Georges Perec
La Disparition
[Origineel]
Ou, pour finir, puisqu'il y a un instant, j'ai dit qu'il y avait cinq façons pour nous d'aboutir à nos fins, nous pourrions t'assaillir alors qu'oisif, tu vas dans un jardin admirant maints nus magistraux, qu'un Girardon ou un Coustou, un Gimond ou surtout un Rodin jadis sculpta. Il nous suffirait alors d'avoir sous la main un cric pour qu'à un instant opportun, la radiation du boulon donnant au bloc colossal son aplomb provoquât ton annulation.
- Nul n'a jamais dit qu'Arthur Wilburg Savorgnan n'avait pas d'humour, dit aussitôt Arthur Wilburg Savorgnan. J'applaudis donc à ton final sursaut d'imagination. Mais au cas où tu voudrais mon avis, j'irais t'avouant mal voir la façon dont tu pourrais, ici, à l'instant, hie & nunc, m'obscurcir. Car, soyons stricts: il n'y a ici ni ananas conflagrant, ni cordon nodal, ni oisillon radioactif, ni gala japonais, ni Rodin basculant!
- Nous goûtons fort ton subtil distinguo, dit, glacial, Aloysius Swann. Mais j'ai sur moi un outil qui vaudra tout ça!
Il sortit son Smith-Corona. D'un trait, il raya Arthur Wilburg Savorgnan qui s'affaissa, mort.
- Voilà, dit la Squaw, ils sont tous morts. L'on n'aurait pas cru. A la fin, ça vous avait un air Much ado about nothing plutôt irritant, ou du moins attristant.
- Qui va piano va sano, sourit Aloysius Swann. Ils sont tous morts. Donnons à tous l'absolution. Prions pour qu'à son tour chacun ici-bas soit blanchi. Car, s'ils ont tous commis maints forfaits, au moins chacun nous a-t-il fourni sa collaboration. L'on connaît plus d'un protagon à qui l'on n'aurait pas ainsi imparti un canon si contraignant. Or chacun l'a subi jusqu'au bout...
- Tais-toi, murmura la Squaw, you talk too much...
Aloysius Swann rougit.
- Ainsi donc, dit la Squaw, voici sonant l'instant du Finis Coronat Opus? Voici la fin du roman? Voici son point final?