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La Frise et le frison
P.H. van der Plank
Né en 1944 à Vught (province du Brabant septentrional). Docteur ès sciences sociales en 1971 à l'Université d'Etat d'Utrecht. Attaché à l'Université d'Etat de Groningue ainsi qu'à l'Académie frisonne (Fryske Akademy) à Leeuwarden. A notamment publié: Taalassimilatie van Europese Taalminderheden (1971 - Assimilation linguistique de minorités linguistiques européennes); L'assimilation linguistique dans les sociétés urbaines (dans Recherches sociologiques, 1972, 2); Language and Nationalism (Langage et nationalisme, dans Plural Societies, 1975, 3); Assimilation of European Linguistic Minorities (L'assimilation de minorités linguistiques européennes, dans: J. Fishman: Advances in the Study of Social Multilingualism); des séries d'articles consacrées à des minorités dans Intermediair, 1974 et 1976.
Adresse:
Poartepleats, Tjessenswei 7, Waeksens (Westdongeradiel), Friesland (Pays-Bas).
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Aperçu historique
Du point de vue linguistique, les Frisons contemporains sont les descendants des Ingévons, c'est-à-dire des Germains occidentaux établis le long des côtes de la mer du Nord. A l'époque des grandes migrations, les tribus germaniques occidentales se réorganisèrent en de nouvelles unités. Linguistiquement, et sans doute aussi culturellement, les nouvelles tribus constituaient deux groupes principaux: les Francs, Alamans et Bavarois formaient le groupe continental; les Frisons et les Anglo-Saxons, de leur côté, le groupe côtier. Les territoires occupés par ces derniers s'étendaient de la région de Dunkerque jusque très haut dans le Jutland. L'expansion franque et le départ vers la Grande-Bretagne des Saxons et des Angles, qui leur étaient apparentés, ainsi que d'une partie des Jutes et des Frisons, ont eu pour effet que la zone germanique occidentale côtière s'est finalement réduite à la région s'étendant de l'embouchure du Zwin à l'estuaire de la Weser. Un pouvoir frison réussit quelque temps à s'y maintenir face à l'empire franc. Dans le sudouest, il s'effrita graduellement. Les Francs étendirent leur influence sur la Zélande, la Hollande méridionale, la région d'Utrecht et la Drenthe, qu'ils christianisèrent par la suite. A partir du dixième siècle, les régions peuvent être considérées comme ‘défrisonnisées’, soustraites à l'influence frisonne. Lorsque, finalement, la Hollande septentrionale (encore appelée Frise occidentale) et la Frise proprement dite; et, ultérieurement, la Groningue et la Frise orientale durent suivre la même évolution, l'empire franc avait déjà connu son apogée, de sorte que ces
dernières régions y furent à peine intégrées socialement et administrativement. Dans ces conditions, les Frisons réussirent à préserver à tout point de vue leur identité. Il convient de souligner à ce propos le rôle que jouèrent,
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‘Fedde Schurer’ (1898-1968), instituteur frison, poète, socialiste, journaliste et pacifiste (Photo Argyf FLMD).
précisément à cette époque, les missionnaires anglo-saxons - donc linguistiquement apparentés - lors de la christianisation de la Frise.
Au moyen âge, les territoires maritimes frisons situés entre l'IJ et la Weser demeurèrent très autonomes. Le pouvoir des rois de l'Empire allemand, qui succédèrent aux empereurs francs, était trop faible pour leur permettre d'influer sur cet état de choses. En outre, ce n'eût guère été leur intérêt. En fait, ils transférèrent leurs droits aux vassaux des territoires environnants, ou plus exactement au comte de Hollande. Les comtes de Hollande, à leur tour, ne réussirent à assurer l'occupation que de la seule Hollande septentrionale, dite traditionnellement Frise occidentale. En dépit des efforts qu'ils y déployèrent, ils ne parvinrent pas à s'imposer dans la Frise proprement dite. La guerre permanente que se livrèrent la Hollande et la Frise prit parfois l'aspect d'une croisade. Sur ce point, il y aurait un parallèle à établir avec la lutte qui opposa les Flamands aux nobles de France. Dans les deux cas, il s'agissait d'un mouvement populaire - moderne, urbain et prolétaire en Flandre; conservateur, paysan et démocratique en Frise - mouvement qu'il convenait de combattre parce qu'il constituait une menace pour l'ordre féodal. Dans les deux cas, la lutte culmina provisoirement dans une victoire populaire: celle des petits bourgeois flamands sur la noblesse française au champ de Groeninge, à proximité de Courtrai, en 1302; celle des paysans frisons sur la noblesse hollandohennuyère près de Warns, en 1345. Que la Frise ait par la suite graduellement perdu sa liberté, cela est dû en premier lieu à la rupture de l'équilibre social qui s'était établi. La communauté frisonne ne put se soustraire aux influences du monde qui l'entourait. Les fonctions de paysan et de
commerçant se dissocièrent. Les menaces de l'extérieur confirmèrent le pouvoir des gentilshommes campagnards qui, à la longue, réussirent à s'approprier tant de biens que leur pouvoir devint héréditaire et acquit des allures aristocratiques. Des villes furent créées, auxquelles leur situation favorable du point de vue de la géographie et des communications valut un pouvoir certain. Des conflits d'intérêt ne manquèrent pas de surgir, qui aboutirent, par effet de polarisation, à une guerre civile entre ‘isolationnistes’ et ‘intégrationnistes’. Ce fut le moment où le monde féodal environnant put établir son hégémonie sur la démocratie paysanne anarchiste. Ce ne fut pas la Hollande - déchirée comme elle l'était, au quinzième siècle, par des dissensions internes - qui s'en chargea, mais le duc de Saxe, qui occupa la Frise en 1492.
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Les Ommelanden (pays aux alentours de la ville) durent se soumettre à la ville de Groningue pour constituer une sorte de république urbaine et la Frise orientale avait elle-même, en 1464, proclamé comte l'un des gentilshommes campagnards pour ne pas devoir accepter comme son maître un étranger.
La liberté de la Frise a toujours été liée au droit frison vieux-germanique et à la langue frisonne dans laquelle il était consigné. Après la suppression de la liberté de la Frise, le droit frison fut remplacé par le droit romain. Les fonctionnaires étrangers chargés de le faire respecter introduisirent la langue bas-allemande et l'influence qu'ils exerçaient sur les rapports sociaux eut pour effet un rapide déclassement social de la langue frisonne. Peut-être est-ce le mélange d'éléments étrangers et locaux au niveau des détenteurs du pouvoir dans le pays de Groningue et en Frise occidentale qui eut pour conséquence le fait suivant: dans le courant du seizième siècle, le bas allemand - tout en conservant des traces d'une influence marquée du frison - devint aussi la langue du peuple. Dans la Frise proprement dite, seule la population urbaine adopta la langue nouvelle dans un mélange linguistique, qu'elle continua toujours de considérer comme étant du frison - du ‘frison urbain’ - et qui conservait nombre d'éléments du frison. A la campagne, l'ancienne langue frisonne se maintint comme langue populaire. Certains éléments permettant d'affirmer que la noblesse paysanne se servait délibérément de cette langue fournissent une indication sur leur niveau social élevé que confirma d'ailleurs, aux siècles ultérieurs, la richesse du paysannat frison. Il existait une modeste production littéraire: trônait, solitaire, le poète Gysbert Japiks, qui fut aussi le fondateur du frison moderne; il y avait surtout des récits et des poésies populaires qui, sous forme imprimée, devaient atteindre un vaste public.
Entre-temps, la Frise s'était ralliée à la République des Provinces-Unies, des Pays-Bas, ce qui lui avait permis de rétablir quelques-unes des anciennes libertés. Au sein de cette fédération néerlandaise, elle s'érigeait en région relativement autonome, qui disposait de sa propre organisation politique. Celle-ci ne devait nullement mettre en danger l'intégration culturelle de l'ensemble des Pays-Bas. Depuis l'insurrection néerlandaise qui aboutit, en 1572, à la mise en place de la République, les Frisons se considèrent comme des Néerlandais au même titre que les Hollandais et les Zélandais. Au contraire, l'intégration des populations des régions périphériques - (celles du Brabant et du Limbourg, notamment, n'eut lieu qu'au siècle dernier) - demanda beaucoup plus de temps!
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La situation linguistique au dix-neuvième siècle.
Aux seizième, dix-septième et dix-huitième siècles, les rapports linguistiques en Frise se caractérisaient par une certaine stabilité. Le néerlandais - successeur très apparenté du bas allemand au nord-est des Pays-Bas - faisait office de langue écrite de la justice, des services publics et de la Bible. Mais on ne le parlait guère puisque le frison urbain passait pour une variante frisonne de la langue usuelle néerlandaise. En tant que tel, il était plus ou moins compréhensible pour les Néerlandais des autres régions, alors que ses caractéristiques propres continuaient en même temps à renforcer la conscience d'individualité et d'appartenance frisonne. Ce frison urbain était le parler de la bourgeoisie des villes et des notables de la campagne. Le frison proprement dit était la langue dont se servait la population rurale. Au dix-neuvième siècle, cette situation se modifia à la suite des changements et des évolutions que connut, dans son ensemble, le contexte social, administratif et économique de la société néerlandaise.
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Population de la Frise (représentée par le rectangle). La ligne continue indique la proportion entre les personnes parlant le frison (à gauche) et celles parlant le néerlandais (à droite); la ligne interrompue celle entre la population rurale (à gauche) et la population urbaine (à droite); la ligne en pointillé celle entre les autochtones (à gauche) et les personnes immigrées (à droite).
Pour ce qui concerne l'indication des différentes catégories de population selon le niveau social, il ressort des rapports numériques qui ont été retenus que ceux-ci, forcément, ne sont pas directement, mais plutôt indirectement proportionnels aux rapports de force sur le plan social et politique qui contribuent dans une très large part à déterminer le comportement des individus sur le plan de l'emploi des langues.
Précédemment fédération de régions autonomes, les Pays-Bas étaient devenus un royaume à l'organisation politique centralisée. Le service public et les agents publics relevaient des autorités centrales hollandaises. C'est dans ces milieux que se constituait peu à peu une couche sociale supérieure hollandaise. L'enseignement fut organisé de façon sérieuse et, pour ce qui est de la langue, conformé aux normes hollandaises. La Hollande entra dans l'ère de l'industrialisation alors que de son côté, la Frise - qui pouvait fournir de la main-d'oeuvre, mais qui demeurait confinée dans une position exclusivement agraire - perdait ses fonctions commerciales antérieures qui allaient, dans une mesure toujours croissante, dépendre des activités industrielles. La baisse générale du niveau de vie dans le secteur agricole, surtout au dernier quart du dix-neuvième siècle, entraînait aussi une diminution de l'importance du frison. Cette évolution entamait encore davantage le prestige du frison urbain. Les classes supérieures le remplaçaient par le néerlandais, de sorte que finalement, la petite bourgeoisie était encore seule à s'en servir. Ainsi le néerlandais et le frison s'étaient-ils trouvés linguistiquement opposés
l'un à l'autre, confirmant en cela et renforçant encore davantage les antagonismes entre la ville et la campagne, entre le sentiment national et la prise de conscience régionale, entre le passé et l'avenir, sans oublier une opposition de classes. Ces oppositions se manifestent tout au long de l'évolution de ce qu'il faut bien appeler un Mouvement frison. Dans la première moitié du dix-neuvième siècle, c'étaient principalement des philologues et des historiens qui manifestaient de l'intérêt pour ce qui était ‘typiquement frison’, avec cette restriction toutefois que leur attention se portait plus sur les textes de loi en ancien frison que sur le frison tel qu'il vivait à leur époque. Après 1840 se profile une certaine renaissance de la littérature populaire, tant pour ce qui est de la recherche d'oeuvres anciennes que de la création de nouvelles oeuvres. Dans ce domaine, il convient de souligner les activités de Waling Dykstra et des frères Halbertsma. A partir de 1890 s'annonce un mouvement politique à base socialedémocrate, le Jongfryske Biweging (Mouvement jeune-frison), au sein duquel Douwe Kalma jouerait un rôle déterminant.
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La lutte linguistique au vingtième siècle.
A la fin du dix-neuvième siècle, l'enseignement obligatoire et l'élargissement, grâce à l'enseignement, de l'éventail des possibilités permettant de s'élever dans l'échelle sociale, eurent pour effet de mettre le frison dans une position minoritaire. Pour la première fois se produisit le phénomène d'assimilation de groupes de personnes parlant le frison, notamment dans les villes qui recueillaient l'excédent de la population rurale. La perte de prestige du frison et l'extension du bilinguisme croissant créèrent une situation où le fait de parler le frison - par exemple
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Graphique indiquant par des pourcentages dans quelles situations la population de la Frise se sert de la langue frisonne; la ligne continue indique la population provinciale, la ligne en pointillé la population rurale et la ligne interrompue la population urbaine. A l'époque du sondage (1969) sur lequel se fondent les pourcentages, la Frise comptait 530.000 habitants.
dans les contacts avec des individus d'un rang social plus élevé, avec des fonctionnaires, avec la justice, avec les mandataires au niveau local et régional et dans l'enseignement - pouvait être réprouvé. Les Frisons eux-mêmes ne s'intéressant guère à la question et participant à part entière à l'organisation politique telle qu'elle se développait sur le plan national, le Mouvement jeune-frison ne parvint pas à constituer un pouvoir politique qui pût freiner cette évolution. Néanmoins, ses idées se révélèrent fructueuses. Elles persistèrent notamment dans le milieu protestant, où elles rejoignaient des éléments traditionalistes ainsi que des préoccupations d'ordre régionaliste. Les sociaux-démocrates frisons étaient aussi engagés mais en même temps ne comprenaient pas assez le rapport qui reliait entre elles la lutte linguistique et la lutte sociale pour se rallier, à leur tour, aux objectifs du Mouvement jeune-frison. Ainsi le dirigeant de la social-démocratie néerlandaise, Piter Jelles Troelstra, était en outre, un important poète frison et, à ce titre, actif dans le cadre du Mouvement frison. Mais dans son esprit, politique et littérature frisonnes étaient des secteurs distincts, totalement dissociés l'un de l'autre! Il s'agit là d'une attitude
qu'adoptèrent tous ses contemporains. Il convient de considérer le Mouvement frison comme un rassemblement d'individus - certains bénéficiant d'une organisation au niveau de petits groupements ou associations, d'autres pas - impuissants à traduire en des termes politiques, voire à transposer au niveau politique concret, leur conscience d'appartenance régionale et leurs sentiments personnels. A la fois Néerlandais nationaux et Frisons régionaux, ils éprouvèrent des difficultés à trouver un dosage équitable entre leurs deux identités et loyautés et
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à les concilier. A cette époque-là, la querelle linguistique se déroulait sur le plan d'actions personnelles - petits conflits qui trouvaient leur origine dans le fait que l'on prétendait parler le frison en des lieux où cela était malséant - et sur celui de demandes en vue d'obtenir l'enseignement en frison. Il fallut attendre jusqu'à la veille de la seconde guerre mondiale pour que les autorités accordent enfin une toute petite place au frison dans l'enseignement et qu'elles prennent l'initiative de créer une Fryske Akademy, Académie frisonne, qui se chargerait de travaux et d'études d'ordre linguistique et folklorique.
Au lendemain de la guerre, il y a lieu de parler d'une accélération dans le Mouvement frison. Nombreux sont ceux qui, de leur propre gré et sans qu'il faille nécessairement y voir quelque action concertée, déplacent les frontières sociales de l'emploi de la langue frisonne. Il ne pèse plus de tabou sur l'emploi du frison dans les conseils communaux, les Etats provinciaux et dans les contacts avec les services publics. Les protestations que provoque cette évolution s'atténuant du fait qu'elles ne trouvent plus d'écho auprès de l'opinion publique. La libération de l'occupation allemande représentait en même temps une certaine émancipation par rapport aux normes d'avant-guerre sur le plan des relations sociales, qui acquirent une plus grande souplesse. Vint s'y ajouter le motif particulier du refus qu'avait opposé le Mouvement frison aux tentatives de l'occupant allemand, essayant, au moyen de promesses qui allaient dans le sens autonomiste, de semer la discorde au sein des différents groupes qui composaient la société néerlandaise.
Certaines administrations communales allèrent jusqu'à remplacer par des panneaux bilingues ou même unilingues frisons indiquant le nom des rues ou des localités les panneaux néerlandais unilingues usuels. De son côté, l'appareil administratif cessa de taxer d'‘illisible’ la correspondance écrite en langue frisonne.
Une tentative de restauration de l'ancien code de comportement devait aboutir - comme on pouvait s'y attendre - à une confirmation sans réserve de la situation nouvellement créée. Appartenant à une magistrature - toujours - en majeure partie hollandaise, un juge s'offusqua publiquement de l'emploi croissant de la langue frisonne. Dans les salles d'audience, on parlait exclusivement le néerlandais, celui-ci fût-il, dans la bouche des suspects, et des témoins d'un niveau social inférieur, un néerlandais de mauvais aloi. Le juge en question avait pris l'habitude de ridiculiser ces justiciables et de les imiter. Un poète frison connu, Fedde Schurer, qui était aussi rédacteur d'un quotidien, lança dans son journal une attaque féroce contre le magistrat, qui déposa une plainte (1951). La condamnation de Schurer provoqua à son tour des émeutes et contribua à mobiliser l'opinion publique dans son ensemble, y compris en Hollande. Le résultat, ce fut que soudain le gouvernement néerlandais satisfit aux anciennes revendications linguistiques du Mouvement frison, notamment en ce qui concernait l'enseignement en langue frisonne. Quatre-vingts des six cents écoles primaires de la Frise introduisirent l'enseignement du frison dans les classes inférieures, soit un cinquième des écoles établies dans les communes de langue frisonne. Ce pourcentage relativement restreint démontre que seule une partie des Frisons s'intéressent à leur communauté linguistique et culturelle proprement dite et que même parmi les Frisons conscients, tous ne désirent pas tirer des conclusions plus poussées du sentiment qu'ils éprouvent de leur identité et appartenance frisonnes. Depuis toujours se fait ressentir en Frise
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l'influence d'un corps enseignant conservateur et la nécessité d'assurer à la génération nouvelle une carrière scolaire en vue d'une position sociale plus élevée. Il ne faut pas perdre de vue non plus que faute d'une industrialisation sérieuse, de nombreux Frisons ont dû chercher leur avenir en dehors de leur province. Ainsi presque la moitié des Frisons dut-elle émigrer entre 1850 et 1950! (Malgré cela, la population frisonne a doublé grâce à son taux de natalité.) De plus, la vie professionnelle dans son ensemble s'en tenait principalement au néerlandais. Dans cette perspective, la maîtrise du néerlandais est une nécessité absolue et l'enseignement du frison doit surtout être considéré comme une transition, sur le plan didactique, de la langue pratiquée au sein de la famille vers celle ‘du monde’.
De 1955 à 1970, le Mouvement frison marque le pas. Consolider l'acquis était déjà une tâche assez difficile parce qu'en fait, on avait obtenu plus que ce que la population frisonne pouvait mentalement assimiler. Exception faite de quelques menus incidents au plan purement individuel, concernant le plus souvent l'emploi du frison dans les contacts avec les services publics et la justice, il n'y a rien à signaler pendant cette période, sauf la mise en place de la base devant permettre un deuxième pas en avant. Cette deuxième étape se fonde sur la conscience du fait que la volonté de préserver une langue culturelle frisonne vivante et l'action en faveur de son utilisation plus généralisée est vouée à l'échec si elle ne bénéficie pas, au niveau de la vie publique, d'un statut officiel et obligatoire. Sinon, le frison se dégradera jusqu'à ne plus être qu'un dialecte néerlandais, une langue de niveau régional, employée accessoirement à côté de la langue culturelle néerlandaise, mais de plus en plus reléguée à l'arrière-plan, pour ne servir qu'aux seules conversations sur des sujets intimes et banals entre voisins et amis, en famille, au village. Voulant lui épargner ce sort, le Mouvement frison a réussi à obtenir que soit rendue obligatoire, à partir de 1980, l'organisation de plusieurs heures de cours de frison dans l'enseignement primaire dans son ensemble. Dans certaines communes, on procède aussi à des expériences avec l'emploi du frison en tant que langue administrative. Ce nouvel élan se manifeste notamment dans le caractère plus aigu que prennent, ces dernières années, les conflits linguistiques. Si l'on prend en considération le succès
relatif - presque 15% des voix - enregistré par le nouveau Frysk-Nationale Party (Parti national frison), l'optimisme semble de plus en plus justifié pour l'avenir. L'action du parti en question n'exclut aucunement, par ailleurs, que les partis nationaux comptent, eux aussi, dans leurs rangs des hommes politiques frisons conscients. Au contraire. Les sociaux-démocrates surtout, et aussi les protestants se sont depuis toujours associés de très près au Mouvement frison. Il convient de souligner également l'action des étudiants frisons radicaux de gauche, qui apporte une certaine animation et contribue aussi à libérer la question de son aspect de phénomène plutôt marginal.
La grande tâche qui pèse sur le Mouvement frison, c'est, primo, d'imposer la langue culturelle frisonne à tous les niveaux de la vie publique; secundo, d'amener les Frisons à apprendre leur langue frisonne en tant que langue culturelle; tertio, de convaincre et de motiver les Frisons, pour qu'ils parlent effectivement leur langue. Il s'agit là d'une mission gigantesque, d'autant plus que tout cela doit se faire pour ainsi dire parallèlement avec le néerlandais qui, à l'heure actuelle, assume toutes les fonctions précitées sans susciter de grande résistance parmi la population. Nombreux sont, en effet,
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les Frisons qui désirent préserver leur nature frisonne seulement dans le cadre de leur vie personnelle et qui préfèrent l'identifier avec les aspects plus intimes de la vie sociale, du village, de l'histoire et du folklore...
Les graphiques qui illustrent le présent article se fondent sur une enquête effectuée en 1969 et donnant une image détaillée des connaissances et du comportement linguistiques qui nous dispense de tout commentaire. Ils démontrent dans quelles conditions, au niveau des rapports linguistiques, cette tâche devrait pouvoir s'accomplir.
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Littérature:
Philologia Friscia Anno 1956 (avec notamment les études de P. Jörgensen et de H. Kuhn), Groningen, Grins, 1957. |
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Frysk Jierboek 1967 (Annuaire de la Frise 1967) (avec notamment l'étude d'A. Russchen), Leeuwarden, Ljouwert, 1967. |
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J. Kalma, J. Spar van der Hoek et K. de Vries: Geschiedenis van Friesland (Histoire de la Frise), Drachten, 1968. |
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K. Heeroma et J. Naarding: De ontfriesing van Groningen (La défrisonnisation de Groningue), Zuidlaren, 1961. |
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G. Borchling et R. Muus: Die Friesen (Les Frisons), Breslau, 1931. |
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K. Fokkema, C. Wilkeshuis et W. Hellinga: De invloed van het Stadsfriesch op het Friesch (L'influence du frison urbain sur la langue frisonne), Amsterdam, 1943. |
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K. Boelens et J. van der Veen: De taal van het schoolkind in Friesland (La langue des écoliers en Frise) (enquête), Leeuwarden, Ljouwert, 1956. |
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L. Pietersen: De Friezen en hun taal (Les Frisons et leur langue) (enquête), Drachten, 1969. |
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J. Hof: (Registers op) Fjirtich Jier Taelstriid (Registres de quarante ans de lutte linguistique), Leeuwarden, Ljouwert, 1972. |
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T. Feitsma: Frysk yn Bistjûr en Rjochtsforkear (Le frison dans l'administration et la justice) (aperçu chronologique de faits et de conflits) dans De Stiennen Man, XXXIème année, no. 6, 1975. |
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K. Boelens: Enseignement bilingue en Frise, La Haye, 1975. Edité par le ministère néerlandais de l'Enseignement et des Sciences. Peut être obtenu à l'Ambassade des Pays-Bas. |
Traduit du néerlandais par Willy Devos. |
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