une grande importance culturelle. C'est là une évocation particulièrement passionnante, et poétiquement souvent étonnante, des heurs et malheurs d'une société urbaine qui, en vertu de ses structures sociologiques, de sa tolérance, de son cosmopolitisme, de ses succès artistiques, mercantiles et politiques, a été unique dans l'Europe du dix-septième siècle.
Vondel n'a pas écrit moins de trente-deux drames, dont vingt-quatre ‘originaux’. Le tournant décisif qui l'orienta vers le théâtre d'allure imposante s'amorce avec Gebroeders (1640 - Les frères), dont le thème biblique est puisé dans le Deuxième livre de Samuel et avait déjà été transposé à la scène en France par Jean de La Taille en 1578, sous le titre La famine ou les Gabaonites. Le ‘scribis aeternitati’, dont le célèbre théoricien de la littérature Vossius complimenta le poète à l'occasion de cette pièce, devait s'avérer prophétique. Il s'agit en effet du premier drame européen en langue populaire, qui s'appuie consciemment sur la Tragédie classique grecque. Toutefois, l'auteur fait plus que prendre des distances par rapport à ce que Sénèque avait fait de la tragédie. Vondel inventa par la même occasion la tragédie classique biblique, genre dans lequel il devait exceller plus que n'importe qui, comme en témoignent des chefs-d'oeuvre tels que Lucifer, Adam in ballingschap (Adam exilé) et Jephta (Jephté). Dans ces pièces, l'Antiquité et le christianisme, la mythologie et la Bible, les mystères et la tragédie, le fatum et la Providence, la chute et la rédemption aboutissent à une sythèse aussi remarquable qu'originale, que le spécialiste de Vondel, le Norvégien Langvik-Johannessen, a même appelée la création d'un tragique spécifiquement chrétien. Si cette étape dans l'évolution de Vondel est due notamment, sur le plan technique, à son étude et à sa traduction de l'Electre de Sophocle (1639); et si, pour ce travail, le poète a manifestement suivi les indications de ses amis humanistes, il n'en est pas moins frappant que la naissance de cette synthèse coïncide avec la conversion de Vondel au catholicisme. Nous nous référons à nouveau aux forces équilibrées qui ont rendu cette oeuvre à ce point exceptionnelle. S'il est exact qu'il était plus facile à un Vondel devenu catholique, du point de vue de la pensée, d'établir un lien entre la religion et la Bible, et l'art dramatique (moderne), il n'en reste pas moins que sans la spiritualité biblique très marquée de ses années de formation baptiste, il n'aurait pu, sans doute, aspirer avec tant de force à écrire un drame biblique capable d'atteindre au tragique de la fatalité mythologique des Anciens. En 1620 déjà, sa Hierusalem verwoest (Destruction de Jérusalem) avait été une tentative quelque peu forcée pour créer, en puisant dans la Biblie, des figures comparables aux héros des Troyennes de Sénèque.
Le point culminant de cette oeuvre théâtrale est incontestablement Lucifer (1654), monument éternel de beauté cosmique baroque. D'abord et surtout en raison de la langue et de la technique du vers inégalée: les choeurs, les disputes, les monologues, la description de la chute des anges par Uriel - catastrophe magnifiquement orchestrée! - appartiennent à la littérature mondiale. Les peintures vertigineuses des coupoles que nous avait fait connaître l'architecture de l'époque de la Contre-Réforme s'y trouvent transposées en langage théâtral. Mais cette tragédie est encore essentiellement baroque par les thèmes et par l'imagination. L'hybris absolue de l'archange prend forme dans une intrigue de palais caractéristique, où des notions aussi typiquement baroques que l'honneur et la gloire jouent un rôle central. ‘La scène est au ciel.’ Cette sobre indication de lieu résume toute l'audace de cette pièce majestueuse. Après deux représentations, les prédicateurs amstellodamois la bannirent du théâtre...
La pièce Adam in ballingschap (1664 - Adam exilé), pendant de Lucifer datant de dix ans plus tard, le cède de bien peu à celle-ci. Cette belle tentative pour égaler ou surpasser l'Adamus exul de Grotius représente à nouveau un paradis éclatant auquel s'opposent des ténèbres par contraste d'autant plus sombres. La pièce, comme la précédente, n'obtint guère de succès auprès de ses contemporains: elle ne fut représentée pour la première fois qu'en 1852. Les défauts de Vondel dramaturge y sont peut-être plus manifestes qu'ailleurs. L'approfondissement psychologique y est certes très impressionnant, mais la pièce manque d'élan dramatique. Toutefois, cette lacune est largement compensée par la force lyrique irrésistible et entraînante du vers: ‘C'est gagner avec art par oreille l'esprit.’ Ces mots, que Vondel met dans la bouche du séducteur d'Eve, s'appliquent sans difficulté à ses vers magnifiques: cest le manteau de l'amour qui couvre avec grâce plus d'une faiblesse dans l'action.
Comme nous l'avons souligné, le poète amstellodamois n'a pas été uniquement un dramaturge important. C'est à juste titre qu'il jouit toujours auprès de ses compatriotes d'une solide réputation comme maître de la chanson satirique populaire et partisane. Ses chants funéraires - la vie n'a pas épargné Vondel - témoignent à la fois, en une sorte de tension, d'une brillante maîtrise littéraire et d'une profonde détresse. Une adaptation de cent quarante psaumes, - chaque psaume est construit suivant une technique particulière des strophes -, intitulée Koning Davids Harpzangen (1652 - Les chants de harpe du roi David), se classe parmi ce que le genre a produit de meilleur dans un pays inondé de psaumes comme les Pays-Bas. N'étant pas destinés à être chantés, ils se sont amplifiés jusqu'à devenir une expression re-