les frontières comme les exclusives. Et l'histoire semble bien nous avoir créés, à grand renfort de sang, de misère et de larmes, pour être le lieu d'une difficile mais enrichissante osmose.
J'ai parlé d'osmose parce que l'osmose sous-entend l'existence d'une frontière, frontière ouverte, si je puis dire, à une quintessence. Tout arbitraire qu'elle soit, quelque impuissante qu'elle s'avère à se marquer dans le paysage, la frontière n'en est pas moins une réalité que l'on néglige quand on la désigne par le mot ‘ligne’. Trois cents ans nous avons vécu séparés. Trois cents ans nous nous sommes tournés, de gré ou de force, vers le sud pendant que vous vous tourniez vers le nord. Et trois cents ans ont fait que vous vous nommez ‘Belgen’ et que nous vous appelons ‘Belgiquenaars’, sans renier pour autant une évidente parenté. De ces trois cents années, les soixante quinze dernières ont été les plus décisives pour le bastion du flamand qu'a été mon terroir. Il n'y a qu'un bon demi-siècle que du stade de sous-développés culturels, également incapables de deux cultures, que la France nous avait imposé, faute de nous accepter en son sein en tout ce que nous étions, nous en soyons tous arrivés, à une suffisante maîtrise de la langue et de la pensée de notre nouvelle patrie. Vingt cinq années ont suffi, après les tragiques événements qui ont sonné le glas de notre dernier sursaut irrédentiste, pour forger une génération qui soit résolument trançaise sans pour autant toujours renier son appurtenance flamande. C'est une génération sans mémoire mais aussi sans préjugés, trop sûre d'être française pour hésiter à vous comprendre et à vous rencontrer. Plût au ciel que la France où les esprits me semblent évoluer,
comprît à temps que la crainte d'une improbable sécession et la russification qui s'ensuit ne conduisent qu'à un apprauvrissement où personne et surtout pas elle ne trouve son compte. Plût au ciel que vous ne lui apparussiez pas comme d'éternels Don Quichottes sur le chemin d'une Reconquista (même linguistique) que personne ici ne souhaite. Plût au ciel qu'on nous permît enfin d'être ce que nous sommes: Flamands de France et Français de Flandre...
Et si dans vos livres d'histoires, vous trouvez parfois une France odieuse, de même qu'il y a eu une Allemagne odieuse et une Angleterre odieuse, ne nous jetez pas à la face car ça n'est pas celle-là que nous aimons, ça n'est pas de celle-là dont nous rêvons, ça n'est pas celle-là dont nous épousons la querelle au point qu'être anti-français est pour nous être anti-flamand-de-France... Ne nous reprochez pas, enfin, de trahir. Vous aussi vous avez consacré le fait de la frontière en optant pour l'ABN (j'énonce un fait). Il restera toujours vrai que nous Flamands de France nous n'étudierons l'ABN qu' ‘en souvenir du West-Vlaemsch’ comme l'a joliement dit le Chanoine Deswarte. Ne nous traitez pas de petites gens à petits clochers: s'il fallait choisir plus grande Eglise, nous choisirions la Cathédrale Française; prenez nous vous aussi comme nous sommes, Français et Flamands, conscients d'une parenté de culture avec la communauté néerlandaise, soucieux d'abord d'être nous-mêmes, intermédiaires bienveillants ensuite pour un marché commun des cultures où vous devez reconquérir votre place.