A soixante ans.
Mon front blanchit, et ma barbe grisonne;
Mon oeil est terne, et mon pas chancelant;
Mes dents s'en vont, le sommeil m'abandonne,
Ma voix tarit, mon timpan se détend;
Mon dos se voûte et j'ai la face blême,
Le verre échappe à mes doigts frémissants,
Je ne suis plus que l'ombre de moi-même,
Plaignez mon sort! Amis, j'ai soixante ans.
Mais si du temps je dois subir l'injure,
Et si mon front de rides s'est couvert,
Je me soumets sans plainte et sans murmure,
Car j'ai le coeur encore jeune et vert.
Mon sang s'enflamme aux sons de la musique;
Le verre en main, je brave les autans.
Près d'un minois dont la grâce me pique,
Parfois je crois n'avoir pas soixante ans.
Combien d'amis que notre ère vit naître,
Gais compagnons de nos joyeux ébats,
De nos côtés vîmes nous disparaître?
Où donc sont-ils? ne le savez-vous pas?
Ils sont là-bas, dans le sein de la terre,
Glacés, et sourds aux accords de nos chants;
A leur mémoire, amis, vidons ce verre!
Combien d'entr'eux n'avaient pas soixante ans.
A cette table, où le champagne mousse,
J'en vois plus d'un dont la tète a blanchi,
D'autres chez qui la barbe à peine pousse,
Mais tous vaillants, tous narguant le souci.
Puissent les vieux, et je suis de ce nombre,
Se rajeunir par ces vins pétillants!
Jeunes lurons, puissiez-vous sans encombre,
Rire et chanter encor dans soixante ans.
Souffrez, amis, qu'ici je vous dédie
Ces strophes, fruit d'un pénible labeur;
Mes pauvres vers, ma rime peu polie,
Acceuillez-les, mais sans trop de rigueur.
N'oubliez pas que celui qui les chante
Marche courbé sous le fardeau du temps,
Et que la route au Parnasse est glissante
Pour un rimeur qui compte soixante ans.
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