un musée. En 1937 est construit enfin, après quatre projets préalables jamais exécutés, le ‘musée de transition’ d'Henry van de Velde, considéré comme abri provisoire pour la collection. Le plan reflète avec une grande pureté la composition de la collection. A l'entrée se succèdent six cabinets de peintres réalistes précédant Van Gogh. Au coeur du bâtiment se trouve la collection Van Gogh disposée autour d'un espace intérieur; le musée possède deux cent soixante-seize oeuvres de | ||||||
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Le musée conçu par W.G. Quist, 1977. Espaces entièrement clos face à des espaces entièrement ouverts construits entre des sapins respectueusement épargnées.
sa main, qui ne sont pas toutes exposées simultanément. Les cabinets suivants sont consacrés aux idéalistes. Comme Henry van de Velde renonce à toute ornementation, l'architecture se trouve entièrement au service des oeuvres d'art; de ce point de vue, le musée devait être un modèle pour d'autres architectes. C'est à juste titre qu'A.M. Hammacher écrit: ‘Caractéristique de Van de Velde est son don d'isoler suffisamment chaque cabinet - pour permettre l'attention exclusive que demande la contemplation - et en même temps de l'ouvrir assez pour qu'il reste en contact avec les autres espaces’Ga naar eind(6). Ce rapport avec l'espace central de l'axe principal résulte en particulier du fait que les murs s'achèvent en forme de demi-cercles. La même simplicité et le même soin apparaissent dans la division du plafond. La lumière tombe, fine, tamisée par les panneaux du plafond qui fournissent en même temps le chauffage. Avant que le musée ne fût ouvert, le 13 juillet 1938, madame Kröller avait déterminé avec précision quelle place devait revenir à chaque oeuvre d'art. Sa santé avait beaucoup souffert. Circulant en chaise roulante, elle donna quotidiennement ses instructions. Elle fut le premier directeur du musée et le resta jusqu'au jour de sa mort, le 14 décembre 1939. Elle conférait encore au musée un charme de fête en faisant placer par-ci par-là quelques chaises et tables, une armoire, mais surtout des fleurs, beaucoup de | ||||||
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Salle du musée construit par W.G. Quist, 1977. De gauche à droite: Christo: ‘Devantures de magasin’ et ‘Mastaba’ (dessin); Louise Nevelson: ‘Sky cathedral’; Joseph Beuys: ‘Arrêt de tramway’ (par terre); Christo: ‘Empaquettage’; Robert Morris: ‘Sculpture de feutre’.
fleurs. De grands bouquets, tels qu'en fait encore, avec un art délicieux, monsieur H. Hol aujourd'hui, apportent été comme hiver la nature à l'intérieur de ces murs. Comme madame Kröller plaçait aussi des sculptures en plein air, elle se trouve à l'origine de ce qui allait devenir par la suite le parc-musée de sculpture en plein air le plus important des Pays-Bas. Un peu contre son gré, Van de Velde accepta que le musée fût agrandi vers l'arrière, où fut ajoutée une énorme salle, destinée à l'exposition de sculptures, et qui a deux grandes parois de verre. En 1953, à l'âge de quatre-vingt-dix ans, Henry van de Velde quitta - à titre exceptionnel - sa résidence d'Oberägeri, en Suisse, pour effectuer une visite d'inspection et d'adieu au musée agrandi presque achevéGa naar eind(7). Le ‘musée de transition’ fut restauré de 1970 à 1972, sur quoi il fut déclaré monument national. | ||||||
Le musée Kröller-Müller sous la direction de A.M. HammacherAprès que Sam van Deventer eut assumé la direction à titre intérimaire, A.M. Hammacher fut nommé en 1948 directeur du musée. Hammacher était un critique d'art, auteur d'ouvrages consacrés présicément aux artistes représentés dans la collection du musée Kröller-Müller: De beeldhouwer John Raedecker (Le sculpteur John Raedecker)Ga naar eind(8), Mendes da Costa, de geestelijke boodschap der beeldhouwkunst (Mendes da Costa, le | ||||||
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Le pavillon construit par G. Rietveld, conçu en 1955 pour l'exposition en plein air au parc de Sonsbeek et reconstruit en 1965 pour le musée Kröller-Müller. Sculptures de Barbara Hepworth.
message spirituel de la sculpture)Ga naar eind(9) et Vincent van GoghGa naar eind(10). Il jouissait d'une grande autorité parmi les artistes néerlandais. Il respecta le voeu de Madame Kröller de ne pas étendre, en principe, la collection de tableaux: il fallait éviter de constituer une collection qui fût parallèle à celles du Musée municipal d'Amsterdam, du musée Boymans (-Van Beuningen) à Rotterdam et du Musée municipal de La Haye. Cela explique pourquoi seuls soixante-dix tableaux environ furent ajoutés aux sept cent cinquante toiles de la collection de madame Kröller. Hammacher décida de s'attacher particulièrement aux sculptures et aux dessins de sculpteurs. Madame Kröller laissa une collection d'environ deux cent cinquante sculptures, dues pour la plupart à Mendes da Costa - dont la statue du général Christiaan de Wet se trouve dans le parc national De Hoge Veluwe -, à Lambertus Zijl et à John Raedecker. Cette collection fut complétée par des oeuvres monumentales dues à Rodin, Maillol et Lipchitz, Moore, Hepworth, Wotruba, Martini, Giacometti et Etienne Martin, à des sculpteurs belges tels que Rik Wouters, Jespers, Permeke et des sculpteurs néerlandais tels que Wessel Couzijn et André Volten. Après la seconde guerre mondiale, la sculpture connut une période très florissante sur le plan international, ce qui suscita un intérêt tout particulier de la part des musées et des organisateurs d'expositions. | ||||||
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Vue sur le jardin des sculptures avec: ‘Sculpture flottante’ de Marta Pan; ‘Chant des voyelles’ de Jacques Lipchitz (à gauche en haut) et ‘Niobe couchée’ de Constant Permeke (à droite).
Au parc du Middelheim à Anvers et au parc de Sonsbeek à Arnhem furent organisées des biennales et des triennales en plein air. A Anvers, on sut les continuer jusqu'à présent; à Arnhem, cela dura à peine quelques années. Seul le musée de sculpture en plein air du Middelheim possède une collection comparable à celle du museé Kröller-Müller. Toutefois, cette dernière est plus internationale dans son orientation: le choix y a été fait d'une manière plus critique et la collection est plus ouverte aux nouveautés. Plus que le citoyen fidèle et satisfait Monsieur Jacques, d'Oswald Wenckebach, qui souhaite la bienvenue à chaque visiteur, la Sculpture flottante au milieu de l'étang, en polyester blanc, de Marta Pan, est devenue le symbole du jardin aux sculptures du musée Kröller-Müller. Spécialement conçu en vue des reflets, le plastique avec ses formes courbes, entre autres le cou d'une gracilité extrême, vise à exprimer l'unité de la nature et de l'art qui, grâce notamment à Hélène Kröller, est si caractéristique de ce musée. Le musée de sculpture en plein air s'étend constamment. Il semble y avoir une interférence très heureuse entre les activités d'auteur de Hammacher et l'expansion du jardin aux sculptures. En 1952 est achetée Rebecca; en 1954 paraît son ZadkineGa naar eind(11) en néerlandais et en allemand. En 1958 paraît en plusieurs langues Barbara HepworthGa naar eind(12), dont nous trouvons | ||||||
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‘Jardin d'émail’ de Jean Dubuffet de 1974.
quatorze sculptures dans la collection Kröller-Müller. En 1960 paraît à Amsterdam, Cologne et New York la grande monographie consacrée à Lipchitz; en 1977, alors que Hammacher avait cessé depuis plusieurs années d'exercer ses fonctions de directeur, le musée Kröller-Müller reçut trente-six petites sculptures, en même temps que lui étaient prêtées huit oeuvres monumentales. Le visiteur qui se demande pourquoi il trouve, parmi la sculpture du vingtième siècle, des sculptures d'Afrique et d'Océanie trouvera la réponse dans The Evolution of Modern Sculpture (L'évolution de la sculpture moderne), paru en 1970. Dans cet ouvrage, fruit de toute une vie de recherches et de travail, Hammacher démontre comme personne ne l'a fait avant lui l'influence profonde que l'art d'Afrique et d'Océanie a exercée sur l'art européen. Cette conception se réflète de façon évidente dans la collection des sculptures du musée Kröller-Müller et son évolution au cours des quinze années de direction de Hammacher. | ||||||
Le musée conçu par W.G. QuistLe mérite du successeur de Hammacher, R.W.D. Oxenaar, fut d'acheter nombre d'oeuvres monumentales d'artistes néerlandais relativement jeunes tels que Carel Visser, André Volten, David van de Kop; et de Cornelius Rogge lui-même un vaste | ||||||
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projet de tentes. Il acquit en outre des sculptures plus petites qu'il fallait parfois emmagasiner. En effet, le dépôt, la bibliothèque, la section des reproductions et la section administrative manquaient de place; il fallait d'urgence agrandir le musée. Madame Kröller avait mis très longtemps à trouver un architecte pour construire sa maison-musée; en revanche, c'est avec une grande rapidité que la commission de construction composée de sept membres sous l'éminente direction de C.H. van der Leeuw sut rédiger un cahier d'exigences et trouver un architecte privé. Le choix tomba sur W.G. Quist (1930), qui avait déjà fait sa réputation avec le bâtiment de la Drinkwaterproduktie Berenplaat (1960-1965, Société de production d'eau potable Berenplaat) à Rotterdam, et avec le château d'eau (1969) d'Eindhoven. Les deux ouvrages se caractérisent par la clarté de conception et le sens de la plastique.
La construction se fit en deux phases: d'abord l'entrée et le vestiaire. On peut maintenant atteindre l'entrée par une avenue d'accès parallèle au musée construit par Henry van de Velde. Après la mort de Van der Leeuw, la construction fut achevée sous la présidence énergique du professeur J.G. van Gelder. Le musée construit par Quist se trouve derrière celui qu'a conçu Van de Velde. Il est aussi entièrement de plain-pied avec le musée initial; les deux édifices sont reliés entre eux. Celui de Quist se trouve placé perpendiculairement à la partie construite par l'architecte belge et comporte, groupés dans une partie située à gauche, l'entrée, le vestiaire, la bibliothèque, les locaux de la direction, le dépôt; et dans une partie située à droite, espaces d'exposition, patio, cafetaria et des terrasses formant transition vers le jardin aux sculptures. Le jour s'infiltre de partout: d'en haut et du côté. Le spectateur n'est nullement choqué par la vue des radiateurs. Ce qui frappe de prime abord, c'est la grande ouverture: l'immense paroi de l'entrée est de verre, tout comme la paroi du fond de l'aile gauche, de sorte que seuls les murs et cabinets parallèles au coeur du bâtiment semblent donner corps à celui-ci. On peut voir de toutes parts le vert jamais défaillant des pins et des sapins. L'idée de madame Kröller de faire coïncider la nature et la culture, idée qui préside aussi dans le jardin aux sculptures, l'architecte a également su la concrétiser dans le nouveau bâtiment. On jurerait que le musée a été très prudemment déposé au milieu des sapins, tellement il est en harmonie avec le paysage environnant.
La deuxième caractéristique qui s'impose, c'est la fermeture face à l'ouverture dominante. Les espaces d'exposition, la salle d'audience et le dépôt sont des espaces clos.
Tout comme au musée Van Gogh à Amsterdam, construit par Gerrit Rietveld, en 1973, les cubes fermés servent de contrepoids aux très longues parois de verre. Il y a donc dans l'architecture de Quist une certaine parenté avec celle du groupe De Stijl. Cela explique l'impression de clarté que donnent les deux musées. Cette clarté résulte déjà du fait que chaque espace - Quist conçut pratiquement aussi tout le mobilier -, par ses dimensions et par le choix du matériel, indique son but.
Comme troisième caractéristique il faut mentionner la sobriété. Celle-ci est due en partie au choix du béton qui fait songer à un couvent et qui, sauf dans les salles, demeure partout visible, mais aussi - tout comme dans le musée conçu par Van de Velde - à l'absence d'ornementation et à la rigueur fonctionnelle. Les tableaux indicateurs d'Otto Treumann, clairs et agréables, respirent le même esprit.
Enfin, la conception du bâtiment est très synthétique, jusques et y compris dans les | ||||||
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toilettes. Dans un corridor long et austère, celles-ci sont dissimulées comme une imperfection nécessaire. Cet espace est recouvert d'une paroi brune en une lourde matière synthétique. Des panneaux s'avèrent être des portes menant aux toilettes mêmes. L'architecte n'a pas procédé par analyse: il faut prévoir des portes dans un mur, mais il a créé une paroi à portes. Même le miroir qui reflète avec une certaine matité votre image familière, trahit une certaine discrétion. Une distinction intérieure, telle est la marque du musée Kröller-Müller achevé en 1977.
Dans le musée, le visiteur se trouve confronté à des oeuvres qui représentent la sculpture à partir de 1950: de Louise Nevelson à Joseph Beuys, de Robert Morris à Christo. Il y a des oeuvres rigoureusement structurées de Philip King, Dan Flavin, Sol LeWitt, J.J. Schoonhoven. Le musée et le parc représentent tous les courants internationaux récents, y compris arte povera et quelques specimens du pop art; seuls fluxus et conceptional art sont, de par leur nature même, difficilement exposables.
En 1972, R.W.D. Oxenaar décida d'acquérir le Jardin d'émail de Jean Dubuffet. On travailla plus d'un an au grand jardin en béton de plus de 600 m2, qui devint très vite célèbre. Selon Dubuffet, il s'agit d'un jardin pour une seule personne; peutêtre parce que le terrain accidenté de deux mètres de dénivellation, blanc avec de capricieuses lignes noires, en impose davantage dans sa désolation? Je préfère y déambuler en compagnie d'autres personnes, parce que le projet trahit quelque humour, et l'humour est un aspect social par excellence. Les enfants comprennent sur-le-champ le jardin d'émail et se lancent d'emblée à sa conquête. C'est d'autant plus compréhensible qu'ici, comme dans son art brut, Dubuffet a fait usage d'éléments du monde de l'enfant. Il y a un arbre en béton de huit mètres de haut, qui dresse, amovible et brutal, son feuillage blanc, rayé, massif, en l'air. A tous les sapins et chênes alentour, qui le saluent de leurs branches, il crie, sûr de lui, qu'il est unique. De plus, il a raison. En effet, c'est seulement en France, à Périgny-sur-Yerres, dans le Val de Marne, et à New York que nous trouvons un projet comparable, et encore de dimensions nettement plus modestes en ce qui concerne New York. Le Jardin d'émail joue de sa ressemblance avec la nature qui l'entoure, mais lui est à l'évidence de la culture. En fin de compte, ce Jardin est la sculpture la plus ludique que nous présente le musée Kröller-Müller, conçue par un joyeux luron créateur à côté de Dieu. | ||||||
Comment visiter le parc national ‘De Hoge Veluwe’?Le visiteur arrivant du sud par le train descend à Arnhem et prend l'autobus. Celui qui vient en voiture, s'il veut prendre la route la plus jolie, doit après Arnhem, passer par Schaarsbergen; c'est la seule route qui permette de traverser le parc en longueur. La distance de l'entrée jusqu'au musée est de dix km. Des étendues de dunes mouvantes, des sapins, des bouleaux, des pins, des bruyères, des fagnesGa naar eind(1) et des hoyats composent des paysages très variés. Sa végétation et son étendue rendent le parc unique aux Pays-Bas. Il reste toujours cinq mille cinq cents hectares sur les six mille huit cents qui ont appartenu à la famille Kröller.
Il est également possible de rouler jusqu'à Otterlo et d'y prendre l'autocar, à moins que l'on veuille couvrir les quelques kilomètres de distance à pied ou à bicyclette (on trouve des bicyclettes disponibles à la grille d'entrée). Rouler en voiture jusqu'au musée coûte 4,75 fl par personne, 2,25 fl par enfant. Ce prix d'entrée relativement élevé pour les Pays-Bas est dû au fait que la Hoge Veluwe est administrée par une fondation privée qui veut récupérer ses frais assez considérables. Le nom de parc national est donc trompeur. Pour les écoles et des groupes de plus de 25 personnes, qui ne bénéficient que d'une réduction de 10%, une visite au musée devient donc onéreuse, celui-ci ne pouvant être atteint, en effet, qu'en traversant le parc dit nationalGa naar eind(13). Tandis que le parc profite de la réputation du musée, celui-ci, en revanche, est fâcheusement desservi par le parc. C'est là | ||||||
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une situation à laquelle il convient de remédier au plus tôt.
En 1977, année où fut ouvert le musée construit par Quist, quatre cent mille visiteurs, parmi lesquels de nombreux étrangers, ne se sont pas laissé effrayer par le prix d'entrée du parc. En 1978, le nombre de visiteurs se situait autour des trois cent cinquante mille. Ces chiffres font du Musée national Kröller-Müller l'un des musées les plus fréquentés des Pays-Bas. Le parc-musée en plein air avec plus de soixante sculptures est ouvert du 1er avril au 1er novembre, aux mêmes heures que le musée, c'est-à-dire de 10 h à 17 h. A partir du 1er novembre, certaines sculptures déménagent à l'intérieur du musée; d'autres sont protégées contre le gel au moyen d'une housse de toile forte. Les bronzes, les constructions de fer ou d'acier supportent l'hiver néerlandais. | ||||||
Documentation:Les éditions mentionnées ci-dessous, dont plusieurs ont pu être réalisées grâce à des subsides de l'Etat, peuvent être commandées auprès du Rijksmuseum Kröller-Müller, Otterlo, Pays-Bas (frais de port et d'expédition à payer par le demandeur):
Traduit du néerlandais par Willy Devos. |
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