Internationale Revue i 10 1927-1929
(1978)– [tijdschrift] Internationale Revue i 10– Auteursrechtelijk beschermd
[pagina 433]
| |
La science du livre et de son influence sur l'individu et l'humanité
| |
[pagina 434]
| |
trer quelle immense importance a pour chacun de nous une recherche scientifique et objective dans la question à laquelle travaille la Section de Psychologie Bibliologique? Qui ne sait quel grand röle, röle prédominant même, joue dans notre existence la parole imprimée, écrite et prononcée? N'est-elle pas la base de la civilisation contemporaine, de toutes les sciences, des beauxarts, de la littérature, ainsi que de l'industrie, du commerce, du droit, de la religion, de la morale? C'est la parole qui est l'instrument le plus puissant de la vie de l'esprit, individuelle et, sociale. Nous ne pouvons même nous représenter ce qui resterait de toute notre civilisation si, un beau jour, tous les livres disparaissaient de la surface de la terre et si tous les hommes devenaient muets. Il est même risible de penser que depuis longtemps existent des sciences des plus spéciales, ainsi celle de l'enfant (pédologie), celle du criminel (criminologie) et même une science spéciale des coquilles (conchyliologie), tandis que pour la science du livre et de tous les phénomènes qui en sont inséparables on n'avait créé de branche spéciale jusqu'au commencement du 20 - e siècle; et cela quoique le rôle du livre soit énorme. Cette science de la psychologie du livre, était, à vrai dire, dispersée parmi toutes les autres sciences, et l'élite savante, littéraire et pédagogique s'y était si bien habitué, que, depuis des milliers d'années, il ne lui vint même pas à l'idée la nécessité d'une discipline spéciale pour l'étude d'un phénomène social aussi complexe que l'influence de toutes les catégories de la parole sur l'individu et l'humanité. Depuis des milliers d'années existe la bibliographie; depuis près de 100 ans existe la bibliologie; le livre y est étudié comme un objet matériel, un faisceau de papier couvert de différents petits caractères et ces derniers portent le nom de ‘contenu du livre’. En procédant ainsi, on perd de vue que le contenu n'est certes pas un phénomène physique, mais bien psychique; que si les caractères n'agissent pas sur un homme vivant, c'est à dire, s'ils n'excitent en lui les processus psychiques qui sont le véritable contenu du livre, ce sont des dessins et non des signes. C'est ce qui se passa avec les hiéroglyphes avant Champollion et avec l'écriture cunéiforme avant Rowlinson et Leyard. Mais, ce qui est pis encore, les bibliographes et les bibliologues, habitués à considérer le contenu du livre comme un objet matériel et un phénomène statique, ont transporté cette mauvaise habitude sur la psychologie de l'action exercée par le livre sur le lecteur. Au point de vue biblio-psychologique, le contenu n'est pas constitué par les caractères, mais bien par les phénomènes psychiques excités par ces caractères dans la mentalité du lecteur. Or, ces phénomènes ne sont qu'un processus toujours changeant et ne ressemblent aucunement à une cascade figée. C'est pourquoi confondre la biblio-psychologie avec la bibliographie et même la bibliologie (dans le sens ordinaire de ce dernier mot) serait une faute très grave.Ga naar voetnoot1) Un philosophe a dit avec raison qu'il est bien plus difficile de remarquer et étudier ce qui est dispersé et près, que ce qui est lointain et rare. Il est honteux de dire que de nos temps il n'existe encore de théorie scientifique du livre: jusqu'à maintenant on étudie surtout l'origine de la parole et non son influence; l'étude de la lecture et de l'audition attire l'attention des savants infiniment moins que les moyens d'introduire le ‘contenu’ qui leur semble le ‘seul vrai’. Avec cela on ne remarque jamais, on oublie toujours, que la lecture et l'audition sont des processus créateurs, qu'ils ne sont point seulement une assimilation d'une chose préparée. Si on ne considère pas ces processus comme créateurs, toute l'influence de la parole n'est autre chose qu'un dressage des jeunes générations d'après le modèle des ainés....Or, que sont la lecture et l'audition sinon le | |
[pagina 435]
| |
meilleur chemin conduisant à une union paisible des générations, des classes sociales, des nations, des professions, des confessions, etc.? Etudier le processus des corrélations verbales, formuler ses lois fondamentales, les utiliser pour les intérêts de chaque être humain et de l'humanité, voici les problèmes que la biblio-psychologie essaie de résoudre. Mais étudier ces problèmes du point de vue biblio-psychologique, c'est attaquer les basesmêmes des opinions régnantes sur le livre. Or ne nous semble-t-il pas, que chaque parole, qu'elle soit imprimée, écrite ou prononcée, a toujours un certain contenu, par ce que ce contenu y est naturellement introduit par celui qui parle ou écrit. En prenant en main un certain livre, nous regardons d'abord quel peut être son contenu. A ce point de vue la littérature et le folklore sont une sorte de collection de trésors, telles que les connaissances, les idées, les émotions et ainsi de suite, tandis que la science de tels trésors n'est autre chose que l'étude du contenu des mots. Il faut être courageux et même insolent pour, comme l'ont fait W. Humboldt et A. Potebnia, poser à tout le monde la question: Est-ce vraiment ainsi? Ne nous trompons-nous pas en construisant notre vie spirituelle et notre civilisation sur la base de notre foi dans le contenu de la parole, qui y a été introduit une fois pour toutes? C'est à cette question justement, - il y a quelques dizaines d'années, - que N. Roubakine un fanatique du livre, qui lui a consacré toute sa vie en travaillant dans son domaine comme écrivain, rédacteur, traducteur, éditeur, conférencier, bibliothécaire, libraire, propagandiste, a proposé une résolution scientifique. Toujours on voyait écrit sur sa bannière la dévise suivante: ‘Vive le livre l'instrument le plus puissant dans la lutte pour la vérité et la justice!’ Il est un des premiers qui se demanda, qu'est donc le livre et donna à cette question une réponse non bibliographique, mais psychologique et sociologique. Pour construire la théorie du livre sur une base strictement scientifique, il entreprit depuis 1889 des recherches très munitieuses et détaillées. Le résultats en fut la théorie biblio-psychologique du livre et de la parole en général, ainsi que de leur influence sur l'individu et la société. Nous allons exposer brièvement les résultats obtenus par N. Roubakine au cours de 40 ans de travail. Jusqu'à nos jours on distinguait très mal deux points de vue très différents sur la parole: le point de vue de celui qui parle ou écrit et le point de vue de celui qui écoute ou lit. En expliquant ce dernier d'après les principes du premier, nous obscurcissons la question au lieu de la résoudre....Le lecteur et l'auditeur sont ils vraiment identique à l'écrivain et l'orateur? La constitution de leur corps et de leur psychique est-elle absolument pareille? Les ressemblances et les coïncidences ne sont-elles pas des phénomènes très rares à côtes des nonressemblances et des non-coïncidences? L'étude scientifique montre ce que l'ecrivain et l'orateur considèrent comme contenu introduit par eux dans leurs paroles, - des idées, des concepts, des images, des émotions, des sentiments, des volitions, des instincts, - tout à fait différent de celui qui est évoqué dans l'esprit du lecteur et de l'auditeur. Le contenu qu'on introduit n'est pas le contenu qu'on reçoit. Les hommes ne peuvent comprendre pleinement l'un l'autre que jusqu'au point où ils sont identiques entr'eux par leur constitution psychique ainsi que physique, par le milieu social où ils vivent et vivaient, par le siècle dont ils sont les enfants, et enfin par les particularités de leur vie individuelle et leur expérience personnelle. Les individus identiques non seulement n'existent pas, mais ne peuvent exister. On n'en trouve que de plus ou moins ressemblants. Et c'est pourquoi il n'y a non plus de ressemblance complète de jugements ainsi que de sentiments. Cette ressemblance ou non-ressemblance est toujours fonction de l'hérédité, du milieu social et de l'expérience personnelle dans un moment donné de l'évolution. De plus, le parler comme l'audition, l'action d'écrire comme la lecture, ne sont que des processus. La coïncidence de toutes les phases de ces processus dans deux individus est un fait absolument improbable. Il s'en suit que le sens mis dans le discours n'est jamais compris dans | |
[pagina 436]
| |
le même degré et de la même manière. Entre celui qui parle et celui qui écoute, entre celui qui écrit et celui qui lit il existe toujours un abîme infranchissable. Et quel que soit l'effort du lecteur pour comprendre l'auteur et celui de l'auditeur pour saisir l'orateur, le but ne sera jamais complètement atteint, mais seulement en proportion de leurs analogies biologiques, psychologiques et sociales. En vérité, nous ne remarquons pas notre propre incompréhension d'un discours étranger, même quand nos sentiments (émotions) ne correspondent pas à ceux d'autrui, par ex., au cours d'une vive discussion. Autrement dit, toute parole d'autrui n'est pour nous qu'un brouillard. De là le paradoxe: l'influence de la littérature, de la parole sur l'individu et l'humanité est conditionnée par l'incompréhension. Mais toute la vie intellectuelle et sociale de l'homme n'est autre chose que la corrélation qui existe entre celui qui parle et celui qui écoute, celui qui écrit et celui qui lit. Tous nous dépendons des différentes formes de la parole. Le sort de chaque pensée dépend de son passage d'un individu à l'autre. De même le sort de chaque livre. Voici donc ce qui est d'abord indispensable d'étudiér: les corrélations verbales entre les individus. La Section de Psychologie Bibliologique a trouvé une methode spéciale pour étudier ces corrélations d'une façon expérimentale. Elle fait cette étude d'après les réactions des différents sujets. Mais elle ne le fait pas d'après les réactions sur un livre entier: on ne peut commencer les recherches par un phénomène aussi complexe, car la réaction d'un livre est la résultante des millions de réactions sur ses phrases et ses mots et même sur les sons et le dessin des mots. C'est pourquoi la Section dc Psychologie Bibliologique, suivant l'exemple de plusieurs expérimentateurs-psychologues, prend comme point de départ l'étude des réactions sur chaque mot perçu. Pour cela on choisit avec soin un certain texteréactif et on précise les phénomènes psychiques dont la présence ou l'absence dans le processus de la lecture, peut être constatée. Un même texte n'excite jamais dans des lecteurs différents un complexe absolument identique de phénomènes psychiques. La qualité comme la quantité sont toujours différentes. On observe la même chose chez un même sujet dans des moments différents de sa vie. Voici le procédé des recherches: On donne au sujet une liste des catégories des phénomènes psychiques dont on veut constater l'existence, lors de la lecture du texte. Toutes ces catégories sont numérotées. On propose au sujet de noter, en regard de chaque mot du texte-réactif qui'on lui a donné (400-500 mots), s'il constate ou non en lui tel phénomène psychique (oui ou non?). Si oui, le lecteur doit le noter à l'aide d'un signe quelconque qu'il place à côté du mot, par exemple le ou les numéros d'ordre de la catégorie des phénomènes psychiques dans la liste qu'on lui a donnée. Il arrive généralement que le sujet place plusieurs numéros en regard d'un seul mot. Le nombre des numéros montre le nombre des réactions. D'aprés leur quantité, on arrive à juger de la façon dont le sujet réagit: le mot lu est un excitateur, l'action de noter les numéros est la réaction sur l'excitation ainsi provoquée. Les mots du texte-réactif agissent plus ou moins fortement sur le lecteur. C'est pourquoi en regard des mots qui agissent fortement sur lui, le lecteur place plus de numéros qu'en regard de ceux qui n'agissent que peu. C'est la caractéristique de l'intensité de la perception. Cela montre que des excitations produites par des mots différents ont des potentiels différents. Comme ces notations s'appliquent à des phénomènes psychiques différents, indiqués dans la liste, ceci donne la possibilité de juger le côté qualitatif de l'influence. C'est ainsi que, en étudiant les notations du lecteur, c'est à dire ses réactions sur les mots séparés du texte-réactif, nous pouvons étudier les deux côtés, qualitatif et quantitatif de l'influence du livre sur le lecteur. Nous pouvons appliquer la même méthode à différents lecteurs et même à un grand nombre de ceux-ci. On peut utiliser ici la théorie de la statistique jusqu' à la théorie des probabilités. Il est ainsi possible de caractériser statistiquement n'importe quelle individualité parmi les lecteurs, de même que le lecteur moyen, ce qui est très important. Sa loi des grands nombres est à la base de tous ces calculs. | |
[pagina 437]
| |
C'est de cette façon que la Section de Psychologie Bibliologique étudie les lecteurs et l'influence de différents livres. Il est facile de comprendre qu'une telle étude est très objective. La Section a rassemblé une collection de textes-réactifs, adaptant son choix aux buts des recherches les plus diverses de l'individu. Ainsi, certains textes sont destinés à des recherches générales, d'autres à des recherches spéciales. Dans les études générales de l'individu on s'éfforce, d'après les réactions du lecteur, de préciser laquelle des catégories des phénomènes psychiques est la plus facilement excitable, et lesquelles sont moins excitables. L'excitabilité comparée des différents phénomènes psychiques est justement la caractéristique biblio-psychologique du lecteur. Plus complète est la liste des phénomènes psychiques, plus pleine sera la caractéristique de l'individu. Quant aux études spéciales et ad hoc, elles ne permettent que de déterminer que certaines qualités du sujet, leur présence ou leur absence. C'est ainsi que l'on procéde lors de l'orientation professionnelle intellectuelle. Les listes des phénomènes psychiques élaborées par la Section diffèrent entre elles, suivant les sujets à étudier, comme suivant qu'il s'agisse d'enfants, d'adultes, d'intellectuels, d'incultes. La liste la plus brève pour les recherches générales n'a que 8 catégories de phénomènes psychiques; la liste du 2-e degré en a 22, celle du 3-me - 60, celle du 4-me - 138, celle du 5-me - 213. De cette façon on a la possibilité d'étudier l'excitabilité comparée de plus de 200 sortes de phénomènes psychiques excités dans le processus de la lecture. On voit par là combien détaillée et fine peut être la caractéristique biblio-psychologique du lecteur. Les résultats de ces recherches sont très intéressants et originaux. Malheureusement, faute de place nous ne pouvons parler que de quelques-uns d'entr' eux. Au premier coup-d'oeil, la méthode biblio-psychologique paraît être longue et compliquée. Mais il n'en est rien. Seules les méthodes de laboratoire et de science pure sont complexes. Quant à la pratique pédagogique, bibliothécaire et autres, la Section a élaboré une série de simplifications dans la méthodologie biblio-psychologique, sans porter préjudice à l'étude. Voyons maintenant quelques moyens d'utiliser la méthode biblio-psychologique. Prenons par exemple, un texte servant de réactif et donnons-le à une série de lecteurs. Le lecteur nous fournit ses notes concernant chaque mot du texte; comparons ensuite les notations des différents lecteurs. Nous remarquons qu'à côté d'un même mot on trouve des notations différentes (différents numéros de catégories des phénomènes psychiques). Cela signifie que des lecteurs différents conçoivent et sentent un même mot d'une façon très différente. On voit par des recherches de cette sorte qu'un même mot peut avoir une infinité de sens différents, cela dépend des phénomènes psychiques qui existent en nous. On le remarque même dans les ouvrages de science pure. Ainsi le prof. A. Isaïef a trouvé, dans des traités scientifiques d'économie politique, 30 définitions différentes du mot ‘capital’. N. Roubakine a trouvé 18 définitions du mot ‘prolétaire’ et 14 du mot ‘bourgeois.’ Et combien de sens a le mot ‘Dieu’? Le contenu du mot n'est autre chose que le complexe des phénomènes psychiques qui sont excités par lui. En lisant un mot, nous ne recevons que des excitations et non le contenu qui y aurait été introduit par autrui. Mais s'il en est ainsi des mots séparés qu'en est-il alors des phrases entières, des textes, des livres? Leur compréhension est encore plus différente suivant les individus. Plus il y a de mots dans la phrase, plus les différences de compréhension sont grandes. Cette différence est d'autant plus marquée que les lecteurs ont moins d'analogie l'un par rapport à l'autre. Mais aucun des lecteurs ne le remarque habituellement. Pour chacun, sa propre compréhension paraît la plus proche de la vérité. C'est de là que vient l'affreux ‘seul vrai’, sur lequel est basée toute l'intolérance parmi les humains. C'est justement parce que nous n'avons pas pu constater une différence de compréhension entre soi-même et les autres que nous parlons de l'identité de compréhension, qui, à vrai dire, est inexistante, comme nous l'avons vu. D'après la juste expression de W. Humboldt, nous pouvons dire que ‘notre compréhension réciproque n'est autre que notre incompréhension réciproque’. Les recherches expérimentales de la Section de Psychologie Bibliologique démon- | |
[pagina 438]
| |
trent la vérité de cette aphorisme par les chiffres, 1o par le nombre absolu des numéros notés par les lecteurs, et 2o par le % de ces numéros suivant les catégories des phénomènes, par rapport au total de ces notations. Ces pourcentages sont nommés les coefficients biblio-psychologiques. Il se crée la possibilité de caractériser ainsi n'importe quel lecteur, son individualité; de même le lecteur moyen. Ce dernier constitue une sorte de moyenne de toute une foule. Les coefficients de ce dernier nous donnent la caractéristique du groupe social. Chaque lecteur attribue non pas ê lui même, mais au livre qu'il lit, les phénomènes psychiques que celui-ci éveille en lui. Il les objectivise. Une telle objectivisation peut'être appelée projection du texte, construite par le lecteur lui-même. Donnons un exemple, en utilisant la liste des phénomènes psychiques la plus abrégée, élaborée par la Section, (8 catégories). Cette liste ne contient que les espèces catégories fondamentales et les plus élémentaires des phénomènes psychiques jouant un très grand rôle dans le processus de la lecture et de l'audition: 1o. Emotions, sentiments, passions: 2o. Penchants instinctifs; 3o. Différentes volitions (désirs, aspirations); 4o. Sentiments, organiques; 5o. Actions ou plutôt excitations des souvenirs, des sentiments de l'activité, du mouvement (sensations cinesthétiques et images d'actions). 6o. Différentes autres sensations (visuelles, auditives, etc.). 7o. Images, tableaux mentaux. 8o. Concepts ou notions. Dans cette énumération, les éléments irrationels, jouant un rôle prédominant, occupent les premiers rangs. Nous parlerons plus loin de leur immense portée. En lisant, par exemple, le mot ‘jardin’, un botaniste sent en lui des émotions, des concepts très différents de ceux qu'un même mot éveille chez une demoiselle sentimentale, un peintre, un poète, un économiste, etc. Mais tout ce que chacun d'eux ressent comme excitation par ce mot, il le rapporte au jardin, comme étant la cause de ces phénomènes psychiques. Comme ces derniers sont très différents suivant les lecteurs, ceux-ci regardent pour ainsi-dire le jardin avec des yeux différents. Un même jardin leur paraît posséder des qualités diverses. Certaines de ces qualités restent inaperçues par chacun d'eux, d'autres sont ajoutés, d'autres transformées suivant l'individualité de ce lecteurs. C'est ainsi que se créent les projections individualisées, excitées par le mot ‘jardin’. Mais n'importe quel mot a une telle action. Les recherches expérimentales ont mis à jour plusieurs choses étranges. Ainsi le mot ‘route’ éveille chez un lecteur une sensation de jaune, chez un autre - de rouge; pour un lecteur, la route est une image, pour un autre cette image est terne, pâle, et ce même mot n'éveille que l'idée de la route en général, c'est à dire un concept, une notion. La variété des émotions et des sentiments excités est encore plus grande. Ce fait est nettement mis en évidence par les appréciations du lecteur. Ainsi, chez un certain lecteur le mot ‘Lenine’ excite des émotions d'enthousiasme, d'amour, de respect, de grandeur, etc; dans un autre, c'est la haine, la colère, le dédain. De la quantité et de la qualité des émotions dépendent la qualité des appréciations des intérêts, des croyances. Les émotions aussi conditionhent l'attention, l'imagination, l'aperception. Chacun sait d'après ses propres expériences le rôle de l'instinct sexuel, éveillé par certains mots du texte. L'instinct grégaire se fait sentir chez les lecteurs patriotes. De tout ce qui a été dit, nous concluons que: chaque lecteur connaît le texte qu'il lit non tel qu'il est et non avec le contenu que l'auteur y a introduit, mais comme une projection construite par le lecteur lui-même. Nous ne connaissons tous les mots d'autrui que comme notre propre projection de ces mots, et celle-ci caractérise non pas l'auteur, mais nous-même. Quant à expliquer aux autres les phénomènes que nous sentons, nous n'en avons aucune possibilité, parce que chacun de nos mots serait accepté par autrui non comme tel, mais comme une projection construite par notre auditeur ou lecteur. Donc, toute opinion sur un livre caractérise non pas ce dernier, mais bien celui qui l'émet. Et cela est également vrai pour le lecteur profane comme pour le lecteur savant, le critique, le commentateur. Les 15.000 articles, écrits en Russie sur Léon Tolstoï, caractérisent au plus ces critiques et non Léon Tolstoï. Trés caractéristiques sont aussi les analogies et les différences entre les opinions. Et on peut | |
[pagina 439]
| |
amsi classer les critiques et les commentateurs comme tous les lecteurs, suivant leur opinions et leurs notations, d'après leurs genres, espèces et variétés, tout comme le zoologue classe les animaux et le botaniste les plantes. La méthode biblio-psychologique donne la possibilité, comme nous l'avons vu, non seulement de classer les lecteurs, mais aussi de les caractériser par des coefficients numériques qui indiquent l'excitabilité relative en eux des par différents phénomènes psychiques. De cette façon, cette méthode d'étude des projections construites par le lecteur, nous amène à une objective classification des lecteurs, c'est à dire scientifique. Dans le lecteur de mode d'esprit concret, un même texte éveille une plus grande quantité d'images que dans un lecteur de mode d'esprit abstrait. L'un et l'autre inconsciemment exprime ces particularités par le nombre et la qualité de ses notations (réactions). Un lecteur émotionnel ou volitif ou tout autre ne peut ne pas se caractériser soi-même par ses notations. Pour une plus grande exactitude de caractéristique statistique, l'expérimentateur doit surtout s'appuyer sur le plus grand nombre possible des notations, et il est facile d'augmenter ce dernier en augmentant les dimensions du texte-réactif. En résultat, on obtient une classification qualitative et quantitative des lecteurs. Chacune des principales catégories peut être dénommée par une certaine lettre; ainsi. E'- émotions, sentiments; R- représentations, images; N- notions, concepts; V- volitions, désirs; I- instincts; A- actions, etc. Le nombre ou le % des constatations dans chacune des 8 catégories peut être désigné par des chiffres. C'est ainsi que nous obtiendrons une formule du lecteur. Pour un type concret et émotionnel, cette formule sera caractérisée par le fait que les premières places seront occupées par des émotions et des images. Les autres catégories se suivent dans un ordre décroissant. Voici par exemple une formule: E 48 > R 32 > N 17 > V 3 Au contraire, un lecteur de type intellectuel se révèlera par une autre disposition des lettres dans un ordre décroissant aussi. Ainsi: N 54 > V 23 > E 18 > R 5 De cette façon on peut caractériser chaque individu par des centaines de particularités psychiques. L'ordre décroissant caractérise le type, tandis que les chiffres caractérisent l'individualité. Comme on sait, les différentes classifications d'invidividus inventés par les savants sont nombreuses. On les classe d'après leur type, leur caractère, leur tempérament, leur mode d'esprit, etc. Nous n'allons pas passer en revue toutes ces classifications, mais notons seulement qu'une grande quantité consititue non des inductions fixes, mais des manipulations verbales logiques. La classification biblio-psychologique est tout à fait autre. Elle est expérimentale, inductive, s'appuie sur la théorie de la statistique; non de la statistique des livres et des opinions, mais de la statistique des réactions excités par chaque mot isolé du texte-réactif. La théorie de la statistique nous montre de quelle façon nous pouvons passer de l'étude du lecteur donné dans un moment donné à l'étude d'une quantité de lecteurs dans une série de moments et au lecteur moyen. L'étude biblio-psychologique de la lecture et des lecteurs et leur classification présente un grand intérêt pratique et théorique et ouvre des vastes perspectives. 1o elle conduit logiquement à la psycho-analyse bibliologique et elle rend la méthode associationniste du prof. K. Jung plus exacte et plus facilement applicable à l'étude de l'individu par des réactions non orales, mais écrites. Les mots frappent l'esprit, conditionnent le choix et le nombre des numéros indiqués par l'individu étudié, et d'après ces notations, on peut saisir les profondeurs intimes de l'ême. 2o Elle conduit à la gnocéologie comparée. Donnons par exemple à une série de lecteurs une liste de catégories rédigée d'après Aristote, Kant | |
[pagina 440]
| |
ou Renouvier. D'après les notations des lecteurs, nous pouvons classer cer derniers d'après leurs types gnocéologiques. 3o Proposons à quelques artistes dramatiques de donner leurs notations, au sujet de chaque mot d'un même rôle, dont ils sont interprêtes. L'étude comparée de ces notations mène à l'étude comparée des talents dramatiques où chaque talent se fixe par la plume de l'artiste lui-même, et reste ainsi à la postérité. Quand la méthode biblio-psychologique, appliqué à l'art dramatique, sera développée dans tous ses détails, ce fait aura une grande importance pour la civilisation, car de nos jours le talent dramatique et même le souvenir d'un artiste dramatique meurt en même temps que ce dernier. Mais ce qui a'le plus d'intérêt, c'est l'utilisation de la méthode biblio-psychologique dans l'étude objective des oeuvres littéraires et de la littérature en général. Comme on sait, la critique littéraire de nos temps n'est autre chose qu'une collection d'opinions et d'appréciations subjectives. Mais n'y-a-t-il vraiment pas possibilité de transformer cette science subjective en la faisant objective, et cela sans priver personne du droit d'émettre ses appréciations les plus subjectives, quelque-fois très précieuses pour de nombreux lecteurs? Prenons, par exemple, un livre et faisons-le passer par les mentalités d'un grand nombre de lecteurs; étudions leurs réactions. Pour cela, il n'est nullement nécéssaire que les lecteurs nous donnent leurs indications sur tous les mots du livre. La méthode d'échantillons ou typologique nous donne la possibilité de remplacer avec une précision suffisante l'étude du livre entier par l'étude d'une partie de celui-ci, intentionnellement choisie comme étant la plus typique. Ayant reçu les indications de plusieurs lecteurs, nous pouvons déterminer statistiquement les coefficients biblio-psychologiques moyens. Ces derniers ne caractérisent plus l'individualité de chaque lecteur, mais leur niveau moyen. En comparant avec ce dernier chaque individualité, catégorie par catégorie, nous caractérisons cette individualité, à l'aide de ses divergences avec le niveau moyen. Les coefficients du lecteur moyen sont conditionnés par les qualités excitatrices du livre lui-même. Certes, les coefficients moyens de l'action sur ces mêmes lecteurs par d'autres livres diffèrent toujours entre eux. Donc, les coefficients du lecteur moyen caractérisent non seulement ce dernier, mais aussi le livre et justement la force et les qualités de l'action qu'il exerce sur le lecteur moyen, (c'est à dire sur la masse des lecteurs individuels). De ce qui précède, nous voyons que, commençant par l'étude objective des lecteurs d'après leurs réactions, nous pouvons nous éléver jusqu'à l'étude objective des livres. Il est facile de comprendre que de cette façon nous avons la possibilité de: 1o. Préciser objectivement les qualités du livre, mais non comme sa propre projection, mais comme un engin spécial possédant une certaine force excitatrice, activant le lecteur à un certain degré. Ainsi se crée la possibilité de caractériser chaque livre par des coefficients numériques. Donc nous pouvons classer les livres aussi d'après leur type psychique, ce qui donne la possibilité de cette façon de transformer la littérature, son histoire et sa théorie, et de faire d'une science subjective une science objective. On peut préciser par les mêmes méthodes biblio-psychologiques les coefficients moyens des livres dans chaque subdivision de la littérature, dans les belles-lettres comme dans les sciences. Toutes les formes des oeuvres littéraires et toutes leurs particularités-types peuvent être aussi caractérisées par des coefficients biblio-psychologiques. De même chaque style Par ce qui précède on comprend que chaque forme littéraire et chaque style auront toujours une formule qui leur est propre. De cette façon on mettra un terme à toutes les caractéristiques faites subjectivement et à vue d'oeil; et, ce qui est surtout important, cette manière ne rendra certes pas superflues ces caractéristiques, mais indiquera par les chiffres le degré de l'éloignement de leur coefficients du niveau moyen. C'est ainsi que la biblio-psychologie ouvre la voie vers la transformation de la littérature en une des branches des sciences objectives, aussi objective que la theorie de la statistique et la théorie des probabilités. De l'étude du livre, nous nous dirigeons en droite ligne vers l'étude de l'auteur. La méthode biblio-psychologique permet de caractériser non seulement les ouvrages isolés, mais l'oeuvre | |
[pagina 441]
| |
complet d'un auteur. Les coefficients moyens de toute l'oeuvre sont toujours différents suivant les auteurs. Ils caractérisent non seulement cette oeuvre, mais aussi l'auteur lui-même en tant qu'excitateur des phénomènes psychiques de telle ou telle sorte. Chaque auteur est une sorte de réactif agissant sur la totalité de ses lecteurs. On voit donc qu'il existe aussi la possibilité de caractériser les auteurs avec une exactitude objective. On peut aussi les classer d'aprés les écoles littéraires. Il est ainsi possible de caracétriser à l'aide des coefficients biblio-psychologiques la littérature universelle et son histoire. Il est intéressant de mettre en regard l'auteur à côté de ses lecteurs. Dans ce but la Section a proposé à un auteur et à quelques-uns de ses lecteurs de fournir leurs notes pour un même texte écrit par cet auteur. L'un des lecteurs fut du même type que l'auteur. La comparaison des coefficients obtenus montre que, si l'on considère le nombre des notes fournies par l'auteur comme étant de 100, les notes du lecteur de son propre type ne dépassent pas 34, et celles des lecteurs d'autres types 14 à 15. De cette façon, l'oeuvre agit sur les lecteurs de 3 à 7 fois moins fortement que sur son auteur. Ce sont là des chiffres qui intéresseront les auteurs présomptueux. Ces recherches expérimentales démontrent ainsi que chaque livre agit le plus fortement sur le lecteur dont les particularités psychiques se rapprochent le plus des particularités psychiques de son auteur. Nons venons de formuler une des lois fondamentales de biblio-psychologie, dont le créateur est E. Hennequin (1884). On peut considérer cette loi comme étant une preuve évidente de la dépendance fonctionnelle qui existe entre les trois grands facteurs de la littérature: le lecteur, le livre et l'auteur. Les recherches expérimentales mirent au jour un nouveau fait intéressant: l'auteur n'a pas besoin de comprendre ce qu'il écrit. Quels que soient les mots que l'auteur a choisis, quels que soient leur nombre et leur ordre, ils se trouveront être néanmoins des excitateurs dans le processus de leur lecture, et cela n'empêchera pas au lecteur d'attribuer ses excitations à ce texte et les expliquer non pas par ses propres particularités, mais par celles du texte; autrement dit, il donnera lui-même un sens aux phrases les plus insensées. Rappelons le phénomène, qui se produisait autour de la Pythie, comment on donne un sens aux paroles vagues et désordonnées de certains prophètes; de même le phénomène de glossalalie. De tout ce qui a été dit sur l'étude biblio-psychologique des lecteurs et des livres, on peut déduire que: chaque livre étudié peut servir de réactif pour le lecteur et chaque lecteur étudié peut servir de réactif pour le livre. La comparaison des coefficients permet de prévoir le succès ou l'insuccès de ce livre dans les mains d'autres lecteurs. Et, ayant utilisé un livre ou un groupe de livres en qualité de réactif sur la foule des lecteurs, par exemple dans une bibliothèque, on peut déterminer la composition de cette foule, formée de différents types psychiques. Cela signifie que, à l'aide de la méthode biblio-psychologique, on peut subdiviser n'importe quelle collectivité sociale en différents types psychiques. Or, comme chaque type peut être caractérisé par des coefficients biblio-psychologiques, on peut de cette manière caractériser aussi chaque groupe social. La même méthode permet d'étudier les corrélations des types psychiques et leur influence réciproque, ce qui est très important, car la collectivité sociale n'est aucunement la somme des individus, mais, pour ainsi dire, leur combinaison chimique. La Section de Psychologie Bibliologique a cherché le % des différents types psychiques chez les Russes, les Polonais et les Juifs. Il se trouva que les premiers avaient 24% d'individus au mode d'esprit déductif. Parmi les seconds il y en avait 34%, chez les Juifs 42%. Le % le plus élevé des individus au mode d'esprit abstrait se trouva chez les Juifs (26%), le % le moins élevé se trouva chez les Russes (12%). Les caractères émotionnels prédominent chez les Juifs (59%) ils sont en minorité chez les Russes (45%). De façon analogue on peut étudier par les méthodes biblio-psychologiques non seulement les nationalités, mais aussi les classes, les professions et n'importe quel groupe social. Nous avons ainsi une nouvelle méthode de psychologie sociale comparée. De nos jours, grâce aux travaux de la Section, la psychologie bibliologique constitue une | |
[pagina 442]
| |
branche si développé de la science que toutes ses principales généralisations (inductions), ses lois fondamentales sont non seulement formulées, mais prouvées experimentalement. En même temps ces lois s'appuient sur une base de biologie, de psychologie et de sociologie, tandis que la théorie de la statistique y introduit le principe des mathématiques. Examinons brièvement les lois fondamentales de la biblio-psychologie. 1o. Loi de R. Semon ou loi de la Mnème, base biologique de la biblio-psychologie. Grâce à cette loi, toutes les sciences sur la littérature se trouvent aussi placées sur les bases de la biologie. Elles ne sont plus seulement du domaine des philologues. La mnème n'est autre chose que le terrain psycho-physiologique où tombent les graines qui sont les excitations produites par les mots du livre ou de la parole en général. La matière vivante qui entre dans la composition de notre corps possède la propriété de se modifier suivant les influences extérieures et de conserver les traces de ces modifications (engrammes). Tout mot perçu fait revivre tel ou tel complexe de ces engrammes. Ce qui n'existe pas dans la mnème ne peut revivre. Cela signifie que l'action de la parole sur l'individu est fonction de la qualité et la quantité des engrammes, c'est à dire de la mnème. La projection des paroles d'autrui est aussi fonction de la mnème. La parole n'est qu'un réflexe (naturel ou conditionnel) et peut devenir la cause d'un réflexe. Le contenu de la parole est conditionné par la réalité, qui fournit les engrammes. La réalité seule donne la force à la parole et dresse une limite au bourrage de crânes. Tous les lutteurs contre le mensonge ne s'appuient que sur cette loi. Si la mnème change, le contenu de la parole d'autrui change aussi. Nous nous comprenons l'un l'autre en tant que nos mnèmes sont pareilles. 2o. Loi de H. Taine: La composition de la mnème est determinée par l'affluence des engrammes venant de trois sources: 1o. de l'hérédité (mnème héréditaire); 2o. du milieu social, de l'expérience sociale de l'humanité (mnème sociale, économique, politique, confessionnelle, mnème du parti, de la caste, etc.); 3o. par l'expérience personelle de l'individu, c'est à dire de ce que cet individu reçoit là où il passe ou passait sa vie (mnème individuelle). La composition de la mnème est conditionnée ainsi par la race, le milieu et le moment. 3o. Loi de Humboldt-Potebnia ou loi de l'action de la parole. La parole imprimée, écrite ou prononcée, donc le livre et la littérature, ne sont pas des transmetteurs, mais des excitateurs des phénomènes psychiques. Cette loi est expliquée plus haut en détail. Elle met au premier rang le lecteur et non le contenu introduit par l'auteur dans la parole. 4o. Loi des consonances et dissonances des émotions. Dans le processus de l'assimilation de la parole, les émotions et d'autres éléments irrationnels jouent le premier rôle; ce sont eux qui évoquent, choisissent, combinent et cimentent les éléments du type intellectuel (idées, images, concepts, buts conscients). Lors de la consonance des émotions chez deux individus, une idée même contradictoire aux convictions de l'un d'eux peut être acceptée par celui-ci. Lors de la dissonance des émotions, on peut rejeter sa propre idée si celui qui l'émet excite en nous des émotions hostiles. Comme la biblio-psychologie étudie les corrélations entre celui qui écrit et celui qui lit, entre celui qui parle et celui qui écoute, on comprendra de soi-même l'énorme importance de cette loi. La même loi conditionne aussi les phénomènes de l'attention, de l'imagination, de l'aperception, de la suggestion et de l'autosuggestion. 5o. Loi de E. Hennequin, formulée plus haut: la parole agit le plus fortement quand l'organisation psychique de l'auteur ou de l'orateur a le plus de ressemblance avec l'organisation psychique du lecteur ou de l'auditeur; autrement dit, la force de l'action de la parole dépend de l'analogie des mnèmes. 6o. Loi de E. Mach et H. Spencer: L'économie du temps et des forces dans le domaine des relations psychiques entre individus ne peut être atteinte que lors de la correspondance de leurs types psychiques et sociaux. C'est là le but pratique de la biblio-psychologie. Ce principe est considéré comme base de toutes les réformes nécéssaires dans le domaine de la création du livre, sa circulation et son utilisation. On voit avec raison dans | |
[pagina 443]
| |
la biblio-psychologie une sorte de ‘taylorisme intellectuel’ avec cette différence que la biblio-psychologie tend à l'armement intellectuel du travailleur et non à l'organisation des profits économiques de son patron. Telles sont les six lois fondamentales de la biblio-psychologie. Leur connaissance nous donne la force dans toutes nos relations par l'intermédiaire de la parole. Ces lois rendent forts les faibles et leur montrent la possibilité de lutter avec succès contre tout mensonge du régime social. Il est facile à comprendre que ces lois demandent une reforme radicale dans tous les domaines du livre: au lieu de nous appuyer sur la fiction du ‘contenu’ introduit par l'auteur ou l'orateur, nous devons nous baser sur la réalité et ètudier les lecteurs et auditeurs d'après leurs réactions. L'étude des livres comme objets matériels, doit faire place à l'étude des êtres humains vivants.
En conclusion, disons quelques mots de la biblio-psychologie appliquée, dont le domaine est encore plus vaste que celui de la biblio-psychologie théorique. Et c'est justement en pratique que se sont révélées toute la force et toute l'importance sociale et scientifique de la biblio-psychologie. En voici les principales conquêtes. En appliquant la méthode biblio-psychologique, nous avons: 1o. la possibilité de rédiger les livres scientifiques de vulgarisation et les manuels scolaires de telle façon qu'ils soient plus lus que les belles-lettres; 2o. au lieu d'étudier dans les buts de l'instruction et de l'autoinstruction une quantité de livres, poursuivre ce travail avec un nombre de livres relativement petit, sans porter préjudice aux connaissances reçues et au développement mental; 3o. transformer les bibliothèques en des laboratoires où l'on étudie la circulation des idées et de l'opinion publique; 4o. organiser l'activité des maisons d'édition, des rédactions de livres et leur distribution de façon que cette activité ne ressemble plus à un tir désordonné sur un but invisible; 5o. et c'est là peut être le plus important, faire comprendre à tous ceux qui, sous le regime social actuel, sont opprimés, humiliés, offensés et appauvris et qui maintenant n'ont ni les connaissances ni les possibilités pour travailler pour la création de meilleures conditions, qu'ils peuvent, eux aussi, lutter et travailler avec succès, sans verser ni larmes, ni sang; tous ils peuvent apprendre à créer une vie nouvelle, et la créer toujours et partout avec insistance et ferveur, et cela sans se faire remarquer par ceux qui, maintenant, construisent leur bonheur et leur aisance sur les malheurs des autres. Le manque de place ne nous permet pas de nous étendre sur ce domaine de la bibliopsychologie appliquée. Des rapports de la Section et des nombreux articles concernant l'activité de N. Roubakine on voit que toutes les possibilités énumérées ci-dessus sont accomplies et s'accomplissent toujours.Ga naar voetnoot1) ‘La force du livre et de la parole n'est pas encore utilisée pleinement, dit N. Roubakine. Nous n'avons pas encore trouvé les meilleurs moyens de nous en servir. Nous ne savons pas encore les mettre en pratique. De nos temps, le livre n'est pas encore un instrument de la lutte pour la vérité et la justice. Mais nous pouvons et nous devons le rendre tel.’ |
|