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l'emploi dans le nord de la france à l'heure des grandes mutations économiques
françois pouille
Geboren in 1937 te Armentiers (Noord-Frankrijk). Licentiaat in de rechten, hogere studies in de ekonomische wetenschappen, gediplomeerde van het ‘Institut d'Etudes Politique de Paris’.
Momenteel ‘Chargé de travaux dirigés’ aan de fakulteit van de rechten en de ekonomische wetenschappen te Parijs, ‘chargé de recherches’ aan een partikulier instituut te Parijs en ‘adjoint au délégué général’ van het ‘Comité Interprofessionnel social et économique du Nord et du Pas de Calais’ (regionale, patronale organisatie). Gespecialiseerd in de ekonomische en de industriële problematiek van Noord-Frankrijk.
Adres: Avenue de la République 559, Marcq-en-Baroeul (N.-Fr.).
Un homme politique a dit: ‘La vraie richesse de la région du Nord de la France, au delà de ses industries et de sa puissance économique, c'est sa population nombreuse et pleine de courage’.
Cette appréciation peut paraître et très banale et excessivement flatteuse. Banale puisqu'il est évident que l'on pourrait faire la même constatation dans bien d'autres régions industrielles en Europe ou ailleurs. Excessivement flatteuse car il est toujours impressionnant, quelque fierté et quelqu'attachement à sa terre natale que l'on ait, d'accepter un tel éloge.
Il est pourtant certain que parmi les éléments fondamentaux de l'économie régionale, ceux qui ont justifié le prestige passé du Nord et ceux qui expliquent l'intérêt que l'on continue de porter à son avenir, les données démographiques occupent une place de premier plan. L'on est d'ailleurs dans le Nord particulièrement sensible à l'évolution de tout ce qui touche à la population et à son activité. Apprendon que l'émigration s'est accrue d'après les derniers résultats du recensement? Même si cela n'a rien ni d'étonnant ni d'inquiétant, la presse locale s'émeut, la population s'alarme, réclame des explications et des assurances. Des problèmes d'emploi risquent-ils de se poser? Même si ce n'est que pour un temps et dans une mesure très limités, la confiance disparaît et l'atmosphère est au drame.
Les hommes du Nord de la France sont-ils plus pessimistes et moins bien préparés aux mouvements et aux mutations de l'économie moderne que d'autres? La question n'est assurément pas là. Mais ces hommes ressentent d'une manière très vive et très profonde tout ce qui leur paraît susceptible d'atteindre le prestige de leur région et leur confiance en son avenir. Ils aiment leur travail et craignent par dessus tout d'en être un jour privés. Ils placent la vie de famille au premier plan des valeurs qui leur sont les plus chères et ils admettraient difficilement que leurs enfants soient contraints de s'éloigner de leur terre natale. Ceci n'est pas étonnant dans une région où l'attrait du cadre de vie tient d'abord au prix que la population attache à un tissu très dense de relations sociales qui, chez beaucoup, compensent largement les insuffisances du paysage.
Il est donc indispensable de replacer les études et les considérations relatives à la main-d'oeuvre régionale dans un contexte démographique plus général. Nos développements sur la structure de la population active du Nord de la France, ses qualifications professionnelles, l'équilibre du marché de l'emploi et les perspectives nouvelles offertes actuellement par l'effort de reconversion entrepris sur place, gagneront beaucoup à être éclairés par quelques traits caractéristiques de la population régionale.
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Dynamisme démographique.
Au dernier recensement, en mars 1968, la région du Nord comptait 3.815.000 habitants, dont 2.417.900 vivant dans le département du Nord, (soit 8% de la population française sur 2% du territoire national) et 1.397.100 dans le département du Pas-de-Calais. Le Nord est une zone de forte densité démographique avec environ 300 habitants au kilomètre carré. Cette caractéristique le rapproche d'ailleurs plus des pays voisins, la Belgique, les Pays-Bas et l'Allemagne Rhénane que du reste de la France. La zone de concentration la plus notable est celle de la métropole de Lille-Roubaix-Tourcoing. L'arrondissement de Lille compte à lui seul 1.057.700 habitants, c'est à dire près du 1/4 de la population régionale. La zone minière est elle aussi très urbanisée. Les villes, cependant demeurent morcelées, et Lille elle-même n'est pas la grande cité que l'on pourrait trouver dans un espace aussi peuplé.
Nombreuse et dense, la population du Nord se caractérise aussi par sa jeunesse relative. Près de 1.600.000 personnes, soit approximativement 40% des habitants, sont âgés de moins de 22 ans. Certes, la région n'est pas épargnée par la tendance à la baisse
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des taux de natalité que l'on constate un peu partout. Elle bénéficie toujours, cependant, d'un incontestable dynamisme démographique.
Les statistiques traduisent également l'indéniable attachement des habitants de la région à leur terre natale, qui, en sens inverse, n'est pas une zone privilégiée d'immigration. Plus de 85% des personnes qui habitent la région y sont nées. Parmi les 15% restant qui ont vu le jour en dehors du Nord-Pas-de-Calais, la moitié seulement est originaire des diverses régions françaises, l'autre moitié étant constituée d'étrangers venus, en particulier, d'Afrique du Nord.
Ces traits contribuent très logiquement à donner à la région ses caractères originaux. Ils ne peuvent manquer d'avoir d'importantes répercussions sur son économie.
Comparée à l'effectif de la population totale, la population active n'apparait pas très considérable: 1.342.700 personnes occupaient un emploi au moment du dernier recensement. La place des jeunes parmi les habitants du Nord et donc la proportion importante d'étudiants et d'élèves (800.000 au total) expliquent en grande partie cette situation. On constate en outre que les taux d'activité, c'est à dire le pourcentage d'actifs dans l'ensemble de la population en âge de travailler sont relativement faibles. Ceci est particulièrement vrai chez les femmes, qui occupent le tiers environ des emplois régionaux. L'on retrouve bien ici dans les statistiques la traduction de la place de la vie familiale dans les traditions régionales. Les caractéristiques des emplois offerts par certaines branches de l'économie régionale orientées vers les productions de base et leurs habitudes de recrutement n'ont pas non plus contribué à faciliter l'entrée des femmes dans la vie active. Des arrondissements miniers comme celui de Béthune ou à prédominance métallurgique comme celui de Valenciennes offrent particulièrement peu d'emplois féminins.
A la population régionale s'ajoute un nombre, certes en diminution mais toujours notable de travailleurs frontaliers. Chaque jour, environ 20.000 belges franchissent la frontière pour occuper un poste dans une entreprise du Nord de la France. Fait plus récent, les échanges de main-d'oeuvre entre les deux pays ne sont plus aujourd'hui à sens unique. Des Français de plus en plus nombreux, quelques milliers à l'heure actuelle, sont employés en territoire belge.
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Emploi industriel prédominant.
Les emplois offerts par l'économie du Nord de la France sont essentiellement industriels. L'agriculture n'occupe qu'une très faible part de la population active, un peu plus de 8%. Ce résultat est tout à fait remarquable en France. Le département du Pas-de-Calais, d'ailleurs, est déja beaucoup plus agricole que le Nord. Les hauts rendements atteints par les exploitations permettent à la région d'avoir une agriculture vivante et productive tout en occupant des effectifs relativement faibles.
Les besoins en main-d'oeuvre de l'industrie constituent une pression constante sur les milieux d'agriculteurs, les invitant à rendre des hommes disponibles pour les usines installées en ville et l'exode rural se poursuit à un taux toujours soutenu.
Le secteur secondaire, c'est à dire l'ensemble des activités proprement industrielles, accapare à lui seul plus de la moitié de la population active. Les industries textiles, les houillières, la métallurgie et la sidérurgie offrent bien sûr une part importante des emplois régionaux. Moins prédominante, cependant, qu'on le croit habituellement puisque ces trois secteurs fondamentaux de l'économie régionale n'occupent pas plus de 25% de l'ensemble de la population active. Les activités du Nord sont donc plus variées que l'on ne le pense en général...
Signe évident de la diversification des emplois offerts par la région, le secteur tertiaire, celui des services et de l'administration, est actuellement en très
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nette progression. Il occupe aujourd'hui environ 40% de la population active. La vocation de Métropole régionale de Lille et de ses environs s'affirme de plus en plus puisque, malgré l'importance toujours considérable de l'industrie dans cette zone, les postes administratifs et de service y sont de plus en plus nombreux.
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Formation des hommes.
Mais pour que le mouvement, déjà bien amorcé, de création d'emplois nouveaux, plus qualifiés et donc plus rémunérateurs, produise tous ses effets, il faudra nécessairement que la région poursuive et intensifie ses efforts dans le domaine de la formation. Trop nombreux sont en effet les hommes et les femmes qui ont, dans le passé, interrompu prématurément leur scolarité pour entrer sur le marché du travail. C'était évidemment un comportement aisément explicable chez une population composée essentiellement de salariés et en particuliers d'ouvriers de l'industrie. Aujourd'hui, la durée de la scolarité obligatoire a été prolongée et d'importants efforts ont été entrepris de tous côtés et à tous les niveaux, sous l'influence d'instances publiques ou privées pour promouvoir de nouveaux enseignements, techniques en particulier. Il est donc permis d'espérer que dans les années à venir les jeunes seront mieux armés pour aborder le marché du travail en même temps que les hommes et les femmes déjà engagés dans la vie active trouveront les outils indispensables à la reconversion ou à l'amélioration de leurs connaissances professionnelles.
Trop fréquemment encore, des jeunes recherchent un emploi sans avoir une qualification suffisante pour en trouver un. Cette réalité brutale apparait tout d'abord dans le fait que bien des jeunes gens et des jeunes filles qui se présentent dans les services de l'emploi ont pour tout bagage un enseignement primaire. Cependant, depuis quelques années, du fait de l'allongement légal ou volontaire de la scolarité, les enseignements secondaires et surtout techniques sont beaucoup mieux représentés.
L'insuffisance de la formation, doublée d'ailleurs de graves lacunes concernant l'information sur les réalités des métiers offerts, conduit à une intense concentration des souhaits des jeunes sur un échantillon très restreint d'emplois. Les jeunes filles, en particulier, s'orientent toujours en très grand nombre vers les emplois de bureau, la couture et l'habillement ainsi que vers les postes de vendeuses. Les emplois de bureau, de manutention et les professions de la mécanique ont pour une très grande part, la préférence des jeunes gens.
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Sur-emploi ou sous-emploi?
De ces deux éléments combinés: insuffisance des qualifications, d'une part, et d'autre part mauvaise connaissance des possibilités d'emploi offertes par l'industrie régionale, résultent souvent de mauvais ajustements, dans les diverses localités, entre les offres et les demandes d'emploi. Dans la période actuelle, caractérisée par une véritable surchauffe de l'activité économique, les chefs d'entreprise éprouvent beaucoup de difficultés à trouver la main-d'oeuvre dont ils ont besoin. Pour le mois de septembre 1969 par exemple, les offres d'emploi déposées dans les services de main-d'oeuvre sont presque aussi nombreuses que les demandes ce qui, il faut bien le reconnaître, ne s'était plus rencontré depuis plusieurs années. Malgré cela, les A.S.S.E.D.I.C. du Nord, organismes d'assurance contre le chômage qui couvrent la majeure partie du secteur privé, versaient encore des allocations à 9.200 personnes considérées comme des chômeurs. Des études ont certes montré que parmi les bénéficiaires de ces aides figurent nombre d'hommes et de femmes qui, en raison de handicaps divers liés à la santé, aux dispositions psychologiques ou à l'âge se trouvent dans l'impossibilité d'occuper un emploi quelconque. Mais en dehors de ces cas particuliers, assurément très fréquents, puisqu'ils constituent un fort pourcen- | |
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tage des effectifs globaux, bien des chômeurs seraient aisément reclassés si leurs qualifications répondaient mieux aux besoins des industries susceptibles de les employer.
D'après les analyses statistiques effectuées par les A.S.S.E.D.I.C., parmi les allocataires de ces organismes environ 15 à 20% n'ont pas reçu la formation leur permettant d'occuper les postes auxquels ils aspirent. D'autres facteurs s'opposent d'autre part à un heureux ajustement des offres et des demandes d'emploi dans la région du Nord. En particulier, l'insuffisante mobilité de la main-d'oeuvre qui répugne aux déplacements. Là encore, des évolutions se dessinent. De plus en plus, les demandeurs d'emploi acceptent de quitter leur domicile, soit quotidiennement pour une activité pas trop éloignée, soit définitivement. Mais l'idée d'une émigration à l'extérieur de la région est bien loin d'être acceptée; elle apparait comme un dernier recours, sinon comme une catastrophe. Pour les travailleurs privés d'emploi qui acceptent un déménagement des aides publiques sont prévues depuis quelques années. En dépit de tout ce que l'on a pu dire ou écrire sur la situation de l'emploi dans la région du Nord et la fréquence des départs, force est de constater que ces avantages financiers, d'ailleurs substantiels, ne sont que rarement demandés.
A l'intérieur de la région, les possibilités de logement, très inégales selon les zones, sont fréquemment un obstacle à la mobilité. Mais même chez les jeunes, pour qui les problèmes se posent avec moins d'acuité que pour les hommes plus avancés dans la vie donc sujets de plus de contraintes, familiales notamment, la perspective d'une installation éloignée du domicile n'est pas bien accueillie.
Bien sûr, ces réactions sont ellesmêmes étroitement liées au niveau de qualification atteint. Les titulaires de diplômes, mieux informés des réalités du travail, plus assurés de pouvoir se créer ailleurs un cadre de vie sont mieux armés que d'autres pour accepter la mobilité géographique ou professionnelle, qui au demeurant, peut aussi être pour eux un facteur de promotion.
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Conversion et emploi.
Il est indispensable, à l'heure actuelle, que la population active régionale se prépare aux changements. La région est en effet entrée dans une phase de reconversion industrielle. Les grandes branches traditionnelles du Nord qui ont fait sa prospérité ne peuvent plus, soit en raison des progrès de leur productivité, soit en raison de la stagnation ou de la régression de leurs débouchés, soit enfin, en raison de la restructuration des entreprises, créer des emplois en nombre suffisant face à l'accroissement continu de la population. Au contraire, leurs effectifs ont tendance à décroître. C'est en particulier le cas des houillères qui font l'objet d'un très sévère programme de récession dont le résultat final devrait être, dans une quinzaine d'années, l'arrêt de l'extraction.
Face à cette situation et pour résoudre les problèmes sociaux qui devraient en résulter, le parti a été pris de diversifier l'appareil industriel du Nord et de créer sur place de nouveaux emplois. Les décisions qui s'imposaient ont été arrêtées dans un climat d'unité régionale et l'attention des administrations parisiennes a été très vigoureusement attirée sur la situation nouvelle dans laquelle le Nord s'apprêtait à entrer.
L'Association pour l'Expansion Industrielle, instrument de la conversion, a été créée en 1960 par les responsables économiques de la région décidés à unir leurs efforts pour donner à l'économie régionale son nouveau souffle. Son action a été officiellement reconnue par le gouvernement qui a conféré à son Délégué Général le titre de Commissaire à la conversion, lui permettant ainsi de travailler en liaison étroite avec toutes les instances publiques. Les résultats déjà obtenus se matérialisent par de nouvelles implantations industrielles et des extensions d'entreprises existantes.
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L'avenir...
Les décisions les plus spectaculaires se situent dans le secteur de l'automobile: Renault, l'Association Renault-Peugeot, Simca, Chausson, spécialisé dans les carrosseries, Lucas, producteur d'équipements électriques pour automobiles, Quillery, fabricant de volants créent des usines dans la région du Nord. Après avoir pratiquement ignoré cette branche le Nord va offrir progressivement sur le bassin minier des milliers d'emplois dans l'industrie automobile. La diversification se fait vers d'autres secteurs avec l'imprimerie nationale à Douai et les parfums Revlon dans le voisinage de Lille pour se limiter aux affaires les plus connues. Au total, les décisions déjà prises depuis fin 1966 amèneront dans les années à venir 50.000 emplois nouveaux dans le Nord.
Il est évident que la construction et l'ouverture d'usines nouvelles donnera automatiquement naissance à des emplois nouveaux par l'effet de mécanismes économiques bien connus. II n'est cependant pas question de chiffrer ces emplois ‘induits’.
Ce chiffre de 50.000 constitue pour l'instant la prévision la plus certaine concernant les créations d'emplois dans la région parce qu'il résulte de décisions prises et d'implantations déjà engagées. II témoigne aussi, à lui seul, de la difficulté qu'il y aurait à présenter ici et dans les conditions présentes d'autres perspectives. En effet, puisqu'une action délibérée a été engagée en vue de diversifier, de bouleverser le visage des industries du Nord, il est dans cette région beaucoup moins encore qu'ailleurs possible de se référer à des prévisions, qui résultent certes d'analyses démographiques et économiques sérieuses mais qui ne peuvent s'appuyer, à quelques nuances près que sur l'extrapolation des tendances passées. Or l'objet des mutations qui marquent la période actuelle n'est pas seulement d'infléchir les évolutions récentes, il est de rompre totalement avec elles. C'est pourquoi, bien que les travaux de préparation du Vlème Plan français aient déjà donné lieu à des projections concernant la région, nous ne nous hasarderons pas à énumérer des chiffres concernant le futur.
Faut-il en déduire que la région aborde son avenir dans un climat d'incertitude? Rien ne serait plus faux. Mais il est des assurances qu'il n'est pas question d'inscrire dans les chiffres. Ces assurances portent sur la valeur des efforts entrepris par la population régionale elle-même pour avancer sur la voie du progrès social.
Les résultats obtenus par la région montrent qu'au prix de tels efforts il ne sera pas difficile de concilier les exigences d'une modernisation de l'économie avec les impératifs de la promotion humaine. C'est assurément ainsi que se préparera le Nord de demain puisque c'est ainsi également que se prépare l'Europe de demain. |
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