Internationale Revue i 10 1927-1929
(1978)– [tijdschrift] Internationale Revue i 10– Auteursrechtelijk beschermdB. de Ligt
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rences chez les peuples les plus dissemblables.Ga naar voetnoot1) Au point de vue philosophique Masson-Oursel démontre que dans les civilisations de la Chine, de l'Inde et de l'Europe, le penser humain s'est exprimé dans des formes de sophistique et de scolastique analogues. Si l'on prend pour point de départ le Nous, ou le Tao ou l'Atman, partout on arrive à la longue à des périodes et des crises correspondantes. Mais seulement l'Europe vécut, selon Masson-Oursel, la Renaissance, cette libération de l'esprit scolastique par la conscience critique. Quoi qu'il en soit - nous reviendrons à cette dernière question -, l'unité essentielle de l'humanité est dans ‘La Philosophie comparée’ reconnue en principe et démontrée par des faits importants. Et la critique sévère faite par son auteur sur la science occidentale officielle, est une synthèse de pensées renouvélatrices qui se réveillent aujourd'hui dans l'esprit de tous les avant-gardes. A l'Ecole Internationale pour la Philosophie d'Amersfoort (Hollande), née par opposition à l'instruction universitaire officielle, tout ce que Masson-Oursel a écrit contre le spécialisme, le rationnalisme, la pauvreté morale, la myopie spirituelle de la philosophie traditionnelle, est ‘communis opinio’ déjà depuis une dizaine d'années. Trop longtemps la plus noble des sciences - cet art -, la science du penser n'a été qu'un travail abstrait de spécialistes, enfermés dans leur métier comme des malfaiteurs dans leurs étroites cellules. La grande misère physique et morale des derniers temps, le bouleversement des conceptions religieuses et philosophiques qui accompagne la révolution politico-économique de notre planète entière, le tremblement de terre moral qui se produit partout, ont secoué si intensément les prisons systématiques des savants traditionnels que plusieurs de leurs portes se sont ouvertes et invitent les internés de sortir dans le vaste univers. Le cri presque désespéré qui monte de la société moderne vers une sagesse créatrice, fait en outre appel à leur conscience. Qu'ils se mêlent enfin dans les combats sublimes pour une vie nouvelle, digne de l'humanité. ‘La Philosophie comparée’ est un symptôme heureux de la naissance d'une manière de penser vivante et créatrice dont Nietzsche surtout, a été le grand précurseur. Les quelques remarques d'appréciation sur les méthodes connues à plusieurs Orientaux, de conquérir la paix intérieure et un pouvoir parfois merveilleux de rayonner moralement, répondent aussi à un besoin profond de nos jours. Il y a des hommes en Asie qui ont vécu ‘la plus haute synthèse de spiritualité’ (p. 187). Celle-ci aussi doit être accessible à l'investigation psychologique. Mais en outre le pouvoir de domination de soi-même et de concentration morale qui s'y montrent, ont une signification éminemment pratique pour notre vie moderne, comme le fut reconnu dans l'oeuvre de Charles Baudouin et du Dr. | |
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A. Lestchinsky sur la discipline intérieure d'après les techniques morales - Bouddhisme, Stoïcisme, Christianisme, Cure mentale - et d'après les psychothérapies - Hypnotisme, Suggestion, Persuasion rationelle, Psychanalyse, Autosuggestion - (1924). Encore une fois Masson-Oursel est en parfaite harmonie avec les tendances les plus intéressantes de ces temps: ‘A trop bien étudier ce qui nous entoure, nous avons oublié notre propre personne, et c'est l'heure ou jamais de remettre en pratique la maxime de Socrate: “Connais-toi toi-même.”’Ga naar voetnoot1) Cela n'est pourtant pas étonnant que l'auteur se soit déclaré non compétant pour la tâche énorme qu'il a indiquée à l'historien moderne de la philosophie. En effet, est-il impossible pour un seul homme de l'accomplir. Il est déjà remarquable que Masson-Oursel ait réussi du premier coup à tant d'égards. Prenez sa chronologie comparée, ce vrai oeuf de Colomb. Elle seule donnerait déjà à son oeuvre la signification d'un renouveau important. Et combien encore plus trouve-t-on dans son travail. Si nous passons maintenant à quelques remarques critiques, c'est surtout parce que nous estimons l'oeuvre de Masson-Oursel trop intéressante pour ne pas en attendre, de cet auteur, d'autres encore meilleures. Et nous n'oublierons pas un moment qu'en comparaison avec l'art, la critique est assez facile. Nous nous bornerons en premier lieu à discuter des questions générales de méthode. Il nous serait d'ailleurs impossible de juger à quel degré les renseignements sur les littératures hindoue et chinoise sont exacts. Ne sachant ni le sanscrit ni le chinois, on ne peut avoir confiance que dans l'auteur, à cause de l'impression de netteté qui ressort de toute son oeuvre, en plus parce que les données avec lesquelles il travaille, semblent s'accorder à celles fournies par d'autres savants, bien compétants dans les sciences orientales. Il manquera bientôt au lecteur attentif de ‘La Philosophie comparée’ les noms de quelques grands penseurs allemands. Avec raison Masson-Oursel a remarqué qu'entre l'Australie, tellement à la mode chez les psychologues et sociologues d'aujourd'hui, et l'Europe, officiellement plus connue, sont situées la Chine, les Indes etc. et qu'il est impossible de bien comprendre les types extrêmes de l'humanité sans ces facteurs interjaçants. Mais il semble avoir oublié qu'entre la France et l'Orient se trouve premièrement....l'Europe centrale. Cela ne provient heureusement pas de quelque mentalité de guerre après la guerre. Les listes abondantes de littérature montrent qu'aussi la science allemande a fourni des matériaux pour les constructions philosophiques de l'auteur. Pourtant cherche-t-on en vain les noms de ceux qui pourraient donner à la philosophie comparée le plus fort élan. C'est vrai que Hegel est mentionné. Mais personne n'aura l'impression que l'idée de Masson-Oursel: de laisser les systèmes religieux et philosophiques se critiquer entre eux, par eux-mêmes, est une conception essentiellement hégelienne. Dans des formes et avec des intentions plusieurs fois réactionnaires, Hegel, ce grand révolutionnaire de l'esprit, a renouvelé presque toutes les branches de la science humaine, spécialement l'histoire des religions, celle de la philosophie, et la science de l'histoire elle-même. Peut-être tout ce que Hegel a élaboré, périra, mais il restera ces deux conceptions essentielles pour chaque philosophie et pour chaque vraie histoire: laisser, en soi-même, le penser se développer librement; accompagner l'histoire en pensant. De même que Comte, Hegel aussi a obscurci la signification éminente des tendances les plus profondes de son système par sa méthode d'élaboration, pleine de préjugés et de fautes inconscientes contre l'essentiel de ses propres idées. Malgré cela il fut un des génials précurseurs de tous ceux qui cherchent la plus grande objectivité de connaissance, en voulant, autant que possible, laisser parler eux-mêmes, les objets de leur investigation. Hegel n'a pas seulement été un des grands génies logiques mais aussi un des plus illustres esprits historiques. Sans lui on ne pourrait se figurer la venue d'un autre historien, ou plutôt psycholoque-sociologue extraordinaire dont on ne peut, non plus, igno- | |
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rer le nom dans une oeuvre de philosophie comparée, fondée sur la connaissance de la vie civilisatrice en général: Marx. Est-ce que Masson-Oursel n'a pas remarqué que la tendance de toute la philosophie hégelienne de la religion n'est rien d'autre que ce qu'il a lui-même parfaitement formulé: ‘le point de départ des explications métaphysiques est le point d'arrivée des aspirations religieuses’ (p. 145)? On pourrait répondre que Hegel n'a en tout cas rien été d'autre qu'un grand précurseur dont on se passe bien aujourd'hui. Je suis convaincu que Masson-Oursel n'est pas de cette opinion. Il sait trop bien qu'on ne peut jamais, dans aucune science, ni dans la vie, passer sous silence ceux qui ont ouvert une nouvelle route, sans courir risque de se nuire sérieusement. Presque toujours les précurseurs ont découvert des valeurs dont, autrefois, on n'a pas compris la signification totale et qui, peut-être justement aujourd'hui, sont les éléments les plus intéressants, sinon les plus indispensables pour la science se renouvelant. Ce qui me semble encore plus singulier, est que Masson-Oursel n'ait pas remarqué comment ses objections contre la psychologie traditionnelle ressemblent, à la lettre, à celle de Freud, Jung, Adler et d'autres psychologues de l'Autriche et de la Suisse. Pourtant une philosophie comparée, traitant aussi la psychologie, n'a pas le droit d'ignorer l'étude moderne la plus intéressante de l'âme humaine qui s'est justement délivrée de plusieurs entraves, condamnées par son auteur, et qui donne raison à quelques conceptions essentielles de la psychologie orientale. Ce qui doit toucher un adhérant de la méthode positiviste française en particulier, est que les résultats de Freud sur les formes les plus anciennes de la religion s'accordent d'une manière surprenante avec ceux de Durkheim. Kolnai a dirigé à bon droit l'attention sur cette coïncidence.Ga naar voetnoot1) Il est encore plus nécessaire de donner toute attention à cette méthode psychologique, puisque même la méthode positiviste appliquée le mieux - Masson-Oursel le sait - ne garantit point du tout une objectivité complète. Nous sommes tous des sujets, et chaque étude historique de quelque importance est pleine d'appréciations conscientes ou inconscientes, c'est-à-dire des éléments plus ou moins subjectifs. Quant à la philosophie, Fichte déjà rémarqua que le genre du penser de quelqu'un dépend de sa disposition individuelle: ‘Was für eine Philosophie man wähle, hängt davon ab, was man für ein Mensch ist.’ Il y a quelques années, Jaspers a écrit une psychologie fort intéressante des ‘Weltanschauungen’ (conceptions de l'univers) et Pfister publia un essai psychologique remarquable du penser philosophique.Ga naar voetnoot2) Chaque science de l'histoire, d'autant plus de l'histoire de la philosophie, a un caractère plus ou moins personnel. ‘L'histoire - dit Paul Valéry - justifie ce que l'on veut. Elle n'enseigne rigoureusement rien, car elle contient tout et donne des exemples de tout.’ Comprendre les choses d'après la place qu'elles occupent dans l'histoire et leur donner l'occasion de se critiquer entre elles, ne veut que dire: comprendre les choses en tant qu'elles sont sues par nous, en connexion avec ce qui nous semble le tout; essayer de laisser les faits, ces abstractions créées par nous-mêmes, se ranger d'eux-mêmes dans notre esprit, sans trop intervenir consciemment. Mais il se produit toujours dans l'esprit des interventions inconscientes, parfois même sournoises. Les données historiques, qui sont toujours déjà des vues plus ou moins subjectives, ne prennent leurs propres places que dans notre conception, toujours relative, de la réalité. Il n'y a pas deux historiens qui aient parfaitement la même conception de l'univers, découvrent le même passé, constatent le même aujourd'hui, attendent le même futur. Masson-Oursel l'a reconnu lui-même: ‘Un fait n'est qu'une vue de l'esprit sur le donné’ (p. 49); ‘ce que l'on cherche, c'est d'ordinaire ce que l'on a, sinon expressément trouvé, du moins pressenti’ (p. 22). Sans doute est-il possible de tirer en grandes lignes, les mêmes conclusions, d'arriver à des solutions | |
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finales correspondantes. Mais cela regarde pourtant principalement les choses qui sont par leur nature les plus impersonnelles. Plus les objets d'étude deviennent vivants et paraissent des produits de sujets, et plus les données scientifiques reproduisent des pensées, des sentiments d'individus, de peuples, de races, plus l'appréciation intime de l'investigateur est impliquée dans son travail intellectuel et ses résultats sont colorés par son évaluation, pour ainsi dire instinctive, des choses. On peut même constater qu'une certaine unilatéralité - quelque amour, quelque haine - est indispensable pour toute oeuvre culturelle vraiment significative. Autrement dit, le caractère positivement scientifique d'une oeuvre historique est toujours relatif, la science de l'histoire étant, dans un certain sens, un art. Il reste pourtant possible de se contrôler sérieusement et de ne pas suggérer au lecteur que l'on parle avec une autorité absolue. Ce qui rend si sympathique l'oeuvre de Masson-Oursel est que, malgré la forme scientifique, on y sent vibrer un coeur humain, que l'auteur se montre convaincu de l'unité essentielle de l'humanité et de la relativité de sa réussite. C'est par cela, peut-être, qu'il a atteint des résultats remarquables. Car, quoique nous ne soyons pas à même d'exprimer la vérité absolue, nous pouvons l'approcher proximativement; du moins nous pouvons exprimer dans des formes plus ou moins pures, ce qui est la vérité pour notre époque, pour la conscience moderne, et qui répond intimément aux tendances les plus profondes de la civilisation naissante. Comme il est difficile, pour ne pas dire impossible, de rester tout à fait objectif, est démontré d'une manière convainquante par Lacombe à l'occasion de la sociologie de Durkheim qui se vantait volontiers sur le caractère impersonnel de sa méthode. En vain ce dernier essayait-il de tenir sa sociologie indépendante de sa philosophie. Plusieurs fois il tranchait ‘a priori des problèmes méthologiques que seule les progrès de la sociologie permettraient de résoudre valablement.’Ga naar voetnoot1) Durkheim a travaillé souvent avec des conceptions arbitraires, fantastiques. Consciemment positiviste, il était, inconsciemment, par un besoin indomptable, poussé à la métaphysique.Ga naar voetnoot2) Lacombe réduit les principes durkheimiens à leur essentiel. Il en reconnait la grande valeur, mais ajoute: ‘Nous croyons que la sociologie de demain devra tout à la fois interroger le plus possible les faits matériels, s'efforcer de déterminer entre eux. comme le lui a montré Durkheim, des relations précises, mais en même temps et en s'appuyant sur les résultats ainsi obtenus, s'efforcer d'atteindre son véritable objet au moyen d'enquêtes psychologiques.’ Heureusement que, dans la philosophie ainsi que dans les sciences naturelles, on peut arriver à des résultats importants même avec des méthodes bien faillibles, et que les conclusions d'une manière de travailler peuvent être contrôlées, corrigées et complétées par celle d'une autre manière. A cet égard l'hypothèse de Jung qui dans son ‘Wandlungen der Libido’ (1912) supposait une ‘historische Schichtung der Seele (formation de l'âme en couches historiques) est devenue d'une signification éminente. Aussi les essais de Freud, d'appliquer le résultat de ses études de névroses à la psychologie de masse et des peuples, ont une valeur indéniable pour l'historien de la religion et de la philosophie, même si sa conception était unilatérale et parfois fantastique. Le psychiatre Levy-Suhl a continué dans cette voie en comparant, dans ‘Neue Wege in der Psychiatrie’ (1925), la vie psychique des soi-disant sauvages avec celle des civilisés aliénés, et a confirmé les conclusions principales de Levy-Bruhl sur la mentalité primitive. La psychopathologie moderne donne un moyen extraordinaire pour comprendre d'autres races et d'autres civilisations. Non moins que la philosophie comparée elle nous fait rompre avec l'identification naive: Européen = Homme, et reconnaître qu'il y a dans le monde différentes formes de penser qui se rangent, se suivent et s'entremèlent pendant les siècles d'une manière aujourd'hui de plus en plus concevable. Pendant que Freud est l'analyste moderne de la vie individuelle, Marx est l'analyste déjà | |
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classique de la vie sociale. Est-il permis, dans une philosophie comparée qui veut comprendre les pensées et les sentiments humains au moyen d'une science comparative des civilisations, d'ignorer la conception dite ‘matérialiste’ de l'histoire? On ne doit pas se laisser égarer par un mot. De même que Freud, Marx a grandement nui à l'efficacité de ses idées en employant des termes trop crus et des formules, plusieurs fois bien forcées. On pourrait dire que lui-même en est devenu la première victime, parce que - réalité trop méconnue - les mots caractéristiques et les termes régulièrement employés ont une suggestion incalculable, non seulement sur les auditeurs et lecteurs, mais aussi sur le conférencier et l'écrivain lui-même. Sans doute la dureté des formules originelles a été la cause que beaucoup de ‘marxistes’ se soient détournés de la bonne voie scientifique. En tout cas, Marx lui-même n'a pas été marxiste. Il n'a pas voulu l'être. Et son collaborateur Engels a plus tard, en 1895, adouci et élargi considérablement leurs premières définitions aussi audacieuses qu'unilatérales, et découvert leurs vraies intentions sociologiques.Ga naar voetnoot1) Ce que l'on combat en général comme ‘matérialisme historique’, et qui ne peut jamais être assez combattu, est presque toujours une caricature ou la dégénérescence, sinon la corruption, de ce que Marx et Engels eux-mêmes cherchaient, plutôt que ne trouvaient. On peut reconnaître le droit absolu des protestations de De Greef et de Gille contre un ‘marxisme’ mécanique et vulgaireGa naar voetnoot2). Mais déjà le petit livre de Ch. Rappoport sur ‘La Philosophie de l'Histoire’ fait comprendre que la signification impérissable du travail de Marx n'en est pas touchée. Avec une neutralité remarquable le sociologue éminent qu'est Pareto, a plusieurs fois donné à entendre que, si l'on sait bien distinguer, ‘matérialisme historique’ signifie simplement ‘conception objective et scientifique de l'histoire’ - ajoutons avec prudence: pour autant que celle-ci est possible.Ga naar voetnoot3) Dans tous les cas, l'unilatéralité souvent farouche de Marx a eu cet avantage que l'influence puissante des conditions économiques sur la vie intellectuelle et morale des hommes est devenue connue une fois pour toutes. On pourrait dire que De Greef s'exprime comme marxiste idéal en déclarant que les phénomènes économiques ne sont pas des phénomènes tout à fait matériels: étant les éléments fondamentaux de la structure sociale et de la vie collective, ils impliquent des facteurs idéologiques. Celui qui étudie l'exposé encore un peu étroit, mais d'une admirable clarté, que Labriola a donné dans ‘La Conception matérialiste de l'Histoire’ (1902), constate bientôt que Marx a été plutôt réaliste, positiviste ou empiriste que matérialiste et qu'il cherchait, fidèle à la vraie tradition hégelienne, la plus grande objectivité pour la science sociale et la plus grande sûreté pour l'évolution humaine. En opposition légitime à un socialisme fantastique, abstrait, subjectiviste et vague, il essayait de baser les demandes du prolétariat moderne sur des faits sociaux. Il le faisait pourtant avec trop de rudesse et négligeait imprudemment les grands facteurs moraux. Il y a quant à Marx le même malentendu qu'à l'égard de Durkheim. Dans son introduction au ‘Sociologie et Philosophie’ (1924) de ce dernier, Bouglé le défend contre l'accusation de matérialisme et d'utilarisme en relation avec le principe, ‘traiter les faits sociaux comme des choses’. Ce que Durkheim entend par ‘des choses’, n'est rien que les données sociales objectives qu'il veut comprendre d'une manière non-individualiste, sans préjugés de sentiment ou de morale. C'est exactement la même intention qui a fait parler Marx de ‘matérialisme’. Max Adler et Clara Meijer Wichmann ont fait la même chose | |
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pour le dernier que Bouglé le fit pour Durkheim, en désignant Marx comme le grand psychologue de la vie économique et sociale.Ga naar voetnoot1) Voilà les données qu'il voulait étudier et sur lesquelles il jeta plusieurs fois une lumière surprenante: les réalités techniques, économiques, sociales, psychiques, juridiques, morales, religieuses etc. dans leurs relations réciproques. Plus tard Kautsky, et spécialement Mehring et les néomarxistes ont reconnu, au moins en principe, la grande signification sociale non seulement des conditions économiques mais aussi de la personnalité humaine, sans laquelle ni la vie économique ni l'évolution culturelle auraient été possible. La vie technique et économique - Marx l'a exprimé clairement - est elle-même déjà une révélation de l'esprit humain. Mais elle forme, selon lui, pour ainsi dire le fondement de toute autre évolution; elle la conditionne et l'influence toujours intensément, cependant pas sans qu'elle soit aussi influencée continuellement par les autres formes de penser et d'agir des hommes. Supposons qu'il soit exagéré de dire que les dernières causes de tous les changements idéologiques et sociaux peuvent être trouvées dans les relations économiques, personne ne peut nier que l'influence de ces facteurs sur l'esprit humain est immense, qu'ils ont joué dans l'histoire maintes fois un rôle prépondérant et que les changements techniques et économiques font aujourd'hui trembler non seulement l'édifice sociale de tous les peuples, mais aussi toutes leurs conceptions du monde. D'ailleurs, autrefois déjà le grand penseur arabe Ibn Khaldun s'efforcait de demontrer, comment la différence des moeurs etc. dépend de la manière dont les hommes se procurent leurs moyens d'existence, et revolutionnait ainsi la conception de l'histoire traditionnelle. Et qui a vu mieux que Confucius, ce sociologue d'avant Christ, la signification extraordinaire des conditions économiques pour chaque civilisation? Selon le grand Chinois l'économie est la base de la politique. ‘L'économie, l'éthique et la politique, toutes ces sciences, participent à la science de la justice, en formant un seul entier. Mais parmi elles l'économie passe en tête, étant la plus importante.’Ga naar voetnoot2) En un mot: vouloir comprendre la pensée humaine en relation avec les milieux civilisateurs différents répond nettement à l'intention essentielle du soi-disant matérialisme historique. Tous ceux qui veulent étudier l'histoire de la philosophie à ce point de vue, ne peuvent négliger les principes de la science qui jusqu'ici, plus qu'une autre, a dévoilé les dessous sociales et techniques des pensées et des sentiments même les plus élevés.Ga naar voetnoot3) L'influence de la vie sociale s'étend dans les terrains les plus abstraits. Durkheim ne se sentait-il pas obligé d'indiquer l'origine sociale des catégories du ‘temps’ et de l'‘espace’, ne s'est-il pas demandé si la notion philosophique de ‘contradiction’ ne dépend pas, elle | |
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aussi, des contradictions sociales antérieures. Pourtant l'essai de Durkheim, d'expliquer la religion comme un produit social, ne signifie point du tout que les représentations métaphysiques ne seraient rien d'autre que des reproductions mécaniques des relations existantes dans la société humaine, des reflets immédiats, purement passifs. Le cas est plus compliqué. Selon Durkheim la religion n'est pas un simple épiphénomène mais ‘une synthèse sui generis qui a pour effet de dégager tout un monde de sentiments, d'idées, d'images qui, une fois nés, obéissent à des lois qui leur sont propres.’Ga naar voetnoot1) Ce que Durkheim veut maintenir ici contre le matérialisme, historique, est justement soutenu par un adhérant éminent de ce même ‘matérialisme’ sans pourtant qu'il recoure à la thèse insoutenable de l'extérioté des faits sociaux par rapport à la conscience individuelle: ‘Le processus de dérivation et de médiation est très compliqué, souvent subtil et tortueux, pas toujours dechiffrable - écrit Labriola -. L'homme se produit et se développe lui-même à la fois comme cause et effet, comme auteur et conséquence de conditions déterminées, dans lesquelles s'engendrent aussi des courants déterminés d'idées, d'opinions, de croyances, d'imaginations, d'attentes, de maximes. De là naissent les idéologies de toute sorte, comme aussi les généralisations de la morale en catéchismes, en canons et en systèmes. Il ne faut pas s'étonner si ces idéologies, une fois nées, sont ensuite cultivées à part par voie d'abstraction, et qu'à la fin elles apparaissent comme détachées du terrain vivant sur lequel elles ont pris naissance et, comme si elles se tenaient au-dessus des hommes comme des impératifs et des modèles.’ (p. 237-238) Les valeurs religieuses et philosophiques une fois nées dans la vie des hommes, forment leurs propres traditions qui peuvent évoluer selon leurs propres lois. En même temps pourtant il existe une interaction continuelle entre les conditions économiques et les forces idéologiques, qui influencent aussi la vie sociale. Dans ce procès tantôt l'un, tantôt l'autre prédomine, mais les conditions économiques y jouent un rôle capital. Voilà qui n'est ni matérialisme ni fatalisme. Marx était si peu matérialiste ou fataliste que la tendance la plus profonde de sa sociologie était justement qu'à la longue l'homme devienne à même de subordonner la vie économique et sociale à ses besoins intellectuels, esthétiques et moraux. Regardé ainsi, il y a une correspondance essentielle entre la psychologie de la société selon Marx et la psychologie de l'individu selon Freud: tous les deux préconisent un procès raisonnable de sublimation. Rien de plus naturel qu' Eden et Cedar Paul, Clara Wichmann, Paul Krische, Henriette Roland Holstvan der Schalk et les Rühle aient déjà essayé de rattacher l'une à l'autre. C'est-à-dire que, pour créer ‘une philosophie comparée prenant pour base l'histoire’, on ne peut pas rester plus chez Marx que chez Hegel. Non seulement Freud et Jung mais aussi Alfred Adler jette une lumière nouvelle sur l'évolution sociale et les relations des intérêts et les idéaux. Roffenstein qui le reconnait, déclare, en se libérant de tout marxisme vulgaire: ‘Dans la vie historique et sociale, il n'y a ni lois ni combinaisons simples.’ (p. 45-46). Si l'ou veut s'approcher de la vérité sociologique, il faut qu'une mehrdimensionale Diagnostik (diagnostique dans plusieurs sens) remplace la considération unilatérale traditionnelle. Celui qui veut créer une histoire de la philosophie, y compris les systèmes religieux-métaphysiques et les conceptions psychologiques de l'Orient et l'Occident, doit étudier son sujet à autant de points de vue que la science internationale moderne le rend possible. Sans doute aussi l'oeuvre intéressante de Müller-Lyer sur les phases de la civilisation pourrait venir en aide à cet égard. En tout cas, personne n'a le droit d' ignorer, dans ces ordres d'idées, le travail éminent de Max Weber sur la sociologie de la religion. Malheureusement Weber mourut, encore en train de chercher pourquoi, durant les derniers siècles, en Occident des conceptions, parmi lesquelles la science moderne, sont nées ayant une valeur universelle pour l'evolution de l'humanité. Son oeuvre abondante - hélas écrite dans une langue quasi-scientifique allemande qui s'éteint aujourd'hui, heureusement - est une comparaison large et profonde des éthiques | |
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religieuses européennes, juives, indiennes et chinoises, qui touche plusieurs fois à l'essai philosophique de Masson-Oursel. Il me semble que Weber est encore trop hanté par des préjugés européens, combattus par Masson-Oursel à juste titre. Mais malgré tout, ses explorations sont indispensables pour celui qui veut comparer l'évolution des courants philosophiques principaux. Weber aussi a constaté, combien la vie économique et la pensée métaphysique sont intimément liées et s'interfluencent. Niant une détermination constante et absolue des formes religieuses et philosophiques par des relations techniques et sociales, démontrant qu'aussi l'évolution des idéologies peut modifier profondément les formes de la société, laissant en principe la liberté à toute possibilité d'interaction et de prédominance d'un facteur civilisateur sur l'autre, il reconnait pourtant le rôle essentiel des conditions économiques, et constate par exemple que pour les primitifs la pratique religieuse ou magique est, dans ses facteurs originaux, d'un caractère nettement d'ici-bas (diesseitig). ‘Ce qui prédomine dans les buts de telles actions est le besoin économique.’Ga naar voetnoot1) Il déclare que l'influence de l'évolution économique sur le sort des grandes formations du penser religieux doit toujours être considérée comme ‘très importante’. Seulement les contenus de la pensée religieuse ne peuvent pas être purement et simplement déduits des facteurs économiques. ‘Ils sont justement de leur côté les éléments les plus plastiques du “caractère populaire” et portent en eux-mèmes leur autonomie (relative) et leur force contraignante.’Ga naar voetnoot2) Ailleurs il écrit: ‘Ce sont des intérêts matériels et idéals, non des idées qui dominent immédiatement l'action des hommes. Mais les conceptions du monde qui furent créées par des idées, ont très souvent, comme des aiguilleurs, déterminé les voies dans lesquelles la dynamique des intérêts faisait avancer l'action.’Ga naar voetnoot3) L'intention ultime de Weber était de créer une sociologie qui serait ‘la connaissance de soi-même de l'esprit humainGa naar voetnoot4). Il n'a pas pu l'accomplir mais, continuant la route ouverte par Hegel et Marx, il l'a préparée en plusieurs sens. Comme cette sociologie, la philosophie comparée, inaugurée par Masson-Oursel, pose des questions qui pour leur solution font appel à presque toutes les sciences humaines. Elle exige le travail de maints savants et penseurs. Ce que Vincent van Gogh rêvait de l'art futur: une association de collaborateurs, devient dès ce moment une nécessité pratique inévitable aussi pour l'histoire de la philosophie. Il est par exemple très intéressant - comme Masson-Oursel le constate - de savoir que les Européens doivent leur logique abstraite, jusqu'ici unique dans le monde, à Socrate. Mais Labriola se permettait déjà en 1897 de demander ironiquement: ‘Ne va-t-on pas à l'école depuis des siècles apprendre que Jules César a fondé l'empire et que Charlemagne l'a reconstitué; que Socrate a à peu près inventé la logique et que Dante a presque créé la littérature italienne?’Ga naar voetnoot5) Pour comprendre mieux le penser de Socrate, on doit mieux comprendre Socrate lui-même dans l'histoire et, pour cela, connaître la vie sociale de son temps, ce qui est impossible sans en avoir étudié les bases économiques. On doit se poser la question: pourquoi la manière de penser de Socrate pouvait-elle être née et trouver un écho, pourquoi fut-elle gardée et acceptée en Europe, etc. Pour comprendre le dualisme tranchant de l'âme et du corps qui a eu une influence infinie sur la métaphysique, la philosophie, la psychologie et la morale occidentales, on doit au moins étudier la psychologie (dualisme d'orgie et de rêve) et la sociologie (dualisme de classes), c'est-à-dire les sciences de Freud et de Marx. Pour comprendre pourquoi les Chinois estiment le principe ‘yang’ lumineux, chaud et masculin, le principe ‘yin’ obscur, froid et féminin, on doit connaître les conditions sociales des hommes et des femmes dans le pays désigné. Finissons avec une des questions les plus importantes. Masson-Oursel a caractérisé la Renaissance européenne comme un phénomène unique dans l'univers. Cela n'est pas par- | |
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faitement exact. On pouvait, par exemple, parler déjà depuis longtemps à bon droit d'une Renaissance chinoise. Masson-Oursel, dans son introduction, constate que ‘la Chine médiévale accueillit avec avidité le Bouddhisme indien qui lui apportait, parmi des idées nouvelles, avec un modèle d'organisation monacale, d'inédites recettes pour contenter de vieux instincts.’ (p. 1). Dans ses ‘Outlines of chinese History’ (1914) Li Ung Bing appelle l'attention sur l'influence profonde exercée par l'esprit indien en Chine sur l'architecture, l'arithmétique, l'astronomie, l'astrologie, la littérature, la musique, l'art plastique, en un mot ‘dans chaque branche de la science et de l'art chinois’. La civilisation en fut tout à fait renouvelée. On pourrait pourtant remarquer - comme le fit Masson-Oursel - que, malgré tout, cette renaissance chinoise n'a pas eu une signification essentielle, comparée à la Renaissance qui se produisait en Europe: l'opposition de l'esprit chinois et de l'esprit indien n'était pas aussi profonde que celle de l'antiquité et du catholicisme, qui faisait un appel puissant sur le sens critique européen. Réflexion nettement juste. Mais qu'on n'oublie pas que la tradition antique n'était jamais éteinte en Europe pendant le moyen âge. Pourquoi donc se produisait-il à ce moment de l'histoire cette crise morale, juridique, esthétique, scientifique, philosophique etc.? Masson-Oursel fait allusion à ‘une volonté d'individualisme qui s'élève contre l'autorité soit du livre, soit du maître’ (p. 98). Mais d'où cette force individuelle, et comment fut-il possible qu'elle se maintînt et eût cause gagnée? Obligé de chercher plus loin, on trouve bientôt que la révolution économique, l'avénement du capitalisme, a rendu possible l'évolution culturelle individualiste, et qu'elle a éveillé et stimulé sans trêve la raison critique.Ga naar voetnoot1) On découvre que les pensées des anciens s'accordent si merveilleusement à l'esprit des temps nouveaux parce qu'elles naquirent et furent répandues autrefois dans un monde dont la vie politico-économique favorisait aussi à un haut degré le développement individualiste et la poussée du sens critique. Partout où le capitalisme pénètre, il éveille les forces individuelles dans les classes dominantes et les tendances sociales dans les masses exploitées.Ga naar voetnoot2) Nous le voyons à ce moment dans l'Asie. Le fait dont nous avons parlé antérieurement, qu'un érudit oriental est venu à Florence pour se dévouer à l'étude de l'art et de la vie d'un des plus grands maîtres de la Renaissance européenne, que Yukio Yashiro ouvrit son esprit non seulement à l'oeuvre de Botticelli mais aussi à ce qui est le plus élevé dans la civilisation occidentale en géneral, n'est-il pas un symbole de la Renaissance mondiale qui est en train de se préparer? Aussi autrefois des pensées et des sentiments européens - grecs et romains par exemple - ont pénétré dans l'Orient. Mais ils n'étaient pas encore accompagnés de conditions sociales réveillant une mentalité générale prête à accepter l'essentiel de cette nouvelle forme de penser et de sentir. L'Orient restait l'Orient, en se sachant, lui aussi orgueilleux, étranger à l'Occident et en se sentant, lui aussi borné, la vraie Humanité. Aujourd'hui l'âme orientale s'est éveillée de son rêve trop étroit. Elle n'est plus satisfaite d'elle-même et commence à reconnaitre que l'Occident et l'Orient ne sont, tous les deux, que de différents aspects d'une humanité. Pour employer une expression biblique: les temps sont accomplis. A côté de la Renaissance occidentale il s'est levé aujourd'hui une Renaissance orientale. Non seulement au Japon mais aussi en Chine. Dans ‘The World Tomorrow’ (janvier 1926) T.L. Chen parle d'une ‘Renaissance générale de la jeunesse chinoise’, critique du passé de son peuple, mécontente de la situation sociale, politique et internationale actuelles, pleine d'envie d'accepter le meilleur de la civilisation occidentale, mais préparant consciemment un futur nouveau qui sera propre à la Chine. Sous le titre de ‘La Renaissance chinoise’ Kwee Kek Beng consacre tout un chapitre de son histoire de Chine à ce thème important. ‘En Chine - écrit Wells - le rythme de la vie est changé. Une ère nouvelle | |
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s'ouvre brusquement. Une Chine inattendue surgit, une chose inconnue jusqu 'à ce moment. Et c'est pour l'humanité comme un défi ou une promesse.’Ga naar voetnoot1) Est-ce un accident passager? Nous n'en croyons rien. Le pouvoir révolutionnaire du capitalisme, conquérant le monde, s'y est montré déjà trop puissant. Son rationnalisme économique était même capable de briser la puissance fatale de la divination du taoisme dégénéré, invincible pendant de nombreux siècles. Ce sont encore spécialement des Occidentaux, qui y ont eu jusqu'à maintenant la direction du renouveau technique et économique. Mais nous ne sommes qu'au commencement. Ce qui, en tout cas, augmente la chance que les Chinois réusissent d'adapter la technique moderne à leurs besoins, est que la différence entre les Orientaux et les Occidentaux n'est pas aussi importante qu'on le croirait au premier abord. Plus l'on monte dans le passé, plus, ce que l'on trouve de civilisation en Chine, ressemble à ce que l'on trouve chez nous. ‘Aussi bien la croyance populaire ancienne, les anciens anachorètes, les chants les plus anciens du Schiking, les anciens rois de guerres, les oppositions des écoles philosophiques et le féodalisme, que les germes d'une évolution capitaliste dans le temps des Etats séparés, nous paraissent plus parents aux phénomènes occidentaux que les propriétés quasi typiques de la Chine confucianiste. On doit compter avec la possibilité que beaucoup de traits qu'on regarde volontiers comme innés n'ont été que des produits d'influences civilisatrices, déterminées simplement par l'histoire.’Ga naar voetnoot2) Dans ‘Die Philosophie des primitiven Menschen’ (1913) Wundt a dirigé l'attention sur le fait que les conceptions primitives de la vie et du monde sont, partout sur le globe, d'une identité surprenante. Et les anthropologues modernes reconnaissent que depuis des milliers d'années des courants de civilisation ont circulé tout autour de la terre. Il existe non seulement une parenté psychique mais aussi une relation historique entre les hommes de l'Amérique avant Colomb, de l'Asie et de l'Europe. Il y a eu beaucoup plus de relations entre les peuples et entre les races qu'on l'a reconnu ordinairement. Aussi Yukio Yashiro fait l'observation que l'affinité artistique d'Utamaro et de Botticelli ne provient pas seulement d'une disposition intérieure analogue mais aussi des influences extérieures esthétiques qui se répandaient de l'Inde et de la Perse jusqu'en Chine et en Europe (I p. 87-89). Relativement à la Chine la question des races semblait, il y a quelque temps encore, tout à fait insoluble. ‘Le problème antropologique chinois - écrit Pittard - demeure encore intacte.’Ga naar voetnoot3) Peut-être que le Dr. Legendre vient d'en trouver enfin la solution? Selon lui, la Chine serait composée de deux apports ethniques, l'un d'origine blanche - soit aryenne, soit sémitique -, l'autre négroïde; quant au type dit: jaune, il serait issu d'un métissage de blancs et de noirs qui se perpétuait pendant des siècles. Ce seraient les blancs, venant des hauts plataux de l'Asie Centrale auxquels la Chine devrait tout au point de vue civilisateur. L'origine de la civilisation chinoise serait la même que de celle de l'Europe, et ni la vie sociale ni la vie culturelle chinoises n'auraient pu évoluer à nul égard que par des influences toujours renouvelées de l'Ouest. On a la forte impression que Legendre a une antipathie irraisonnée contre les Chinois et qu'il montre une préférence exagérée pour les blancs. Il va si loin de décréter que les Chinois manquent de toute originalité, même en art. Pourtant il y a quelque chose de juste dans ses observations. C'est que la pénétration des races étrangères et des idées et coutumes d'autres peuples ont fait revivre plusieurs fois l'esprit chinois. Supposons un moment que la théorie de Legendre soit tout à fait correspondante à la réalité. Même dans ce cas l'entrée de la technique et de la science occidentales en Chine pourraient causer un renouveau inouï, encore plus, que les Américains, Russes et les Japonnais y ont déjà une influence considérable. Supposons la thèse de Legendre exagérée, alors on peut assurément compter sur une Renaissance grandiose. Il nous semble qu'à cet égard Grousset a prononcé le mot juste. Il se demande si les | |
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Européens qui actuellement dominent, contrôlent ou contiennent 870.000.000 d'Asiatiques et de musulmans africains, conserveront encore longtemps leur hégémonie. Il en doute sérieusement. A l'arrivée des Européens la plupart des peuples orientaux étaient en complète décadence. ‘La conquête européenne, bien à l'insu de ses auteurs, eut pour les terres conquises la valeur d'un Risorgimento. Elle les tira de leur léthargie et leur rendit conscience d'elles-mêmes. De la Chine des Mandchous elle fit la Chine de Sun Yat Sen, de l'Inde des grands Mogols, l'Inde de Ghandi et des Congrès. Elle fit aussi de la Turquie de Méhémet VI l'irréductible Turquie kémaliste et de l'Egypte des derniers khédives l'Egypte de Zaghloul Pacha’. En un mot: de l'européanisation de l'Asie sortit la révolte de l'Asie contre l'Europe. ‘L'Orient contemporain est ainsi devenu le siège d'une transformation semblable à celle de l'Europe au milieu du dix-neuvième siècle: la transformation de très vieux pays devenus de jeunes nations.’Ga naar voetnoot1) Partout opèrent maintenant des Mazzini jaunes et des Garribaldi musulmans. La guerre mondiale, même le décalogue wilsonien, ont fait pousser enormément ces tendances. L'Orient se réveille. Non seulement la Chine, aussi les Indes commencent à se lever. Masson-Oursel fait dans son ‘Esquisse d'une Histoire de la Philosophie indienne’ quelque allusion à la possibilité d'une renaissance hindoue (p. 255). Un des meilleurs connaisseurs sur ce terrain, Helmuth von Glasenapp, nous assure que l'Inde est dans un état fiévreux de transition. ‘Le réglement des comptes relativement à la civilisation occidentale se poursuit. Il a chaque année un caractère plus aigu. Malgré les conquérants étrangers et la suppression séculaire, on est resté fidèle à ses propres traditions. L'Inde réalisera sa renaissance elle-même et à sa manière.’Ga naar voetnoot2) On le remarque aussi dans les Indes dites Néerlandaises. Les mouvements qui se sont produit là-bas doivent plutôt être compris en relation avec les événements du Maroc, d'Egypte, d'Arabie, des Indes, dites Anglaises, qu'en relation avec la Russie, dont l'influence y joue, tout comme en Chine, un rôle accéssoire, d'ailleurs important. Le poète javanais Noto Souroto met en garde contre un mépris borné de ce réveil des millions. L'Orient et l'Occident ont besoin l'un de l'autre. Mais si l'Occident ne comprend pas cela, les conséquences en peuvent devenir affreuses: ‘Dans son essence la question des races est née d'un préjugé, sinon antichrétien, toujours irreligieux des races blanches.’Ga naar voetnoot3) Ainsi le monde entier est en mouvement comme une ruche d'abeilles au printemps. Aussi le monde islamique, apparemment endormi pendant des siècles, est redevenu actif et vivant. Dans ‘Die gegenwärtige Gestalt des Islam’ (1926), Alfred Bertholet démontre comment la vie sociale et spirituelle s'y renouvelle partout. Les modernistes, voulant se libérer des traditions surannées, les traditionnalistes, exigeant le retour aux Pères, tous les deux font fermenter les pensées, et essayent de s'adapter aux conditions politico-économiques modernes. Une force réveillée se met au service d'une idée régénérée. L'oeuvre de Masson-Oursel est donc une des multiples preuves de la grandeur du temps dans lequel nous vivons: un temps de revision générale de soi-même. Il tombe des frontières séculaires. Il naît de nouvelles communautés politiques, économiques et morales. Partout la notion commence a pénétrer que l'on ne peut plus vivre et évoluer en homme qu' en relation avec tous les autres. En même temps on cherche à rester fidèle au meilleur de soi-même. Si grande que soit aujourd 'hui plusieurs fois l'obscurité morale, quelles periodes affreuses il semble qu'il nous faille encore traverser, malgré les sombres dangers dont sont menacées encore plusieurs générations de l'humanité, nous entrevoyons déjà le premier crépuscule d'un jour mondial nouveau. |
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