De l'épigramme.
Suite.
Les épitaphes ont été le sujet d'un grand nombre d'épigrammes, soit réelles, soit d'invention. Celle du célèbre Pierre Arétin d'Arrezzo, surnommé, de son temps, le fléau des Princes, qui reçut un jour, en paiement de ses satires, cinq coups de poignard d'un amant offensé, et plus tard des coups de bâton par ordre de l'ambassadeur d'Angleterre, est une des plus mordantes qu'on ait faites; la voici:
Le temps, par qui tout se consume,
Sous cette pierre a mis le corps
De l'Arétin de qui la plume
Médit des vivans et des morts:
Son encre noircit la mémoire
Des grands Monarques dont la gloire
Est vivante après le trépas;
Et s'il n'a pas contre Dieu même
Vomi quelque horrible blasphême,
C'est qu'il ne le connaissait pas.
Pierre Arétin mourut vers le milieu du 15e siècle. Toute sa vie fut un tissu de bonne et de mauvaise fortune.
Les médecins, avant comme après Molière, n'ont pas été plus ménagés que les avocats; ils en ont ri, et ils ont bien fait; car ils savent bien qu'on aura toujours besoin d'eux. On fit pour un fils d'Esculape cette courte épitaphe:
Ci-gît par qui les autres gisent.
Et pour un autre:
Ci-git Monsieur de Mortifère,
Qui, par amour de son métier,
De crainte de peupler la terre,
Ce n'est pas seulement pour les morts que l'on a fait des épitaphes; des personnes vivantes ont réclamé cet honneur. Une dame tourmentait Piron pour obtenir de lui une épitaphe: ‘Si vous ne pouvez patienter jusqu'à votre mort, Madame, lui dit le malin auteur, placez-vous derrière cette porte, car je ne fais rien qui vaille quand on me regarde: je vais contenter tout de suite votre désir.’ Et quelques secondes après, il lui remit ces deux lignes:
Ci-gît, derrière cette porte,
Une folle qui n'est pas morte.
Et la dame s'en alla furieuse, maudissant le poète et son impertinence. A propos de Piron, on sait qu'il en fit une pour lui, et pour se venger de n'avoir pu entrer à l'Académie:
Ci-gît Piron, qui ne fut rien,
On lui attribue l'épigramme suivante contre une réception académique:
Lorsque l'on reçoit Orante,
Pourquoi tous crier: haro!
Dans le nombre de quarante,
On lit dans un vieil auteur une épigramme, contre un fournisseur d'armée, qui trouvera toujours des applications:
Il est allé, suivi d'un médecin,
Prendre les eaux à Plombières, pour cause.
- Ah! repart Jean, voilà bien mon coquin!
Il faut toujours qu'il prenne quelque chose!
Parmi les épigrammes que l'on a faites sur les vieilles coquettes, on en compte de très-mordantes; en voici un échantillon:
Vieilles Vénus, qui voulez plaire,
Ne nous montrez que vos vertus;
Vos attraits, dont on n'a que faire,
Nous tendent des lacs superflus;
Nos Adonis n'en veulent guère,
Et nos Vulcains n'en veulent plus.
Marmontel était beaucoup plus galant; on lui demandait un jour ce qu'il pensait d'une jeune personne fort jolie, mais très-niaise: ‘Cette dame, répondit-il, a de l'esprit comme une rose.’ La malice est ici très-fine, et l'épigramme a l'air d'un compliment. - Ceux qui font des épigrammes doivent s'attendre à ce qu'on se permettra d'user de représailles envers eux. Pendant la longue guerre des Glukistes et des Piccinistes, (une guerre d'harmonie)! Marmontel, qui se battait dans les rangs des Piccinistes, fut le sujet de ce quatrain:
Ce Marmontel, si lent, si lourd,
Qui ne parle pas, mais qui beugle,
Juge les couleurs en aveugle,
Et la musique comme un sourd.
Grétry, le célèbre Grétry ne fut pas à l'abri des traits épigrammatiques: après l'opéra de Panurge dans l'île des lanternes, on lui lança l'épigramme qu'on va lire, et qui était, il faut le dire, un tant soit peu méritée:
Dans cet opéra, je vous prie,
Qui frappe avec tant de fureur?
C'est le Dieu du goût, je parie,
Qui prend le tambour pour l'auteur.
Pour l'intelligence de ce trait malin, il faut savoir qu'un énorme tambour, attaché sur le dos d'un acteur, reçoit des coups, à tour de bras, d'un satimbanque qui saute en tournant, et retombe en mesure; ce qui faisait alors un bruit épouvantable. Aujourd'hui, nous en entendons bien d'autres! ce n'est pas que les oreilles aient grandi généralement; mais l'ouverture en est considérablement élargie par les cors, les tambours et la grosse caisse.
Si les auteurs sont exposés à l'épigramme, les acteurs y ont aussi quelquefois leur part. A la représentation du Jugement de Pâris, sur un théâtre de province, au moment où le fils d'Hécube, par ordre du roi des Dieux, allait se mettre à genoux pour adjuger la fatale pomme à Venus, au mépris de Junon et de Minerve, une pluie de petits billets imprimés descendit du cintre dans toute la salle et sur le théâtre, et chacun put lire:
Si Pâris, ce beau jeune homme,
Je crois que, sans balancer,
Un rire inextinguible se répandit dans toute la salle; le cours de la pièce fut suspendu, et Pâris laissa tomber la pomme, qui s'en alla rouler dans le trou du souffleur. Vénus était furieuse, et voulait que le jugement fut prononcé, séance tenante. Elle soutenait que son talent pouvait remplacer sa beauté, parce que, disait-elle, c'est le talent qui fait tout. Le directeur lui répondit: ‘Madame, si le talent fait tout, je vous conseille, avant de rejouer cerôle, d'aller dire au talent qu'il vous fasse un autre visage.’
(La suite à un prochain numéro.)