Septentrion. Jaargang 4
(1975)– [tijdschrift] Septentrion– Auteursrechtelijk beschermd
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Adriaan Roland Holst (photo Anefo - De Standaard).
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le poète adriaan roland holstjan van der vegtNé en 1935 à La Haye. Il a fait ses études à Groningue et est actuellement professeur de néerlandais à Zaandam. Il a publié De brekende spiegel (1974), une étude sur l'oeuvre de A. Roland Holst. Il est rédacteur de la revue littéraire Kentering. Collaborateur de Ons Erfdeel. Adriaan Roland Holst, né en 1888 à Amsterdam, est généralement considéré comme l'un des poètes les plus importants de la littérature néerlandaise. A l'heure actuelle, il est l'unique survivant d'une génération qui a commencé à publier au cours de la première décennie du vingtième siècle. Soixante-six ans après le moment où il débuta avec une série de poèmes dans la revue De XXe eeuw (Le XXe siècle), il écrit toujours, ce qui constitue déjà un phénomène unique.
Depuis plus de cinquante ans, Roland Holst habite le village d'artistes qu'est Bergen, dans la province de Hollande septentrionale. Il a choisi cette résidence parce que dans ce village ‘inspiré’, comme il le qualifia ultérieurement, au pied des dunes, il pouvait sentir la proximité de la mer. Celle-ci est devenue l'un des grands symboles qui dominent son oeuvre poétique. Une seule fois, Roland Holst a été contraint d'interrompre pendant plusieurs jours son séjour à Bergen, épisode qu'il subit comme un exil douloureux. Ce fut pendant la seconde guerre mondiale, lorsqu'il dut se cacher ailleurs dans le pays, parce qu'il avait ouvertement exprimé son horreur des occupants allemands dans une lettre, où il leur reprochait entre autres choses le fait qu'ils allaient remplacer la culture de l'Europe occidentale par l'oppression de leur Kultur.
Une oeuvre telle que celle de Roland Holst, qui embrasse une période si étendue, et qui se maintient constamment au niveau élevé qui fut toujours le sien, constitue l'illustration impressionnante de la façon dont un homme a subi la vie, dans le monde du vingtième siècle, depuis sa jeunesse jusqu'à son âge avancé. L'homogénéité de cette oeuvre est remarquable. D'emblée, pour ainsi dire, au stade initial de son évolution, le poète a effectué un choix qui devait déterminer à ja- | |
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mais le caractère de sa poésie. Dans sa jeunesse, il s'était senti attiré par un socialisme idéalisant. On voit là l'inspiration de sa tante, la poétesse Henriette Roland Holst-Van der Schalk (1869-1952), ainsi que l'influence de l'artiste et écrivain socialiste anglais, William Morris (1834-1896). Toutefois, lorsque Roland Holst, encore jeune, se rendit compte que ce socialisme idéaliste devrait s'incliner devant le sens des réalités politiques du marxisme, il comprit que jamais il ne se sentirait accordé à cette doctrine. Il rejeta le marxisme, auquel il reprochait d'inoculer à l'homme le désir du pouvoir au lieu du désir du bonheur, tel qu'il l'avait rencontré chez Morris. Il fit ce choix non seulement contre le marxisme, mais encore contre tout le matérialisme et, partant, contre la perte des valeurs spirituelles qui semblaient menacer le vingtième siècle. Toutefois, il sut éviter l'écueil dans lequel tombèrent ultérieurement d'autres adversaires déclarés du marxisme en Europe. Lorsque le fascisme et le national-socialisme envahirent l'Europe, il exprima ouvertement son aversion à leur égard. Il choisit de se consacrer en solitaire à sa mission de poète, non pas dans l'isolement du principe de l'art pour l'art, mais à partir d'une attitude critique à l'égard du monde. Parce qu'il exprima cette conception du monde sous la forme de symboles, Roland Holst s'apparente aux poètes que l'on réunit sous la dénomination commune de post-symbolistesGa naar eind(1), parmi lesquels on trouve l'Allemand Rainer Maria Rilke (1875-1926), le Français Paul Valéry (1871-1945) et l'Irlandais William Butler Yeats (1865-1939). Tout en comportant quelques points communs avec l'oeuvre de ces poètes apparentés, principalement avec celle de Yeats, l'oeuvre de Roland Holst n'en possède pas moins un caractère qui lui est tout particulier. Ce caractère se manifeste principalement dans la façon dont le poète se concentre sur un groupe restreint de symboles, en les classant de telle sorte que naît la tension dramatique d'un mythe, dans un récit plein de sens où les symboles vivent autour de personnages qui agissent. Ces symboles, Roland Holst les a puisés dans la nature: le vent, la mer, la neige, les feuilles frémissantes à l'automne. Jamais, cependant, ils ne se détachent de la nature même. Leur symbolisme, qui est souvent celui d'archétypes, approfondit encore le sentiment de la nature. A Oxford, où il étudia vers 1910, Roland Holst prit connaissance de l'oeuvre des auteurs de la renaissance littéraire irlandaise: Yeats, l'auteur dramatique John Millington Synge (1871-1909) et Lady Augusta Gregory (1852-1932). Cette découverte fut d'une importance capitale pour la formation de son symbolisme. Le monde de rêve des mythes, et le monde primitif des sagas telles que Lady Gregory les avait adaptées, aussi bien que la représentation de la vie populaire primitive par Synge, lui montrèrent une espèce de vie naturelle qui, à son sens, s'était perdue dans le monde moderne et matérialiste. S'inspirant de cette littérature irlandaise, Roland Holst développa l'idée d'un paradis perdu, où l'âme pouvait encore s'épanouir dans la vie. La reconstitution de ce paradis contribuerait à convertir l'humanité en une communauté idéale. Morris en avait rêvé aussi. De plus, Roland Holst aspirait à un Elysée, à une existence idéale d'êtres immortels dans les îles lointaines, vers lesquelles, dans les mythes irlandais, des mortels pouvaient se rendre alors qu'ils étaient encore en vie. Le poète sentait qu'il remontait à une existence pareille, et il y aspirait. Dans ses vers, la nostalgie se convertit ainsi en désir. Le poème De zwerver (Le vagabond), que le lecteur lira plus loin, concrétise cette aspiration: | |
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aliéné de l'existence dans le monde, ce vagabond par excellence qu'est le poète, est appelé à travers le monde par la voix de rois de rêve de ce monde mythique.
Chez Roland Holst, cela s'est cristallisé dans un mythe personnel qu'il a fixé dans son livre De afspraak (1925 - Le rendez-vous): la relation avec un sosie, son alter ego vivant dans cet Elysée, domine sa vie qui doit s'accomplir pleinement dans la libération par ce sosie, et dans le passage de son être physique vers l'Elysée.
Celui qui veut considérer de cette façon le sens de son existence dans une lumière mythique, sans cependant se détourner de la réalité, entre irrévocablement en conflit avec lui-même. C'est à ce conflit, qui prit la forme d'un duel avec ce sosie, qu'est consacrée une part importante de la poésie que Roland Holst écrivit après ‘Le rendez-vous’. Parce que dans la représentation du mythe de Roland Holst, l'Elysée n'est pas une existence spiritualisée, mais plutôt une intensification de la vie naturelle du corps, cette lutte avec soi n'est détachée nulle part des émotions humaines généralement reconnaissables. Là aussi se situe toute la puissance de cette poésie.
Le magnifique poème De verlatene (Le délaissé) en constitue un excellent exemple. La consternation causée par la perte d'un amour enfin se voit renforcée par la grisaille hivernale de la nature. Cependant, le désespoir résultant de l'incessant combat avec soi-même constitue une toile de fond latente qui détermine l'intensité de ce poème, et qui s'éclaire si on le situe dans la totalité de l'oeuvre. Cela ne signifie nullement que détaché de celui-ci, il ne laisserait pas une profonde impression.
Roland Holst a évité d'isoler sa poésie dans ce monde imaginaire mythique, en lui assignant une tâche dans le monde, même si elle se tourne contre celui-ci. Le poème De ploeger (Le laboureur) décrit cette tâche dans une métaphore et montre le poète au service d'un idéal: la reconstitution de ce paradis perdu de beauté et de communauté. Le laboureur travaille à proximité de la mer, zone de transition entre le monde et l'Elysée des immortels auquel il espère pouvoir accéder au moment de sa ‘libération’. Dans le poème mystérieux et fascinant Einde (Fin), l'âme trahie par l'homme moderne peut se venger en s'opposant au monde. Ici, la mission du poète revêt une allure prophétique. La vengeance s'exerce à partir du rêve, à partir d'un passé primitif et, une fois de plus, la nature est dotée d'une fonction symbolique appropriée. Un autre aspect passionnant du poème réside dans le fait que la nature y apparaît menaçante parce qu'elle est en elle-même. ‘Fin’ donne aussi l'image d'une tourmente qui s'annonce au-dessus d'une mer déchaînée qu'éclaire une clarté incertaine et froide. Cette vision d'apocalypse rappelle indubitablement celle du christianisme. Roland Holst a toujours adopté une attitude ambivalente à l'égard de la foi chrétienne. Il reconnaissait que le christianisme préservait la valeur de l'âme, mais il n'admettait pas qu'il jette la suspicion sur la vie naturelle du corps, notamment dans la notion chrétienne du péché telle qu'elle est liée à l'érotisme. Roland Holst ressent l'érotisme comme une intensification de l'existence élyséenne; c'est ce qui explique le ton si amer dans ‘Le délaissé’. Pour Roland Holst, ce sont à la fois l'âme et les joies ‘païennes’ du corps qui dominent la vie au paradis perdu sur terre et dans l'Elysée d'outre-mer. Sur ce point, la mythologie celtique aussi l'a sûrement inspiré. Dans le poème ‘Fin’ se manifeste encore l'admiration de l'auteur pour Yeats, qui a | |
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également exprimé une vision d'apocalypse, sur une toile de fond toute différente, du reste. Roland Holst l'admirait comme un esprit parent et reprenait parfois certaines images ou tournures de phrases. Ainsi a-t-il emprunté les termes ‘froide et furieuse’Ga naar eind(2) à un poème de Yeats, où ils figurent d'ailleurs dans un tout autre contexte. Tant chez Yeats que chez Roland Holst, ces termes suggèrent, quelque part, la capricieuse alternance entre la clarté et l'obscurité, entre le tragique et l'exaltation caractéristiques du monde imaginaire celtique irlandais. C'est ce qu'on ressent dans l'oeuvre de Roland Holst - dans ses poèmes aussi bien que dans ses adaptations en prose d'anciens récits irlandais - au même titre que la présence du paysage du littoral néerlandais avec la plage et les dunes. Roland Holst est un poète important par ses efforts inconditionnels pour réaliser sa mission de poète, par son refus de tout compromis, par sa volonté de confronter son mythe et ses symboles avec la réalité moderne, même au prix de la lutte contre luimême, qui le déchire à plusieurs moments de son évolution poétique. Que des émotions reconnaissables par tous, telles que l'amour, la solitude, le désir, le sentiment de la nature, ne soient jamais absentes de son oeuvre, voilà qui en augmente encore la grandeur, tout comme le fait sa maîtrise, bien sûr. Le fait que Roland Holst écrit en néerlandais a empêché la diffusion et la reconnaissance de sa poésie en dehors de la région linguistique néerlandaise. Il n'en mérite pas moins une place parmi les grands poètes européens de notre siècle.
Traduit du néerlandais par Willy Devos. |