Nederlandse historische bronnen 3
(1983)–Anoniem Nederlandse historische bronnen– Auteursrechtelijk beschermd
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Anecdotes Historiques touchant le Stadhoudérat des Indes dans l'illustre maison d'Orange en 1748 et 1749La Compagnie des Indes, depuis longtems une des principales sources de l'opulence de la République, étoit devenue celle de la ruine de ses intéressés; ses actions méprisées des Hollandois-mêmes, étoient tombées à la moitié de leur valeur dix ans auparavant. La direction-générale de cette Compagnie étoit un sujet de plaisanterie pour les étrangers, jusques làGa naar voetnoot1 qu'on représentoit un Hollandois cherchant le CanalGa naar voetnoot2 avec une lanterneGa naar voetnoot3. On ne pouvoit comprendre comment ces républicains, d'ailleurs si habiles dans le commerce et la navigation, confioient leurs vaisseaux des Indes à des gens qui n'entendoient point la marine. Le calme et le beau tems ne pouvoient les garantir du naufrage. Ce n'étoient ni des Sylla, ni des Carybdes qui les engloutissoient, tout devenoit écueil où échouoient leurs naviresGa naar voetnoot4. La même négligence, le même désordre qui regnoient dans les équipemens se faisoient sentir dans tout le reste. Point d'économie dans les autres dépences, point d'ordre pour réprimer les vols immances des employez de la Compagnie, point de connoissance ni de dessein dans la direction du commerce, point d'égard au mérite des sujets à qui l'on donnoit les emplois. Tout étoit abandonné au hazard, au caprice, à la faveur et à la brigue. L'intérêt particulier ne s'embar- | |
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rassoit guère du bien public. La Compagnie étoit pour ainsi dire en propre à ceux qui vouloient la piller. Cela n'empêchoit pas qu'elle ne passât toujours pour être la mère nouricière de la République. Elle concervoit encore ce nom quoiqu'elle fut devenue la vraye marâtre des propriétaires des actions qui sont sans contredit ses enfans légitimes. On étoit étonné de voir la Compagnie d'Angleterre et celle de France donner un dividende au delà du double de celle d'Hollande qui avoit pourtant des avantages et des ressources que les autres n'ont point. Les épiceries et le caffé qu'elle possède à l'exclusion des Anglois lui rapportent des sommes immences et malgré tout cela ses dividendes ne montoient pas dans ces dernières années à beaucoup près à la moitié de ceux des Anglois. De 160 à 170 tonnes d'or qu'apportoient les retours annuels, à peine les intéressez en recevoient-ils douze, dont les deux tiers étoient absorbés par les charges. On concevoit difficillement ce paradoxe et les plaintes sur ce sujet étoient écoutées avec mépris ou avec indifférence. Les directeurs pour la plupart ignoroient parfaitement l'état des affaires et se réposoient sur leurs ministres déléguez et préposés qui, enveloppés de secrets imposans et d'augustes mystères, vouloient donner le change aux intéressés. C'est ce qu'ils ont tâché de faire dans leurs spécieuses et frivoles réponces en l'année 1741 aux considérations de L.H.P. touchant leur mauvaise direction. Cependant les causes de la décadence de la Compagnie étoient trop manifestes pour s'aveugler là-dessus; il survint quelque petit redressement mais la constitution intrinsique tant au dedans qu'au dehors étoit vicieuse, ce qui rendoit le redressement impossible. Illiacos intra muros peccatur et extra. La guerre, ce fléau du genre humain, a été par accident utile à la Compagnie en faisant monter considérablement le prix des marchandises des Indes par la cessation de la Compagnie de France et cette même guerre qui sembloit devoir écraser la République, causa par un effet de la Providence la plus heureuse révolution et procura à la Hollande le plus grand bonheur qu'elle pouvoit souhaitter. Elle luy rendit l'ancienne constitution de son gouvernement et l'unique par laquelle la République peut conserver son lustre et sa splendeur. Le stadhoudérat est le noeud de l'union, sans cette dignité la République est une espèce d'anarchie. Où trouver de la vigeur et de l'activité dans un corps dont les membres sont épars et séparés? Les délibérations ne passoient guèrre en résolutions et les résolutions ne s'exécutoient presque jamais à tems. Le stadhoudérat annime tout et fait que tout concourt utilement à une même fin. A ces avantages inséparables du stadhoudérat, il faut ajouter ceux dont la République jouit par le caractère de l'auguste prince qu'elle a à sa tête; ses vertus et ses moeurs qui font l'admiration et l'ornement de ce pais et de notre siècle, semblent par leur pureté devoir appartenir à des tems plus heureux. Jamais prince n'a moins fait sentir l'interval qui le sépare du reste des mortels. L'humanité, la tendresse, l'affabilité, l'amitié-même forment son caractère. Laborieux jusqu'à l'excès, il voudroit se mettre au fait de tout uniquement pour faire du bien. Les ennemis du stadhoudérat ne peuvent s'empêcher d'admirer le stadhouder, ils | |
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l'admireront encore davantage lorsqu'à la faveur de la paix à laquelle il a tant contribué, il parviendra à rétablir l'ordre dans les finances délabrées par le malheur des tems et des circonstances. Tout le monde sait l'application et les soins inconcevables que ce prince donne au bien de l'Etat. Le particulier le plus assidu, le plus laborieux et le plus infatigable, ne travaille pas plus pour les intérêts de sa famille que le prince d'Orange le fait pour le public. Il est souvant minuit avant qu'il sorte de son cabinet, qui est ouvert à tous ceux à qui il soupçonne quelque talent, quelques lumières ou quelque bonne volonté pour rétablir le crédit, les finances, les manufactures, la navigation, pour encourager les arts et les sciences, pour soulager les peuples. Il est à espérer que ses vertus, ses lumières, ses talens, sa sagesse et surtout sa perséverance, triompheront avec le tems des obstacles qui ont paru jusqu'à présant insurmontables. Quel bonheur pour la République si les finances qui sont vraiment l'âme de l'état, étoient si faciles à redresser que les affaires de la Compagnie des Indes! Quoiqu'il en soit, on conçut qu'il y avoit un vice dans la constitution de cette Compagnie dont le gouvernement trop compliqué causoit un désordre auquel on ne pouvoit remédier qu'en y établissant une espèce de stadhouderat; on n'a qu'à examiner le gouvernement de la Compagnie pour convenir que les mêmes motifs qui font qu'un stadhouder est nécessaire et utile à l'Etat, font aussi qu'un chef éminent, gouverneur-général est nécessaire et utile à la Compagnie des Indes. Ce vaste corps, dont les établissemens excèdent l'étendue de la République, est composé de cinq Chambres, dont les intérêts particuliers ne se combinent souvant avec l'intérêt général de la Compagnie, ce qui cause des divisions dangereuses et ruineuses, qu'on ne peut prévenir que par le moyen d'un chef éminent, qui de ces corps séparés n'en fasse qu'un seul corps. D'ailleurs il falloit une autorité plus décidée, plus sévère et plus étendue que n'étoit celle des directeurs, tant pour faire respecter des ordres qu'on donne de si loin, que pour prévenir les fraudes qui se commettent journellement dans la Compagnie des Indes, d'autant plus que la plupart des directeurs étant employez dans d'autres charges et n'ayant presqu'aucune connoissance du commerce, étoient obligés de se reposer sur des ministres subalternes qui ne songent qu'à leurs intérêts sans se soucier de ceux de la Compagnie. De là tant d'abus, tant de négligence, tant de fraudes, de faux prétextes envelopés sous des spécieuses apparences, hâtoient la ruine d'un corps vaste, qui devoit être le plus beau fleuron de la République. A ces raisons de convenance on ajoutoit que S.A.S. étant non seulement à la tête de la République en général et de chaque province en particulier, mais même de chaque ville et haut collège, la Compagnie devoit sérieusement solliciter d'avoir aussi cet honneur, en priant aussi le prince de vouloir bien accepter le gouvernement de la Compagnie, afin qu'elle pût jouir sous ses auspices des effets efficaces d'une aussi éclatante protection. Il paroît même que c'est une grande omission de n'avoir pas offert plus tôt aux stadhouders une dignité qui effectivement leur appertenoit. Quelque solides que fussent ces raisons, elles ne trouvèrent pas d'abord beau- | |
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coup de partisans. L'affaire étoit sans exemple; d'anciens préjugés, un respect déplacé et ridicule pour les directeurs qui ne pouvoient néanmoins s'offenser d'un tel projet, s'opposoient au progrès de ce système d'un autre côté. Il n'y avoit pas d'aparence que les directeurs sans être poussez par les intéressez introduisissent un nouveauté qui devoit diminuer en un certain sens leur autorité. D'ailleurs ils comptoient assez sur la pussillanimité et sur les préjugés des participans, accoutumés à tout endurer sans rien dire. Cependant, la mauvaise direction des premiers n'auroit pas tant rebuté ceux-ci, si l'amour qu'ils avoient pour le stadhouder ne leur eut persuadé qu'ils avoient tout à espérer sous une telle protection. Indépendement de ces motifs ils regardoient le gouvernement de la Compagnie comme une chose qui appartenoit à ce prince. On soutenoit qu'en qualité de stadhouder et président de tous les hauts collèges, le prince l'étoit de la Compagnie et que c'étoit pour ainsi dire une usurpation que de luy disputer cette dignité. Il étoit question d'établir légalement cette nouvelle autorité qu'on vouloit déférer au stadhouder, mais le pas étoit glissant, l'entreprise difficile et le succèz douteux. Parmi ceux qui souhaitoient de voir le prince à la tête de la Compagnie et qui ont donné le ton aux autres, il y avoit deux familles qui y étoient très intéressées, celle de SuassoGa naar voetnoot5 et celle de Pinto, dont l'une est pour la plus grande partie établie à la Haye, et l'autre à Amsterdam. Ils communiquèrent donc ce dessein à monsieur Van BorseleGa naar voetnoot6, premier noble de Zélande, avec qui ils eurent une longue conférence vers la fin de Décembre 1747. Ce seigneur, luimême directeur, étoit très disposé à seconder ce projet, mais il sentit aussi toutes les difficu[l]tés de faire goûter cette proposition à ses collègues et à ceux des autres Chambres. Ainsi cette conférence n'eut pas de suitte. Pinto, sachant que cela seroit pourtant fort agréable au prince, puisqu'on luy fourniroit de nauveaux moyens de se rendre utile à la patrie, étant de retour à Amsterdam, s'ouvrit à un des directeurs de ses amis, nommé BackerGa naar voetnoot7, qui goûta aussi l'idée, mais ayant sondé les avocats de la Compagnie pour tenter l'exécution, il trouva de grandes difficultés. D'ailleurs le secret étoit nécessaire pour prévenir les cabales et les intrigues du parti opposé. On en parla aussi à monsieur P. SixGa naar voetnoot8, bourgemaître de | |
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la ville, mais avec beaucoup plus de réserve qu'à monsieur Backer. Huit mois se passèrent sans rien avancer, monsieur Van Borsele et messieurs Suasso's de la Haye ayant déjà presque renoncé à l'affaire qu'ils regardoient comme impossible, le crédit de deux familles et de trois directeurs ne leur paroissant pas suffire à son exécution. Ceux d'Amsterdam ne perdirent pas courage. Les Pinto's négocièrent secrettement et firent entrer quelques intéressés dans leur vues, entretenant toujours la bonne volonté des deux directeurs qui étoient du secret. Ils leur firent entendre que, si l'affaire traînoit trop en longueur, les intéressés s'adresseroient à L.H.P.; que messieurs Suasso avoient un grand parti à la Haye et qu'ils seroient secondés en Zélande par monsieur Van Borsele qui en auroit tout l'honneur. Toutes ces insinuations ne produisirent rien; malgré leurs intentions favorables les deux directeurs n'osoient encore rompre la glace. Leur timidité devoit être encouragée par quelque chose qui les intimidât davantage. La révolution qui arriva vers la fin d'Août 1748Ga naar voetnoot9 n'aidoit pas peu à l'affaire. Tout le monde se souvient des troubles qui agitèrent la République depuis le mois de Juin de la même année, tant pour la réunion des postes au domaine de l'Etat que pour l'abolition des fermes et les changemens de magistrature. Comme la dignité de directeur de la Compagnie des Indes et celle de magistrat des villes avoient toujours été confondues sous une même idée, le vulgaire parloit de déposer les directeurs. Pinto, qui ne perdoit point de vue son projet, profita de ce préjugé et dans cette conjoncture alla trouver un des directeurs de ses amis pour le prier de conjurer l'orage qui le menaçoit en qualité de directeur et de magistrat en faisant d'abord la proposition de déclarer le prince gouverneur de la Compagnie, proposition à laquelle personne n'oseroit s'opposer. Monsieur Backer, monsieur P. Six, qui étoient ceux à qui il s'étoit confié, ne voulurent pas cependent l'hazarder sans savoir si cela agréeroit à Son Altesse, qui se trouvoit à Amsterdam pour appaiser les troubles qui agitoient cette ville. Pinto engagea monsieur Backer d'aller luy-même parler au prince qu'il avoit déjà prévenue. Ce directeur se rendit donc au Heerelogement et ayant eu audience de Son Altesse, il luy demenda au nom de monsieur Six s'il oseroit proposer à l'assemblée des Dix-sept qui se trouvoit convoquée, de prier S.A. d'accepter le gouvernement de la Compagnie. Le prince répondit très sagement qu'il seroit toujours disposé à protéger la Compagnie des Indes sans s'expliquer davantage. C'en fut assez, après tout ce qui s'étoit passé, pour déterminer monsieur Six et monsieur Backer à proposer l'affaire dès le lendemain en secret à l'assemblée des Dix-sept, où l'on ne pouvoit cependant rien décider, les députés des Chambres faute d'instructions n'étant pas qualifiés pour conclure. Mais on avoit beaucoup gagné en ce qu'on avoit rompu la glace et l'on ne pouvoit plus reculer de délibérer dans la suite sur cette proposition. Aussi le prince stadhouder fut très content de la présence d'esprit que Pinto avoit eue de profiter de ce moment décisif et Son Altesse lui en témoigna sa satisfaction de la façon du monde la plus obligeante. Elle luy fit même l'hon- | |
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neur de luy demender s'il y avoit quelques magistrats pour lesquels il s'intéressoit. Il nomma le bourgmêtre P. Six et monsieur Backer vis à vis desquels il s'étoit engagé pour l'affaire en question. Il ajouta monsieur Théodore de SmethGa naar voetnoot10. Il auroit intercédé pour d'autres qu'il savoit être des personnes respectables s'il avoit pu deviner combien on avoit surpris la religion du prince et de ses ministres dans les changemens qu'on a fait dans ce moment-là dans la magistrature. Cependent les difficultés n'étoient pas encore levées: après que l'assemblée des Dix-sept fut séparée, il fallut que la Chambre présidialeGa naar voetnoot11 d'Amsterdam prit la résolution de proposer de déclarer le prince gouverneur de la Compagnie afin que cette proposition put faire un point de délibération dans l'assemblée prochaine des Dix-sept. La difficulté étoit devenue plus grande parce que sur ses entrefaites la plus part des directeurs avoient récemment été déposés de la magistrature et appréhendoient, mal à propos, que la même chose ne leur arrivât dans la Compagnie. Ainsi lorsque monsieur Six proposa derechef dans la Chambre présidiale d'Amsterdam de faire un point de délibération dans l'assemblée, il luy fut répondu qu'on ne pouvoit donner d'avis là-dessus sans autres éclaircissemens afin de savoir les raisons et les motifs qui le portoient à proposer une pareille innovation. Cette réponse embarrassa ce magistrat qui résolut d'apeller Pinto à une conférence avec messieurs Backer et HartmanGa naar voetnoot12. Pinto, déjà instruit de ce qui s'étoit passé, exposa dans un mémoire les motifs qui devoient porter la Compagnie à offrir au prince cette dignité. Monsieur Hartman avoua pour lors que ce n'étoient point les raisons qui manquoient, mais qu'on ne pouvoit rien avancer dans cette affaire si l'on ne tranquilisoit préalablement ces messieurs touchant la continuation de leur charge. Qu'ainsi, s'il pouvoit obtenir une assurence morale qu'il n'arriveroit point de changement à cet égard, l'affaire passeroit sans difficulté et qu'autrement les directeurs risqueroient le tout pour le tout. Cette alternative ne déconcerta pas Pinto; il voyoit que l'affaire étoit allée trop loin pour en rester là. Il remontra que cette crainte étoit ridicule, que rien ne pouvoit la rendre réelle que l'obstination des directeurs; qu'il étoit beaucoup plus avantageux pour eux de faire la proposition de bonne grâce, que d'y être contraints par les intéressés; qu'au surplus, l'assurance morale qu'ils demandoient avoit en soi quelque chose de si extraordinaire, qu'elle présentoit une idée de connivence qu'ils ne pouvoient point exiger du prince et qu'il ne s'y porteroit jamais; que | |
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cela ne feroit qu'accroître les soupçons qu'on avoit déjà contr'eux. Monsieur Hartman, voyant que Pinto s'excusoit de cette commission, voulut engager monsieur Six à partir le lendemain pour la Haye afin de sonder Son Altesse sur ce sujet. Pinto s'étant apperçu de leur dessein et sachant que S.A. n'étant pas instruite de ce qui ce passoit, pouvoit par cette bonté qui luy étoit naturelle, se laisser surprendre et toucher par le spécieux de leurs raisons et lâcher quelque mot qu'on pourroit ensuite interpréter contre ses intentions, déclara d'abord avec franchise qu'il écriroit le soir-même pour informer la cour, ce qui ne plût point du tout monsieur Hartman, mais ne pouvant dissuader Pinto de ce dessein, il renonca à celuy qu'il avoit de partir pour la Haye avec monsieur Six. Ce dernier, voyant qu'on ne pouvoit exiger ouvertement une assurance que les directeurs seroient continués dans leur charge, fit prier très instamment Pinto de partir le lendemain pour la Haye afin d'insinuer le sujet de leurs craintes et de tâcher d'employer ses bons offices auprès de S.A.S. en leur faveur. Pinto ne put refuser cela au bourgmêtre, il partit ce jour-là et ayant exposé au prince stadhouder les sujets de crainte des directeurs, S.A.S. luy répondit que les motifs qui avoient causé le changement des magistrats n'avoient rien de commun avec la Compagnie des Indes et que c'étoit ne pas connoître ses sentimens que de le croire capable de confondre des choses aussi opposées; que ceux des directeurs qui n'avoient rien à se reprocher touchant la direction de la Compagnie n'avoient aussi rien à craindre et qu'au contraire, s'il y en avoit quelqu'un qui eut menqué essenciellement à son devoir, il y auroit de l'injustice à exiger de S.A. de le conserver; qu'au surplus, si l'on croyoit que S.A.S. put être utile à la Compagnie on devoit le prier de prendre le gouvernement sans capitulation et qu'on devoit savoir que c'étoit beaucoup si le prince, déjà obsédé par tant d'occupations vouloit s'embarrasser de tout ce détail. Quoiqu'il en soit, Pinto employa dans cette occasion les plus fortes raisons pour la justification des directeurs, fut leur avocat et plaida leur cause. Il déclara même en présence du prince qu'il ne soupçonnoit nullement leur probité mais que le peu de connoissance que la plupart avoient du commerce et le peu de tems que leur laissoient leurs autres emplois pour songer aux affaires de la Compagnie, causoient les abus qui s'y étoient introduit. Cependent il y avoit assez de quoi tranquiliser les directeurs, mais Pinto s'en servit fort peu, ne voulant en aucune façon compromettre la dignité du prince. Il avoit d'abord dessein de parler à ceux dont il croyoit avoir besoin pour gagner la pluralité des voix dans la Chambre d'Amsterdam, mais il sentit qu'en parlant à l'avocat Hartman, c'étoit assés. Il résolut donc de se borner d'abord au raport qu'il devoit faire à monsieur Six auprès de qui monsieur Hartman se trouvoit. Pinto fit son raport avec circonspection; il affecta un peu de mystère et demendant le secret à ces messieurs, il leur insinua que la cour ne vouloit point prendre directement connoissance de cette affaire; que par conséquent il avoit peu de chose à dire; que cependant il ne pouvoit s'empêcher de leur confier ce qu'il avoit appris sur ce sujet, d'autant plus que cela étoit entièrement conforme à ce | |
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qu'il leur avoit dit avant de partir. Quoiqu'il en soit, monsieur Six et monsieur Hartman remercièrent fort Pinto de la peine qu'il avoit prise et le lendemain la proposition passa à la Chambre d'Amsterdam pour en faire un point de délibération à la prochaine assemblée des Dix-sept. Ce qui ne contribua pas peu à accellérer cette proposition fut que Pinto, voyant ces difficultés de la part des directeurs, s'adressa à monsieur StraalmanGa naar voetnoot13, échevin regnant et conseiller, et luy communiquant l'affaire, luy demanda s'il ne voudroit point le seconder pour recourir à L.H.P. au cas que l'affaire ne passât point chez les directeurs. Monsieur Straalman étoit l'homme du monde le plus capable de pousser cette affaire; son esprit, sa vivacité, son zèle pour le sérénissime maison d'Orange et pour la bonne cause en étoient guarants. Il promit d'appuyer le parti de Pinto et d'y faire entrer, en cas de besoin, des personnes distinguées dans la magistrature et des principaux de la ville. C'est ce qui encouragea Pinto à faire avec adresse aux directeurs des insinuations politiques qui les déterminèrent à prendre le 5 octobre 1748 la résolution qu'on souhaitoit avec tant d'ardeur. Voici les termes de la proposition: ‘La Chambre présidiale propose entr'autres à l'assemblée des Dix-sept de délibérer et conclure s'il ne seroit pas à propos de prier S.A.S. le prince d'Orange etc. d'être gouverneur et directeur-général de la Compagnie des Indes avec le droit de présider en sa haute personne dans les Chambres respectives’. Cette proposition toute simple qu'elle étoit accrocha encore dans l'assemblée des Dix-sept, où les députés de Zélande dirent qu'ils n'étoient pas assez qualifiéz pour conclure sur ce point, mais cette chicane étoit fort mal imaginée, la Chambre présidiale s'étant expliquée dans les points de convocation en termes très précis. Cependent on accorda trois semeines aux Zélandois pour revenir munis de pleins pouvoirs sur cet article, ce qu'ils firent vi coacti et la proposition passa unanimement à l'assemblée des Dix-sept. Les directeurs sentirent toutefois que depuis l'élévation du stadhouder, leur despotismeGa naar voetnoot14 étoit passé; que par conséquent ils ne pouvoient conclure une pareille chose sans consulter formellement les participans qui sont les propriétaires de cette Compagnie. Ils les convoquèrent donc pour une assemblée générale fixée au 5 décembre 1748. Jusqu'à lors Pinto avoit pour ainsi dire conduit seul cette affaire, ayant ménagé et porté la négociation à un dénouement qui avoit d'abord paru impossible. Personne n'avoit cru que les directeurs qui étoient tous des anti-stadhoudériens, auroient été engagéz à faire la proposition sans y paroître contraints. Cependant ils venoient de le faire de très bonne grâce et on pouvoit à juste titre regarder cet événement comme un des plus importans et des plus extraordinaires qu'on trouve dans l'histoire | |
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du stadhoudérat. Mais dans le même tems Pinto reçut une lettre de son ami Suasso de la Haye par laquelle il vit avec surprise que l'affaire qu'ils croyoient finie, exigeoit de nouvelles négociations qui ne laissoient point de rencontrer de grandes difficultés. Suasso ayant conféré à la Haye avec les ministres qui n'ignoroient pas les intentions positives de S.A.S., n'eut pas de peine à concevoir que les termes de la proposition des directeurs étoient trop vagues et qu'on pourroit dans la suite chicaner l'autorité attachée à ce titre; qu'ainsi il faudroit en déterminer la signification en formant des articles pour fixer les qualités, les prééminences et l'autorité qui y seroient attachées. Il dressa seise articles, ou plustôt les ministres les luy minutèrentGa naar voetnoot15, et il les envoya à Pinto pour les proposer dans l'assemblée des participans, en dirigeant les choses de manière qu'ils furent arrêtés par la supériorité des suffrages. Ce projet déconcerta Pinto parce qu'il étoit impossible de l'exécuter. Il écrivit d'abord à Suasso que selon la constitution de la Compagnie, on ne pouvoit rien arrêter que ce qui étoit relatif aux points de délibération qui avoient été proposés par l'assemblée des Dix-sept; que les participans convoquéz ne pouvoient uniquement traiter de ce qui leur seroit proposé par les directeurs; qu'ainsi les seise articles ne pouvoient être proposés et encore moins arrêtés; que d'ailleurs le titre de gouverneur-général ou chef éminent les comprenoit tous; que dès que S.A. accepteroit le gouvernement de la Compagnie, on pourroit ensuite dans une assemblée des participans détailler plus amplement ces articles; qu'au surplus il feroit toutes les tentatives immaginables pour les faire goûter, mais qu'il appréhendoit que cela n'accrochât l'affaire et ne causât des délais qui ne finiroient point au lieu qu'après le premier pas de fait, tout le reste s'arrangeroit plus facilement. Cependant Pinto sonda là-dessus messieurs Six et Hartman; ce dernier lui fit comprendre 1o Que tout article diminueroit l'autorité du prince par le principe inclusio unius est exclusio alterius et que d'ailleurs il étoit absolument impossible de rien changer à la proposition faite; que la moindre tentative de ce côté causeroient des délais sans fin et qu'on risqueroit l'affaire principale, après laquelle tout le reste suivoit de soi-même. Ces raisons ne furent pas goûtées à la Haye, où Pinto se rendit luy-même et ayant démontré d'un côté l'impossibilité de faire passer les articles tandis que d'un autre côté on luy fit comprendre qu'on ne cherchoit qu'à donner au prince un titre illusoire qui ne pouvoit être utile à la Compagnie, l'on convint d'un moyen conciliatoire qui fut que les intéresséz convoqués pour la prochaine assemblée aviseroient qu'on devoit déterminer les prérogatives et l'autorité attachée à ce titre et que pour cette commission il | |
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faudroit nommer des députéz d'entre les participans qui conjointement avec les directeurs formeroient cette instruction sous l'approbation de L.H.P. Cette proposition étoit plus simple, aussi Pinto se flatta-t-il de la faire réussir et sans perdre du tems qui étoit très court, il fallut de l'adresse pour gagner les personnes qui comparurent à l'assemblée, où sans les mouvemens que Pinto, secondé de son père et de son frèreGa naar voetnoot16, se donna, il ne s'en seroit pas trouvé dix, ces convocations ayant toujours été regardées comme pour la forme seulement. Pinto employa le verd et le sec et ne garda plus aucun ménagement, après que dans une nouvelle tentative auprès de monsieur Hartman, il eut découvert l'intention artificieuse des directeurs. Il s'y compromit de façon à être la victime de la bonne cause en encourant l'indignation de gens puissans qui vouloient mal à propos traverser cette affaire. On étoit déjà au 4 décembre, veille de la convocation. Pinto déclara sans détour à monsieur Hartman que puisqu'il n'avoit pu disposer les directeurs à régler cette affaire d'une manière qui fut agréable à S.A. et utile à la Compagnie, les intéressez y supléeroient le lendemain et que s'étoit à luy à faire que tout se passât à l'amiable, que les intéressés ne demendoient pas mieux et ne souhaitoient rien plus ardemment que d'agir de concert avec les directeurs; que personne ne véneroit plus ces messieurs que luy; qu'il agissoit en bon citoyen et pour le bien public et qu'il ne faisoit jamais sa cour aux dépens de messieurs d'Amsterdam. En effet loin de vouloir chagriner les directeurs, Pinto tâchoit de leur rendre service en tout ce qui luy paroissoit juste et honnette, tellement que lorsque Mr. Suasso luy envoya les seise articles qui avoient été arrangéz avec les ministres, il écrivit au prince pour que S.A. en fit rectifier quelques uns. La permanance des directeurs ne fut pas le seul point, mais il insista aussi dans sa lettre pour qu'on leur laissât la disposition de quelques charges subalternes sous l'approbation de S.A. Il luy rémontra que c'étoit le plus grand agrément de leur charge et que, comme ils étoient presque tous magistrats, on ne devoit pas ternir le lustre de leur charge; qu'après tout, ce n'étoit pas au prince à se mêler de tout ce petit détail etc. Il finissoit sa lettre par ces mots: non decet exiguis rebus adesse Jovem. Quand on ose parler ainsi aux princes, on a grand idée de leur caractère et on développe le sien. Mais revenons au récit de ce qui ce passoit la veille de l'assemblée indiquée. Ce même jour le procureur PloosGa naar voetnoot17 arriva de la Haye muni d'une procuration de monsieur Lopes Suasso et de plusieurs autres intéressés de la Haye, conjointement avec un avis raisonné pour le remettre le lendemain lors de l'assemblée des participans. Pour arranger cette importante affaire on s'assembla le soir chez Pinto le père, où se trouvèrent entr'autres messieurs Straalman, Van JeverGa naar voetnoot18, Mar- | |
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celisGa naar voetnoot19, BruininkGa naar voetnoot20, Ploos et autres participans de la Compagnie et l'on délibéra sur la conduite qu'on devoit tenir le lendemain. Après bien des raisonnemens, on résolut que Mr. Straalman, échevin regnant et conseiller, ouvreroit l'avis en disant qu'on remercioit bien messieurs les directeurs d'avoir proposé une chose que les intéressés souhaitoient si ardement, mais qu'il trouvoit cette proposition universelle trop vague; qu'on ne pouvoit l'accepter sans qu'on en déterminât le sens; que pour cet effet son avis étoit qu'on nommât incessament des qualifiés d'entre les participans qui conjointement avec les directeurs, feroient l'offre de cette dignité à S.A. sous telles prééminences, autorité etc., qui lui seroient agréables et que les directeurs et les qualifiés des participans sous l'approbation de L.H.P. régleroient ensuitte; qu'après cela, Ploos produiroit l'avis de Suasso (par écrit) auquel tous les assistans se conformeroient et qu'on procéderoit d'abord à l'élexion des qualifiés. Quoique tout cela fut fort du goût de toute l'assemblée, la circonspection, la timidité, le respect pour les directeurs, le petit nombre des participans qui s'y trouvoient, les rendoient irrésolus. Il fallut toute l'activité de Pinto le fils pour fixer l'irrésolution, encore ne put-on en venir à bout ce soir-même, mais Pinto dit à son frère, à Straalman et à Ploos qui le secondèrent, de ne point insister davantage et que le lendemain eux trois, en parlant au nom de toute la Compagnie, ne menqueroient pas d'entraîner des suffrages, sans donner au parti contraire le tems de se reconnaître; que puisqu'il savoit leur intention on ne devoit que les aider à se mettre au dessus de la timidité. Parti heureux, digne d'être remarqué et qui a fort bien réussi. Pinto alla le matin trouver son monde, c'est à dire ceux qu'il n'étoit pas sûr qu'ils paroîtroient, pour les presser de venir et presque tous, au nombre de 50Ga naar voetnoot21, munis de plusieurs procurations, se rendirent à l'Hôtel des Indes à dix heures du matin, où Pinto et Ploos se donnèrent le mot de proposer, seconder et insister sur leur intentions; aussi ils eurent tous les suffrages. L'assemblée s'ouvrit et monsieur Six après un petit compliment, fit faire à Straalman la lecture de la pièce sub littera AGa naar voetnoot22. | |
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Lorsqu'il eut fini, monsieur Straalman prit la parole et, tant en son nom, qu'en celuy de plusieurs intéresséz, il proposa ce qu'on avoit résolu la veille chez Pinto, sur quoi enfin un des ‘Beedigde Hooft-Participans’Ga naar voetnoot23 lui répliqua que l'affaire ne regardoit pas les participans, ni les hooft-participans communs, qui n'avoient pas prêté serment, et que d'ailleurs sa proposition étoit différente de celle des directeurs sur laquelle on devoit délibérer. On luy répondit que c'étoit une affaire extraordinaire du ressort des participans en général, mais pour couper court, Ploos demenda permission de lire au nom de Suasso l'avis sub littera BGa naar voetnoot24. Aussitôt qu'il eut fini, Pinto prit la parole et sans donner aux autres le tems de se reconnoître, dit que c'étoit précisement l'avis de tous les participans, dont il avoit parlé au plus grand nombre, qui luy avoient promis leur appui. Ploos demenda donc par trois fois à haute voix si ce n'étoit pas l'avis de tous ceux qui y étoient présens, ou s'il y avoit quelqu'un qui fut d'avis contraire. Tout le monde répondit qu'on approuvoit entièrement cet avis. EmhinckGa naar voetnoot25 insista sur le droit des ‘beedigde hooft-participans’, qui seuls, disoit-il, avoient cette authorité. Alors Pinto luy rémontra avec force que les intéressés étoient, pour ainsi dire, les auteurs de cette proposition, qui étant un cas extraordinaire, n'étoit point compris dans l'octroi et par conséquent point des ‘beedigde hooft-participans’ seuls; qu'ainsi elle appartenoit aux participans en général comme propriétaires de la Compagnie qui ne s'accomodoient point d'une proposition aussi vague et que puisque c'étoit leur ouvrage, ils vouloient aussi avoir l'honneur de l'offrir à S.A. d'une façon qui luy fut agréable et qu'on étoit très persuadé que S.A. ne dédaigneroit point de la recevoir de la main des participans d'une façon plus simple et plus précise, qu'il étoit même à présumer que cela pourroit lui être agréable. Ces dernières paroles prononcées avec un ton ferme imposèrent à l'assemblée et fixèrent les intéressés, les avocats et les directeurs. Cependant l'avocat Hartman voulut attirer les premiers dans un piège en les priant avec douceur de signer qu'ils approuvoient la proposition générale et qu'ils pouvoient en particulier prendre les mésures qu'ils jugeroient à propos, mais on ne donna | |
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point dans le panneau et personne ne signa qu'avec la clause que Ploos avoit proposée au nom de monsieur Suasso. On proposa ensuite d'élire le même jour les qualifiés et monsieur Six répondit qu'on étoit maître de le faire et qu'on pouvoit disposer de la chambre, mais quelques intéressés dirent qu'ils étoient gênés par la présence des directeurs et qu'ils souhaittoient que cela se fit l'après-midi au Heere Logement, ce qui fut accordé et monsieur Straalman convoqua l'assemblée pour le cinq heures en présence des directeurs et l'assemblée se sépara en faisant mille politesses aux directeurs. Presque tous les intéressés s'y rendirent précisement à l'heure marquée où l'on prit la résolution sub Litt. CGa naar voetnoot26, par laquelle on nomma comme qualifiés et députés de tous les participans monsieur le comte de Moens, seigneur de RavensbergGa naar voetnoot27, monsieur Van der Giezen, seigneur de Schooter-VlielandGa naar voetnoot28, monsieur Marcelis, ancien conseiller et échevin, monsieur Straalman, échevin regnant et conseiller, monsieur Van Jever, conseiller, monsieur Suasso et Isaac de Pinto, pour régler conjointement avec les directeurs les titres, droits, prééminences etc. du gouvernement de la Comp. et d'en faire à S.A. l'offre solemnelle. Ce fut dans ces circonstances que Van der StrengGa naar voetnoot29 rendit de grands services, en engagant messieurs Van der Giesen et Marcelis à se mettre à la tête des participans avec les autres qualifiés. Ceux-cy étant élus, s'assemblèrent le lendemain pour prendre leurs mesures afin que tout se passât à l'amiable. Ils résolurent de s'adresser aux ‘beedigde hooft-participanten’ avant que de recourir aux directeurs. Ils les convoquèrent à une conférence où deux comparurent et le troisième, qui est celuy qui avoit été à l'Hôtel des Indes, s'excusa, en approuvant cependant tout ce qu'on avoit fait. Les deux autres déclarèrent aux qualifiéz que tout leur système, ainsi qu'un mémoire qu'ils vouloient présenter aux directeurs, étoit dans l'ordre et que c'étoit le meilleur moyen qu'on pouvoit employer pour le bien de la Compagnie; qu'ils ne le signeroient cependant point, parce que ce n'étoit pas à sa place, ayant du le faire à la Maison de Indes, dans l'assemblée des Dix-sept, où les ‘beedigde hooft-participans’ ont leur voix. Les qualifiés résolurent donc, pour comble de politesse et de civilité, de présenter aux directeurs de la Chambre d'Amsterdam le mémoire cy-joint sub litt. DGa naar voetnoot30. Pinto le donna à messieurs Six et Hartman qui luy avoient pour ainsi dire con- | |
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seillé de le faire et avoient même changé quelque chose dans le texte, moyennant quoi ils faisoient espérer que tout se termineroit à l'amiable. Quoiqu'il en soit, le lendemain lorsque Pinto vint demender la réponce au mémoire, Hartman, à son grand étonnement, luy dit que les directeurs de la Chambre d'Amsterdam, ni ceux des 17, ne vouloient rien répondre là-dessus et qu'ils jugeoient apparement être fondés à ne point reconnoître les qualifiéz. Pinto en fut d'autant plus frappé qu'il ne s'attendoit point à une conduitte aussi irrégulière et à un procédé aussi insultant de la part des directeurs. On avoit cru que la justice de la cause, l'objet de la commission, le caractère des qualifiéz, leur politesse envers les directeurs, auroient mérité un autre traittement. Pinto avoit encore assuré Hartman le jour auparavant que leur intention n'étoit nullement de chagriner les directeurs, mais de régler cette affaire de concert avec eux d'une manière qui fut utile à la Compagnie et agréable à S.A. Tous les qualifiés furent également étonnés, ils écrivirent d'abord à Suasso à la Haye pour donner connoissance à S.A.S., qui étoit sur son départ pour la Frise, et le lendemain, ayant appris qu'elle ne partoit que le lundy matin, Pinto et encore deux qualifiés se rendirent à la Haye le dimanche et conjointement avec Suasso demendèrent audience à S.A.S. qui Suasso avoit déjà informée dès le matin. Le prince receut les qualifiés avec une bonté singulière et leur témoigna combien la conduitte des directeurs lui paroissoit injuste, ajoutant que la bonne volonté que les qualifiés avoient témoignée pour sa personne devoit assurément engager S.A. à les protéger de son mieux, mais que comme elle étoit sur son départ, ils n'avoient qu'à s'adresser à L.H.P. et que S.A.S. recommanderoit l'affaire au conseiller pensionnaireGa naar voetnoot31. Le prince eut la bonté de communiquer aux qualifiés que le samedi L.H.P. avoient reçu une lettre des directeurs qui requéroient d'être autorisés à faire l'offre à S.A.S. dans les termes vagues qu'ils avoient proposé, sans faire la moindre mention de tout ce qui s'étoit passé. Cependant L.H.P. trouvèrent la même deffectuosité dans la proposition qu'y avoient trouvée les participans, de sorte qu'elles ne donnèrent le consentement qu'à condition que ce seroit avec les mêmes prérogatives et prééminences qui seroient agréables à S.A.S., ce qui devoit bien surprendre les directeurs. L'intention des qualifiés étoit par là suffisament remplie et satisfaite, mais dans les circonstances où étoit l'affaire, il alloit de leur honneur de n'avoir point le démenti dans leur qualification dans une commission aussi brillante et c'est ce que le sérenissime stadhouder comprit parfaitement bien. Les qualifiés revinrent à dix heures de la cour et firent dresser une requette qui devoit être présentée le lendemain à L.H.P. pour empêcher la résomption du fiat qu'elles avoient donnée le samedi sur celle des directeurs. Pinto fut d'avis de s'adresser à L.H.P. et de demender simplement d'être qualifié conjointement avec les di- | |
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recteurs à faire l'offre du gouvernement de la Compagnie à S.A.S. sous telles prééminences et qualitéz qui seroient agréables à S.A.S. et que les qualifiéz et les directeurs régleroient sous l'approbation de L.H.P. Le procureur Ploos et monsieur Straalman ne goûtèrent point cette méthode; ils voulurent former leurs plaintes contre les directeurs. Suasso et Pinto protestèrent beaucoup contre les termes de sub et obreptice qu'ils insérèrent dans la requette. Le tems pressoit, Pinto fut obligé de céder et l'on présenta la requette jointe sub litt. EGa naar voetnoot32. Les qualifiéz n'avoient pas perdu un moment et le lendemain ils coururent presque tous les membres de l'Etat pour les informer de l'affaire et tous unanimement condamnèrent hautement les directeurs. Monsieur HamersteinGa naar voetnoot33, président de l'assemblée de L.H.P. présenta le mémoire des qualifiés; la plupart des membres de l'Etat trouvèrent que leur demende étoit si juste qu'on devoit d'abord donner le fiat, avec ordre aux directeurs de se conformer à leur avis, mais quelques autres membres et particulièrement le conseiller pensionnaire monsieur Gilles remontrèrent qu'une affaire de cette importance ne pouvoit être décidée sans savoir auparavant des directeurs les raisons qui les avoient portés à une telle conduitte. On résolut donc provisionnellement de biffer le fiat du samedi au lieu d'en faire la résomption et L.H.P. écrivirent aux directeurs en leur envoyant le mémoire des qualifiés avec ordre d'y répondre sans perte de tems. Cependant, cet incident ne pouvoit que traîner l'affaire qui avoit pour ainsi dire changé de nature. Les intérêts du stadhouder étoient établis, le gouvernement des Indes ne pouvoit plus luy manquer et L.H.P. étoient résolues de fixer les articles au gré de la cour, mais les qualifiés des participans qui étoient les auteurs de ce nouveau et important apanage dont on ornoit le stadhouder, couroient risque d'avoir le démanti et d'être frustrés de finir la commission qui étoit leur ouvrage sans en faire solemnellement l'offre à S.A. et de briller dans le cortègeGa naar voetnoot34. C'étoit cependant le but des directeurs, qui ne pouvant plus changer le fond de l'affaire, vouloient par sa forme humilier les autres. Voilà ce qui enfanta le long berigt sub litt. FGa naar voetnoot35. | |
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Il est bon de remarquer que pendant que les directeurs faisoient tout au monde pour mortifier les qualifiés, Suasso et Pinto, à qui les ministresGa naar voetnoot36 faisoient l'honneur de les consulter sur les seise points, rendirent un grand service aux directeurs en suprimant un de ces articles qui tendoit à laisser au prince la liberté de changer les directeurs tous les trois ans, ce qui est conforme aux octrois primitifs. Voilà comment Suasso et Pinto se vangeoient des injustices des directeurs. Le dernier fit plusieurs écrits sans le secours des avocats pour refuter les chicanes des directeurs qui prétendoient invalider la qualité de députés des participans, mais L.H.P. pour couper court à cette guerre de plume, résolurent d'écrire la lettre cy-jointe litt. GGa naar voetnoot37 aux députés en reconnoissant leur qualité, le 15 janvier 1749 et en les convoquant à la Haye, où Pinto se rendit avec monsieur Van Jever. L.H.P. assignèrent les directeurs et les qualifiés des participans à une conférence dans une des chambres des assemblées de L.H.P. où on demenda d'abord si messieurs les directeurs avoient quelqu'amplification ultérieure au sujet du gouvernement de la Compagnie des Indes à offrir à S.A. Les directeurs répondirent qu'ils n'avoient rien à ajouter. Pareille question fut faite aux qualifiés qui répondirent qu'ils croyoient qu'on devoit ajouter 15 articles, qu'on soumettoit à l'examen de L.H.P. Quelque tems après, les directeurs et les qualifiés furent encore convoquéz ensemble dans la Chambre de Trêve où L.H.P. déclarèrent leurs intentions par leur résolution du 24 mars, dans laquelle les quinze articles ont été insérés verbatim tels que les qualifiés les avoient remis à L.H.P. Ainsi les qualifiés des participans exécutèrent cet ouvrage et le firent tourner au gré du prince et à l'avantage du public. Aussi furent-ils reconnus en leur qualité comme il apert par la susditte résolution ci-jointe sub litt. HGa naar voetnoot38. En même tems L.H.P. prièrent les directeurs et les qualifiés assemblés comme on l'a dit dans la Chambre de Trêve, de prendre jour pour faire l'opdragt. Ce fut alors que messieurs les directeurs demendèrent poliment à Pinto de choisir le jour, crainte qu'ils n'en prissent un qui ne luy convint pas à cause de la Pâque et on choisit le 17 avril. Monsieur Suasso eut le malheur dans ce tems de perdre madame sa mère la baronne douairière d'Overgne-le GrasGa naar voetnoot39, ce qui le priva de l'honneur de se trouver au cortège de l'opdragt en sa qualité. On peut voir l'ordre du cortège dans la gazette du 17 avril. | |
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En finissant, il ne sera pas hors de propos de rapporter icy une circonstance particulière qui sert à prouver la mauvaise humeur des directeurs. Les qualifiés des participans leur avoient témoigné qu'ils ne doutoient point qu'ils n'eussent soin de faire faire un boëte convenable pour insérer le diplôme. Point de réponce, ni d'éclaircissement là-dessus. Pinto, voyant l'indécence de présenter un diplôme à un grand prince, chef de la République, en main, fit ses rémonstrances au bourgmêtre Six, qui luy promit deux jours avant l'opdragt de le proposer de nouveau, mais sur le soir il luy écrivit un billet qu'ayant fait ses remonstrances à ces messieurs, ils ne vouloient point entendre parler de l'emplette en question. Le prince vit le billet le même soir. Alors Suasso et Pinto engagèrent leurs confrères à acheter une boëtte, la meilleur qu'on pourroit trouver, attendu qu'il étoit impossible d'en faire faire une, le tems étant si court. Pinto courut tous les curieux de la Haye pour voir si dans leurs cabinets il se trouvoit quelque cassette digne du prince. Il trouva enfin un coffret d'agathe orientale en or, qu'il achetta pour le compte des sept qualifiés et il alla le porter à l'Hôtel des Indes pour en faire présent en leur nom aux directeurs, afin d'y insérer le diplôme. Les directeurs le remercièrent très poliment et monsieur Hartman se mit en sa présence en devoir de plier le diplôme, pour le coffret, qui étoit petit, put le contenirGa naar voetnoot40. En sortant il le pria de remercier les autres messieurs au nom des directeurs. On relève toute ces circonstances pour faire sentir l'incongruité de cette conduitte, attendu qu'après la cérémonie du cortège et de l'opdragt solemnel où ils s'étoient apperçus des distinctions dont le prince honora les qualifiés, ils convoquèrent ceux-cy à l'Hôtel des Indes et les prièrent de dire ce qu'ils avoient payé pour le coffret d'agathe, ainsi que toutes les autres dépenses et vacations, afin de les rembourser sur le même pied que les directeurs, ce que Pinto refusa, tant en son nom, qu'en celuy de ses associés. |
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