De l'épigramme.
L'épigramme est aussi vieille que le monde; c'est le démon qui fit la première: la tentation de la femme par l'esprit malin est une impertinente épigramme, faite à l'obéissance de notre première mère, qui s'en vengera dans toute sa postérité, jusqu'à la fin des siècles. Ainsi soit-il! et, garde à nous!
Chez les Grecs, (pardonnez la transition!) l'épigramme n'était pas ce que nous la connaissons de nos jours; c'était plutôt de fines inscriptions pour des monuments, pour des tombeaux, pour des statues même. L'inscription que le patriarche de Ferney mit sous la statue de l'Amour, est, sous ce rapport, un souvenir de l'antiquité:
Qui que tu sois, voici ton maître:
Il l'est, le fut, ou le doit être.
La malice et la brièveté étaient de rigueur dans l'épigramme. Sa vogue se perfectionna chez les Latins et Martial lui donna une pointe plus acérée, plus spirituelle, sans en bannir l'enjouement. Martial fut le modèle qu'adoptèrent les modernes. Depuis lors, l'épigramme a parcouru le monde; et il fut un temps où une bonne épigramme pouvait conduire son auteur à l'immortalité, où un bon mot faisait toute une réputation. Le seizième et le dix-septième siècle en virent naître une multitude considérable, revêtue d'une pensée satirique, morale, philosophique et même politique. Aujourd'hui l'épigramme ne s'arme plus d'un stylet, mais d'une massue; autrefois, on piquait, on blessait; aujourd'hui on assomme, en prose comme en vers; nous sommes dans le siècle du progrès.
Nous allons passer en revue quelques épigrammes qui eurent de la réputation lorsqu'elles parurent; ces citations aideront les mémoires infidèles et feront peut-être plaisir à ceux qui ne les connaissent pas. Un auteur, voulant se venger d'un critique, fit publier ces vers:
Un gros serpant mordit Aurèle.
Que croyez-vous qu'il arriva?
Qu'Aurèle en mourut? - Bagatelle!
Ce fut le serpent qui creva.
Le serpent ne creva cependant pas; mais il ne mordit plus Aurèle. On a vu des personnes de beaucoup d'esprit, qui ne savaient pas tourner une épigramme: la causticité est, pour ainsi dire, un don particulier, mais souvent dangereux et toujours à craindre. Voltaire, si mordant, si caustique, tournait rarement bien en vers une épigramme. Celle qu'il fit contre les poésies sacrées de Le Franc de Pompignan, est pourtant excellente:
Savez-vous pourquoi Jérémie
A tant pleuré pendant sa vie?
C'est qu'en prophète il prévoyait
Qu'un jour Le Franc le traduirait.
Une grande dame, un peu coquette, qui avait la manie d'être auteur reçut un jour le distique suivant, qui courut bientôt tout Paris:
Elré, belle et poète, a deux petits travers:
Elle fait son visage et ne fait pas ses vers.
Puisque nous en sommes sur le chapitre des auteurs, nous citerons celle-ci comme fort ancienne:
Un jour un sot de qualité
Lisait à Somaise un ouvrage,
Et répétait à chaque page:
‘Ami, dis-moi la vérité. -
Monsieur, lui répondit Somaise,
J'ai de bons auteurs pour garants,
Qu'il ne faut jamais dire aux grands
De vérité qui leur déplaise.’
Les querelles des poètes Baour-Lormian et Lebrun, ont fourni quelques bonnes épigrammes. Baour écrivit à Lebrun:
Lebrun de gloire se nourrit;
Aussi voyez comme il maîgrit.
Lebrun lui répondit par cet assaut d'escrime poétique;
Sottise entretient la santé:
Baour s'est toujours bien porté.
C'est le même Lebrun qui répondait à un anonyme dont il soupçonnait le nom: va, ne crains pas designer ton nom tu resteras toujours anonyme. Voici encore une pointe lancée contre deux auteurs qui se querellaient à propos de leurs ouvrages:
Dorilas et Damon, ces deux fameux poètes,
Sur leurs vers ne sont pas d'accord:
‘On ne peut, sans baîller, lire ce que vous faites,
Dit l'un; - ‘En vous lisant, répond l'autre, on s'endort.’
L'un à raison et l'autre n'a pas tort.
C'est un argument sans réplique. Quelquefois l'épigramme a une double pointe, comme dans celle-ci, qui a plus de cent ans:
Lorsque le chantre de la Thrace
Dans les sombres lieux descendit;
On punit d'abord son audace
Par sa femme qu'on lui rendit.
Mais bientôt, par une justice
Qui fait honneur au Dieu des morts,
Pluton lui reprit Eurydice
Pour prix de ses divins accords.
Comme poésie, la pièce est charmante; comme galanterie, elle est affreuse, et nous en demandons humblement pardon au beau sexe. C'était un vilain, un indigne mari qui: fit graver sur la tombe de sa femme:
Ci-gît ma femme: Ah! qu'elle est bien
Pour son repos et pour le mien.
De nos jours, une pareille oraison funèbre révolterait la moitié du genre humain: la galanterie et l'amour conjugal se sont beaucoup améliorés, et des naïvetés de ce genre ne passeraient plus à la postérité.
Les hommes politiques n'ont pas manqué d'épigrammes; la matière est vaste; c'est un champ fertile à exploiter: systèmes, conduite, discours, le nom même de tel grand personnage, tout arrive sous le fouet de la satire. Sous Marie de Médicis, le ministre Pontchartrain fut le sujet de l'épigramme suivante: on verra que, de tous temps, cet emploi a été le point de mire des partis contraires:
Méfiez-vous, peuple de France,
De ce ministre de finance
Que l'on appelle Pontchartrain:
C'est un pont de planches pourries,
Un char traîné par les furies,
Dont le diable emporte le train.
(La suite à un prochain numéro.)