Toespraak van mr. M. Vegelin van Claerbergen, Nederlandse ambassadeur te Parijs
La venue de Conrad Busken Huet à Paris a toute l'apparence d'un retour aux sources. Après la révocation de l'Edit de Nantes en effet, un certain Gédéon Huet avait, comme bon nombre de Huguenots, obtenu du roi et de son ministre un sauf conduit pour aller s'établir aus Pays-Bas. Ces émigrés se sont unis au sein d'une église qu'ils appelèrent l'Eglise wallonne. Ils parlaient toujours le français et continuaient à s'intéresser à la France. C'est à La Haye que naît en 1826 un descendant de Gédéon, Conrad Busken (additif en mémoire d'une grand-mère) Huet. A l'instar de la plupart de ses aïeux il devient prédicateur de l'Eglise wallonne. Afin de parfaire encore sa connaissance de la langue française, il fait de nombreux voyages dans son lointain pays d'origine. Le premier date de 1848. Il y reviendra souvent. Depuis toujours les écrivains français avaient été ses auteurs préférés. Il allait enfin pouvoir les rencontrer en personne. Après qu'il eût tourné le dos à l'église et entrepris une carrière de journaliste et de critique, la littérature française est demeurée son principal centre d'intérêt: Vinet, Sainte-Beuve, Michelet, Musset, Voltaire, Murger, About. A Sainte-Beuve notamment, il consacre un essai élogieux. Le portrait de ce maître acquiert tout naturellement les traits d'un auto-portrait. Même lorsque ses activités professionelles le mènent jusqu'aux Indes néerlandaises, la parution d'oeuvres nouvelles ou le décès d'un écrivain français continuent de susciter ses commentaires.
Cependant, revenu définitivement à Paris en 1876, il se sent comme un pèlerin à la Mecque. Lire les journaux parisiens à Paris: rien n'égale ce plaisir-là! Il se sent redevenir étudiant! Sa préférence pour la France croît dans la même mesure et au même rythme que son pessimisme vis-à-vis de la Hollande. Toutefois la France et les Pays-Bas partagent ses griefs: un déclin de la courtoisie, un parler devenant plus grossier parce que influencé davantage par le peuple. Il pensait néanmoins que l'esprit français résisterait mieux que le néerlandais. C'est ainsi qu'il a espéré, en vain, l'introduction du français comme seconde langue aux Pays-Bas, pour faciliter sa réunion avec la Belgique. En un jour comme celui-ci, où nous mettons à l'honneur ce grand critique néerlandais, il n'est pas nécessaire pour autant d'ignorer que son esprit perspicace, ironique, rationnel n'était pas infaillible.
Il n'a jamais accepté Flaubert de grand coeur, il mentionne Zola mais ne l'adopte point, trop tôt il considère le naturalisme comme étant du passé, il n'a pas même vu Baudelaire. Malgré ces lacunes qui se sont révélées par la suite, c'est pourtant en sa qualité de médiateur de la littérature française que le lecteur néerlandais lui est hautement redevable.
Aux Pays-Bas son oeuvre est entré dans le domaine du bibliophile, une réédition complète est du domaine de l'utopie, sa lisibilité diminue à vue d'oeil. On dirait que