Nederlandse historische bronnen 1
(1979)–Anoniem Nederlandse historische bronnen– Auteursrechtelijk beschermd
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Memoire
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mon sujet de rapporter icy. Elle créa les charges de conseillers pensionnaires dont les titres et les fonctions se sont conservés jusques à présent. Le titre et les fonctions de secrétaire des comptes de Hollande se sont aussy en quelque manière conservés mais avec une grande diminution d'authorité. Il y a un secrétaire des Estats de chacune des sept Provinces Unies sousordonné au conseiller pensionnaire; c'est ce secrétaire qui tient la plume dans les assemblées des Estats et dans celles de leurs Conseillers DéputésGa naar voetnoot2 et qui en signe toutes les résolutions particulières. Ces secrétaires ne laissent pas d'avoir bien du crédit quand ils sont distingués par leur mérite et par leur sçavoir-faire. Le conseiller pensionnaire de Hollande, appellé communément le grand pensionnaire, est le premier ministre de la province. Je dis le premier parce qu'il y a des conseillers pensionnaires dans toutes les villes de la province ayants voix et séance dans les Estats; ils font les fonctions de ministres dans toutes ces villes parce qu'elles sont toutes souveraines. Amsterdam, la plus considérable de toutes, en a deux. Le secrétaire des Estats a aussy quelque part au ministère, non dans l'assemblée des Estats mêmes, mais dan[s] celles de leurs Conseillers Députés. Le conseiller pensionnaire de Hollande est à proprement parler, le ministre particulier du Collège des Nobles de la province qui sont le premier corps de l'Estat. Quand ce Collège s'assemble, le conseiller pensionnaire propose et receuille les voix. C'est par cette raison que les Nobles ont tousjours prétendu avoir la nomination exclusive du conseiller pensionnaire de la province, mais on a terminé ce démêlé dans ces derniers terns par une espèce de composition, en vertu de laquelle ie Collège des Nobles est reduit au simple droit de la proposition des subjects. Dès qu'il est élu, les Nobles le présentent aux Estats et après avoir prêté le serment accoutumé, il prend la place à la table des Nobles qui est au milieu du parquet, ayant à sa droite le premier noble et à sa gauche le second dans l'ordre de leur réception. Il a devant luy une sonnette pour faire entrer les huissiers quand il luy plaît et un marteau dont il frappe sur la dite table quand les résolutions des Estats ont passé. Quand l'assemblée des Estats ets formée, le conseiller pensionnaire, placé comme je viens de le dire, fait ses propositions s'il en a de verbales à faire; si elles sont par écrit, le secrétaire des Estats chapeau-bas et debout derrière le conseiller pensionnaire, en fait la lecture. Dès que les unes et les autres sont faites, le conseiller pen- | |
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sionnaire s'adresse au premier noble qui est à sa droite et luy demande son sentiment; celuy-cy par une déférence qui est d'usage mais non de droit, luy rend la parole en sorte que le conseiller pensionnaire parle le premier, après luy toute la table des Nobles, il recueuille les voix et conclut. Si la résolution roule sur une affaire d' estat et qui par conséquent regarde le public, le secrétaire d'Estat après l'avoir fait mettre au net, la luy envoye, le conseiller pensionnaire la signe et le secrétaire des Estats la contresigne. Le conseiller pensionnaire sépare et congédie directement de sa seule authorité ses propres maîtres, mais il ne les assemble pas de même; voicy comment cela se fait. Il délibère avec le collège des Conseillers Députés des Estats qui s'assemble tous les jours et expédie souverainement le courant d'une assemblée des Estats à l'autre, le ministre confère avec les députés sur les occasions, les motifs et les besoins de la convocation des Estats, il fait la proposition du tout et estant convenu avec eux, on imprime le résultat de leur délibération qui contient les articles sur lesquels la prochaine assemblée des Estats doit déciderGa naar voetnoot3. A l'esgard des articles secrets le conseiller pensionnaire les garde manuscrits par-devers luy pour les proposer aux Estats avec tous les autres qu'il trouve convenir, même sans en faire aucune part aux Conseillers Députés. Après que les Estats ont déliberé sur toutes les propositions qui ont été devant eux et qu'ils ont décidé là-dessus, le conseiller pensionnaire leur dit qu'ils sont séparés et ils se séparent en effect. On sent bien que c'est là une des principales tranches du pouvoir de ce ministre, qui les sépare de même quand il remarque qu'il se met une chaleur dangereuse dans les contestations des membres de l'assemblée. Comme le conseiller pensionnaire a la proposition et le rapport de toutes les affaires, il est clair que son ministère n'est pas borné à celles qu'on appelle affaires d'estat; soit par excellence, soit par opposition à d'autres, il s'etend à toutes les parties du gouvernement, aux finances, à la Chambre des Comptes, à la marine, à la guerre, à la justice et à la police, mais comme sa charge l'occupe beaucoup il ne se mêle que très peu et que par nécessité des affaires de guerre et de justice. Il laisse beaucoup d'authorité aux commissaires que les Estats délèguent aux affaires militaires, dans lesquelles cependant ils ne concluent rien que de sa connoissance et de son approbation. Pour la justice c'est de tous les corps de l'Estat celuy que le conseiller pensionnaire considère et ménage le plus et c'est aussy celuy qui | |
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après le corps de la souveraineté est le plus indépendant et le plus honoré dans le pays. Le conseiller pensionnaire de Hollande est député perpétuel de cette province aux Estats Généraux; ceux qui y sont de la part des villes n'y sont que pour trois ans mais le député du corps de la Noblesse de même que le conseiller pensionnaire y sont à vie. L'on comprend facilement que cette députation perpétuelle du conseiller pensionnaire luy donne beaucoup de relief et de crédit, quoyque dans la députation de la Hollande il soit le dernier en rang et ne préside jamais aux Estats Généraux, mais le ministre de la plus puissante des provinces de l'Union ne peut naturellement assister tous les jours à l'assemblée de Leur Hautes Puissances qu'avec de grands advantages. Ce ministre a encore une autre privilège relatif aux affaires qui doivent se traiter dans les Estats Généraux, c'est qu'il est membre perpétuel de ce qu'on appelle la correspondance secrette. C'est un composé de plusieurs députés des Estats Généraux choisis d'entre les plus capables de l'assemblée de L.H.P. pour examiner et digérer les affaires les plus importantes qui doivent estre portées à la délibération des Estats Généraux. C'est à proprement parler le conseiller pensionnaire qui y dirige tout. Le conseiller pensionnaire est d'ordinaire stadhouder des fiefs de la province; cependant ce stadhouderat n'est pas nécessairement attaché à cette charge, les Estats peuvent le donner à qui il leur plaît. Il en est de même du grand sceau de la province, dont la pluspart des conseillers pensionnaires ont été revêtus; comme les appointements de cette charge sont fort modiques, les Estats leur ont souvent donné le grand sceau pour les mettre un peu plus à leur aise. On jugera que ce secours ne pouvoit leur estre indifférent puisqu'ils n'avoient que mille florins par mois comme conseiller pensionnaire et que ce n'a même été que soubs le roy Guilleaume qu' ils ont été portés à vingt mille florins par anGa naar voetnoot4 et c'est à quoy toute leur fortune est bornée, car l'on ne sçauroit regarder comme un bénéfice pour eux les cent mille florins par an dont les Estats leur donnent la disposition surtout pendant la guerre pour des services secrets; ils en rendent à leur maîtres un compte non seulement exact, mais encore scrupuleux. | |
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Naar een gravure van J.C. Philips in De Riemer, Beschryving van 's-Graven-hage I bij p. 148
Overzicht van een vergadering van de Staten van Holland | |
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Le conseiller pensionnaire n'est subject à aucune sorte de cérémonial, surtout depuis la résolution prise par les Estats pendant la dernière guerre pour l'en dispenser totalement, ainsy non seulement il ne rend aucune visite aux ambassadeurs, aux grands et aux princes estrangersGa naar voetnoot5 qui vont le voir, mais il n'en rend pas même aux rois. Le czar et le roy de Prusse luy on fait cet honneurGa naar voetnoot6, il n'est point retourné chez eux et ils ne l'ont point trouvé mauvais parce qu'ils sçavoient le règlement. Du reste, quand des princes de ce rang-là ne gardent point l'incognito à la Haye et qu'ils notifient leur arrivé aux Estats de Hollande et aux Estats Généraux, le conseiller pensionnaire ne manque pas de se trouver à la double députation qui leur est envoyée pour les complimenter. La charge de conseiller pensionnaire de Hollande n'est pas à vie par elle-même; celuy qui en est revêtu est obligé de demander sa démission aux Estats au bout de cinq ans. En effect il la demande à la fin de chacun de ces termes, mais communément il est confirmé et même prié de la part de ses maftres de continuer. Cependant on trouve dans les tems un peu reculés des exemples de dimission accordée aux conseillers pensionnaires au bout des cinq ansGa naar voetnoot7. Si le conseiller pensionnaire se trouve malade vers le tems de l'assemblée des Estats, on en prolonge la convocation à moins qu'il n'y ait des affaires très pressantes sur le tapis et quand les Estats siègent dans ces circonstances, ils envoyent consulter le conseiller pensionnaire sur tout ce qui est proposé. Alors c'est ordinairement le conseiller pensionnaire de la ville de Dordrecht, qui comme ministre de la première ville de la province, fait ses fonctions. Cependant la Noblesse prétend que dans ce cas-là comme dans celuy de la vacance du premier ministre de la province, c'est à elle de remplir les fonctions, comme cela s'est en effect pratiqué pendant la maladie et après la mort de M.r HoornbeckGa naar voetnoot8. L'on convient même qu'au titre de l'in- | |
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stitution le premier noble est en droit de prendre la place du conseiller pensionnaire dans ces occasions et d'exercer avec la même authorité dans l'assemblée des Estats. Voilà les principales attributions de la charge de conseiller pensionnaire de Hollande. Il est tems de parler du caractère personnel de celuy qui fait le subject du présent mémoire et comme je veux m'éloigner également de la satyre et du panégyrique, je n'y suivray d'autre loy que l'exacte vérité.
2do Monsieur Heinsius ne brilloit point par ce que nous appellons esprit. Il n'y avoit rien dans ses entretiens familiers, dans ses conférences avec les ministres, dans ses discours aux Estats ny dans ses lettres qui eut cette vivacité, cette légèreté, cette finesse qu'on demande et qu'on trouve dans un homme d'esprit. Il s'embarassoit même assés peu de l'arrangement de ses paroles, il se contentoit d' exprimer nettement sa pensée, c'est à quoy il se bornoit par rapport au bien dire. La langue du pays dans laquelle il étoit obligé de parler le plus souvent n'est pas susceptible de tous les ornaments de la langue françoise et il ne possédoit pas à fonds l'élégance et les tours de cette dernière. Ces deux choses pouvoient l'excuser sur le manque de cette partie de l'éloquence qui consiste à s'exprimer en termes nobles et délicats. Mais M.r Heinsius estoit bien dédommagé par l'étendue du bon sens et par la sûreté du jugement de ce qui pouvoit luy manquer du côté de la rhétorique. Il est peu d'hommes qui puissent mieux penser qu'il pensoit; tout ce qu'il disoit et qu'il écrivoit étoit marqué au coin de la sage raison et de la grande réflexion. On ne luy entendoit jamais advancer des choses ou foibles ou puériles, pas même quand il estoit forcé de soutenir une cause ou problématique ou mauvaise. Il aimoit mieux ne rien dire du tout que de dire quelque chose où le bon sens de dominât pas, aussy trouvoit il dans la longue habitude du silence de vastes resources dans ces embarras comme je le diray dans la suite. C'est dans ce sens exquis et dans ce solide jugement qu'il trouvoit tous les ressorts de sagesse, de prudence, de bonne conduite et de modération qu'on admiroit dans ce qu'il manioit et proposoit. Habile à lier les événements et à bien connoître l'enchaînement naturel des causes avec leurs effects, il lisoit pour ainsy dire dans l'avenir et certainement il avoit sur cela un talent tout à fait extraordinaire; | |
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c'est du moins ce sur quoy je l'ay tousjours trouvé supérieur jusques à en estre étonnant. Comme il pensoit beaucoup il ne se déterminoit que lentement; ses longueurs ont souvent impatienté ceux qui ont à faire à luy. Le tempérament extrêmement froid dont il estoit, joint à ses réflexions muitipliées, le tenoit assés longtems suspendu, mais s'expliquant enfin, on le voyoit prendre un party sensé dont il n'estoit point embarassé de dire les motifs. Il attendoit beaucoup du tems, il ne faisoit point difficulté de me le dire quelquesfois, pénétré de cette remarque de Tacite dont il s'estoit fait une maxime dans les affaires épineuses: cunctando restituet remGa naar voetnoot9. Cependant il est vray que la longueur de ses délibérations ne luy a pas tousjours réussi; non seulement on luy en fit souvent des reproches, mais de plus il en a veu et senti luy-même les dangereuses conséquences dans les circonstances qui précédèrent la paix d'Utrecht et dans la paix-même, événement qui luy fit perdre dans la République une très grande partie de son crédit et qui fut suivi d'une décadence qui, influant sur son corps et sur son esprit, le conduisit au tombeau. Tous ceux qui l'ont practiqué et veu de près sçavent que depuis la paix d'Utrecht il n'estoit presque plus le même. Mais pourquoy, me dira-t-on, ce ministre qui perçoit d'ordinaire les obscurités de l'avenir comme je l'ay dit cy-dessus, put-il se tromper sur une chose aussy interressante que celle de la paix? Cette question se résout par une autre question, pourquoy les hommes sontils subjects si non précisement aux passions, du moins aux préjugés? M.r Heinsius tousjours extrêmement fidèle au party auquel il s'estoit lié, ne pouvoit se séparer du ministère Anglois dont il s'estoit si bien trouvé. D'un autre côté il ne pouvoit se persuader que le nouveau ministère put se soutenir. Il en disoit des raisons d'estat auxquelles il sembloit qu'il n'y avoit rien à répliquer et enfin il se flattoit que quoyqu'il arrivât, ce nouveau ministère seroit obligé pour sa propre sûreté de ménager précieusement la République. Cela ne manquoit pas de vraysemblance, cependant la chose tourna tout autrement; ce ministère traitta moins la République en alliée, qu'en puissance dépendante et en effect son sort se trouva en quel- | |
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que manière dans les mains des Anglois. M.r Heinsius remua dès lors tous les ressorts imaginables pour s'affranchir de leur joug, mais les difficultés de soutenir la guerre luy ayant paru insurmontables, il fut contraint de plier, se rabbattant sur la barrière pour consoler en quelque manière la République des frais immenses d'une guerre dont à proprement parler elle ne tiroit aucun advantage réel. Enfin M.r Heinsius se trompa très fort dans cette importante occasion et son obstination luy coûta fort cher comme je l'ay remarqué, mais il faut advouer que jusques là l'on n'avoit rien veu de ce ministre qui ne fût d'une excellente tëte et d'un grand homme d'état. M.r Heinsius avoit un talent merveilleux pour la conciliation des esprits et ce talent d'un prix inestimable surtout dans les républiques, luy attiroit une considération et une confiance infinie. Comme il en avoit éprouvé mille fois l'utilité, il le cultivoit avec un soin extrême, porté à cela par son naturel doux et pacifique et par la connoissance qu'il avoit de la nécessité et de l'importance d'entretenir l'union et la bonne harmonie dans l'Estat sans penser jamais à se prévaloir pour ses advantages particuliers des divisions qui ne pouvoient se terminer que par son ministère. La probité de M.r Heinsius étoit parfaite à toutes sortes d'égards; personne n'a jamais pu se plaindre d'aucun manque de parole de sa part, d'aucun mauvais office, ny même de la moindre indiscrétion et il estoit ennemi déclaré de la dissimulation, de l'artifice et de la duplicité. Il rendoit de fréquents services à plusieurs membres de la République et c'estoit tousjours sans ostentation. Il arrivoit même quelquefois qu'ils estoient rendus plusieurs jours avant d'estre demandés, c'est ce dont je sçay divers exemples. L'humanité et la modestie de ce ministre ne scauroit estre exprimé; les plus petits luy parloient avec autant de facilité que les plus grands et [il] les traittoit tousjours avec une extrême douceur, quoyqu'ils abusassent presque sans fin de la liberté qu'ils avoient de le voir et de le faire souvenir tous les jours de leurs affaires sur lesquelles il leur avoit dit tant de fois qu'elles n'estoient pas faisables. Il pensoit humblement de soy-même et cela alloit souvent jusqu'à la deffiance de ses lumières. Il avoit pour ses maîtres une déférence et un respect qui ne pouvoit aller plus loin. Il pouvoit tout prendre sur luy et il leur faisoit honneur de tout. Au lieu d'abuser de son authorité il ne la portoit même que rarement au degré de ses usages les plus légitimes; on ne le vit seulement jamais tenté d'en faire sentir le poids à ceux qui le traversoient, de sorte que la vengeance si flatteuse pour un si grand nombre d'hommes est un plaisir qu'il ne connut peut-estre jamais | |
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qu'en idé. Enfin si humble et si modeste en tout ce qui le regardoit, il avoit toute la fermeté et toute la roideur possible dans tout ce qui interressoit la réputation et la grandeur de la République; c'estoit pour luy un point fixe auquel il rapportoit toutes ses veues et toutes ses opérations. Ce ministre estoit extrêmement laborieux, à quoy il estoit porté par son inclination et secondé par la nécessité des affaires; d'ailleurs il n'estoit partagé ny par les plaisirs, ny par la table. Ses plaisirs se bornoient à une courte promenade dans son jardin et sa table extrêmement frugale ne voyoit jamais de convives; il ne mangeoit jamais chés personne et personne ne mangeoit jamais chez luy. Cependant laborieux comme je viens de le représenter, il n'expédioit pas autant d'affaires qu'un autre moins appliqué en pourroit faire; il rêvoit longtems à son travail parce que la vivacité qui est l'heureux véhicule des affaires luy manquoit, mais ce qu'il faisoit estoit très bon et très solide. Il estoit très profond dans toutes les parties du droit; il sçavoit en particulier mieux que personne les placaets, c'est à dire les ordonnances et les loix du pays, estant né avec une prodigieuse mémoire. Le droit public luy estoit extrêmement familier et il ne manquoit presque rien au systhème qu'il s'estoit fait des intérêts des puissances de l'Europe. Je voudrois pouvoir, sans manquer à la fidélité de son portrait, achever icy mon tableau ou couvrir une tache qui l'enlaidit; c'estoit l'oeconomie outrée ou pour parler plus franchement encore l'avarice dont estoit ce ministre. Elle frappoit tout le monde et j'en sçay en particulier des traicts presque incroyables. Ce vice luy a souvent fait ignorer bien des choses essentielles et luy a fait manquer des coups importants pour la République, mais comme il récompensoit très maigrement les advis et les mémoires, on luy en donnoit pour son argent et par conséquent il estoit très imparfaitement servi. Il faut rapporter à son avarice presque tous les mécontentements, les inimitiés et les mauvais offices dont il a eu tant de fois lieu de se plaindre et de se répentir parce qu'on le chargeoit de toutes les chichetés que l'Estat marquoit dans ses récompenses. Cela répandit sur son ministère un air et une réputation de dureté qui dura autant que sa vie. Il le sçavoit mais il luy estoit impossible de se vaincre là-dessus. L'esprit d'avarice qui régloit ses dépenses personnelles passa dans celles qu'il faisoit ou proposoit pour la République; ce qu'il regarda peut-être comme vice par rapport à luy, il le regarda peut-être comme une vertu par rapport à l'Estat et je crois que c'est tout ce qu'on peut imaginer de mieux pour le déchar- | |
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ger en partie de cette faute, sans laquelle il auroit été infiniment honoré et presque adoré dans le pays. Il faut adjouter pour sa décharge que très certainement il n'a jamais converti à ses usages et à ses intérêts personnels un denier des fonds de l'Estat. Par exemple il estoit le maître absolu et sans compte rendre de cent mille florins par an pour ses correspondances, mais à la fin de chaque année il produisoit l'état de ces sortes de dépenses avec une exactitude scrupuleuse et il faisoit voir en détails que souvent il n'y avoit pas employé la cinquième partie de ce petit fonds. Sur cela l'Estat le pressa tousjour de garder le reste pour luy, mais il le refusa constamment.
3tio Je passe à la discussion de la méthode dont M.r Heinsius se servoit pour le gouvernement des affaires du dedans. Dans l'entredeux des assemblées de ses maîtres il régloit tout dans le collège des Conseillers Députés de la province, qui comme je l'ay dit exercent la souveraine puissance tant que les Estats ne sont point assemblées. Il se servoit pour cela du crédit du premier noble qui dans cette qualité est toujours président de ce collègeGa naar voetnoot10. Tout conseiller pensionnaire est [et] sera tousjours obligé d'estre estroitement lié avec ce président, qui a une influence prodigieuse sur toutes les délibérations du collège; il faut qu'un conseiller pensionnaire gouverne le président et par luy tout le collège. C'est à quoy M.r Heinsius a tousjours apporté une singulière attention, aussy fut-il tousjours le maître de ce collège et c'est encore ce qui contribua beaucoup à la grande authorité qu'il eut dans les Estats, parce qu'il y portoit les délibérés et les préadvis des Conseillers Députés, avec lesquels il avoit luy-même préparé et digéré toutes les matières. Dans le cas un peu embarrassants M.r Heinsius mandoit ou tous, ou quelques-uns des conseillers pensionnaires des villes pour conférer et travailler avec luy; cela fait, les dits pensionnaires s'en retournoient et rendoient compte à leur maîtres de la situation des affaires et des sentiments du grand pensionnaire là-dessus, afin qu'ils vinssent aux Estats préparés et instruits. Sa grande maxime, qu'il m'a répétée bien des fois dans l'occasion, estoit qu'un conseiller pensionnaire de Hollande ne doit jamais faire à ses maîtres aucune proposition de conséquence sans estre assuré du succès parce, disoitil, que le fort de cette charge consiste plus dans l'idé qu'on a du | |
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crédit du ministre, que dans l'authorité intrinsèque de l'employ. C'est en partie pour cela qu'il gardoit longtems par-devers luy les affaires importantes sur lesquelles il ne luy étoit pas tousjours si facile d'amener les opinions des autres à la sienne. Pour s'en mieux assurer il ne se contentoit pas de négocier avec les pensionnaires des villes; parce qu'il ne pouvoit pas faire assés de fonds sur le crédit et sur l'affection de quelques-uns d'entre eux, il concertoit avec les députés mêmes, dont il n'y en avoit presque aucun qui n'eut besoin de luy à quelque esgard, en sorte qu'il sçavoit tousjours le résultat de ses ouvertures avant de les avoir fait à l'assemblée des Estats. Après cela il est aisé de comprendre que gouvernant le collège des Conseillers Députés par le premier noble leur président, comme je vient de le dire, et les Estats mêmes par les magistrats des villes députés à leurs assemblées, il falloit nécessairement que son authorité fut extrêmement étendue. J'adjouteray qu'un des moyens qui servoit le plus à affermir son crédit dans l' Etat estoit l'attention infinie qu'il apportoit à la conservation des privilèges des villes, c'est un article sur lequel on ne le vit jamais ny varier, ny mollir et, pour tout dire en un mot, il s'en montroit aussy jaloux que les villes mêmes. Enfin ce qu'il faisoit dans l'occasion à l'esgard des villes entre elles, il le faisoit à l'esgard de toute la province. Il se trouve dans ce pays-là des concurrences tousjours délicates et dangereuses entre la province d'Hollande et les six autres; dans ces cas-là M.r Heinsius soutenoit avec une fermeté et une vigueur extraordinaire les droits de ses maîtres, beaucoup plus habile et en même tems beaucoup plus heureux en cela que le fameux M.r De Witt. Ce grand homme vouloit l'emporter à la pointe de l' épée comme on parle, mais s'étant trop découvert sur le dessein qu'il avoit d'assujettir les résolutions des six autres provinces à celles de Hollande, il ne leur fut pas difficile de le faire échouer, mais M.r Heinsius qui d'une côté n'avoit pas sur cela de si grandes veues et qui de l'autre étoit d'une circonspection et d'une réserve profonde dans toutes ses veues, ne se laissoit jamais pénétrer. C'est à la faveur de ses dispositions tousjours secrettes qu'il porte sans aucune sorte d'ostentation l'influence de la province de Hollande sur toutes les autres de l'Union aussy loin qu'il se puisse, sans cependant donner d'atteinte directe à leur souverainité. Il arrive souvent dans un gouvernement comme celuy de la province de Hollande, composé de dix-huit villes souveraines avec séance et voix aux Estats, il arrive dis-je, souvent que quelqu'un de ces villes affectionne de certaines choses ou tout à fait indifférentes ou peu importantes au corps de la province; M.r Heinsius sçavoit ha- | |
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bilement leur en laisser solliciter pendant quelque tems la concession et comme elles connoissoient très bien qu'elles ne pouvoient réussir que par luy, elles tenoient tout le compte possible du succès de leurs demandes. Il arrive aussy communément dans ce pays-là que la pluspart des affaires qui demandent une longue délibération et exigent non seulement le consentement des députés insuffisamment authorisés pour les cas subits ou extraordinaires, mais encore celuy du conseil souverain des villes, la pluspart de ces affaires se prennent ad referendum. M.r Heinsius donnoit à ses maîtres tout le tems qu'ils vouloient pour revenir aux Estats instruits et authorisés et cela uniquement pour leur laisser tous les dehors de la souveraine authorité, sa maxime là-dessus estant que ceux à qui il appartient de décider, doivent aussy estre les maîtres du tems de la décision; dans le fonds, sans paroître ny empressé, ny actif, il faisoit tout. Soigneux aux dernier point d'entretenir la concorde et la paix, jamais il ne suscita ny ne fomenta les cabales, mais il sçavoit qu' elles étoint inévitables dans un gouvernement comme celuy-là et il en profitoit presque tousjours en faveur du plein public. C'est selon moy dans l'usage de ces cabales qu'a brillé la plus grande finesse de sa politique. Nous en avons veu une entre autres formée de sept petites villes de la Nord-Hollande, qui en ayant gagné trois de la Sud-Hollande, avoit par là la supériorité des suffrages dans l'assemblée des Etats. Il la laissa subsister longtems, faisant cependant tousjours semblant de vouloir la détruire, il alla même quelques fois jusques à s'élever publiquement contre elle et à en représenter les conséquences, mais il étoit bien résolu de la soutenir jusques à ce que la ville d'Amsterdam, qui par le besoin qu'on avoit de sa bourse et de son crédit pendant la guerre avoit pris un ascendant excessif dans les Estats de Hollande, fut assés humiliée pour se contenter de sa voix dans les dits Estats, sans prétendre entraîner, comme elle l'avoit fait pendant quelques séances, la pluspart de celles des autres villes. Amsterdam ayant enfin senti ce qu'on appelloit alors la correspondance des petites villes et qui n'étoit autre chose que la cabale dont je viens de parler, non seulement mettoit une barrière invincible à la poursuite de ses desseins, mais qu'elle l'empêcheroit même de recouvrer son authorité ordinaire et légitimes, puisque toutes les résolutions estant réglées avant que les propositions fussent portées à l'assemblée des Estats, en sorte que le suffrage de cette ville ne décidoit plus rien. M.r Heinsius sans lequel cette correspondence, toute puissante qu'elle estoit, n'entreprenoit rien de considérable, voyant la ville d'Amsterdam revenue à son premier état, rompit cet- | |
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te cabale dans le fort de son crédit et il employa à la dissoudre autant de sçavoir-faire et de secret qu'il en avoit mis à la soutenir et à profiter pour le plus grand bien de l'Etat d'une liaison que le public jugeoit infiniment dangereuseGa naar voetnoot11. Amsterdam luy sçut grand gré de sa réconciliation avec les petites villes et se piqua depuis ce temslà d'un attachement tout nouveau à sa personne et d'un plus grand dévouement à ses desseins. Il ne me reste pour finir ce mémoire qu'à marquer la méthode dont M.r Heinsius se servoit dans le maniment des affaires du dehors, c'est à dire tant par rapport aux ministres de la République dans les pays estrangers, que par rapport à ses négociations avec les ministres des cours étrangères auprès des Etats Généraux.
4to M.r Heinsius n'avoit point de correspondance directe avec les ministres de la République dans les pays étrangers et cela par deux raisons, l'une que n'étant point luy-même ministre des Estats Généraux mais simple député de la province de Hollande à leur assemblée, il n'avoit aucun ordre à leur donner, l'autre qui est tirée de son caractère personnel c'est que pour ne se point commettre, il n'écrivoit dans les pays étrangers que le moins qu'il pouvoit. Cependant il avoit avec les ministres de la République un commerce indirect par lequel ils apprenoient ses sentiments et ses intentions sur toutes les affaires qu'ils manioient; cela s'exécutoit par le greffier des Estats Généraux qui est à proprement parler leur ministre propre, charge qui étoit alors et est encore remplie par l'un des hommes du monde qui a le plus de mériteGa naar voetnoot12. M.r Heinsius convenoit de tout avec le greffier et celuy-cy accompagnoit les résolutions de L.H.P. de mémoires instructifs sur la conduite qu'ils avoient à tenir dans leurs négociations. Quand les ministres de la République dans les cours étrangères se trouvoient subjects de la province d'Hollande, il leur écrivoit quelquefois, surtout s'il agissoit de quelque chose qui pût interresser ses maîtres et s'ouvroit assés avant là-dessus avec eux. Ceux-cy s'addressoient plus particulièrement à luy que ne le faisoient les ministres tirés d'une des autres provinces, quoyque ces derniers ne manquassent point de luy envoyer le duplicat de ce qu'ils | |
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mandoient à L.H.P. et au greffierGa naar voetnoot13. Je diray dans un moment le principal advantage que M.r Heinsius tiroit de son commerce avec les ministres de l'Etat dans les pays étrangers. A l'esgard des ministres des puissances étrangères auprès des Etats Généraux, voicy comment il se conduisoit avec eux. Comme par une déférence singulière ils s'addressoient à luy avant d'avoir veu ny le greffier, ny le président qu'ils étoient naturellement obligés de voir le premier. M.r Heinsius déjà instruit par les ministres de la République, les recevoit selon leur caractère et tous en général avec une très grande honnetteté, les reconduisant sans distinction jusques à leurs carosses, civilités par lesquelles il les dédommageoit en quelque manière des visites qu'ils en avoient receu s'il n'avoit été entièrement dispensé du cérémonial. Dans la première audience des ministres étrangers il ne se parloit d'ordinaire que de la résolution des princes ou états qui les envoyoient de vivre en grande union avec la République; dans la deuxième, qui précédoit d'ordinaire la première visite qu'ils rendoient au président de semaine pour luy remettre leurs lettres de créance, les ministres luy expliquoient la raison particulière de leur envoy et luy montroient la copie de leur dittes lettres de créance. Dans la troisième audience, qui suivoit la présentation de ces lettres et leur légitimation en qualité de ministre auprès de L.H.P., ils entroient en matière avec luy et ne manquoient pas de le trouver froid et réservé. Il conservoit cet air avec eux jusques à ce qu'il crut avoir à peu près découvert le caractère de leur esprit; s'il les trouvoit francs et ouverts il s'expliquoit assés clairement avec eux et s'ils soutenoient auprès de luy ce caractère et qu' ils eussent d'ailleurs du génie et de la capacité, ils avoient sa confiance, mais véritablement ce n'estoit qu'après les avoir tournés de tous les côtés et percés pour ainsy dire de part en part. S'il leur remarquoit de la finesse, du manège et de la duplicité, ils pouvoient s'assurer qu'ils ne sçauroient jamais rien de luy et ne trouveroient auprès de sa personne aucune douceur, ny auprès de L.H.P. aucun aggréement que celuy auquel la nécessité de ménager leurs maîtres les obligeoient de luy procurer. Ils ne trouvoient chez luy qu'une défiance hérissée et tout à fait glacéante; quand ils le poussoient à bout par des questions, il leur répondoit par des demandes, c'est ce dont j'ay été plusieurs fois le témoin. | |
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Quand les Etats Généraux avoyent pris quelque résolution sur des mémoires de ministres tousjours communiqués à M.r Heinsius, ilsGa naar voetnoot14 se rendoient d'abord chez luy pour en sçavoir le contenu qui communément se trouvoit conforme à ses idées. Il le leur disoit s'il étoit agréable pour eux; autrement il les renvoyoit au greffier, à moins que quelque raison d'état ne l'engageat à le leur annoncer et cette raison d'état estoit tousjours tirée du dessein d'engager ces ministres à faire désister leurs maîtres des objects à l'occasion desquels ces fâcheuses résolutions avoyent été prises. C'est dans des cas de cette nature entre autres que M.r Heinsius étoit admirable; ses représentations étoient soutenues d'un sens si exquis que la pluspart des ministres sortoient de son audience ou prévenus, ou persuadés qu'ils devoient se porter à ce qu'il souhaitoit. Ils l'exécutoient même souvent et leur facilité à suivre ses opinions leur attiroit quelques fois de vives réprimandes de la part de leur cour, mais quand cela étoit arrive, il se prêtoit à tous les moyens légitimes et convenables pour les raccomoder avec leur maîtres, à quoy il réussissoit presque tousjours par le prodigieux crédit qu'il avoit dans les pays estrangers. Du reste il alloit tousjours également à ses fins; quand il avoit pris du goût pour un ministre, il avoit une vraye cordialité pour luy et le dirigeoit dans les négotiations dont il étoit chargé, mais quand quelque mauvaise manoeuvre d'un ministre l'avoit prévenu contre luy, il luy étoit à peu près impossible d'en revenir, estant dans ce principe que je luy ay entendu répéter bien de fois que quand un homme n'a pas été droit dans une affaire, on doit présumer qu'il peut estre double en toute. Il se peut qu'il eût trop étandu ce principe, mais enfin e'en étoit fait cela passoit chez luy pour maxime. M.r Heinsius, pour demeurer tousjours en pays connu, se faisoit instruire avec un soin extrème du crédit que les ministres étrangers avoient à leur cour soit à raison de la naissance, soit à celle des alliances, soit à celle du mérite personnel, soit à celle de la faveur des princes ou des états qui les envoyoient. Ainsy de ce côté-là il n'ignoroit rien, mais on peut dire que c'étoit seulement un surabondant pour luy, car il y a eu peu d'homme au monde qui connût plus sûrement aux démarches des ministres étrangers auprès des Etats Généraux le degré de leur crédit à leur cour; c'est un fait sur lequel je ne l'ay jamais veu se tromper non plus que sur leur veues personnelles dans les affaires qu'ils proposoient. | |
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Dans les conférences avec les ministres étrangers auxquelles il ne manquoit jamais dès qu'il s'agissoit de quelque chose de tant soit peu important, il parloit peu, mais si sententieusement et si fort au fait qu'il étoit écouté comme une espèce d'oracle. Voylà en peu de mots ce que je puis dire sur ce subject. Si je n'accuse pas juste, je suis assûrément tout à fait inexcusable, puisque j'ay eu l'honneur de le voir, de le practiquer et de le suivre très assiduement et s'il me séoit bien de le dire, j'adjouterois que j'ay été honoré assés avant de sa confiance pour qu'il me remit un grand nombre de mémoires sur les affaires étrangères pour le soulager un peu et sur les finances qu'il avoit le malheur de ne pas entendre, comme il ne faisoit nulle difficulté de l'advouer à tous ceux qui luy en portoientGa naar voetnoota et auxquel il marquoit aussy un extrème regret de ne s'y estre pas attaché. |
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