De Gulden Passer. Jaargang 84
(2006)– [tijdschrift] Gulden Passer, De– Auteursrechtelijk beschermd
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Juan R. Ballesteros
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Les Admiranda et l'histoire: projet, éditions et diachronieLe premier problème à résoudre afin de comprendre les Admiranda est celui du genre littéraire de l'ouvrage: les Admiranda sont-ils un commentaire historique des auteurs cités? une description de l'Empire romain? un ouvrage érudit? un texte littéraire? Lipse avait la capacité d'étonner ses contemporains par l'originalité de sa création littéraire et scientifique.Ga naar voetnoot3 Dans les genres historiographiques humanistes, les Admiranda présentent aussi une certaine dose d'originalité. Évidemment, le livre n'est pas un commentaire comme celui, célèbre, que Lipse avait consacré à Tacite (Anvers, 1581 pour celui des Annales; Leyde, 1585 pour les Histoires et les Opera minora). Individuellement chacun des 48 chapitres qui le composent pourrait passer pour un essai antiquaire comme ceux qu'il avait publiés dans les Electorum libri i (Anvers, 1580) et ii (Leyde, 1585) avec d'autres notes philologiques. Or, l'ensemble du travail a une toute autre portée. J'ai déjà démontré par ailleurs que les Admiranda sont un travail d'historien et non plus d'antiquaire. Ils offrent un récit sur l'Empire romain avec un contenu érudit notable, mais aussi un cadre narratif et théorique très moderne.Ga naar voetnoot4 Le dessin original du projet peut appuyer ce point de vue. C'est après la publication des Politicorum sive civilis doctrinae libri sex (Leyde, 1589) qu'on peut trouver les premières mentions d'un projet semblable aux Admiranda de 1598 dans la correspondance de Lipse. Dans deux lettres d'août de 1589, Lipse annonce le commencement d'un nouvel ouvrage: ‘Nos iam in manu habemus Dialogum De magnitudine Romana’ explique-t-il à son ami liégeois, Dominicus Lampsonius,Ga naar voetnoot5 mais le ton du travail reste encore incertain entre le traité antiquaire et la critique philologique.Ga naar voetnoot6 Les Admiranda, cependant, ne seront élaborés que dix ans après, à la suite d'un long silence sur le projet. Avant de revenir sur ce projet, Lipse dut réaliser un voyage ‘du Nord au Sud’ des Pays Bas et d'autres écrits en rapport avec son retour à Louvain.Ga naar voetnoot7 Généralement on a comblé cette lacune par des réflexions contenues dans la correspon- | |
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dance de Lipse et dans la préface du De militia Romana (1595) à propos d'un autre travail historique: la Fax historica.Ga naar voetnoot8 Pendant le décennie 1590-1600, Lipse formula à plusieurs reprises ses intentions sur ce projet qui a été rapproché des Admiranda en raison de quelque détail significatif.Ga naar voetnoot9 Les Admiranda contiennent des chapitres (celui sur les célébrations triomphales des Romains, Admiranda 2,8) notamment prévus pour la Fax. L'abandon ultérieur de la Fax, qui ne fut jamais achevée par Lipse, a permis de voir dans la publication des Admiranda l'apparition simplifiée du travail accompli pour la Fax historica. La Fax historica fut présentée par Lipse plusieurs fois à ses lecteurs et collègues avant et après la publication des Admiranda. Il me paraît fort intéressant pour donner la vraie mesure de la Fax dans la production historique de Lipse, de souligner deux caractéristiques du projet. En premier lieu, il a modifié très profondément ce qui devait devenir l'ouvrage au fur et mesure qu'il l'explicitait. Ensuite, il est évident que le projet était encore vivant après la publication des Admiranda. Initialement la Fax avait l'air d'un grand commentaire historique, une sorte d'histoire romaine fondée sur des sources historiques anciennes.Ga naar voetnoot10 Dans l'exposé placé á l'introduction du De militia Romana, la Fax devient une description antiquaire des institutions publiques et privées romaines.Ga naar voetnoot11 Finalement, dans la préface de son édition de Sénèque (1605), le vieux projet est présenté comme un lexique des moeurs et des rites antiques classé mot à mot selon un ordre alphabétique.Ga naar voetnoot12 Les Admiranda, aussi, ont été envisagés comme un projet encyclopédique, mais sans la volonté d'épuiser les sujets qu'on peut soupçonner dans la Fax.Ga naar voetnoot13 En fait les Admiranda peuvent être interprétés comme l'abandon explicite de la volonté de faire un travail antiquaire exhaustif. De ce point de vue, la Fax et | |
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les Admiranda sont deux projets historiographiques parallèles, mais indepéndants.Ga naar voetnoot14 Tous les deux étaient ambitieux: leur accomplissement, malgré des différences notables, exigeait sans doute beaucoup plus de temps que celui de la durée d'une vie humaine. Les Admiranda s'écartent des travaux historiques antérieurs de Lipse, fondés sur une érudition savante mais vide et sans substance politique.Ga naar voetnoot15 Déjà dans sa première réflexion publiée sur ce que devait être l'histoire, Lipse avait fait appel à la fonction politique du travail de l'historien:Ga naar voetnoot16 Si est ut illae litterae iis qui in rebus gerendis versantur conveniant, certe historia est. Nam poësim, eloquentiam, alias elegantias, quamquam ingenium admittat, negotia fere excludunt, historia nec esse ipsa sine negotiis potuit (rerum enim gestarum narratio omnis est, non otii aut quietis) et amat in primis habitare apud eos qui tractant negotia. Merito. Res enim gerere, provincias, regna administrare, nemo sine prudentia potest: prudentia ex usu est, usus ab exemplis. At si Italia aut Hispania lustrata, paucorum annorum notata exempla (quantulum enim est quod homines vivimus!). Praebere hunc usum censentur: quid de historia, Di boni, sentiemus? In qua non unius aevi aut urbis exempla, sed omnium temporum, omnium gentium, quasi in diffuso theatro res gestae spectantur. Depuis 1596, l'arrivée en Belgique d'un nouveau gouverneur, l'archiduc Albert d'Autriche, les changements prévisibles dans le système impérial et sur le trône espagnol liés à la succesion de Philippe ii, amenèrent Lipse à travailler sur cette façon personnelle de concevoir l'histoire.Ga naar voetnoot17 La rédaction des Admiranda dut avoir lieu au cours de l'année 1597, puis aussi au cours des premiers mois de 1598, alors que les premières épreuves sortaient des presses plantiniennes.Ga naar voetnoot18 À Anvers on travaillait sur ta première édition, début de janvier 1598; le jésuite anversois Andreas Schottus, ami et correspondant de Lipse, surveillait les épreuves.Ga naar voetnoot19 Les notes de Lipse arrivèrent à Anvers début février, la préface à mi-mars.Ga naar voetnoot20 Finalement, Balthasar Moretus annonçait la conclusion de l'impression par une lettre adressée à Lipse, le 27 mars.Ga naar voetnoot21 Dans sa correspondance avec la maison Plantin, la première allusion de Lipse à une réédition des Admiranda est postérieure d'un mois seulement à la fin des travaux d'impression | |
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de la première édition.Ga naar voetnoot22 En juin 1598, une nouvelle édition est lancée après avoir reçu les corrections et les rajouts de l'auteur.Ga naar voetnoot23 Lipse y ajouta des citations classiques pour nuancer et compléter les affirmations de la princeps et remania presque entièrement le chapitre 2, 10 sur la Frumentatio.Ga naar voetnoot24 En mars 1599, l'impression de la deuxième édition des Admiranda était terminée et prête à la vente.Ga naar voetnoot25 J'imagine que les 300 exemplaires du livre qui restaient en 1602 chez Plantin viennent de cette deuxième édition.Ga naar voetnoot26 Vraisemblablement, ce stock, aussi bien que le travail fort exigeant de l'édition des Annales Ecclesiastici de Cesare Baronio, sont les causes principales du retard de la troisième édition envisagée par Lipse. Celle-ci ne verra le jour qu'en 1605.Ga naar voetnoot27 Dans cette édition, Lipse enchâsse des citations nouvelles, corrige les traductions du grec, ajoutant parfois aussi la citation originale, et rédige de nouvelles notes, notamment la dernière sur le lieu de naissance de l'empereur Constantin.Ga naar voetnoot28 | |
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Les différentes éditions modifièrent parfois d'une façon notable le contenu érudit du texte, mais ne touchèrent point la portée théorique et politique de l'ensemble. Les Admiranda furent dédiés à Albert d'Autriche comme un récit historique sur la majesté et l'éclat de Rome, mais aussi sur l'essor et la décadence de ce modèle.Ga naar voetnoot29 Lipse se proposait de mettre en relief les erreurs qui avaient fait s'écrouler la grandeur romaine. Cela sera l'objet du dernier point de mon travail. Pour l'instant, je voudrais souligner la dimension diachronique des Admiranda, comme un des aspects les plus significatifs et originaux du texte. Les Admiranda sont par les sujets qu'ils traitent, et par les méthodes d'analyse et d'exposition qu'ils emploient un travail d'érudit antiquaire. La façon de reconstruire le monde romain de Lipse se fonde sur la classification de sujets ponctuels et la hiérarchisation des citations anciennes selon une logique, j'oserai dire lipsienne. De fait, il met souvent de côté l'évolution interne de l'institution qu'il décrit. Lipse avait fait de ce type d'analyse une marque d'identité, la raison de son originalité.Ga naar voetnoot30 Mais dans son ensemble, les Admiranda ont eu besoin d'un cadre chronologique global, bien que cela n'ait pas été le sujet du livre. Lipse a élaboré un cadre évolutif sur l'essor et la décadence de Rome, sur les changements significatifs de l'État et la société romaine qu'il fallait retenir pour comprendre les institutions, objets de son étude.Ga naar voetnoot31 On peut repérer ce cadre chronologique à partir d'annotations ponctuelles, glanées sur tout le texte. Les rassembler peut fournir un tableau évolutif de ce type.Ga naar voetnoot32 La Rome républicaine, à partir de la seconde guerre punique est l'époque d'épanouissement de la société romaine (Admiranda 4, 6: ‘a Bello Punico Secundo, cum Republica moribus legibusque vel maxime floruisse censetur’). C'est la Rome de la conquête et de la colonisation du monde. La République libre fut construite par une société qui sut conserver son intégrité morale pour accomplir un destin universel (Admiranda 1, 6): Divina Providentia hoc fine Graecos olim in Asiam, Europam hanc nostram, usque in Hispani- | |
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am, per maritima loca misit et disposuit: ut rudes ferocesque humanitate et elegantia percolerent, atque ad mitiora studia et mores transferrent. Quod idem Romani mox fecere: et iis cultum hunc omnem debet pulcherrimus noster Europae tractus. Elle eut une constitution équilibrée où chacun avait sa place. Mais les succès de cette société en croissance constante ont entraîné l'expansion territoriale et l'enrichissement de la société. Ceci explique, selon Lipse, la décadence morale des Romains. Avec Sylla, ‘homo nequam, et natus ad disciplinam militarem dissolvendam’ (Admiranda 4, 6), surgit la crise de la République et la disparition de cette ancienne société (Admiranda 4, 3: ‘antiquis illis Romanis, et ante Sullam civili bello nondum infectis et, ut sic loquar, decoloratis. pleraque omnia tunc pura et iusta’). Après, on assista à la lutte pour récupérer la pureté originaire et empêcher la dégénérescence de la nation romaine (Admiranda 4, 3: ‘At postea degenerarunt, Avaritia et Ambitio quaedam dictarunt, ad hoc Rationis examen non dirigenda’). Lipse ne veut pas étudier les causes, mais dans les Admiranda il fournit des aperçus pour les suivre à la piste: l'inertie du temps (Admiranda 1, 7: ‘lapsu temporis’); l'intégration des orientaux (Admiranda 1, 7: ‘cum iam Syri, Cappadoces, Asiatici, Graeci, Barbari in servos recepti; et multi ex iis facinorosi et perditi; qui pretio, blanditiis, aut et foedis obsequiis libertatem meriti, quam colluviem in civitatem non invexerunt? Imo per eos effectum, ut egregia illa animi ac morum, Romana olim plebs, vilissima facta hominum sit, et uno verbo, cloaca ac sentina vitiorum’; l'oubli de la censure du peuple (Admiranda 4, 2: ‘Vita etiam Censura permissa, quam tamen neglexisse postea (malo sane publico) Imperatores video, contentos duplicem illum priorem ordinem recognosse’); l'apparition du pouvoir tribunicien qui ruina la constitution et l'État (Admiranda 4, 5: ‘Adderem Modestiae laudem, et reverentem et procerum suorum populum: nisi Tribuniciae interdum procellae turbassent, quam ego pestem unicam et labem reperio in re Romana’). Le sommet du pouvoir romain, cependant, fut atteint pendant l'Empire: dans la période d'Auguste jusqu'à Trajan (Admiranda, 1, 3: ‘cum imperium maximum et in culmine suo fuit, ut ab Augusto ad Traianum’). Auguste, ‘qui valde rem Romanam auxit’ (Admiranda 2, 4), fut le fondateur de la structure impériale en perfectionnant les institutions républicaines après l'époque des guerres civiles. À Trajan, le meilleur général, on doit l'éclat de la beauté de la Ville (Admiranda 3, 5: ‘culmen pulchritudini urbanae), qui eut son floruit sous Hadrien. Le quatrième siècle, l'époque de saint Jérôme, est une période de langueur plus que de crise, un aevum iam inclinans (Admiranda 1, 2). La chute de Rome se situe à l'époque d'Arcadius et Honorius: ‘inferiore aevo, rebus et imperio labentibus’ (Admiranda 2, 15). Lipse ne parle pas des invasions barbares, ni de crise économique. Tout au contraire, il évoque pour l'Empire byzantin, ‘imperio iam tenui, diviso et sic minuto’ (Admiranda 2, 7) la possibilité de percevoir de quantités extraordinaires d'impôts, Il explique la décadence de la ville de Rome par la création de Constantinople, lorsqu'on détourna grains et ressources vers la nouvelle capitale (Admiranda 4, 11: ‘Etsi autem mutatio aliqua status intervenit, tamen imperium mansit: primo sub Regibus, tum Consulibus, tum Principibus et sub istis, scissum divulsumque, et caput alterum in Thraciam aut Graeciam translatum. Constantinus id fecit, quod non ignoras, et caussam dedit ruinae aut inclinationi deinde rerum’). Ce point peut marquer la fin de l'histoire des Romains, mais non pas celle de l'Empire. Celui-ci se perpétuera jusqu'aux Habsbourg.Ga naar voetnoot33 | |
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Les Admiranda, donc, prouvent l'existence pour Lipse d'un cadre général, très simple d'ailleurs, sur l'histoire romaine. Cela n'est qu'une question très secondaire dans les interêts historiographiques de Lipse. Ses a priori historiques que je viens de résumer n'ont qu'une fonction utilitaire pour son discours. Or l'histoire romaine de Lipse est plutôt un travail d'érudition et philologie, qu'un récit évolutif. Je voudrais aborder dans le point suivant cette dimension du livre. | |
Les Admiranda et la philologie: structure, méthode et sourcesLipse avait pleine conscience de l'existence de la République littéraire des humanistes et, bien sûr, il se percevait comme membre. Dans ses écrits on trouve des descriptions de l'Humanisme philologique comme une affaire dure et exclusive, reservée à une élite intellectuelle et savante.Ga naar voetnoot34 Je reviendrais plus tard sur la question de l'élitisme de Lipse, je me contenterai pour l'instant de présenter les Admiranda comme fiction littéraire consacrée à la critique philologique de textes et auteurs anciens. L'exposé historique des Admiranda prend la forme d'une rencontre érudite entre Lipse et un élève: l'Auditor.Ga naar voetnoot35 L'action suit la trame de trois rendez-vous estivaux au jardin de Lipse.Ga naar voetnoot36 Pendant trois jours successifs, Lipse et son jeune partenaire parcourent les différents aspects de la grandeur romaine. La première journée est consacrée à éclairer les parties sombres de la Potentia romaine (Admiranda i: l'extension spatiale de l'Empire, son armée, sa population), à l'ombre d'une belle tonnelle. Le deuxième entretien commence très tôt, le matin suivant. l'élève est avide de connaissances et Lipse n'a même pas trouvé l'occasion de nous décrire le context de la conversation. Ce jour-là, Lipse explique les Opes et les Opera romaines | |
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(Admiranda ii et iii: les ressources de l'Empire, les impôts, les frais publiques, les cadeaux des empereurs, les monuments de la Ville, quelque exemple des infrastructures publiques hors de Rome). Finalement, le dernier jour, il sera question des Viri et Virtutes romaines (Admiranda iv: l'organisation sociale romaine, les vertus morales des Romains). Pour les décrire, Lipse propose à son élève une promenade dans les allées de son jardin. Il récupère ainsi le plaisir de flâner en parlant de l'Antiquité.Ga naar voetnoot37 La charpente des Admiranda, donc, n'est pas différente de celle d'autres ouvrages érudites où la conversation amicale et libre a une portée savante en même temps que pédagogique. Ici aussi, des rencontres apparemment oisives sont consacrées à corriger des textes, à analyser les sources et décrire le langage des auteurs. Mais les Admiranda parlent particulièrement des historiens et des sources historiques. Le maître et l'élève recherchent la valeur historique de chacune, et font une sélection des plus importantes pour l'histoire romaine. Il ne m'est pas possible ici de mentioner les à peu près mille citations explicites sur lesquelles Lipse a construit son récit. En revanche, je me bornerai à faire une description sommaire de ces sources et à recueillir quelques passages où Lipse expose son avis sur des auteurs particuliers. Les textes anciens sont cités en italique. Parfois, ces textes sont introduits après une parenthèse explicative ou, plus rarement, avec des marginalia qui précisent et identifient la source. D'habitude, cependant, Lipse fournit ces informations au fil de la narration. Il s'agit d'auteurs latins et grecs non exclusivement classiques, car on peut trouver aussi des auteurs tardifs (Symmaque, Prudence, Beda), byzantins (Procope, Sozomène, Suidas) et du Moyen Age (Aimonius Floriacensis, l'itinéraire de Benjamin). Lipse cite quelques auteurs humanistes contemporains comme Budé, Arias Montano ou Andreas Schott, et plusieurs antiquaires italiens (Paulo Giovio, Biondo Flavio, Onufrio Panvino, Bartolomeo Marliani, Hieronymus Mercurialis, Alberto Leandro). Les historiens représentent les auteurs classiques plus utilisés (Ammien Marcellin, Appien, Dion Cassius, Tite-Live, les auteurs de l'Histoire Auguste, Suétone, Tacite), mais aussi il y a des citations isolées de l'Antologia graeca, de Cornélius Népos, d'Hygin, de Lucrèce, de l'Evangile selon Saint Mathieu, de Plaute, de Tibulle, de Végèce... La citation d'inscriptions aussi est assez abondante.Ga naar voetnoot38 Des epigraphes sont utilisées surtout au sujet de l'armée, mais l'inscription la plus mentionnée est le lapis ancyranus: les Res Gestae Divi Augusti. Le chapitre 2, 13 sur les dons de l'empereur Auguste lui est presque entièrement consacré.Ga naar voetnoot39 | |
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Les citations implicites sont plus difficiles à découvrir. Elles sont présentées sans aucune différence typographique avec le reste du texte. Il s'agit de textes qui ne sont pas cités pour illustrer un sujet, mais pour argumenter sur lui. J'ai repéré deux sortes de ces citations: une expression de Tacite et plusieurs Adagia d'Erasme. La première peut être expliquée par la familiarité de Lipse avec 'son Cornelius’. Tacite a une valeur essentielle dans le discours politique de Lipse, comme on le verra tout de suite, et parfois la pensée lipsienne est difficile à différencier de celle de Tacite.Ga naar voetnoot40 Les adagia sont introduits par des expressions comme ‘ut ait ille’. Ces expressions rendent plus vivant et agile le discours de Lipse, mais parfois elles peuvent aussi avoir le sens profond de la réflexion lipsienne.Ga naar voetnoot41 Lipse avertit son partenaire contre les traductions, particulièrement quand celles-ci ajoutent des contenus.Ga naar voetnoot42 Les textes grecs sont inclus normalement à côté d'une traduction latine, mais il y a des exemples de citations d'un auteur grec seulement par sa traduction latine (par exemple, Strabon, duquel on retrouve 18 citations, dont seulement 2 avec le texte grec; Aelius Aristide est cité 8 fois, mais toujours en latin). Pour Lipse, le critère fondamental pour juger la valeur des sources historiques réside dans la fiabilité. La beauté de l'expression est souhaitable, mais elle n'est pas du tout nécessaire.Ga naar voetnoot43 Étant donnée la portée historique des Admiranda, Lipse apprécie par la historica fides de ses sources,Ga naar voetnoot44 même plus que par la qualité littéraire. Par conséquent, il faut équilibrer littérature et véracité: la beauté et la poésie d'un texte d'Aristide sur les bâtiments romains doit être pondérée par le témoignage ‘verus et severus’ de Pline l'Ancien.Ga naar voetnoot45 De là l'importance des inscriptions qui fournissent des données directes. Lipse estime très important de dater ses sources avec une certaine précision pour les placer dans un ordre chronologique. Ainsi, Aelius Aristide appartient à l'époque d'HadrienGa naar voetnoot46, et Denys d'Halicarnasse, historien de bonne foi caractérisé par l'intelligence de ses jugements, écrit sous Auguste.Ga naar voetnoot47 Vopiscus, un des auteurs de l'Histoire Auguste, a écrit sous Constantin.Ga naar voetnoot48 Dion Cassius, un des auteurs plus cités, sous Alexandre Sévere.Ga naar voetnoot49 Suétone,Ga naar voetnoot50 Frontin,Ga naar voetnoot51 Sénèque,Ga naar voetnoot52 le byzantin Aghatias,Ga naar voetnoot53 Dion Cassius,Ga naar voetnoot54 | |
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malgré leurs différences, sont des auteurs fiables. Cicéron et Strabon doivent être préférés à Diodore de Sicile sur le sujet des ressources d'Egypte.Ga naar voetnoot55 Florus, l'épitomiste, est trop passioné dans ses affirmations, ses exagérations doivent être considérées avec circonspection.Ga naar voetnoot56 Lipse souligne aussi l'avis de Tite-Live sur les outrances de Valerius Antias.Ga naar voetnoot57 Par contraste avec la plupart des anciens, notamment avec Dion Cassius, Lipse définit la méthode de travail historique de Paulo Giovio (1483/6-1552) comme un exemple d'écrivain élégant, mais dépourvu de rigueur historique.Ga naar voetnoot58 La fiabilité de la source dépend de la qualité de l'auteur et de sa propre expérience des affaires publiques.Ga naar voetnoot59 Elle réside aussi dans sa capacité à renoncer à s'impliquer personnellement dans le thème de son étude. Lorsqu'on traite de l'intégrité morale des Romains, les auteurs grecs témoignent de façon plus crédible que les auteurs latins.Ga naar voetnoot60 Pour la même raison, les auteurs britanniques ne sont pas crédibles dans la polémique sur la patrie anglaise de Constantin.Ga naar voetnoot61 La méthodologie historique de Lipse se fonde sur ses sources: c'est une histoire d'ambitions encyclopédiques et de rigueur scientifique et morale. Lipse s'intéresse particulièrement aux auteurs qui font preuve d'une vision large. Il se lamente de la disparition de livres de l'histoire de Dion Cassius et cite l'exposé initial d'Appien où celui-ci faisait mention du livre, qui ne nous est pas parvenu, sur l'état général de l'Empire romain.Ga naar voetnoot62 Il apprécie aussi la tonalité morale sévère de Sénèque,Ga naar voetnoot63 de Lucrèce,Ga naar voetnoot64 de Pline, le style ‘gravis atque eruditus’ de Frontin,Ga naar voetnoot65 l'érudition grave de Tertullien.Ga naar voetnoot66 Du point de vue méthologique, donc, Lipse plaide pour des principes critiques modernes et rigoureux. Il propose l'usage de toutes les sources anciennes, même la poésie et la fiction, car elles peuvent fournir de données inattendues et dévoiler des points de vue anciens. Les poèmes de Stace doivent être étudiés par les antiquaires.Ga naar voetnoot67 Claudien, profond et ardent,Ga naar voetnoot68 et Rutilius NamatianusGa naar voetnoot69 fournissent les plus belles descriptions de l'Empire. Pétrone, ‘ex more, si non ex vero’ décrit ‘pulchre et floride’ le monde romain.Ga naar voetnoot70 La correction des textes classiques est une partie fondamentale des Admiranda, et de toute l'historique de Lipse. Dans les Poliorcetica (Anvers, 1596), le traité historique lipsien antérieur | |
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aux Admiranda, Lipse s'était rendu compte des limites d'une telle érudition ‘subtile, mais vaine’.Ga naar voetnoot71 Dans les Admiranda cette méthode dépend d'une intention politique plus profonde, exposée dans l'introduction: offrir à l'archiduc Albert la description d'un Empire, et les secrets du pouvoir. La description de l'Empire romain comme modèle politique sera l'objet du dernier point de ce travail. | |
Les Admiranda et la politique: État, Empire et utopieLes idées politiques de Juste Lipse ont été étudiées fondamentalement à partir de son manuel politique: les Politica, publié à Leyde par Franciscus Raphelengius, père en 1589. Dans ce texte, on a repéré toute une théorie néo-stoïcienne sur l'État moderne et sur l'exercice du pouvoir baroque, sur l'exaltation de l'autorité de la monarchie absolue et de la discipline sociale.Ga naar voetnoot72 Les Admiranda, cependant, peuvent ouvrir de nouvelles perspectives. L'histoire de la pensée politique élaborée par l'école allemande, certainement celle élaborée depuis Carl Schmitt (1888-1985),Ga naar voetnoot73 est aujourd'hui remise en question. Celle-ci établisait un lien étroit et fort entre Tacite, ses commentateurs humanistes, la raison d'état et une morale soumise au bien publique.Ga naar voetnoot74 Ce point de vue pourrait être aussi un épisode de l'histoire compliquée du tacitisme.Ga naar voetnoot75 À mon avis, on peut considérer les idées de Lipse sous un angle nouveau, et laisser de côté le lien avec le Machtstaat moderne.Ga naar voetnoot76 On peut les analyser en se fondant sur le contexte historique de l'époque, celui des Pays Bas et de l'Empire espagnol dans la transition du xvième au xviième siècles. Récemment, un article de Karl A.E. Enenkel a analysé les Admiranda sous l'angle de l'apologie de l'Empire universel.Ga naar voetnoot77 Ce modèle, décrit par Lipse qui s'appuie sur l'exemple de l'Empire romain est, sans doute, le modèle politique utopique que Lipse veut pour son siècle. Or, Lipse a laissé aussi des critiques sur ce paradigme politique dans les Admiranda. Quoique la description de l'utopie politique lipsienne soit le sujet des quatre livres des Admiranda, toutefois, le dernier contient les arguments d'une controverse. Je voudrais présenter les Admiranda comme un discours à double sens, où il est possible de trouver jugements pour et contre le modèle impérial. | |
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Les Admiranda développent une image classique du pouvoir impérial. Lipse puise des arguments en faveur de l'Empire dans Cicéron, Pline le Jeune, Aelius Aristide, Claudien ou Rutilius Namatianus, dont l'exposé systématique offre aux contemporains l'utopie d'un modèle politique supranational. L'Empire romain est un espace de sécurité et paix, de prospérité et culture, d'ordre et civilisation.Ga naar voetnoot78 Un monde de gestion publique exemplaire fait de rigueur et discipline permet une augmentation des revenus publics.Ga naar voetnoot79 Clos, protégé par l'existence des colonies dans tous les coins de l'Empire, l'Empire romain était aussi sûr et puissant grâce à un dispositif militaire implanté depuis Auguste.Ga naar voetnoot80 L'Empire était aussi un espace où régnait la stabilité sociale et politique offrant des possibilités de promotion sociale grâce à l'intégration des élites étrangères dans le réseau sociale romain ‘ut e provincialibus honestissimos, hoc beneficio civitatis obligarent.’Ga naar voetnoot81 L'ordre impérial a toutes les raisons de se sentir supérieur. Du point de vue quantitatif toutes les données chiffrées sont présentées en termes superlatifs, comme on peut le voir dans l'exposé des revenus romains du deuxième livre. Du point de vue qualitatif, l'Empire est un État prospère fondé sur un système fiscal développé et actif, qui peut faire face à des projets ambiteux. Les Romains ont joui d'un État qui leur fournissait des infrastructures et plusieurs services publics gratuits: les alimenta, les jeux, l'eau des aqueducs, un réseau routier, les égouts, des bâtiments pubiques...Ga naar voetnoot82 L'hégémonie presque mondiale de Rome lui a permis d'exporter ces avantages.Ga naar voetnoot83 L'Empire fut dirigé par une élite riche, mais austère. Agrippa fut le modèle de gouverneur dévoué et engagé dans les affaires publiques.Ga naar voetnoot84 Mais il n'était pas le seul. Tous les Romains, à l'exception de quelques uns, présentaient le profil moral du citoyen idéal. Leurs vertus ont garanti la continuité de l'Empire, leur disparition a entrainé sa décadence.Ga naar voetnoot85 | |
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Dans le cadre historique dans lequel il s'inserre, l'oeuvre peut apparaître comme une justification des effets potentiellement négatifs du système impérial. La dédicace au gouverneur espagnol des Pays-Bas, très empressé sans aucune doute auprès du beau-fils de Philippe ii, et une lecture rapide de la biographie de Lipse, pourraient laisser entrevoir Lipse comme un apologiste de plus de l'Empire espagnol. L'utopie lipsienne, cependant, ne se résume pas à une simple louange, elle est plus nuancé. Sa pensée est indubitablement la conséquence d'une réflexion profonde et mature sur les formes, les limites et les possibilités de la vie collective.Ga naar voetnoot86 De ce point de vue, Lipse, ‘moins espagnol qu'impérial’,Ga naar voetnoot87 fait partie des humanistes qui ont contribué à la définition de l'imperialisme espagnol du début du xviième siècle, au moment où celui-ci avait besoin de plus d' ‘imagination politique’.Ga naar voetnoot88 Le miroir romain doit être le modèle pour l'Empire universel, car ni l'espagnol, ni le turc, ni le chinois sont comparables.Ga naar voetnoot89 L'Empire comme forme politique unitaire et universelle est l'objectif. Or ce sont les Pays Bas de Lipse qui ont enduré directement ses exploits au cours du xvième siècle. Je pense que de ce fait Lipse exprime un rapport ambivalent vis à vis le modèle impérial. Dans le Admiranda, Lipse a su cacher l'ambiguité idéologique de son discours en gardant les formes officielles, sans oublier, toutefois, une intention critique. Tous les arguments contre l'Empire romain sont exposés par le partenaire de Lipse. L'Auditor prend la parole à partir du livre iv.Ga naar voetnoot90 À ce moment-là, il cesse de jouer le rôle de l'élève attentif, avide et étonné, et devient un acteur incisif qui exprime des opinions personnelles oposées à celles de Lipse, mais fondées aussi sur des textes. Elles sont parfois très convaincantes. L'Auditor montre les aspects négatifs du gouvernement impérial. L'établissement du pouvoir romain le long de la Mediterrannée s'explique pour le desir des Romains de satisfaire leur ambition et leur avarice.Ga naar voetnoot91 La gestion des provinces peut ouvrir la porte au fraude et à la corruption.Ga naar voetnoot92 Les colonies, qui ont été très louées par Lipse, signifient la disparition des anciennes communautés propriétaires des terres et l'aplication de la terreur sur les nations vaincues. La violence collective et la guerre sont les moyen de l'expansion romaine.Ga naar voetnoot93 Les | |
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Romains ont oublié la justice et se sont montrés cruels et pervers. Avec l'expansion, ils ont perdu leur sens ancestral de la mesure, leur austérité proverbiale, la bonne foi et le courage qu'ils avaient exhibé devant Pyrrhus et Annibal. La décadence romaine est la conséquence d'une volonté d'hégémonie impériale. Ce bilan négatif est critiqué dans les derniers chapitres du livre par Lipse qui reprend le discours. Il conclut par une nouvelle description des avantages de l'Empire. Lipse revient dans cette partie des Admiranda aux arguments antiquaires et philologiques pour s'opposer à son adversaire qui avait utilisé citations incorrectes ou fragmentaires et faussé le sens des sources. Le fond de la critique, néanmoins, reste. Je me demande si les Admiranda ne présentent pas une version contraire à celle identifiée jusqu'à maintenant. Pourraient-ils être une oratio obliqua qui veut rendre présent les dangers d'un pouvoir impérial inconscient et sans autocritique? Peut-être Lipse a-t-il voulu exposer une utopie et la critiquer ensuite pour montrer la faiblesse des Empires?Ga naar voetnoot94 Dans ce cas là, l'humaniste aurait choisi la voie la plus difficile et dangereuse au moment où un Empire veut s'imposer, celle de rester juste au milieu. | |
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SamenvattingDe auteur van dit artikel beschrijft eerst en vooral de drie uitgaven van de Admiranda die tijdens het leven van Justus Lipsius bij het Plantijnse Huis verschenen (1598, 1599 en 1605). Verder weidt hij uit over de structuur en de voornaamste bronnen van het werk, en vat hij samen wat er over de geschiedenis van Rome te lezen valt in de verschillende hoofdstukken van de Admiranda. En ten slotte geeft hij het verband aan tussen Lipsius' denkbeelden over het Romeinse imperialisme en de historische en politieke context van de Spaanse Nederlanden bij de aankomst van aartshertog Albrecht. | |
SummaryThe author of his paper describes the three editions of Justus Lipsius's Admiranda (1598, 1599, 1605) published before his death by the Officina Plantiniana. Next, he gives an overview of the structure of the work, of its main sources and of the outline of Roman history provided for by the various chapters of the book. Finally he demonstrates the close relationship between the ideas about Roman imperialism in the Admiranda, and the historical and political context of the Spanish Low Countries at the time of the arrival of Archduke Albert of Austria. | |
RésuméL'auteur de cet article décrit les trois éditions des Admiranda que Juste Lipse publia chez l'Officine plantinienne avant sa mort (1598, 1599, 1605). Ensuite, il résume la structure du livre, ses sources principales et les lignes de l'Histoire romaine qu'on peut glaner dans les chapitres des Admiranda. Finalement, il met en rapport les idées sur l'impérialisme romain exposées dans l'ouvrage avec le contexte historique et politique des Pays-Bas espagnols à l'arrivée de l'Archiduc Albert d'Autriche. |
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