De Gulden Passer. Jaargang 61-63
(1983-1985)– [tijdschrift] Gulden Passer, De– Auteursrechtelijk beschermd
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Les relations entre Christophe Plantin et Torrentius, évêque d'Anvers.
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çois Sonnius, survenue le 29 juin 1576, Torrentius n'entra en fonctions qu'en 1587. Il mourut à Bruxelles le 26 avril 1595. Fin lettré, ami personnel du nonce de Cologne Bonhomini, des cardinaux romains Sirlet et Carafa, Torrentius était également en rapports suivis avec Arias Montanus, le chapelain écouté de Philippe II. Il était aussi en correspondance régulière avec le duc de Parme, Alexandre Farnèse, gouverneur des Pays-Bas et ainsi, au total, il était un des personnages importants et influents non seulement de la principauté de Liège mais des Pays-Bas du sudGa naar voetnoot1. Avec Torrentius et Plantin, nous avons donc en présence, d'un côte un prélat au prestige considérable, d'une orthodoxie irréprochable, conseiller écouté des plus importants personnages de la chrétienté, et de l'autre, un imprimeur lettré, grand brasseur d'affaires, établi dans une ville momentanément sous régime calviniste. Lorsqu'il vivait à Anvers, l'orthodoxie de Plantin paraissait évidente. Sans doute il a été prouvé qu'il était l'un des chefs de la secte anabaptiste de la Famille de la CharitéGa naar voetnoot2, mais il n'y avait rien d'officiel, tout cela était resté dans la clandestinité et aux yeux de tous Plantin était un catholique exemplaire. Bien des catholiques d'ailleurs avaient continué à vivre à Anvers sous l'occupation calviniste. La situation était analogue à celle que nous avons connue sous l'occupation allemande de 1940 à 1944 pendant laquelle les meilleurs patriotes avaient continué leur vie normale sans être obligés de collaborer avec l'ennemi. Mais en 1583, Plantin pose un acte décisif et prend ouvertement le parti de la collaboration. Il quitte Anvers, ville que l'on pouvait alors qualifier | |||||||
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de calviniste malgré elle puisqu'elle était assiégée par l'armée du roi catholique avec Farnèse à sa tête et en passe de rentrer dans le giron de l'église, pour aller s'établir à Leyde, en plein centre calviniste, à l'ombre de l'université que les Protestants venaient de fonder. Donc, en 1583, Plantin jusque là le protégé du cardinal de Granvelle, l'imprimeur de la Bible polyglotte subsidiée par Philippe II et supervisée par Arias Montanus, propre chapelain du roi catholique, l'imprimeur officiel du missel et du bréviaire romains, s'établit en plein coeur de la région calviniste. Christophe Plantin, pour justifier son départ a prétendu, c'était l'exacte vérité d'ailleurs, qu'il avait été ruiné par les guerres et en particulier par la Furie espagnole, mais on lui avait offert à plusieurs reprises de changer de ville et d'aller s'établir autre part dans un pays catholique. Le roi d'Espagne, le roi de France, le duc de Savoie et d'autres l'avaient invité dans leur états, mais il avait toujours refusé. Sans doute Plantin avait le prétexte, en partant pour Leyde, d'aller y retrouver son ami Juste Lipse, mais d'autres amis pouvaient aussi l'aider dans des pays catholiques: Arias Montanus en Espagne, les cardinaux Carafa et Sirlet à Rome, par exemple. Donc Plantin qui s'est toujours défendu plus tard d'avoir abandonné le catholicisme pour la religion réformée pose en 1583 un acte qui pour nous modernes est décisif et indiscutable. Il quitte le clan catholique pour servir l'adversaire protestant, car il n'est pas honnêtement soutenable de prétendre que Plantin ne s'est établi à Leyde que pour rejoindre Juste Lipse et publier des livres latins. Il a en effet prouvé par des actes indiscutables sa sympathie pour le clan calviniste. Il a notamment écrit aux Etats de Hollande pour proclamer son attachement à sa nouvelle partieGa naar voetnoot3 Comme il avait édité à Anvers dès 1578 déjà, des livres que l'on peut considérer comme anti-espagnols. Citons:
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Enfin, Plantin imprima l'Explanatio veri ac legitimi juris quo serenissimus Lusitaniae rex Antonius ejus nominis primus nititur ad bellum Philippo regi Castellae pro regni recuperatione inferendum. Cette pièce qui parut en latin, en français, en hollandais et en anglais dans l'Officine plantinienne de Leyde et qui était la défense de la légitimité de don Antoine, fils naturel de l'infant don Louis de Beja, prétendant au trône du Portugal que Philippe II occupait alors, vexa tout particulièrement le roi catholique qui avait promis 80.000 ducats à qui lui livrerait le fameux don Antoine. Malgré ces faits précis prouvant de façon péremptoire les sympathies de Plantin pour la Réforme. Malgré l'établissement de l'imprimeur anversois à Leyde au coeur du pays calviniste, malgré les impressions de livres prohibés ou dirigés contre lui, Philippe II doute, de même que la cour romaine et, au lieu de juger Plantin sur ses agissements, on s'adresse aux autorités ecclésiastiques pour qu'elles fournissent un certificat d'orthodoxie à Plantin. Ce procédé est contraire à nos usages. Pour nous le positif l'emporte sur toute autre considération. Nos actes nous condamnent et toutes les protestations ou certificats de moralité ne peuvent influencer une opinion basée sur des faits précis et indiscutables. C'est à Gérard Vossius que les cardinaux Sirlet et Carafa demandèrent un rapport sur l'orthodoxie de Plantin. Comme Gérard VossiusGa naar voetnoot5 qui appartenait à la maison du cardinal Montalte, le futur Sixte-Quint, était liégeois, c'est à Torrentius qu'il écrit pour avoir le certificat souhaité. Torrentius lui répond de Liège, le 17 septembre 1583Ga naar voetnoot6. Son rapport est tout à fait favorable à l'imprimeur anversois. Plantin a édité en pleine | |||||||
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guerre des livres catholiques, il est parti pour Leyde uniquement pour faire du travail philologique; c'est sa santé qui l'a empêché de se rendre en Espagne et qui lui interdit d'aller à Rome. S'il est à Leyde actuellement c'est parce qu'il cherche un endroit tranquille pour travailler. Il reçoit de plus une subvention importante du magistrat qui ne lui impose aucun travail malhonnête. Torrentius n'attache aucune importance aux ouvrages que l'on reproche à Plantin d'avoir imprimés, ce n'est que du travail normal de routine pour un imprimeur. Torrentius écrivit dans la suite de Liège, le 10 octobre 1583 à Plantin à Leyde de façon très cordialeGa naar voetnoot7. Pour Denucé qui a retranscrit la lettre d'après l'édition de X. de RamGa naar voetnoot8 il y a de l'indignation dans le ton de l'épitre du futur évêque d'Anvers. Nous n'en croyons rien. Torrentius reproche très amicalement à Christophe Plantin son départ pour Leyde en regrettant qu'il ne soit pas plutôt venu à Liège. Sans trop s'engager, il lui fait miroiter le séjour de Rome, la possibilité d'éditer des ouvrages théologiques grecs encore inconnus et un bel avenir pour ses gendres. Il lui enjoint seulement de n'éditer que des ouvrages d'une orthodoxie sûre. Plantin séjourna deux ans à Leyde après un bref retour à Anvers en 1584Ga naar voetnoot9. Son voyage définitif de retour fut très mouvementé, ce qui prouve bien ses incertitudes, ses hésitations, sa répugnance à quitter Leyde. Plantin partant de cette ville projeta d'abord de se rendre à la foire de Francfort, mais il passa d'abord par Amsterdam et Hambourg, suite aux intempéries, écrit-t-ilGa naar voetnoot10; il cherchait surtout une ville allemande où s'installer. De Francfort il se rendit à Cologne, puis de là à Liège et c'est dans cette ville, auprès de Torrentius qu'il puisa le réconfort et le courage de regagner Anvers où Walter Vander SteghenGa naar voetnoot11 lui fabriqua, à la demande de Torrentius, un certificat d'orthodoxie qui lui permit de continuer son métier. La suite des rapports entre Torrentius et Plantin fut marquée par la même bienveillance de l'évêque vis à vis de l'imprimeur. Avec la patience | |||||||
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et l'opiniâtreté qui le caractérisèrent toute sa vie, l'évêque ne cessa d'intercéder pour l'Anversois et en Espagne et à Rome. Il écrivit souvent à Arias Montanus en faveur de Plantin auquel l'Espagnol n'en voulait pas le moins du monde pour sa trahisonGa naar voetnoot12. Torrentius de même intercéda à Rome auprès de Baronius qui finit par confier à Plantin l'impression de ses Annales ecclesiasticiGa naar voetnoot13. Voilà l'essentiel des rapports entre Torrentius et Plantin qui nous font entrevoir l'étrange tolérance qui régnait dans ce dernier quart du 16ième siècle où personne semble n'en vouloir à personne d'avoir collaboré avec le camp opposé, où l'on voit Juste Lipse installé en plein coeur du pays calviniste à Leyde se réjouir de la reprise d'Anvers par les Espagnols de FarnèseGa naar voetnoot14, où l'on voit à Anvers des collaborateurs notoires du régime calviniste comme Corneille Pruynen, responsable même du meurtre d'un dominicain, être absous et devenir le meilleur soutien de l'évêque de la ville: TorrentiusGa naar voetnoot15, ou surtout, pour le sujet qui nous intéresse plus spécialement, un certificat d'orthodoxie délivré par un simple chanoine suffit pour effacer le passé de collaboration de plusieurs années de Christophe Plantin et lui permettre de redevenir l'imprimeur officiel de textes ecclésiastiques. Le 16ième siècle dont la tradition fait une période d'intolérance implacable était parfois plus accommodant que le nôtre. | |||||||
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Résumé:Les rapports entre Torrentius, vicaire général de Liège, puis évêque d'Anvers, avec Christophe Plantin ont toujours été des plus cordiaux. Lorsque Plantin opta, en s'en défendant bien sûr auprès des catholiques, pour le Calvinisme et se réfugia à Leyde sous l'égide de son université, Torrentius ne lui en tint absolument pas rigueur. D'autre part, quand Plantin revint à Anvers, Torrentius l'aida de tout son pouvoir à se réintégrer dans la ville reconquise par Farnèse et les catholiques. Il lui procura un certificat d'orthodoxie et s'employa, avec succès, à le faire rentrer dans les bonnes grâces des gens influents des cours de Rome et de Madrid. |
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