Nederlandsch Museum. Vierde Reeks. Jaargang 3
(1893)– [tijdschrift] Nederlandsch Museum– Gedeeltelijk auteursrechtelijk beschermd
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Première partie.La scène se passe au camp de Troie abondonné par les Grecs. - Le jour se lève.
Cassandre.
Un jour mon voeu d'ardente et jeune foi,
Apollon, pour toujours m'a consacrée à toi;
Et toi, tu m'accordas le don de préscience.
Mon serment, je l'ai parjuré...
Je vis Corèbe, et mon coeur enivré
D'amour pour lui, n'eut plus qu'indifférence
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Pour toi, le Dieu. - To m'as punie... et ton arrêt
Depuis ce jour me poursuit en secret
Et fait ma honte et ma torture.
Vaine science! Oracles superflus!
Personne ne croit plus
Aux avertissements de la vierge parjure...
Je sens, je vois
Le sort fatal de Troie, incessamment jetée,
A la tourbe des Grecs autour d'elle ameutée,
Comme un cerf aux abois;
J'entends le râle affreux de ma noble patrie
Expirante; je pleure et crie!
En vain! tous, tous restent sourds à ma voix!
Apollon, dieu cruel! atroce raillerie,
Qui m'a laissé, pour qu'on en rie,
Le don céleste d'autrefois!
(Choeur et musique de danse dans Troie transmis par les voix des vents)
Voix des vents.
L'orient déjà s'allume,
Et le jour resplendissant
Verse sur le mont, qui fume,
Des flots d'or incandescent.
Or dans le réveil des choses
Et des êtres animés,
Aux parfums des fleurs écloses
Mêlons nos accents rythmés.
Hohé! Hohé!
Cassandre.
Il chante, lui! Quel voile rouge
Etend devant mes yeux, -
Sur la forêt, où rien ne bouge,
Ses plis mystérieux?
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(Dans sa pensée se tournant vers le peuple)
Peuple insensé, qui chante alors que je devine
Le Grec rusé dans l'ombre apprêtant ta ruine...
Choeur de Danse.
(Au palais de Troie)
Des bras vigoureux,
Des bras d'amoureux
Etreignent, enlacent
Les vierges timides.
Les couples rapides
S'enlèvent et passent,
Le sein haletant, les sens enivrés.
Qui songe à cette heure
Aux maux endurés?
Hé! pleure, qui pleure!
A nous la jeunesse! à nous cet instant!
Et Troie en délire
S'élance aveuglée au plaisir, qui l'attire,
Et sourde à la voix du destin, qui l'attend.
Hohé! Hohé!
Cassandre.
Il s'amuse... et j'entends partout des voix funèbres!
O peuple aveugle et sourd, qui n'a pas écouté
Quand la triste Cassandre a dit la vérité
Et prédit les malheurs, que couvrent ces ténèbres.
Peuple, mon peuple, fuis! Conjure le destin!
Trève aux plaisirs! fuis! fuis! demain... hélas, demain!
Voix des vents.
Choeur.
Quand la danse s'accélère
A l'appel du chant bruyant;
Quand tout charme sur la terre,
Quand le ciel est souriant;
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Quand l'amour et la jeunesse
Sèment sous nos pas des fleurs,
Soit maudit, dont la tristesse
Vient faire ombre à notre ivresse
Et provoque les malheurs.
Maudit!
Cassandre.
Ils n'écoutent pas! sort inexorable!
O sombre nuit
Qui va noyer de pleurs l'éclat de tout ce bruit!
(Furieuse)
Cesse donc, race déplorable!
(Découragée)
Ils n'écoutent pas! ils n'écoutent pas!
(Vivement, quand elle aperçoit dans le lointain Corébe)
Et lui, Corèbe aussi, que la mort implacable,
Guette, menace et va frapper, hélas!
Lui, ma vie et ma joie et ma douce lumière,
Lui, mon espérance dernière!
Hélas! Hélas!
(Corèbe, qui dans l'intervalle s'est approché de Cassandre)
Corèbe.
Pourquoi ces cris, chère adorée?
Cassandre.
Viens! fuis cette joie abhorrée!
Corèbe.
Fuir! moi fuir, Cassandre! et pourquoi?
Quels vains soucis ton coeur se crée!
Cassandre.
Oh! non, Corèbe, non! je ne crains que pour toi.
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Corèbe.
(Air)
Ne crains plus rien! éloigne ces chimères;
Ton coeur aimant égare ta raison.
Troie, affranchie enfin de ses misères,
Lance ses cris de joie à l'horizon.
Ces fiers remparts et ce peuple sans nombre,
Ce jour splendide et ce gai renouveau,
Tes yeux les voient et ton coeur reste sombre!
Oh! viens, mignonne! écarte le fardeau
Mystérieux, qui t'accable sans cesse;
Viens sur mon coeur oublier ta tristesse;
Ta joue est rose et ton oeil radieux!
L'aveu tardif, l'aveu de ta tendresse,
Viens! laisse-moi le lire dans tes yeux.
Cassandre et Corèbe.
(Ensemble)
Je rêve sur ton coeur le rêve de ma vie!
Je t'aime! reste près de moi.
Cache dans bras! pour mon âme ravie
Le bonheur éternel c'est ton amour, c'est toi.
Cassandre.
Réveil cruel! horrible certitude!
Demain je serai seule et sans secours.
Corébe.
Ne trouble pas par ton inquiétude
Le bonheur, qui vient bénir nos amours.
Cassandre.
Je vois le ciel, la nue en flamme!
Le sang ruisselle! il pleut du sang!
Corébe.
Chasse ces visions, chère âme!
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Cassandre.
Je vois le fer trouer ton flanc...
Hélas! à l'aurore nouvelle
Ici, Corèbe, tu mourras!
Corèbe.
Calme toi, ma douce rebelle!
La fleur sourit, la vie est belle!
Ne crains plus rien! viens dans mes bras.
(Ensemble)
Je rêve sur ton coeur le rêve de ma vie;
Je t'aime! reste près de moi!
Cache dans bras! pour mon âme ravie.
Le bonheur éternel c'est ton amour, c'est toi!
Cassandre.
O douleur suprême!
J'ai senti ton coeur se glacer!... Pardon,
O mon bien-aimé! tu sais si je t'aime!
Mais fuis sans retard! fuis Corèbe!
Corébe
(avec décision).
Oh! non!
Voix des vents.
Choeurs.
Plus suaves les aromes,
Plus nombreux les chants, les psaumes
Montent, montent vers les cieux!
C'est la fin de la souffrance;
Tout renaît à l'espérance,
Et l'airain sonore lance
Son appel victorieux.
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Deuxième partie.Un autre quartier de Troie, pas loin des murs de la ville. - D'un côté un trône de l'autre un autel champêtre.
Hymne (choeur mixte)
entonné par le peuple de Troie, qui offre des sacrifices aux dieux. Les héros de Troie viennent assister à cette solennité religieuse, et les accents de l'hymne se fondent dans les accords de la marche Troyenne.
Vers l'Ether radieux
Jusqu'au maître des Dieux,
Encens fumant, suave haleine
Des fleurs du bois et de la plaine,
Montez avec nos chants pieux.
Ta foudre redoutable
O Zeus, éloigne-la de nous!
Zeus tout-puissant, sois bon et secourable
Au peuple qui t'adore et t'implore à genoux!
(La solennité est interrompue par le grondement du tonnerre et le reflet des éclairs)
(Cassandre apparaît)
Cassandre.
Vois ces lueurs, dont la forêt s'éclaire;
Ecoute ces sourds grondements!
Zeus détruira dans sa colère
Et Troie et ses remparts, jusqu'en leurs fondements.
Peuple
(reprend l'hymne)
Ta foudre redoutable
O Zeus, éloigne-la de nous,
Zeus tout-puissant, sois bon et secourable
Au peuple qui t'adore et t'implore à genoux!
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Cassandre
(hors d'elle-même)
Ecoute, écoute la tempête!
Elle éclate, roule, mugit,
Noyant tes chants, tes bruits de fête
Dans la mer, que ton sang rougit.
Hélas!
Hommes
(raillent Cassandre, qu'ils croient folle).
Que les airs gémissent,
Que les flots mugissent,
Roulent en se soulevant,
Croulent sous les coups du vent;
Qu'importe!
Notre voix s'élèvera plus forte.
Va! va!
Femmes
(se moquent en dansant autour de Cassandre)
Elle est folle!
Sa parole
Le dénote assez. Hou! Hou!
L'ennuyeuse prophétesse,
Qu'un plaisir honnête blesse,
Qui gourmande la jeunesse,
Pire, pire qu'un hibou!
Qui rendrait le monde fou,
Si nous n'y mettions obstacle!
Or, rengaîne ton oracle,
Va! va! rentre dans ton trou.
Va! Va!
(Enée fait son entrée pendant que s'éloignent en s'affaiblissant, les sons de la marche Troyenne)
Enée.
Cessez de rire! Elle a dit vrai, Cassandre.
Allez là-bas, et vous pourrez entendre
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Des cris, des pleurs, qui donnent le frisson!
La ville est prise, au pouvoir de la Grèce.
Un voile rouge obscurcit l'horizon,
Tant la vapeur du sang s'élève épaisse!
Le ciel est rouge! On respire dans l'air
Le sang, qui coule à flots vers le rivage,
Et fait un lac rougeoyant de la mer.
On tue, on brûle, on s'acharne au carnage.
O jour suprême! O déplorable sort!
Nous mourrons tous ici. Corèbe est mort...
Cassandre.
Lui mort! Devrais-je lui survivre?
O vent d'orage, en tes échos
J'entends sa voix m'engager à le suivre
Dans l'éternel sommeil et l'éternel repos.
Femmes
(craintives).
Oh! fuyons ce spectacle horrible!
La fuite est encore possible...
Mourir si jeune! vivre est doux.
Enée.
Trop tard! Plus personne ne passe.
Le Grec veille et ne fait point grâce;
Oui, c'en est fait de nous!
Le vent redit les derniers anathèmes,
Les supplications suprêmes
De ceux, qui fuient en vain et tombent sous ses coups.
(Troie est réduite en cendres, les flammes s'élèvent et des plaintes sauvages montent de l'enceinte des murs. L'orage continue).
Choeur (tutti).
Dans la fureur des éléments
Grondent les célestes colères.
On immole nos soeurs, nos frères!
Cris d'angoisse, longs hurlements
Montent, planent... Pleurs, sang ruissellent,
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Fumée et flamme s'entremêlent
Et les cadavres s'amoncellent
Ici, partout, encor, toujours!
Oh! qui nous portera secours!
Enée.
(Récit).
Adieu! chants d'amour. Adieu! jeux et fêtes!
Nul ne peut sauver Troie et ses remparts,
Dont les hautes tours, les plus nobles faîtes
Croulent déjà de toutes parts.
Cassandre.
Je bénis la main inconnue,
Qui me fera bientôt mourir.
Heureux, lorsque l'heure est venue,
Qui meurt et cesse de souffrir.
Choeur
(voix des vents. Grecs dans la ville).
A nous la victoire!
Allons! braillards; assez crié!
A vous la mort! à nous le butin et la gloire.
Femmes
(craintives).
Pitié! Pitié!
Cassandre
(au peuple).
Point de faiblesse! Une Troyenne
Meurt libre près de son époux;
Que la postérité de nous
Sans honte se souvienne!
Enée.
Qui tremble ici devant la mort?
Quel est le lâche qui proteste?
Cassandre, Enée, Hommes, Femmes
(héroiques).
Non! nous acceptons notre sort;
Que notre sang bientôt l'atteste.
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Vivre esclaves! non! nos enfants
Ne rougiront pas de leurs
Nous mourrons libres, triomphants.
Pour échapper à nos misères
Ce fer nous reste!...
Femmes (craintives).
Encor du sang!
(Elles invoquent Corèbe)
Ah! si Corèbe en ce danger pressant
Pouvait nous entendre!
Il accourrait
Pour nous défendre.
Oui, Corèbe nous sauverait!
(Un bruit formidable s'élève; les nuages se déchirent et l'ombre de Corèbe apparait).
Corèbe
(aux femmes craintives).
J'accours, mais pour maudire
Votre lâche souhait.
Vivre, quand Troie expire!...
Nulle de vous ne survivra;
Vous mourrez! Mais la souvenance
De votre triste défaillance
Jusqu'en la tombe vous suivra.
Femmes
(écrasées sous cette malédiction).
Hélas! Pitié! Clémence!
(L'orage a cessé. Les échos répètent les chants des Grecs, qui célèbrent leur victoire dans les murs de la ville).
Grecs.
Trompes guerrières, vibrez,
Célébrez
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Nos longs combats et notre gloire!
D'échos en échos
Par delà les flots
Des Grecs annoncez la victoire!
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Hymne à Cassandre.(Choeur final, tutti).
Paix à la tombe où dort la fière et fidèle Cassandre! Quand ses oracles si vrais partout n'excitaient que le rire, Elle n'avait pour but que le bien de sa chère patrie. Troie-Ilion n'est plus, et son peuple des Grecs est l'esclave. Lorsque malgré le Dieu son amour pour Corèbe l'emporte, C'est cet amour, fauché dans sa fleur, qui la rend si touchante. Paix à la tombe où dort la fière et fidèle Cassandre. |
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