Pays-Bas
Que faire de tout cet art?
L'affirmation selon laquelle les Pays-Bas ont développé à travers les siècles une importante activité créatrice dans les domaines artistique et culturel et produit une multitude de talents originaux mais qu'ils n'ont jamais très bien su qu'en faire peut paraître paradoxale, elle n'en est pas moins parfaitement défendable. Les circonstances dans lesquelles ont travaillé et vécu les artistes néerlandais - y compris les plus grands parmi eux - furent très souvent particulièrement pénibles. La société bourgeoise néerlandaise a généralement couvert cet état de choses d'un voile de romantisme. Le génie méconnu et mal payé en parlait d'autant plus fort à l'imagination. Comme si une loi non écrite et immuable de la vie et de la nature, le voulait ainsi. Quoi de plus beau, finalement, et quoi de plus satisfaisant pour le sentiment irréfléchi et pour le cerveau calculateur que l'idée que la beauté inestimable pouvait naître aussi de l'indigence et sans coûter un sou à la société dont les membres, par la suite, se feront une joie de venir l'admirer.
Actuellement, c'est-à-dire plus spécialement depuis la deuxième guerre mondiale, la situation des artistes, et notamment des artistes plasticiens, s'est considérablement améliorée à beaucoup d'égards. Mais aujourd'hui, l'ironie du sort veut que grâce notamment à un système d'aide financière peu orientée, l'art même semble plus ou moins compromis. Telles sont les doléances aussi bien du côté des autorités publiques qui accordent les subventions et qui fonctionnent en outre comme acheteur en gros que dans la bouche des artistes qui, certes, ne vivent plus dans la pauvreté mais voient disparaître une part considérable de leur production, fruit de leur imagination et de leur travail manuel, dans des entrepôts ou des containers où elle risque de sombrer dans un oubli définitif. En effet, la production d'oeuvres d'art réalisée par quelque deux mille sept cents peintres, sculpteurs, dessinateurs, graveurs etc. contrepartie d'une aide financière publique s'est amplifiée d'une manière telle que personne ne sait plus qu'en faire. A peu près tout l'espace disponible dans les bâtiments publics, jusque dans les bureaux des fonctionnaires, est occupé. C'est particulièrement frustrant pour le ministère des Affaires sociales et celui de la Culture, des Loisirs et des OEuvres sociales, qui financent ensemble la politique d'acquisition en se fondant sur des critères d'ordre social et artistique difficiles à distinguer. C'est tout aussi frustrant pour les artistes plasticiens eux-mêmes, qui se rendent très bien compte qu'à l'exception des membres des commissions chargées de juger leurs créations, personne, ou presque personne, ne les contemplera jamais.
Voilà où nous en sommes arrivés au pays où, au dix-neuvième siècle, un homme d'Etat libéral, fondateur du système démocratique parlementaire néerlandais, J.R. Thorbecke, émit un jour l'axiome - fût-ce en des termes plus nuancés -: ‘L'art n'est pas une affaire gouvernementale.’ Par la suite, les successeurs de Thorbecke, doués d'un esprit mercantile à toute épreuve, ont très souvent cherché dans cette affirmation un prétexte pour abandonner les artistes à leur sort.
Pour eux, c'était la solution la plus avantageuse. Pour bien se rendre compte de l'état d'esprit de beaucoup des politiciens jusqu'à la deuxième guerre mondiale, il faut se rappeler qu'à l'époque, on appréciait tout particulièrement que le premier ministre Colijn ne lisait jamais autre chose, en dehors des documents officiels, que des romans policiers! Il n'empêche que déjà à cette époquelà, on pouvait constater par-ci par-là, et notamment à Amsterdam, un début de changement dans l'attitude des autorités à l'égard de l'art et de la culture. Dans la capitale néerlandaise, cette nouvelle mentalité inspirait l'action de l'échevin Boekman qui, amateur d'art et militant social, aspirait non seulement à conserver et à entretenir les trésors culturels nationaux que nous ont laissés nos ancêtres, mais aussi à les rendre accessibles aux grandes masses. Simultanément et par une sorte d'interaction, stimulée notamment par une municipalité en majorité social-démocrate, se développa alors l'architecture de l'école amstellodamoise, qui devait acquérir une renommée internationale. En même temps, on voyait s'épanouir une forme d'art plastique qui réfléchissait le même esprit critique et progressiste, plus spécialement mais pas exclusivement dans les domaines de l'affiche et de la caricature. Toujours à cette même époque s'imposait aussi une littérature visiblement inspirée des idéaux socialistes dans l'oeuvre poétique d'un Herman Gorter et d'une Henriëtte Roland Holst - Van der Schalk. Toutefois, la question de savoir si ces différents éléments peuvent être réunis sous
l'étiquette de ‘culture socialiste’ demeure toujours ouverte. Quoi qu'il en soit, une partie infime seulement du grand public fut touchée par ces phénomènes.
Ces derniers temps, la question est redevenue d'actualité, maintenant que la politique actuelle en matière de subventionnement de l'art - il s'agit d'un montant d'environ quatre-vingt millions de florins par an rien que pour les arts plastiques - aboutit à l'impasse. Surtout depuis qu'un groupe d'artistes contestataires a occupé pendant plusieurs jours la salle du Musée national d'Amsterdam où est exposée La ronde de nuit de Rembrandt, il est devenu clair que la solution de ce problème ne peut résider dans une simple opération d'économie ni