Septentrion. Jaargang 8
(1979)– [tijdschrift] Septentrion– Auteursrechtelijk beschermdBelgique1. Les élections législatives du 17 décembre 1978 en Belgique.Compte tenu du rythme auquel se suivent les élections en Belgique, le régime parlementaire doit, à première vue, y traverser une crise profonde. Le pays n'a plus connu de gouvernement de législature normale de quatre ans depuis le gouvernement Lefèvre-Spaak de 1961-1965. Depuis, huit gouvernements se sont succédé. Le citoyen a dû se rendre aux urnes en 1965, 1968, 1971, 1974, 1977 et 1978. Avec les élections communales de 1970 et de 1976, cela revient à six élections pour les huit dernières années.
Le gouvernement Tindemans II ne connut qu'une existence assez brève: du 2 juin 1977 au 21 octobre 1978. La coalition CVP-PSC, BSP-PSB, FDF et VUGa naar eind(1) s'était pourtant annoncée comme une alliance durable. En effet, ces partenaires s'étaient engagés - au grand déplaisir du PVV et du PRLW - pour deux législatures de quatre ans, ce qui devait permettre de mettre sur pied une réforme de l'Etat sérieuse, d'assurer une grande stabilité gouvernementale et de combattre efficacement la crise économique.
Ces aspirations semblaient dans une grande mesure justifiées. Pour la première fois dans l'histoire politique belge, deux partis fédéralistes déclarés siégeaient au gouvernement. Ils avaient tous deux contribué dans une mesure considérable à l'élaboration du pacte d'EgmontGa naar eind(2), dont la portée, sur le plan communautaire, devait être équivalente à celle qu'avait eue le pacte scolaire de 1958 en matière d'enseignement.
Telle serait donc l'image de marque du gouvernement Tindemans II. Toutefois, il y avait déjà eu un précédent qui justifiait quelque scepticisme à cet égard. La participation du parti fédéraliste RW au gouvernement Tindemans I (1974-1977) avait provoqué nombre de manoeuvres partisanes. Les partis gouvernementaux classiques (socialistes, catholiques et libéraux) manifestaient une certaine envie en raison du pouvoir dont bénéficiait un parti relativement impuissant précédemment - parce que ne faisant pas partie du gouvernement - tout en nourrissant en même temps l'espoir d'éliminer politiquement ce concurrent à la suite d'une participation gouvernementale peu réussie. Ce dernier point se vérifia: le RW se scinda en deux groupes. L'ancien président du parti, François Perin, s'était au moment opportun rallié avec quelques collègues au parti libéral. L'autre fraction, sous la direction de Paul-Henri Gendebien, essuya un cuisant échec électoral en 1977.
En fait, le gouvernement Tindemans II avait démarré sous une mauvaise constellation. Le jour de | |
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la prestation du serment des nouveaux ministres, le 2 juin 1977, se produisit un incident à la fois stupide et inouï: les ministres du PSC se firent attendre plusieurs heures et formulèrent quelques conditions supplémentaires. Le premier ministre Leo Tindemans a laissé entendre publiquement, à plusieurs reprises, qu'il n'était pas particulièrement heureux de cette coalition, sans toutefois citer de noms ou de faits. Une de ses déclarations les plus célèbres, qu'il fit à l'occasion de la tantième difficulté au sein du gouvernement, était: ‘Le cheval a sauté l'obstacle’. Le premier ministre ne manquait pas non plus de prendre publiquement ses distances à l'égard du pacte d'Egmont, qui comptait plusieurs catégories d'adversaires: des flamingants qui considéraient exclusivement les concessions flamandes, des pragmatiques qui formulaient des objections contre la complexité des structures proposées et des unitaristes qu'inquiétait l'évolution dans le sens fédéraliste.
La crise gouvernementale du mois d'octobre 1978 n'étonna dès lors plus personne. Le premier ministre en personne et son parti divisé au sujet du pacte d'Egmont la forcèrent en quelque sorte. L'électeur moyen, qui nourrit une aversion spontanée pour tout ce qui est compliqué et qui dure longtemps - et c'est notamment le cas de l'élaboration d'une révision de la Constitution -, voyait sur le petit écran, avec un étonnement admiratif, comment le premier ministre, en quelques mots, mit knock-out l'ensemble des hommes politiques, en leur tournant par le fait même le dos. Les sondages d'opinion s'avéraient favorables au premier ministre et au CVP, défavorables au FDF et à la VU. Sous le cabinet de transition, que dirigea l'ancien premier ministre (1965-1968) et ministre de la Défense nationale PSC bruxellois, Paul Vanden Boeynants, tout semblait indiquer que le FDF aussi ne sortirait pas indemne de son aventure gouvernementale.
Des élections du 17 décembre, le FDF bruxellois et le PLP flamand sortirent nettement vainqueurs.
Contre toute attente, le FDF non seulement sut conserver le nombre de ses électeurs, mais il gagna un siège. Ni le socialiste Henri Simonet (ministre des Affaires étrangères au gouvernement Tindemans II) ni Paul Vanden Boeynants (ministre de la Défense nationale et, après le départ de Tindemans, au mois d'octobre 1978, premier ministre), deux concurrents redoutés pour le FDF, n'ont pu tirer profit électoral de leur portefeuille. Les critiques incessantes à l'égard du ministre FDF des PTT, Léon Defosset n'avaient pas porté préjudice non plus au parti. Le fait que celui-ci ne pouvait compter sur de fortes organisations sociales apparentées (syndicats, mutualités), qu'il participait pour la première fois au gouvernement sans pouvoir présenter de réalisations concrètes à ses électeurs, n'a pas joué non plus. Le FDF recrute davantage dans les classes moyennes et supérieures que ce n'est le cas du RW et de la VU, et ce en raison précisément de la stratification sociale de la population bruxelloise. Son corps électoral dépend donc beaucoup moins de permanences et d'organisations sociales. En outre, le FDF peut compter sur l'appui du plus important des quotidiens bruxellois de langue française, Le Soir. L'absence d'organisations sociales est compensée par une forte implantation dans les maisons communales et par une politique dynamique dans les conseils communaux où le FDF contrôle les collèges des bourgmestre et échevins. Enfin, avec le pacte d'Egmont, le FDF avait obtenu ce qui semblait, à lui et à son public électoral, réalisable à ce moment-là.
Formation politique la plus ancienne du pays, le parti libéral avait, en 1964, sous la direction d'Omer Van Audenhove, subi une métamorphose profonde. L'ancien programme anticlérical fut abandonné. Des candidats catholiques obtinrent effectivement des places éligibles sur les listes électorales. Le président comptait sur une polarisation entre la gauche et la droite, qui minerait le parti catholique et qui permettrait aux nouveaux libéraux, d'après le modèle conservateur britannique, de devenir un parti majoritaire. Au lieu du cléricalisme, le socialisme et le fédéralisme devinrent les nouveaux adversaires à combattre.
En dépit du succès fracassant de 1965, ces calculs s'avérèrent inexacts. Le PVV-PLP stagnait ou reculait. A Bruxelles et en Wallonie, surtout, le courant fédéraliste bouleversa profondément ce grand projet unitariste. Le parti se divisa précisément sur la base de ce qu'il avait combattu avec tant d'ardeur: l'autonomie des régions. A Bruxelles, ce fut carrément la catastrophe, mais en Wallonie, le PLP régionalisé put recueillir en 1977 les transfuges du RW dans une formation rebaptisée PRLW. Toutefois, en 1978, le nouveau parti stagnait à son tour. A Bruxelles, les libéraux francophones jadis si puissants se virent ramenés à un siège PL unique. Indépendamment de toute formation libérale s'était en outre présentée dans la capitale une formation fondée exclusivement sur la lutte contre la fiscalité excessive, l'UDRTRAD, qui obtint d'emblée un siège à la Chambre des représentants.
En Flandre, le PVV s'était déjà rendu compte par le passé qu'une étiquette ouvertement flamande attirait plus de voix que la carte unitariste et qu'en outre, il ne suffit pas de mettre des candidats catholiques à des places éligibles pour réduire effectivement l'influence politique des organisations des classes catholiques. Il se choisit dès lors des modèles scandinaves et le PVV se pré- | |
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senta comme un parti anti-impôt. Il gagna cinq nouveaux sièges, ce qui représente en même temps le meilleur résultat électoral libéral enregistré depuis la première guerre mondiale.
Le CVP et le PSC peuvent-ils être considérés comme des vainqueurs de ces élections? Tous deux ont gagné un siège, mais cela ne correspond certainement pas au résultat qu'ils avaient escompté. Depuis la deuxième guerre mondiale, le parti catholique a officiellement renoncé à l'étiquette de parti de classes et de parti confessionnel. Dans les années soixante, les ailes flamande et francophone ont progressivement évolué vers des partis autonomes. Les deux partis se servent de préférence de l'étiquette démocrate-chrétienne. Tous deux sont également restés des partis de classes. Les piliers sur lesquels s'appuie le CVP sont l'organisation ouvrière ACW, l'organisation des classes moyennes NCMV et l'organisation agricole ‘Boerenbond’ (Alliance agricole). En Wallonie, le MOC et le CEPIC se heurtent quelquefois de front, mais les oppositions sont toujours surmontées au niveau du PSC.
Dans les années de grand déclin du parti catholique, de 1958 à 1971, ce sont ces organisations des classes précisément qui ont permis de limiter les dégâts.
Ces mêmes groupements n'ont pas empêché, bien sûr, le progrès du CVP-PSC en 1974, 1977 et 1978. La popularité de Leo Tindemans ainsi que le dynamisme et le talent d'organisateur du président du CVP, Wilfried Martens, n'y étaient certes pas étrangers non plus. Toutefois, les deux partis semblent maintenant avoir atteint un plafond qu'ils pourront difficilement dépasser sans l'apport de conflits d'ordre idéologique et philosophique.
Le parti communiste KPB-PCB se trouve traditionnellement à gauche des socialistes. De plus, en 1977, le parti avait atteint son point le plus bas. En Flandre, il reste partout en dessous du quorum requis pour obtenir un siège. Il doit y faire face, en outre, à un concurrent de taille, l'AMADA maoïste qui, contrairement à ce qui est le cas dans les autres pays d'Europe occidentale, réussit à mobiliser effectivement une fraction des travailleurs salariés. Il est assez remarquable qu'une grande partie du cadre d'AMADA est d'origine ouvertement catholique. Ayant obtenu des résultats encore inférieurs à ceux d'AMADA, la RAL trotskyste n'a pas obtenu de siège non plus.
Jusqu'il y a peu de temps, les socialistes, tout comme les communistes, se présentaient comme le parti le plus unitaire de Belgique. Depuis leur intégration au système - processus qui avait déjà commencé dès avant la première guerre mondiale -, les socialistes se sont de plus en plus identifiés au régime et posés en défenseurs de sa structure unitaire. Telle était en tout cas la situation du côté flamand, car au lendemain de la seconde guerre mondiale, les déclarations politiques favorables au fédéralisme furent nombreuses en Wallonie. Le parti socialiste oscille depuis plusieurs années entre un vigoureux jargon socialiste et une pratique de réformisme social-démocrate. D'autres problèmes auxquels il est confronté sont notamment le cumul des fonctions et le vieillissement du personnel politique. Du côté flamand, une rénovation timide commença sous la présidence de Karel Van Miert. Au mois d'octobre 1978, le dogme unitaire fut abandonné. Le coprésident wallon, André Cools, opta clairement en faveur du socialisme à la française, ce qui se manifestait jusque dans le changement du sigle PSB en PS. Les socialistes flamands, eux, se réfèrent expressément au modèle scandinave et à la socialdémocratie. En affichant partout le nouveau président, le jeune Karel Van Miert, qui inspire une grande confiance, ils soulignèrent leur volonté de renouveau. Pourtant, les élections se soldèrent par une déception, certainement pour les socialistes wallons, mais encore davantage pour leurs collègues flamands. Pour ces derniers, les élections sont venues trop tôt: la rénovation et le rajeunissement n'étaient pas encore assez poussés. Le président Van Miert ne figurait sur aucune liste. La façon dont le quotidien socialiste anversois Volksgazet avait fait faillite et dont le quotidien socialiste gantois Vooruit avait été absorbé dans le nouveau journal De Morgen (Le Matin) - qui ne se présente plus comme un journal ‘socialiste’, mais comme un journal ‘progressiste’ - suscita de l'inquiétude auprès des socialistes plus âgés. Ceux-ci, qui sont nombreux dans le public électoral socialiste, se sentaient un peu désorientés devant des termes tels que ‘Vlaamse socialisten’ au lieu de BSP ou devant la disparition du B dans le sigle du parti frère wallon.
La VU fut incontestablement le grand perdant des élections du 17 décembre. Ce ne fut pas à proprement parler un demi-effondrement - ce qui fut le sort du RW en 1977 -, mais le coup fut durement ressenti. Le parti perdait à peu près un tiers de ses électeurs et six sièges sur les vingt qu'il occupait précédemment. Il s'était attendu à un certain recul, mais pas de cet ordre-là. La direction du parti, dans ses calculs, s'était fondée sur les racines lointaines du nationalisme flamand, qui remontent jusqu'au Meetingpartij au dix-neuvième siècle, au Daensisme et au FrontpartijGa naar eind(3)
Les causes de cette défaite sont nombreuses: | |
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participation, après de longues années d'opposition et de progrès électoral, à un gouvernement qui devait en fin de compte réaliser peu de choses; approbation d'un accord communautaire qui, rédigé à l'issue de négociations laborieuses, ouvrait des perspectives intéressantes, mais qui comportait aussi d'importantes concessions aux francophones bruxellois; la crise économique, qui désavantage incontestablement un parti politique qui n'est pas à même de proposer des avantages matériels immédiats; la création d'un parti nationaliste flamand concurrent, le Vlaams Blok (Bloc flamand), qui conquit un siège à Anvers; l'absence d'un journal approprié, etc. A côté de tout cela, il y a aussi des facteurs internes. Le parti a vingt-cinq ans. Dans certains arrondissements, la relève de la garde s'impose. Là où cette opération avait déjà eu lieu et où le rajeunissement avait à son tour donné lieu à un dynamisme renouvelé, le parti s'est assez bien maintenu. Par le passé, dans l'euphorie des victoires électorales successives, le parti n'a pas suffisamment songé à investir en des hommes et dans la mise sur pied d'une infrastructure politique locale.
Les commentateurs politiques ont rarement été si nombreux et si unanimes à affirmer que ces élections ont en somme été une mesure pour rien. Abstraction faite des pertes subies par la VU et du progrès enregistré par le PVV, il n'y a pas eu de glissements significatifs. En fait, les problèmes de la réforme de l'Etat et de la lutte contre la crise économique attendent les mêmes hommes politiques pour y faire face. Ou le recul de la VU devait-il plutôt être considéré à la lumière du sort que subit le RW en 1977? L'idée régionaliste serait-elle en voie de s'éteindre? Devons-nous nous attendre à un troisième round où sera éliminé à son tour le FDF? Dans ces conditions, les socialistes et les catholiques, resserrant les rangs d'Ostende jusqu'à Arlon et délivrés de leurs grands soucis électoraux actuels, pourront-ils constituer à tour de rôle un gouvernement plus ou moins stable avec les continuateurs de la famille libérale? A cette perspective s'oppose la forte ambition que nourrissent aussi bien les socialistes que les catholiques de devenir une fois pour toutes le parti le plus fort du pays. Tout cela peut être considéré comme des réflexions terre-à-terre ou purement électorales. Mais celles-ci ont toujours eu une large part dans la politique belge. Le proche avenir nous montrera si le courant fédéraliste, qui vit non seulement chez la VU, le FDF et le RW, mais également dans les rangs du PS, pourra finalement s'imposer.
Erik Vandewalle, Izegem. Traduit du néerlandais par Willy Devos. |
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