Portfolio Cyril Vassiljew
Jérôme Dumoulin
Le corps robuste, l'habit blanc, l'or de la chevelure et de la barbe, la transparence du regard surtout, composaient, à cette époque, l'image d'un personnage saint dont la beauté plaît à Dieu, et fait trembler les hommes. Cyril en jouait avec innocence et, parfois, avec volupté, à la manière de son père, son double nocturne.
Une des premières femmes qu'il croisa dans l'île s'arrêta, stupéfaite, et lui dit: ‘Tu es le Christ!’ Dans les temps plus anciens, elle se fut jetée à ses genoux. Mais de nos jours, la foi se méfie d'elle-même. Cyril, tout en la relevant, eut peut-être décidé de se faire moine. Pour résister à la tentation du péché d'orgueil. Aline avait une autre sorte de beauté. La beauté d'une devineresse qui vient d'être initiée, se tait et se renferme en elle-même. Il me semble, après tout, que le dieu ou l'esprit dont elle porte les attributs mystérieux ne pourrait être dévoilé impunément. Aline, je l'imagine encore assise sur l'un de ces chars de la Renaissance, menant avec un air grave et ingénu le cortège des allégories. Son trône est simple. Sa mise aussi: elle porte, comme à l'accoutumée, une robe de satin noir ou violet. Un peigne de Venise, en écaille de tortue, retient ses cheveux sombres. Une perle minuscule luit à son doigt. Elle nous fixe en silence, de ses yeux de chat. Sa bouche dessine un sourire imperceptible. On dirait qu'elle va parler. Mais rien! ‘Non capisco, Signora!’ Cyril et Aline sont tous deux issus de la vieille Russie, celle des rites de la Terre et de l'innocence sacrée. Je ne peux m'avancer dans ce monde de l'âme russe, mais qui veut mieux les comprendre devra le faire.
A Venise, ils habitaient sur le campo San Trovaso, à deux pas de ce petit ‘chantier naval’ où l'on peint et répare les gondoles, et que vénèrent tous les amoureux de la Cité des Doges, moins pour les gondoles, que pour le dernier triomphe, en ce lieu, du noir absolu de la Venise baroque.
L'appartement donnait sur le décor théâtral de la place, qu'ils ont peint sur un ‘tondo’, l'un de ces formats ronds qu'affectionnaient autrefois les Italiens. De la cuisine, on surplombait de vieux toits, du côté des Zattere: là, les chats du quartier attendaient en silence qu'on leur jette les restes des ‘scampi fritti’. Mais il y avait dans cet appartement, aux dires de Cyril, d'étranges ‘entités’, qui prétendaient régner en maître sur les lieux et ne pas tolérer d'intrus, qui ruinaient le travail d'un mois en secouant soudain la main du peintre, qui l'arrachaient au sommeil par d'affreuses visions. Bref, l'endroit était hanté par des puissances hostiles. A ces choses-là, Cyril et Aline sont toujours sensibles. Qui voit les anges voit les démons.
Un jour qu'ils dînaient chez un noble Vénitien, dans un de ces palais du Grand Canal, où la vie et le luxe se retirent aux étages supérieurs, abandonnant à l'invasion de l'eau les pièces du bas, Aline vit passer dans un coin du salon une vieille femme vêtue de gris, et venue de nulle part. ‘Ma chère Aline, lui dit son hôte, que je vous envie! Nombreux sont mes amis qui l'ont aperçue, cette vieille. Mais moi, je ne l'ai jamais vue!’
J'ai retrouvé Cyril et Aline chez Montin. Dans l'enclos vert et bleu de la tonnelle, nous avons échangé des baisers et bu la ‘grappa’ aux raisins de Smyrne. Ils étaient devenus, en peu de mois, Vénitiens de coeur, et le sont restés. Cela nous rapproche. J'ai rencontré l'un de leurs amis, grand écumeur des lagunes: une vie partagée entre les bateaux de course, les