De Gulden Passer. Jaargang 39
(1961)– [tijdschrift] Gulden Passer, De– Auteursrechtelijk beschermd
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Les débuts de l'industrie dentellière - Martine et Catherine Plantin
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petite boutique, le mari des livres et la femme des linges.Ga naar voetnoot1.’ Max Rooses mentionne, à l'appui de cette assertion empruntée au document Van der Aa, ‘un des plus anciens livres de vente de Plantin commençant en 1556 et consacré moitié à sa boutique de libraire, moitié à un commerce de lingerie’. En partant de ces indications, j'ai pu recueillir, dans les archives plantiniennes, de nombreux documents postérieurs à 1556, qui m'ont permis d'esquisser l'activité de Plantin dans le domaine de la lingerie fine.Ga naar voetnoot2. Très rapidement, son entreprise dépassa la tenue d'une ‘petite boutique’ et prit une extension considérable. Si Jeanne Rivière, dépeinte par Max Rooses comme une femme simple accaparée par les soins de son vaste ménage, aida son mari, nous devons croire que son activité fut limitée et temporaire, tandis que ses filles, Martine et Catherine prirent, très jeunes, une part importante aux affaires de leur père. Sans elles, Plantin n'eut pu faire face aux multiples exigences que représentait notamment la fabrication de la lingerie ouvrée. Nanties de responsabilités étendues, Martine et Catherine témoignent d'une précocité étonnante, d'un sérieux remarquable et d'un savoir faire surprenant.Ga naar voetnoot3. S'appuyant sur le texte d'une lettre de Plantin à Çayas, Max Rooses imagine que seule Catherine s'intéressa de façon assidue au commerce accessoire de son père. En effet, le 4 novembre 1570, en parlant de l'âge et des occupations de ses filles, Plantin écrit à Gabriel de Çayas, son ami: ‘La troisième (de mes filles) nomée Catherine, aagée maintenant de dix-sept ans, s'estant... dès l'enfance, trouvée idoine à manier affaires et comptes de marchandises, je l'ay, depuis l'aage de 13 ans jusques à ores instruicte et occupée aux commissions qui me sont ordinairement données de mes parents et amis demourant en France, pour leurs marchandises et principalement pour ung mien amy demourant à Paris qui est nommé Pierre Gassen, lingier de Messieurs, frères du Roy, et leur pourvoyeur de marchandises.Ga naar voetnoot4.’ | ||||||||||||||||||
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Plantin parle de façon moins explicite de Martine, mais les quelques lignes qu'il consacre aux besognes habituelles de ses filles m'incitèrent à poursuivre une enquête sur leur activité. J'en ai communiqué les résultats à Monsieur Voet, conservateur du Musée Plantin Moretus qui m'a invitée à les publier. Ces notes s'adressent avant tout aux spécialistes de la dentelle et à tous ceux qui s'intéressent à ressusciter la gloire de Plantin. Elles peuvent aussi s'insérer dans l'histoire économique et sociale de notre pays et ajouter quelques retouches à la peinture de nos usages et de nos moeurs dans le passé. Le rôle tenu chez nous, par la femme au XVIe siècle, n'a peut-être jamais été souligné d'un trait suffisamment rigoureux. A côté de princesses régentes qui se distinguèrent presque toujours par leur habileté et souvent par leurs qualités de coeur, une multitude de femmes exercèrent leurs talents dans les domaines les plus divers. Mademoiselle S. Bergmans s'est attachée à retirer de l'oubli le nom et la carrière de nombreuses femmes peintres. Laissées dans l'ombre au XIXe siècle, alors que les recherches étaient toujours conduites par des hommes, ces artistes ressuscitent aujourd'hui lentement, et quand leur personnalité se dégage, elle s'affirme souvent avec un relief étonnant.Ga naar voetnoot1. La carrière, la mentalité, les connaissances des filles de Plantin n'en font pas des êtres d'exception. Elles montrent que, dans l'éventail très vaste des affaires, les femmes exercèrent elles aussi au XVIe siècle, une action dont l'influence bénéfique se manifeste tout particulièrement sur la grande spécialité des Pays-Bas justement appréciée à l'étranger et objet d'un commerce d'exportation étendu, les industries de luxe. Dans ce domaine, Martine Plantin se distingue par la diversité de ses interventions. Limitée à l'importance qu'elle prit dans la confection et le commerce de la lingerie fine, son activité fut égale sinon supérieure à celle de sa soeur Catherine. En effet, plusieurs livres relatifs à un commerce de linges et de dentelles manifestement tenus par Martine Plantin et conservés | ||||||||||||||||||
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au Musée Plantin Moretus, permettent de suivre la trace de son activité pendant une vingtaine d'années. Le plus ancien livre journal rédigé par Martine, mais qui n'est peut-être pas le premier, a trait à des opérations commerciales s'échelonnant de 1565 à 1570. (Ar. no 440) Martine l'a donc commencé vers l'âge de 15 ans; elle y a consigné ses transactions jusqu'à l'époque de son mariage date à laquelle elle aurait, semble-t-il, eu l'intention de renoncer à son commerce puisqu'elle fit l'inventaire de sa boutique au mois de mai 1570,Ga naar voetnoot1. et qu'elle se maria dans le courant du même mois. Ceci s'accorde avec les termes de la lettre de Plantin à son ami Çayas à laquelle nous avons fait allusion: ‘La seconde de mes filles’ écrit-il, ‘nommée Martine, aagée maintenant de 20 ans, s'estant, dès sa jeunesse montrée propre à faire le train de lingerie, je l'ay entretenue audict train, depuis l'aage de treze ans jusques au mois de may dernier qu'elle me fut demandée en mariage par un jeune homme assés expert et bien entendant les langues grecque, Latine Espagnole etc.’Ga naar voetnoot2. Ce jeune homme Jean Moerentorf ou Moretus, que son beau père nomme un autre ‘moy-mesme’ fut un des gendres préférés de Plantin et fut appelé à lui succéder. Diverses circonstances inclinèrent sans aucun doute Martine à poursuivre son négoce après son mariage; elle fut même amenée à lui donner un essor plus considérable et ne l'abandonna certainement pas avant 1583. ‘Entretenue au train de lingerie’ peut-être par sa mère ou par des maîtresses dont nous trouvons mention dans les comptes de Plantin,Ga naar voetnoot3. Martine semble avoir été fort habile dans ce genre de travail. Nous lisons, dans son livre journal, en date du 23 décembre 1566Ga naar voetnoot4.: ‘Nicolas le couturier me doit pour 3/4 et 1/16 de toile st. 13 et pour la fason de 3 chemises ansamble fl. 2 st. 12’; plus tard, nous rencontrons une nouvelle note pour la ‘fason de chemises’Ga naar voetnoot5. et le 7 mars 1567: ‘Nicola le couturier me doit pour | ||||||||||||||||||
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la fason de une chemise 14 st., pour la toille du collet st. 5 1/2, pour les fraises st. 7 1/2, por la double du collet st. 1 1/2; ansamble 30 st.’Ga naar voetnoot1. Aucune mention n'est faite dans ces sommes dues à Martine Plantin d'un enjolivement quelconque, d'où nous devons déduire qu'elle était exercée surtout aux travaux de couture et que les fantaisies décoratives qui ornaient le linge relevaient déjà d'une main-d'oeuvre indépendante. D'octobre 1565 à janvier 1566, Martine a occupé plus de trentecinq ouvrières anversoises dont elle a consigné le nom, et parfois l'adresse et le salaire. A partir de janvier 1566, l'aspect de son livre journal change; Martine n'y a inscrit que des opérations importantes; sans doute tenait-elle les comptes détaillés de ses ouvrières dans un carnet séparé.Ga naar voetnoot2. Martine rédige habituellement son journal en français, mais réserve le flamand, plus familier à ses ouvrières pour les inscriptions relatives à leur activité, si bien que le livre journal conserve un écho des conversations entre Martine et ces humbles femmes du peuple qui s'adonnaient chacune au sein de la jeune industrie dentellière, à un genre de besogne spécial, bien caractérisé, ayant sa technique particulière et désigné par des termes dont nous essaierons de dégager la signification. (Fig. I) Toutes ces ouvrières travaillaient à façon. Au moment où elles rentraient le travail qui leur avait été précédemment confié, Martine leur remettait de la toile, ou le plus souvent des objets déjà fabriqués, fraises, cols, mouchoirs, qu'elles devaient orner. Des inscriptions pareilles à celle que nous relevons en date du 16 décembre 1565 (fo 9) ‘betalt dianneken oup dossemairt van 3 lobenGa naar voetnoot3. | ||||||||||||||||||
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te pairele st. 15, ende heur gegeven 2 loben te pairel van st. 4 1/2 stuck’, reviennent souvent.
Lisque in archeutstrat (fo 6 vo) Saiken te hocchsratt (fo 4 vo) exécutaient, semble-t-il, des broderies mates désignées par le terme ‘verheve(n) werck’. De très nombreux exemples de ce genre de travail qui commençait néanmoins à se démoder vers 1565, se rencontrent dans les tableaux de l'époque. Rosettes, étoiles, fleurs de lis brodées en relief animaient le linge fin - luxe suprême - tout en lui donnant un cachet précieux très recherché. (Fig. 2)
se voient confier surtout des fraises et parfois des ‘ouvrages’ et | ||||||||||||||||||
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des mouchoirs qu'elles ornent de ‘stippels’. Cette expression demeure assez obscure. Kilian la définit par ‘pingere acui’, sticken met de naelde.Ga naar voetnoot1. SchuermansGa naar voetnoot2. donne comme équivalent ‘stippen’ ‘fijn naaien met kleine en gelijke steekjes’ et le Woordenboek der Nederlandsche Taal de De Vries, te Winkele etc., traduit par borduren - broder, cette expression typiquement anversoise. Nous devons en conclure qu'il s'agit d'un travail à l'aiguille qui consistait à broder un objet de lingerie de manière, probablement à obtenir un ourlet ajouré, soit en serrant par des points arrière très rapprochés, les fils de la toile de façon à former de minces faisceaux alternant avec de petits trous, soit en tirant des fils de trame et en partageant les fils de chaîne pour obtenir un ‘point clair’. Sans aucun doute synonyme de l'expression française ‘fraise à arrierpoints’Ga naar voetnoot3. les ‘gestipt loben’ trouvent leur illustration dans de très nombreux tableaux de la période qui nous occupe. On voit mal à quel autre terme pourrait correspondre les ourlets plus ou moins ajourés qui garnissent les manches, les fraises, les collets depuis 1545 environ, et que les peintres ont rendu de façon si minutieuse (fig. 3). Les documents iconographiques s'accordent avec les comptes qui nous apprennent que ces ajourages pouvaient se pratiquer sur simple, double, triple rang: ‘gegeven Perainthen’, écrit Martine, ‘2 dousainnen loben te stipen, 1 dousan met 3 stippels, dander met 2 stippels; ende 15 st. van 6 lobben te stipen -0-15-0’,Ga naar voetnoot4. et dans les textes français, nous rencontrons: ‘des fraises à double arrierpoints’.
Gritthen Uilens (?) (fo 5) et surtout Tanneque inde Prequerstrat (ou Tanneken in de Prehairstrat) (fo 4, 5, 5 vo, 6, 7, 8, 8 vo, 9, 9 vo, 10, 10 vo) étaient particulièrement exercées dans le ‘gesneenwerck’. Cette expression s'applique, sans aucun doute, à un travail ajouré bien connu, mais dont l'appellation flamande était tombée dans | ||||||||||||||||||
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l'oubli. Jusqu'ici, on avait, en traduisant empiriquement le terme français ‘point coupé’, créé une locution factice ‘gesnedensteek’ qui devrait être délaissée au profit du mot ancien. Ce dernier désigne tout en le déterminant, un décor qui consistait à ajourer largement la toile en la coupant et en inscrivant des fantaisies décoratives sur les ajours ainsi obtenus. Ce genre de travail, à bords droits, en raison de la technique qui obligeait l'ouvrière à respecter la direction des fils de chaîne et des fils de trame, est lui aussi, abondamment illustré par les tableaux de l'époque. Le portrait de dame attribué à Pourbus l'Ancien, conservé au Musée de Dresde, nous donne vraisemblablement un exemple bien typique de ce qu'on réalisait dans le domaine du ‘point coupé’ à Anvers, à l'époque où Martine tenait son livre de compte ou même peu avant cette date (fig. 2). Plus tard, le portrait de la famille d'Antoine Anselme du Musée de Bruxelles peint par M. De Vos (1577) nous fournit de luxueux témoignages de l'activité dentellière anversoise. Il est en effet, probable, que le futur échevin d'Anvers acquit à Anvers même les magnifiques points coupés et les dentelles qui ornent non seulement son vêtement et la toilette de sa femme, mais qui sont encore répandus à profusion sur les tabliers et les bonnets de ses enfants Jeanne et Gilles (fig. 4). Ces bourgeois de haute volée encoururent par l'éclat de leurs habits, la réprobation de Guicciardini, mais sous la sévérité de son jugement perce néanmoins une admiration non déguisée: ‘En Anvers’, écrit-il, ‘on vit trop somptueusement, hommes et femmes de tout aage y sont tresbien vestuz, chacun selon ses forces et qualité usans tousjours de nouvelles et gentilles façons mais beaucoup plus vainement et superfluement que la civilité et l'honnesteté ne le peuvent ou doivent souffrir’Ga naar voetnoot1.. Plus tard, Vecellio, parent ou tout au moins élève de Titien, créateur de livres de modèles pour points coupés, remarque (vers 1590), en connaisseur, que les jeunes filles du Brabant portent des fraises bien travaillées et que les Anversoises, plus que les femmes de toute autre nation, affectionnent la toile de lin qu'elles brodent avec un goût délicat.Ga naar voetnoot2. Les livres de comptes | ||||||||||||||||||
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plantiniens confirment ces remarques auxquelles les portraits apportent le témoignage frémissant de la vie.
sont spécialisées dans un travail désigné par l'expression ‘te pairele’. Comme les ouvrières précédentes, elles décorent surtout des fraises et des mouchoirs, parfois aussi des chemises, sur commande: betalt ‘Tanneqe van Ghent van 1 hemt te pairele vor Karel Kokiels’ écrit Martine à la date du 16 octobre 1565 (fo 3). Ce mot et ses dérivés, ‘pairel’, ‘perel’, reviennent très souvent, avec des orthographes diverses, dans les textes plantiniens et se rencontrent de plus en plus fréquemment au fur et à mesure que l'on avance dans le siècle, illustrant une mode qui se précise: celle des bonnets, des mouchoirs, des fraises des cols ornés de ‘pointes’ ou ‘perles’. Très modestes au début, ces perles se présentent d'abord sous l'aspect de bouclettes, de noeuds, de ‘knoopjes in kant’ comme on définit ce terme d'origine française dans le Woordenboek der Nederlandsche Taal (fig. 5). Il est intéressant de souligner que le même nom se retrouve sous la forme ‘pearlin’ en Écosse pour désigner primitivement la dentelle au lieu de ‘lace’ qui ne figure jamais dans les anciens textes.Ga naar voetnoot1. On faisait grand cas de ces ornements exécutés en fil blanc | ||||||||||||||||||
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d'origine étrangère et dont Jacques VI d'Ecosse interdit l'importation. Le mot avait été introduit avec l'objet par Anvers avant 1564 ainsi qu'il ressort d'une liste de marchandises conservée au British Museum.Ga naar voetnoot1. Il fait partie de cet immense répertoire d'expressions qui, avec l'influence flamande, s'était introduit en Écosse au XVIe siècle.Ga naar voetnoot2. Les ‘purles’ figuraient fréquemment parmi les présents de Nouvel-An sous le règne de la grande Elisabeth. Bury Palliser note parmi les cadeaux offerts à cette occasion une paire de manches non confectionnées ‘with a piece of purle upon a paper to edge them’.Ga naar voetnoot3. - Ce détail est précieux parce qu'il nous fournit un renseignement technique de grande importance. Puisque ces ‘perles’ lesquelles étaient toujours en bordure, demandaient, pour être exécutées, un support indépendant qui n'était plus prélevé sur le tissu, elles répondent aux exigences de la vraie dentelle à l'aiguille et en représentent l'aspect le plus ancien. Simples picots, elles devinrent ensuite ‘d'étroites dentelures’,Ga naar voetnoot4. et prirent, avec l'essor de la mode, une allure de plus en plus hardie. Aussi trouvons-nous souvent des livraisons de fraises à ‘hautes perles’ auxquelles correspondent admirablement les sources iconographiques (fig. 6). Cet ornement indépendant de l'objet se livrait séparément dans certains cas, puisque le journal de Martine Plantin mentionne en 1568, la fourniture de ‘6 gairnitures à pairle par la fraise’.Ga naar voetnoot5. - Sans doute, faut-il entendre par là 6 garnitures interchangeables qu'on pouvait coudre à la fraise pour en varier l'aspect. Les ‘perles’ s'appuyaient fréquemment sur un point coupé qu'elles complétaient créant autour du visage une zône de blancheurs de plus en plus impondérables qui ménageait la transition entre le tissu et l'espaceGa naar voetnoot6. (fig. 7).
Une nommée Spelmans, qui, selon une lecture incertaine était | ||||||||||||||||||
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peut-être une béguine, (Biogeinthen? Spelmans, fo 3) fournissait des ‘brainaie crach’ de 9 patards (fo 2 vo, 3, 3 vo). Ailleurs, le journal de Martine nous révèle la vente et l'achat d'aunes de brainatGa naar voetnoot1. de dantelle de brainatGa naar voetnoot2. de dantaille.Ga naar voetnoot3. A quelle réalité concrète ce terme correspond-il? La définition de Kilian est extrêmement vague: ‘sutura nexilis reticulata’. Pour GeudensGa naar voetnoot4. qui relève le mot dans un inventaire de 1612, ‘dander servetwerck sonder breynaat’, il s'agit d'une dentelle grossière (grove kant). Nous suivons difficilement Mr. Truyens-Bredael pour lequel ‘breinat, brainat’ serait un mot propre à Anvers pour désigner primitivement la dentelle à l'aiguille,Ga naar voetnoot5. une terminologie très explicite existant pour ce genre de travail. ‘Breien’ que nous traduisons par ‘tricoter’ doit s'entendre aussi pour exprimer un entrelacement quelconque.Ga naar voetnoot6. Brainat, brey-naet serait donc une locution anversoise équivalente au terme ‘passement’ avec lequel il présente une singulière similitude, ‘naet’ comme ‘passe’ impliquant l'idée de bordure.Ga naar voetnoot7. Passement ou brainat peuvent se présenter avec un bord droit ou avec un côté dentelé, d'où les termes ‘brainat à dantelle, dantelle, dantaille’ qui correspondent à l'expression très courante ‘passement à dantelle’. Ceci paraît devoir être confirmé par une inscription que nous rencontrerons plus tard, en 1578, dans les archives plantiniennesGa naar voetnoot8.: ‘Receu de Jehan de Raiguers les passemans ci | ||||||||||||||||||
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après pour le sire Nicolas Fournier 5 3/4 a. dantelles à 30 st’ etc. - Le mot ‘passemans’ désigne donc un certain travail dont la ‘dantelle’ représente une espèce qui tire son nom de son aspect particulier. Remarquons qu'à Malines où Jehan de Raiguers était établi, le terme ‘passement’ désignait primitivement la dentelle aux fuseauxGa naar voetnoot1. et que ce marchand d'une autorité incontestée l'a fait prévaloir. Sans doute employait-il dans les comptes présentés à Plantin, ce mot, qui, dans les anciens documents plantiniens est utilisé uniquement en fonction d'un lieu d'origine où il avait droit de cité.Ga naar voetnoot2.
Rares étaient les ouvrières qui exécutaient des travaux divers. Le 8 novembre 1565 (fo 5), Lisquen Lairtauers est payée ‘van 3 cragen te make met hangende pairele’ et reçoit ‘6 loben om met gatthens te maquen’. On trouve encore quelques mentions de ce genre, mais peu; de façon générale, les ouvrières étaient des spécialistes.
Martine Plantin, en 1565, employait donc des ouvrières anversoises rompues à des techniques diverses de l'aiguille et du fuseau. Un fait très important se dégage de ce premier examen: C'est la singulière importance acquise par Anvers, et nous le verrons bientôt, par Bruxelles, au début de la seconde moitié du XVIe siècle, pour des travaux qui préparent l'avènement du point à l'aiguille, et pour le point à l'aiguille lui-même, quelque peu travesti sous le nom de ‘perles’. Cette importance nous oblige à revoir une opinion courante à laquelle on ne pouvait, jusqu'ici opposer aucune objection sérieuse, et selon laquelle les Pays Bas auraient inventé la dentelle aux fuseaux, et l'Italie, la dentelle à l'aiguille. Mais les textes sont clairs, ils permettent d'assurer que le Brabant a vu s'épanouir très tôt cette branche particulière de l'industrie de la dentelle, promue au plus bel avenir. Sans diminuer le mérite de l'Italie, suivie de près par la France dans ce domaine, nous devons néanmoins revendiquer pour nos provinces, bon nombre de points | ||||||||||||||||||
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coupés existant encore dans les collections, et que des comparaisons avec des portraits de l'école des Clouet autorisaient à attribuer à la France. Est-il nécessaire d'insister sur le fait que Pierre Gassen, ‘lingier de Messieurs frères du Roy’, fournisseur de la cour la plus éprise de luxe, se procurait à Anvers les fraises à ‘rosettes et a estoilles, à barres, large coupé, demi coupé’ etc. reproduites minutieusement dans les portraits du duc d'Anjou, le futur Henri III, du duc d'Alençon et dans de nombreux portraits contemporains (fig. 8). Le duc d'Alençon qui patronnait les arts, qui pensionnait Hillard en Angleterre, entretenait de nombreuses relations avec des artistes de Flandre. Rappelons qu'après la déchéance de Philippe II, il fut proclamé souverain des Pays Bas et que c'est un artiste malinois Hans Bol qui exécuta le livre de prières utilisé par ce prince lors de son entrée solennelle à Anvers en 1582.Ga naar voetnoot1. Sans doute appréciait-il aussi, les points coupés et les dentelles originaires de chez nous, puisque Gassen, son fournisseur, faisait travailler dans nos provinces.
Y avait-il déjà un quartier de dentellières-lingères à Anvers, au début de la seconde moitié du XVIe siècle? Les éléments recueillis sont trop incomplets pour répondre avec précision. Nous ne pouvons étudier les relations suivies de Martine Plantin avec ses ouvrières que sur une période de trois mois à peine. Même pour ce laps de temps fort court, trop peu d'adresses ont été retenues par Martine Plantin. D'autre part, il est probable, sinon certain, qu'elle n'a pas absorbé toute la main-d'oeuvre féminine et que celle-ci pouvait être dispersée à travers la ville ou cantonnée dans plusieurs quartiers. Néanmoins, il ressort de l'examen du carnet de Martine Plantin que plusieurs ouvrières étaient domiciliées ‘oup dossemairt’, c'est-à-dire marché aux boeufs, et in ‘stoultken’, sans pouvoir préciser ce que cache cette dernière expression. J'ai cru qu'il s'agissait de la rue de la Chaise, vieille rue d'Anvers, mais ce nom ne semble remonter qu'au XVIIIe siècle. | ||||||||||||||||||
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Quel était le salaire de ces ouvrières? En 1565, une ouvrière recevait 1 patard, 1 patard 1/2 pour orner une fraise de ‘stippels’; elle gagnait davantage pour perler une fraise: 4 1/2, 5, 6 1/2, 7 patards même, selon, sans doute, l'importance des ‘perles’. Le point coupé était encore mieux payé, puisque ‘Tanneque in de Prequerstrat’ se voit généralement allouer 8 patards 1/2 pour ce genre de travail. Plus tard, en 1575 Martine compte jusque 3 florins à sa soeur Catherine pour la seule façon d'une ‘fraise à grand bord’,Ga naar voetnoot1. mais il est difficile d'évaluer le pourcentage que cette dernière prenait sur le travail d'autrui. Notons aussi que pendant le dernier quart du XVIe siècle, le point coupé exigeait une main-d'oeuvre de plus en plus importante en raison du développement qu'il avait pris. Une ouvrière de Martine, Maiken Verpoirten recevait 12 patards vers 1572, pour ‘perler’ une fraise.Ga naar voetnoot2. Un mouchoir de point coupé était facturé par Martine, 3 florins, les fraises, 34, 32, 55 patards même.Ga naar voetnoot3. Il n'est peut-être pas indifférent de rappeler que le florin valait 20 patards et qu'un correcteur gagnait, chez Plantin, 2 florins par semaineGa naar voetnoot4.; un apprenti compositeur, après 3 années d'apprentissage, recevait outre sa nourriture, 6 florins par an, somme qui atteignait 12 florins au bout de 6 années.Ga naar voetnoot5. Raphelengien, le gendre de Plantin, époux de Marguerite, gagnait 100 florins par an en plus du logement et de l'entretien. Si le jeune ménage s'installait ailleurs, le beau-père s'engageait à augmenter le salaire de 160 florins.Ga naar voetnoot6. Ces précisions montrent que la lingerie fine et la dentelle furent toujours des objets extrêmement chers; elles permettent aussi d'évaluer l'importance que prit ce genre de commerce à Anvers au XVIe siècle.
Martine Plantin occupait en dehors d'Anvers, une main-d'oeuvre importante. | ||||||||||||||||||
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En octobreGa naar voetnoot1. et en novembre 1565,Ga naar voetnoot2. elle paie deux ouvrières malinoises: ‘Betalt Saigue Lisque Savels dochters te maichele van 3 gatkens sneitouguen 0-18-0.’ ‘Betalt Gritthen int covent van dele te Maichele van 2 gesneen loben te maquen fl 1 st 14.’ A ‘Gritthen de Malinne’ elle achète le 17 novembre 1565Ga naar voetnoot3. 4 coiffes à ‘17 stuivers piesse’ Une béguine de Malines, Anneke ou Tanneque Vertanghe, lui procurait des ‘lasis recouvers de roses, des coiffes, des rézeaux’.Ga naar voetnoot4. La fréquence de ses livraisons permet de croire qu'elle n'était pas une simple ouvrière, mais une factoresse rassemblant peut-être le travail de ses consoeurs. Elle était en tout cas, la grande spécialiste du ‘rézeau’ et du ‘lassis’, nom donné autrefois à tout travail présentant un fond réticulé, et plus spécialement au filet, très en vogue au XVIe siècle. Le ‘lassis avec ou sans ouvrage’ servait à faire des cols, des manches et aussi des coiffes. Les Anversoises usant toujours de nouvelles et gentilles façons, au dire de Guicciardini, semblent avoir affectionné les ‘rézeaux’, ornés pour le serre tête qui emprisonnait leur chevelure et sur lequel elles posaient une seconde coiffure épanouie en coques légères, parfois agrémentée de point coupé. Le portrait de Martine Plantin et de ses soeurs (attribué à Jacques De Backer - Cathédrale d'Anvers) offre de jolis exemples de ces ‘rézeaux couvers de roses’ dans lesquels les béguines paraissent avoir excellé et qui, comme leurs ‘filz de cloistre’, étaient fort prisés à Paris. Jehan de Raighers dont le nom est cité dans le journal de Martine à propos d'une livraison de fil,Ga naar voetnoot5. habitait, lui aussi, Malines, comme Georges Farinal qui était marchand de toile et dont la femme | ||||||||||||||||||
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livrait des fraises de point coupé, des garnitures etc.Ga naar voetnoot1. Cette dernière travaillait non seulement à façon, mais encore avec sa toile. Elle jouait, elle aussi, le rôle de facteur comme une certaine Dame Josine et une Pasquine (sans doute Pasquine Metser que nous rencontrerons ailleurs), dont la résidence n'est pas précisée, mais qui fournissait des ouvrages confectionnés avec sa toile, notamment des ‘fraises pairlées’.Ga naar voetnoot2.
Linken de RoyGa naar voetnoot3. et Jacqueline Masqueliers,Ga naar voetnoot4. toutes deux bruxelloises, envoyaient à Martine Plantin, des ‘garnitures, des mouchoirs pairlés, du poin coupé, des garnitures a pairle etc.’
D'autre part, Martine faisait travailler à façon à Breda. Sans doute y avait-elle été amenée par l'intervention de Gilles Beys, son futur beau-frère, natif des environs de cette ville et qui résida à Anvers, chez Plantin de juillet 1564 à janvier 1567 en qualité de ‘garçon bouticlier’.Ga naar voetnoot5. Elle faisait exécuter à Breda des ouvrages de diverses sortes par l'intermédiaire d'un facteur, Pierre de Geldre dont il est encore fait mention ailleurs.Ga naar voetnoot6. Déjà à la date du 13 octobre 1565,Ga naar voetnoot7. nous pouvons lire: ‘Ich heb main vaier gegeven lainat tot 1 dousain loben om na brida te sainde’. La même mention revient le 29 octobreGa naar voetnoot8.: ‘Ich heb main vaier gegeven lainat tot 1 dousa lobe om na brieda te sainden, te stipen’. Le 14 novembre,Ga naar voetnoot9. elle reçoit 12 fraises de Breda pour lesquelles elle paie 5 fl. 3 1/2 st. Le 21 décembre,Ga naar voetnoot10. nouvelle inscription: ‘Ontvangen van Breda 12 loben van gesnen wairck ien hoch ende gesonden lainat om 12 omslagende cragen te maquen van gesneen wairck’. Dès lors, les rapports avec Breda se multiplient. (6-1-66; 18-1-66, 25-1-66, etc. etc.) | ||||||||||||||||||
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Tous ces intermédiaires avaient eux-mêmes des ouvrières. Si Martine les faisait travailler ou si elle leur achetait des marchandises pour les besoins personnels de son commerce, leurs livraisons étaient néanmoins destinées, en ordre principal, aux marchands parisiens. ‘Mon pere a paié a Ma Dame Josine saise fl et 13 st. pour la marchandise que nous avons eu delle pour Jehan Burillion’, écrit Martine dans son livre journal en novembre 1567.Ga naar voetnoot1. Martine achetait comptantGa naar voetnoot2. des houpettes, des glands, des aunages de brainat, des dantelles, des lassis, des dantelles de brainat, des boites pour sa boutique, du papier bleu pour envelopper la marchandise.
C'est Christophe Plantin qui fournissait habituellement sa fille de toile pour la mise en main des pièces qu'elle faisait travailler, car on relève fréquemment dans son livre journal: ‘reseu de mon père unne piesse de toilleGa naar voetnoot3. - “Reseu de mon père”, écrit-elle le 22 décembre 1565,Ga naar voetnoot4. “unne piesse de toille de 50 aunes a st. 13 laune - ballié à mon père 21 st.” Néanmoins, nous verrons que ses correspondants à Paris lui fournissaient également de la matière première.
Jeanne Rivière avançait occasionnellement un peu d'argent pour donner aux ouvrières qui étaient payées au moment où elles rentraient leur travail. A la date du 13 mai 1566,Ga naar voetnoot5. nous trouvons cette annotation: “Jai fait conte avaick ma mere de largent quelle a debourse pour moi aux couturieres fl 5 st 6”, et le 23 septembre 1567,Ga naar voetnoot6. “Reseu de malinne de Anneken Vertanghe deux lasis recouvers de roses a 4 fl et 15 pt la piesse dont ma mere lui a baillé l'arghent asavoir fl 9 pt 10 des deus”. Toutefois, c'est Christophe Plantin qui soldait les comptes des fournisseurs payables à termes. Les délais, de deux, de trois mois, s'étendaient parfois sur une | ||||||||||||||||||
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année puisqu'à la date du 14 juillet 1568, Martine noteGa naar voetnoot1.: “Mon pere a paie a Jaquelin Masquelin ce jourdui la somme de 18 florins et 6 patatars (sic) pour la lingerie que nous avons eu d'elle lan 1567 14 Oust”. C'est Plantin aussi qui se chargeait des envois à Breda et qui donnait aux messagers l'argent pour paier les ouvrières. Le 24 novembre 1565,Ga naar voetnoot2. Martine écrit: “Reseu de mon pere une dousainne de frases de demi coupe de breda et lui m'ai balie unne autre dousainne aveck la toille a faire 2 bandes de colais a famme”. Le 31 mai 1566, elle noteGa naar voetnoot3.: “Mon pere a livré au mesagher de breda fl. 27 st 3 et 3/4 pour adraiser a breda aux filles”, et le 17 août de la même annéeGa naar voetnoot4.: “Mon pere a bailie au mesager de breda fl 26 st 15 1/2 pour les fillies” enfin le 19 octobreGa naar voetnoot5.: “reseu de mon pere fl 21 pour ballier au mesagier pour adreser a breda a Pietter de Gelder”. Tout compte fait, Martine s'occupait, pour son père, d'une affaire dont il lui abandonnait partiellement l'organisation, tout en conservant la haute main sur les principales transactions.
Dès 1565 Christophe Plantin louait une boutique au pand dont le loyer se trouvait modifié suivant qu'il était payé par “car dan” c'est-à-dire par trimestre, par “demi an” ou par an. “Reseu de mon pere”, écrit Martine le 28 janvier 1567,Ga naar voetnoot6. “pour donner pour le louage d'un car dan de boutique au pan fl 5 st. 5”, et le 13 février 1567,Ga naar voetnoot7. “Reseu de mon Père fl. 21 pour donner pour le louage d'une année de boutique au pan fl 21”. Nous relevons encore: “Paie a Bertelemi Momber la somue de onze florins pour un demian de boutique cheut a Nouel fl 11” et le 28 avril 1569Ga naar voetnoot8.: “Paie a Bertelemi Momber la some de 11 florins pour un demi an de louage de boutique qui doit échoir a la sain Jehan prochaine: fl 11”. Il y avait à Anvers, plusieurs “pands” ou halles couvertes qui | ||||||||||||||||||
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firent l'admiration de Guicciardini: celui des tapissiers avait acquis une renommée mondiale; dans d'autres galeries se vendaient, dit le voyageur italien, des argenteries, des orfèvreries, des peintures, et, nous pouvons ajouter, des linges fins et des dentelles. Le même auteur ajoute qu'on exerçait à Anvers, tous les métiers, et il cite notamment “tout genre de mercerie et de passementerie d'or, d'argent, de soye, de fil et de laine et d'infinis métaux et autres choses innombrables”.Ga naar voetnoot1. Monsieur Van Roey, archiviste aux archives municipales d'Anvers, m'avait fait remarquer que le maitre du pand dont il est question dans le livre de Martine, semblait être Barthélémy Momper, fils du second mariage de Josse l'Ancien et qui bénéficia de l'usufruit du pand des peintres établi à la Bourse, centre de la vie commerciale. Deux inscriptions naïves et touchantes de la main de Martine viennent confirmer cette supposition. Au folio 42 vo, nous trouvons en la date du 1er septembre 1567, l'annotation suivante: “Le premier jour que je suis venu tenir ma boutique au dandt (sic) de la bource. Achete arghent contant - 1 main de papier bleu 3 st”. Ailleurs, dans le même livre journal nous lisons (sans pagination): “L'an 1567, premier jour de septembre an Anver - vandu argent content fait le premier jour que je suis venue au pandt de la bource 1/2 aune et un saisieme de brainat st. 4 1/2”. Si les opérations réalisées en ce premier jour de tenue de boutique ne sont pas importantes, on devine néanmoins l'émotion de la jeune fille, âgée d'environ 17 ans, qui a tenu à souligner une date sans aucun doute mémorable pour elle. Avant de la trouver investie de ses obligations nouvelles nous ignorons si c'est sa soeur, sa mère ou toute autre personne qui gérait le magasin. Peut-être était-ce Jeanne Rivière puisqu'elle intervient dans quelques paiements aux ouvrières et qu'elle règle aussi la note de certaines réfections apportées au magasin, précisément la veille du jour où Martine s'y installe: “Reseu de ma mère fl 3 st. 13 pour paier le charpentie de ce quil a forni a la bouticke du pan asavoir pour les ais et clous et pour sa paine ansamble fl 3 st 13”.Ga naar voetnoot2. | ||||||||||||||||||
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D'autre part nous lisons à la date du 15 septembreGa naar voetnoot1.: “baille a hans marosie trois fl. pour le fornisement que nous avons trouvé a la boutique du pant asavoir du siel te toille paint et une barre de fair pour pandre unne gordinne unne piesse de toille qui est pandue devant la vairiere devant nostre boutique et un autre deux dais qui aist a nostre boutique lesquels 3 florins le Maître du pant promait de randre quant nous sortirons de la ditte boutique fl 3”. Un détail du fameux tableau attribué à Lucas Horenbout et conservé au Petit Béguinage de Gand, restitue l'aspect que devait présenter la boutique de Martine Plantin, abstraction faite du monstre mi-femme, mi-démon à l'invitation duquel (“Compt al bij en coopt mij”) répondent ceux qui se détournent de leur salut pour saisir les vanités du monde représentées par des sacs d'or, des miroirs et des fraises que des diablotins se chargent de distribuer. Nous retrouvons notamment le dais et aussi le tapis de couleur verte pareil à celui que possédait Martine et qu'elle allonge “d'une aune et 1/4 de aune” deboursant ainsi la somme de 6 patards 1/4 le 30 août 1567.Ga naar voetnoot2. La sécurité était assurée par une garde de nuit. “Paie”, écrit Martine, le 7 janvier 1566,Ga naar voetnoot3. “les veillieurs du pan pour la veilleure d'un 1/4 d an st 7 1/2 et pour leur lundi pargure st. 3 - st 10 1/2”. En janvier 1568, “la vaillieuse du pant pour la velleu de 4 mois” reçoit 4 patards plus un patard pour “son nouvel an”.Ga naar voetnoot4. Les ventes au comptant ne représentent pour Martine Plantin qu'une faible partie de son négoce. Elle débite quelques aunes de brainat, des fraises pairlées, des boutons, des cordons, parfois un mouchoir de point luisant, ou de point coupé, une chemise “d'espous” des fraises avec pointes, des colais a femme et a homme’ etc.... Quel était le bénéfice réalisé par Martine? Peu d'éléments per- | ||||||||||||||||||
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Fig. 1. - Livre de comptes de Martine Plantin.
Arch. no 440, fo 2 vo. Musée Plantin-Moretus, Anvers. | ||||||||||||||||||
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Fig. 2. - F. Pourbus l'Ancien: Inconnue.
Musée de Dresde. Vers 1555-1560. (Coiffe ornée de point coupé, col montant avec broderie mate en relief, petite fraise perlée). | ||||||||||||||||||
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Fig. 3. - J.W. Delff: Portrait d'enfant. Rijksmuseum, Amsterdam.
(Tablier à bordure, ajourée, fraise et manchettes ornées d' ‘arrierpoints’). | ||||||||||||||||||
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Fig. 4. - M. De Vos: La Famille d'Antoine Anselme, Gilles né en 1575 (détail). Musée Royal des Beaux Arts, Bruxelles. (Le bonnet, le col et le tablier sont ornés de point coupé à comparer à la pièce de point coupé représentée en dessous et conservée au Musées Royaux d'Art et d'Histoire, Bruxelles).
Cl. A.C.L. | ||||||||||||||||||
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Fig. 5. - P. Pourbus: Portrait de la famille Van Gindertaelen Jean (détail) 1559. Musée Royal des Beaux Arts, Anvers. (Col orné de petites ‘perles’).
Cl. ACL. | ||||||||||||||||||
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Fig. 6. - M. De Vos: Portrait de la famille d'Antoine Anselme, Jeanne Hooftmans (détail) 1577.
Musée Royal des Beaux Arts, Bruxelles. (Coiffe ornée de point coupé, fraise à hautes ‘perles’) Cl. ACL | ||||||||||||||||||
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Fig. 7. - École de Clouet: Élisabeth d'Autriche, femme de Charles IX (vers 1570)
Musée du Louvre, Paris. (Fraise ornée de point coupé et de ‘perles’). | ||||||||||||||||||
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Fig. 8. F. Clouet: Claude de France, fille de Henri II, duchesse de Lorraine (vers 1560).
Pinacothèque de Munich. (Guimpe et fraise en réseau, col en point coupé bordé d' ‘arrierpoints’ sur plusieurs rangs et de ‘perles’). | ||||||||||||||||||
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Fig. 9. - Allégorie du commerce d'Anvers d'après Jost Amman (détail).
Cabinet des Estampes, Bruxelles. A en juger d'après cette gravure, les coups de main n'étaient pas rares au XVIe siècle, dans la rade d'Anvers. | ||||||||||||||||||
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Fig. 10. - F. Pourbus le Jeune: N. de Hellinckx (détail).
Musée Royal des Beaux Arts, Anvers. (Type de passement de la fin du XVIe siècle). | ||||||||||||||||||
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mettent de l'apprécier. En inscrivant ses ventes au comptant (Ar. No 440, sans pagination), Martine indique parfois le prix d'achat; nous pouvons en déduire que son bénéfice, au moins pour les petites ventes n'était pas fixe:
Son père auquel elle a livré le 8 décembre 1565, 6 mouchoirs pairlés coutant fl 3 st 15,Ga naar voetnoot1. lui achète le 10 juillet 1568, une chemise de 45 patards soit 2 florins 5, pour ‘Monsieur Arias Montanus’.Ga naar voetnoot2. Faut-il rappeler que le savant confesseur de Philippe II arriva à Anvers le 18 mai 1568,Ga naar voetnoot3. apportant, outre le subside royal, la somme immense de son savoir qui rendirent possible l'exécution de la Bible polyglotte? Plantin, qui plus d'une fois, témoigna son amitié par des cadeaux semblables, offrit sans doute cette pièce de linge à son illustre collaborateur. Martine obligeait encore son père en achetant pour lui, ‘unne chemisette de coutuon et une de laine’ destinées à Mr. Heunens (?), docteur à Louvain pour lesquelles elle debourse 4 fl et 7 st.Ga naar voetnoot4. A l'occasion de la foire de Francfort, où il se rendait depuis 1558, accompagné parfois de Jean Moretus, Plantin se charge de lingeries ainsi qu'il résulte de cette inscription au livre de Martine en date du 27 août 1568Ga naar voetnoot5.: ‘Livre a mon Pere deux gairnitures, dont lune est peirlee a la fraise et coutte 36 pattars et lautre est sans peirles et coute 18 pat. ce sont 2 gairni- | ||||||||||||||||||
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tures les quelles il a parte (sic) a franquefort pour montre’. Bomberghe, sans doute, Corneille, l'associé de Plantin dont nous parlerons ailleurs à propos de livraisons de toile, achetait du brainat: ‘Débiter aissit (?) a Mons bonbairge’, lisons-nous à la date du 2 novembre 1565Ga naar voetnoot1.’ p. brainat aunes 56 - premierement du plus etroit 23 aunes-daprais 10 aunes A - du plus large 5 aunes à des dantelles 18 aunes à’, le tout sans indication de prix.
Les principaux correspondants de Martine Plantin étaient établis à Paris. Ce sont, avant tout, Pierre et Jean Gassen: Pierre, désigné par Plantin en qualité de ‘lingier de Messieurs frères du Roy’ en 1570, fournissait sans doute déjà à la cour avant cette date. Son neveu, Jean, pendant les années qui retiennent notre attention, le secondait dans son négoce. Les expéditions se faisaient, indifféremment, semble-t-il, à l'oncle ou au neveu, qui s'occupaient d'un commerce commun. Tous deux venaient fréquemment aux Pays-Bas pour leurs affaires, et ils y prolongeaient leurs séjours pendant de longues semaines, selon la coutume habituelle aux marchands du XVIe siècle. S'ils ne se rendaient pas en personne à Anvers, ils y déléguaient un certain Jehan Burillon mentionné comme ‘serviteur’, c'est-à-dire comme agent de P. Gassen.Ga naar voetnoot2. C'est Plantin qui gérait les comptes et qui dirigeait les affaires de Pierre Gassen à Anvers. Dans les livres tenus par Christophe Plantin pour son ami, Martine figure parmi les nombreux fournisseurs, que celui-ci avait dans les Pays-Bas, et nous pouvons suivre la trace de certaines opérations détaillées au journal de Martine dans les livres commerciaux que Plantin tenait pour Gassen. Peut-être les Gassen faisaient-ils travailler à façon chez nous. En tout cas, ils procuraient parfois de la toile à Martine. ‘Reseu, écrit Martine, le 6 janvier 1566,Ga naar voetnoot3. de Jehan Gassan 20 aunes de toille a st 16 aune - Item 20 aunes a st. 11 aune’ ce qui fait 540 patards soit 27 florins, laquelle somme nous retrouvons toujours dans le journal de Mar- | ||||||||||||||||||
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tine dans la mention inscrite le 10 janvier.Ga naar voetnoot1. ‘Mon Pere a fait conte aveck Jan Gassan de la toille que il m'avoit livre et des fraises que je lui avois livrees et lui a paie fl 27 pour la toille ke jai eue de lui et a reseu fl 15 st. 6 de fraises ke je lui avois livrées’. Si nous ouvrons maintenant le livre Plantin-Gassen,Ga naar voetnoot2. nous constatons que Jean Gassen étant venu à Anvers pendant plus d'un mois, fait précisément le 10 janvier 1566, de sa propre main, compte avec Plantin et déduit la toile qu'il a livrée de ses dépenses de bouche et de chambre. En juillet et août 1566, Jean Gassen revient à Anvers.Ga naar voetnoot3. Martine en profite pour livrer: ‘18 fraises de une hauteur a st. 16 piesse’ ‘6 gairnitures a fraise a fl. 1 st 6 piesse’ ‘18 mouchoirs a st. 18 piesse’ etc. etc.Ga naar voetnoot4. Au printemps de l'année suivante, il revient sans doute à Anvers et paie à Martine 7 florins, 10 patards pour ‘soude de conte’ de 12 fraises envoyées à Pierre GassenGa naar voetnoot5.; le 30 mai,Ga naar voetnoot6. elle lui livre ‘18 fraises de poin coupe de 2 hauteurs a st. 15 piece, 9 fraises de mi coupe’ etc. - Il serait vain de vouloir détailler toutes les fournitures de Martine à Jehan Gassen: Le 20 mars 1568Ga naar voetnoot7. ce sont des ‘fraises pairlees’ de diverses sortes qu'elle livre par 12, 8, 14 douzaines, le 2 septembre de la même année,Ga naar voetnoot8. son correspondant reçoit plusieurs ‘lasis’, ‘2 recouvers de roses’ à 5 florins, ‘1 pere de manches de lasis a 2 florins’ ‘des lasis sans roses à 3 et 5 florins’ et un ‘d'unne autre fasson a grandes malles’ de 2 florins 5 patards, plus une grande quantité de fraises, de ‘renverses’ et de ‘garnitures’. Sans doute faut-il mettre cette livraison en rapport avec la teneur de la seule lettre adressée à Jeanne Rivière. Plantin, étant en voyage pour aller à | ||||||||||||||||||
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Paris, Pierre Gassen écrit à sa femme le 13 mai 1568Ga naar voetnoot1.: ‘... que vos filles Catherine et Martine fassent nos sortiments, recoyvent nos ouvrages de nos ouvrières, les entretiennent pour nous à la manyère ascoustumée. J'ai reçeu plusieurs frezes de Martine Plantin à bors, des bas prix dont j'en veux encor de mesmes assés bonne calité’. Suit alors une commande de diverses sortes de fraises, puis Jean Gassen poursuit: ‘Je vous prie de fayre besogner toutes nos ouvrières de Malines et de Brusselles, mesmes Janneken Vertange à nos lassis -’. Martine tient note des moindres sommes déboursées pour ses correspondants, portant en compte la ficelleGa naar voetnoot2. et le ‘port d'une boitte de lingerie aportée de Bruselle de Linken de Roy’, paie ‘une rialle’ (3 1/2 patars)Ga naar voetnoot3..
Souvent aussi, au lieu de s'occuper directement de la livraison à Paris, Martine Plantin cédait à sa soeur Catherine la marchandise que celle-ci faisait parvenir à Pierre Gassen qui l'appelait sa ‘gouvernante’. Cette dernière veillait en effet à la bonne exécution des ordres du marchand parisien qui, selon la lettre de Plantin à Çayas, se trouvait enchanté de ses services. Le 26 février 1566,Ga naar voetnoot4. Martine donne à Catherine: ‘6 ghairniture a fraises a st. 14 piesse pour anvoier au sire Pierre Gassant’, elle en est payée le 5 avril suivant puisqu'elle noteGa naar voetnoot5.: ‘Reseu de ma seur Catherinne florins 4 et st. 4 de 6 gairnitures a hommes ke je lui avois livre pour anvoier a Pierre Gassen’. Le 13 septembre 1566,Ga naar voetnoot6. elle livre pour 40 florins 8 patards de fraises et de garnitures à soeur Catherine pour Pierre Gassen; le 30 octobre 1566,Ga naar voetnoot7. elle lui cède pour 67 florins 17 patards de marchandise plus ‘3 mains de papier bleu à st. 3 1/2 la main’, réalisant ainsi sur chacune un bénéfice d'un 1/2 patard. Le 12 no- | ||||||||||||||||||
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vembre de la même année,Ga naar voetnoot1. nous rencontrons une nouvelle fois: ‘livre a ma seur Caterine pour anvoier au sire Pierre Gassen 15 fraises de poin coupe’ etc. - en tout pour 34 fl. 2 1/2 st. etc. etc. Le 9 juillet 1568,Ga naar voetnoot2. c'est pour Jean Gassen qu'elle livre à sa soeur plusieurs douzaines de fraises.
Nous avons déjà vu que Christophe Plantin intervenait dans le paiement de la marchandise livrée aux Gassen, c'est ainsi que nous pouvons lire dans le journal de Martine en date du 18 août 1567Ga naar voetnoot3.: ‘Reseu de mon pere pour soude de conte de la marchandise que je ai livree au sire Jehan Gassen florins vint et sinck, st. 19’.
Pierre Porret, l'ami de Plantin qui exerçait à Paris l'état d'apothicaire et que Plantin considérait comme un frère, se chargeait ordinairement des commissions de son compagnon d'enfance, dit Max Rooses,Ga naar voetnoot4. achetant du papier, des poinçons et faisant des encaissements pour lui. Nous pouvons ajouter que ses interventions dans le domaine de la lingerie ne sont pas négligeables. ‘J'ai anvoie à moun oncle Maitre Pierre Porait’, écrit Martine en date du 18 juin 1566,Ga naar voetnoot5. ‘6 gairnitures pour Monsieur Bavin a fl 1 st. 4 piesse’; un mois après, le 19 juillet elle noteGa naar voetnoot6.: ‘Anvoie a mon oncle Maitre Pierre Porret, 12 gairnitures a fl 1 st 4 piesse pour Monsieur Bavin’. Pierre Porret qui, géra à Paris une succursale de Plantin dans sa maison, au Compas d'Or, rue des Mathurins,Ga naar voetnoot7. y annexa un commerce de lingerie. Les envois de Martine Plantin sont particulièrement importants pour l'exercice 1566-67, époque à laquelle Plantin commença à confier à son ami la vente de ses livres. Le 12 novembre,Ga naar voetnoot8. elle détaille, dans son journal, une importante | ||||||||||||||||||
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commande de Porret qui s'élève à la somme de 465 fl. 4 pat. 1/8. On y voit figurer des ‘colais a femme a et sans ouvrage, des mouchoirs aveck ouvrage, des fraises aveck et sans ouvrage, du brainat’ etc. etc. Le 13 janvier 1567,Ga naar voetnoot1. un nouveau mémoire nous apprend qu'elle expédie à Pierre Porret ‘dedan un coffre a no 5’ des fraises, des garnitures etc., en tout pour 95 fl. 3 pat. 1/2; le 21 janvier de la même année nous rencontrons un nouvel envoi.Ga naar voetnoot2. Porret, d'autre part, lui faisait parvenir des spécialités parisiennes: en effet, nous trouvons à la date du 8 novembre 1569Ga naar voetnoot3.: ‘Mémoire des fleurs de plume que nous avons receu de mon oncle Maitre Pierre Poret de Paris’. Martine détaille ensuite les fleurs, oeillets, roses, fleurs à grands panaches qu'elle retient pour sa boutique et celles qu'elle délivre à son père. Porret se chargeait aussi des commandes de Jean Burillion. Ce dernier avait, en qualité de ‘serviteur’ de Pierre Gassen fait un séjour de près d'un mois à Anvers au printemps 1566.Ga naar voetnoot4. Martine lui fait, à cette occasion, plusieurs livraisons.Ga naar voetnoot5. Elle figure pour la somme de 43 fl. 18 patards dans le mémoire rédigé par Burillion le 3 mai 1566 et qu'il laisse à Plantin pour compte de Gassen, laquelle somme lui sera payée par Pierre Gassen le 20 juillet de la même année.Ga naar voetnoot6. En 1567, Burillion s'est il détaché de son maître? C'est possible. Toujours est-il que Martine lui expédie le 18 août 1567,Ga naar voetnoot7. par l'intermédiaire de Porret, des mouchoirs, des ‘colais’, des fraises, en tout pour 99 fl. 17 pat. Elle apporte des précisions quant aux collets ‘dont il i an ia 3 de ma boutique’ et aux fraises ‘lesquelles sont de ma boutique’, écrit elle. Au cours de ce même mois d'août, c'est toujours pour Burillion qu'elle envoie à Pierre Porret des ‘lasi a faire colais couvert de roses et sans roses’Ga naar voetnoot8. et au début | ||||||||||||||||||
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septembre (le 6),Ga naar voetnoot1. ‘un lasi sans ouvrage’ note-t-elle, que ‘nous avons faifaire’, de 3 fl. 10 st. Nous rencontrons le nom de Jehan Moulin associé à celui de Jehan Burillion dans différents envois faits par Martine. Le 9 juillet 1568,Ga naar voetnoot2. elle expédie à ces deux correspondants, de la marchandise, dans un tonnau marqué no 30 et adressé à ‘Gilles Bais’ (G. Beys). Le 13 août 1568, une nouvelle commande est acheminée aux mêmes personnages ‘dedens un touniau no 31 anvoie à Gilles Beis a Paris’Ga naar voetnoot3.
Ce ‘Gilles Beis’ est sans nul doute le futur gendre de Plantin. Après avoir séjourné comme garçon de boutique à Anvers, chez Plantin, Beys, en janvier 1567, quitte la métropole pour Paris afin d'y gérer, sous la direction de Porret, la succursale que Plantin y avait ouverte. Les Anversois semblent s'être établis volontiers à Paris, et le 7 juillet de la même année, Beys qui comme ses compatriotes s'était rapidement assimilé au milieu parisien,Ga naar voetnoot4. était déjà naturalisé: ‘Je suis heureux’, écrit Plantin à Porret, ‘des lettres de naturalité de Giles’.Ga naar voetnoot5. Pierre Porret, qui ne s'entendait guère au commerce se désintéressa de la boutique et en abandonna, dit Max Rooses,Ga naar voetnoot6. l'administration à Egide Beys. Celui-ci intervient dès lors aussi dans le commerce des dentelles et lingeries. Vers 1570, Gassen et Beys se rendaient de mutuels services, et pendant quelque temps, tout alla pour le mieux entre Anvers et Paris. Beys accuse réception à Jean Moretus, le futur mari de Martine, de ‘passements envoyés par son maistre (Ch. Plantin) dedans les coffres de Gassen’,Ga naar voetnoot7. une autre fois, Beys prie Moretus de lui faire parvenir ‘douze aulnes de frize’ ou ‘Engelsche vrise’ ‘pour faire une robbe de nuict’ à envoyer ‘par le primier tonneau | ||||||||||||||||||
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ou coffre’, de la part de Jehan Gassen.Ga naar voetnoot1. Tout en demandant de tenir sa correspondance secrète, Beys confie en 1569, à un inconnu, que s'il obtenait de l'argent, il pourrait faire un riche mariage.Ga naar voetnoot2. Catherine Plantin, ayant, comme nous le verrons, épousé Jean Gassen à Paris en 1571, Plantin envoie l'année suivante, sa quatrième fille, Madeleine, à Paris, chez Catherine. Au mois de mai de la même année, il avait adressé à sa jeune fille une exhortation paternelle dans laquelle il lui écrit notamment: ‘Contregardés (vous) de toutes mignardises et déceptions de quiconque ce soit, ne vous fiant à homme qui soit au monde au faict de la chair ou voluptés et abus qui vous pourroyent estre présentés de loing pour vous attirer et tromper. Que s'il sera question de parler de mariage, remectés tousjours cela en la volonté de Dieu, de moy vostre père, de vostre mère ou autres à qui pourrions ou voudrions donner la charge sans vous avancer d'y rien respondre de vous mesmes’.Ga naar voetnoot3. Madeleine ne dut pas méditer longtemps ces sages paroles; moins de quatre mois après, et bien qu'elle ne fut âgée que de 15 ans à peine, Madeleine parvint à se faire aimer d'Egide Beys qui ne tarde pas à demander sa main à Plantin. Ce dernier séjournant à Valenciennes, se rendit incontinent à Paris et donna sa fille en mariage à Beys, le 7 octobre 1572.Ga naar voetnoot4. Beys et sa femme faisaient de mauvaises affaires et Plantin souffrit d'amères désillusions de la part de ce couple qui se trouvait dans de perpétuelles difficultés d'argent.Ga naar voetnoot5. Les relations entre Beys et Moretus se gâtèrent et le ton des lettres montre combien étaient tendus les rapports entre les deux beaux-frères.Ga naar voetnoot6. En 1577, excédé, Plantin avait vendu sa succursale à Sonnius. Beys s'installe à son compte, mais est perpétuellement dans la débine, Madeleine demande à son père, sans l'obtenir, la marque plantinienne, les termes des lettres de Plantin à son gendre et à | ||||||||||||||||||
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sa fille dictés par l'attitude de ceux-ci sont extrêmement durs.Ga naar voetnoot1. En 1583 Porret écrit à Plantin que ‘Gilles est après pour avoyr bouticque au palays’ pour y employer sa femme et sa ‘fillie’Ga naar voetnoot2.; en 1590, Beys qui jalousait son beau-frère, ouvre une imprimerie à Anvers, à proximité de la sienne, dans la Cammerstrate. Madeleine, à en juger d'après la teneur d'une lettre qu'elle adressa à sa soeur Martine en 1578, ne devait pas être exempte de ce défaut de ‘superbité’ contre lequel Plantin, âme humble et forte, ne cessait de mettre en garde ses enfants. Jugez en: ‘Ma Seur, j'ay receu le Ciel de Lict (par notre Cousin et Amy Gassan) lequel il vous a pieu de prendre la peine d'achepter, d'ont je vous remercie de bien bon coeur. Au reste j'ay prié nostre susdict Cousin de me le vouloir vandre à sa Bouticque si d'advanture il si presante quelque Marchand, car il est par trop grossier pour en faire ung tour de Lict à mecttre quand je suis en couche, car celuy qui est à nostre Lict journellement n'est sinon de Sargie verte, mais il est bien plus honneste que celui de haultelisse, car comme dict est il par trop grossier et lourdement faict’.Ga naar voetnoot3. Le ton de cette missive écrite par une jeune femme de 18 ans révèle un tempérament peu commun. Quand Plantin séjournait à Paris, c'est à lui que Martine adressait la marchandise qui s'écoulait sur le marché parisien. C'est ainsi que nous trouvons au mois de mai 1568,Ga naar voetnoot4. mention de divers envois importants. Le 11: ‘Anvoie a mon Pere a Parris 2 boittes et ung paquet de marchandise dont y a de ma boutique ce qui s'ansuit le reste est de marchandise achette et est mise a memoire au livre de ma seur Caterine, touniau no 27’, suit alors la liste des articles parmi lesquels ‘18 fraises demi coupé’, ‘30 de poin coupé’, 4 dz 1/2 ‘de fraises pairlees’, des garnitures etc. - d'où il résulte que Plantin se trouve devoir ‘88 florins 12 patards.’ Le 21 du | ||||||||||||||||||
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même mois, nous rencontrons de nouveau: ‘Mémoire de la marchandise gui est dedens une boite anvoié a mon Pere a Paris dedans un touniau no 28 la dite marchandise est de notre boutiqu ecksepte 9 fraises a savoir selles de no 1-2 et 3’ - Après son mariage avec Jean Moerentorf, célébré le 4 juin 1570, Martine ne renonça pas à son commerce, tout autant peut-on signaler un léger ralentissement de son activité qui semble reprendre à l'occasion de la visite de Pierre Gassen durant l'été et l'automne 1570. Au mois d'août 1570, Pierre Gassen est à Anvers. Il y fait un séjour prolongé, puisque Martine livre diverses marchandises en date du 30 août, du 12 octobre, du 21 octobre,’ au sire Pierre Gassen estant de present en sette ville’.Ga naar voetnoot1. En octobre toujours, elle accompagne sa soeur Catherine au marché du vendredi pour y acheter ‘des toilles de flandres sur le commandement de Gassen’. Les toiles sont néanmoins payées à Catherine qui s'occupait en ordre principal des affaires de Pierre Gassen. Son père lui baille pour le dit Gassen la somme de 234 fl. 3 pt. 1/4, mais il compte 250 florins, 4 patards à Gassen.Ga naar voetnoot2. Le 4 novembre 1570, Catherine cède de la toile à Martine de la part de Gassen. Ce dernier se faisait payer en travail, pratiquant envers son fournisseur ce système de troc, généralisé par la suite dans l'industrie dentellière et qui fut une des causes initiales de la misère des ouvrières. ‘Je doibs au sire Gassen’, écrit Martine ‘fl 85 st. 10 1/2, c'est pour P. deux de toille une de a. 40 1/2 a 23 st. l'a et l'aultre de a. 41. a 19 patt. laune que jay receu par les mains de ma seur Catherine pour compte du susdit Gassen a payer en aultant d'ouvrages val. fl. 85 st. 10 1/2.Ga naar voetnoot3.
Désormais, l'activité de Martine Plantin se reflète jusqu'en octobre 1573 dans un second livre journal.Ga naar voetnoot4. | ||||||||||||||||||
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Elle effectue, au début de l'année 1571, divers achats de fraises notamment à sa soeur Catherine,Ga naar voetnoot1. à Truyquen (Truiken) et à Madeleine Salsenbeurh.Ga naar voetnoot2. Cette dernière a reçu 9 florins 7 patards ‘lesquelles’ écrit Martine, ‘j'ay comptes a elle au pant a bon compte de la marchandise que j'ay acheptée d'elle’. Ceci nous permet de croire que Martine continua à tenir boutique après son mariage. Elle livre d'autre part de nombreuses commandes à Catherine pour faire tenir à Pierre Gassen par l'intermédiaire de divers messagers,Ga naar voetnoot3. et le 12 février, son père lui paie 306 fl. 10 1/2 pt. pour les ouvrages qu'elle a livrés depuis le 30 août jusqu'au 23 janvier au marchand parisien.Ga naar voetnoot4.
Peut-être serait-il intéressant, avant de poursuivre notre étude sur Martine Plantin, de dégager la physionomie de sa soeur cadette que nous avons déjà vu se profiler à divers endroits. Les termes de la lettre de Plantin à Çayas sont suffisamment explicites pour pouvoir affirmer que Catherine remplit un rôle commercial important. On lui a même, sur la foi de ce texte, attribué une action prépondérante sinon exclusive dans un domaine qu'elle a amplement partagé avec sa soeur. Si les carnets de comptes de Catherine paraissent avoir été moins épargnés que ceux de son aînée, nous saisissons un reflet de ses interventions et de sa personnalité à travers la correspondance plantinienne et dans les registres de comptabilité que Plantin tenait pour son ami Gassen. Dès 1564, Catherine qui n'avait alors que 11 ans puisqu'elle est née en 1553Ga naar voetnoot5. consignait le détail des comptes particuliers des | ||||||||||||||||||
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ouvrières et des facteurs qui dans les Pays-Bas travaillaient pour l'ami de son père. De très nombreux et de très longs ‘extraits du livre de Katherine’ recopiés par Plantin dans le journal des affaires de Gassen pour les années 1564-65-66-67, en font foi.Ga naar voetnoot1. Sa soeur Martine figure fréquemment parmi les fournisseurs.Ga naar voetnoot2. Catherine semble s'être, au moins à cette époque, à peu près uniquement consacrée aux affaires de Pierre Gassen. Elle paraît avoir joué le rôle d'un facteur principal entreposant les livraisons fournies par d'autres facteurs en vue de l'expédition vers Paris. C'est elle aussi qui surveille le travail. ‘Cependant, je vous prie, écrit P. Gassen à Plantin le 7 avril 1565,Ga naar voetnoot3. par ma gouvernante Catherine’ (laquelle avait alors 12 ans!) ‘faire sy bien soliciter toutes nos ouvrières que nous ayons ce que par les mémoyres avons demandé car à présent nous sommes aussi dessorties des sortes demandées’. - Il faut que Catherine veille, les ‘inconstants béguines’ n'exécutent pas assez rapidement les ordres et profitent de la vogue de leurs beaux lassis pour en augmenter le prix: ‘Le 5e du présent, vous ay escript mes dernières, et, despuys j'ay receu les vostres du dernier mars ensemble 2 rézeaux de nos inconstantes béguines.’ ‘Or je me doute’, continue Gassen, ‘comme je vous ay escript, que quelques uns de nos voysins a, en achetant des filz de cloistre, descouvert les ouvrières qui pouroit estre la cauze de les renchérir ainsi. Mais tant y a que, pour la cauze que je en ay promis quelques nombre a rozes il nous les faut avoir plus tost leur mot (sy mieux on ne peut) pourveu qu'elles les fassent bien beaux et de beau fil et qu'elles m'en despeschent davantage comme elles promettent à 4 fl. 10 patars. Il me semble qu'il ne sera mauvays de sy bien serrer le marché qu'elles ne varient plus et leur fayre promettre par escript et jurer par la foy de billouart ou de béguine de ne plus leur dédire et que maistre Jaques y alle en vostre faveur leur fayre prester le serment solenel etc.... Et il faut qu'elles les fassent dores en avant tous couvers de rozes à 4 fl 10 patars et en retirer, estant | ||||||||||||||||||
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aschevez, tout ce que pourrés pour nous les incontinent envoyer’. Le Journal Plantin-Gassen nous apporte l'illustration pittoresque de cette lettre qui n'en manque d'ailleurs pas et qui reflète une attitude morale inscrite hélas, tout au long de la longue histoire dentellière où surenchère, mauvaise foi, dérobade se succèdent de la part du marchand ou de l'ouvrière, suivant le flux et le reflux des commandes. Si le 5 mai 1565 et le 3 juin de la même année, Tanneken Vertanghen, la béguine de Malines dont nous rencontrons si souvent le nom, fournit encore des réseaux à 4 fl. 10 pt, son prix est majoré de 5 patards à partir du mois d'août.Ga naar voetnoot1. En juin 1566, Catherine, par ‘l'ordonnance’ de Gassen se rend auprès d'elle pour effectuer un nouvel achat de ‘fil de cloîstre’ et de réseaux, et elle ‘a despendu d'aller à Malines par deux fois au chariot, à l'une fois 3 pt. 1/2 et l'autre 4 pt 1/2’,Ga naar voetnoot2. lesquels 8 patards Plantin porte en compte à Gassen. Le 2 novembre de la même année elle débourse encore pour ses ‘deux voyages d'aller et venir à Malines 1 fl 3 pt.’Ga naar voetnoot3. - C'est Catherine qui sera désormais commissionnée auprès des fournisseurs malinois: ‘Compère et amy’, écrit Plantin à Pierre Gassen, le dernier de juillet 1567,Ga naar voetnoot4. ‘j'ai envoyé ces jours passés à Malines pour soliciter vos ouvrières et ay payé tous ceux à qui il falloit paier’ et une autre fois ‘Catherine a esté à Malines soliciter les Béguines’.Ga naar voetnoot5. On pourrait s'étonner de voir ainsi une toute jeune fille, à peine une adolescente, envoyée seule sur les routes du XVIe siècle, discuter avec les fournisseurs, porter sur elle des sommes considérables et tenir des comptes importants. Ce que nous savons de l'éducation donnée par Plantin à ses enfants qui semblent toutes d'une précocité étonnante (- Made- | ||||||||||||||||||
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leine à 13 ans lisait les épreuves de la Bible PolyglotteGa naar voetnoot1.) s'éclaire encore d'un jour nouveau. Nos grands mères auraient été épouvantées par la liberté d'allures accordée aux demoiselles Plantin qui vont, viennent, voyagent, discutent et tiennent boutique. Elles n'étaient pas les seules à Anvers ni dans les Pays-Bas à se distinguer par la débrouillardise et par l'entendement aux affaires. Le passage que Guicciardini consacre à la description des flamandes en est un témoignage éclatant. ‘Quant aux femmes de ce pays’, écrit-il, ‘outre ce qu'elles sont belles et propres et bien avenantes, sont encor fort gentiles et courtoises et gracieuses en leurs actions: veu que commençans dés leur enfance à converser librement avec chacun, par cette fréquentation elles deviennent plus hardies en praticquant les compaignies et promptes à parler et en toute chose; mais avecq cette grande liberté et licence elles gardent sévèrement le devoir de leur honnestetez. Elles sont sobres et fort actives et soigneuses se meslant non seulement des affaires domestiques.... Ains vont aussi achepter et vendre et marchandises et biens et si mectent et la main et la langue és affaires propres aux hommes: et cecy avec telle dextérité, esprit et diligence, qu'en plusieurs endroictz leur maris leur laissent en main la charge de toute chose’.Ga naar voetnoot2. Plus loin, Guicciardini s'émerveille de voir les femmes en Anvers avoir plus de privilège qu'en ‘autre part de ce pays’, se mêler a la foule, participer a l'activité commerciale de la métropole, et parler trois ou quatre langues et même davantage.Ga naar voetnoot3.
Le Livre-journal Ar. No 443, conservé au Musée Plantin-Moretus, doit avoir été tenu par Catherine Plantin. Il porte sur l'activité d'une année terminée le 1er juin 1571. La tenue soignée des premiers folios contraste avec l'aspect négligé des dernières pages, ce qui pourrait s'expliquer par l'état d'esprit de Catherine préoccupée par son mariage tout proche. On y trouve trace d'opérations qui, reportées dans les livres commerciaux tenus par Ch. Plantin pour P. Gassen sont spécifiées comme ayant été | ||||||||||||||||||
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réalisées par Catherine.Ga naar voetnoot1. L'écriture ressemble à celle de Martine, chose commune parmi les membres d'une même famille, mais toutes les annotations ne sont pas de la même main et on peut y reconnaître celles de Plantin. Catherine y tient note de la réception d'ouvrages livrés par divers (Jehan de Rayguers, Georges Farinal, J. Masqueliers, Catherine Vincent, Madame Josine Smits etc.), le plus souvent pour le compte de Gassen, et de paiements effectués pour lui. Sa soeur y figure sous le diminutif de Martine Mouret. Il s'agit d'elle sans erreur possible puisque l'annotation qui la mentionne à la date du 30 août 1570: ‘ouvrages doivent donner à Martine Mouret pour ouvrages que le sire Pierre Gassan a receu d'elle - Martine Mouret doibt avoir fl 36 pt. 9’Ga naar voetnoot2. correspond à la note écrite certainement par Martine à la même date dans son propre journal et à laquelle nous avons déjà fait allusion en parlant du séjour que Pierre Gassen fit à Anvers en 1570.Ga naar voetnoot3. On sait comment Jean Gassen ‘ayant appris à connaître et à aimer Catherine’ à l'occasion de ses voyages à Anvers la demanda en mariage. Catherine se rendit à Paris le 8 juin 1571 pour célébrer ses noces qui eurent lieu le 15.Ga naar voetnoot4. C'est l'oncle qui avance l'argent pour les festivités. Il a déboursé, écrit Plantin, ‘pour les nopces de la fille de moy Christofle Plantin avec Jehan Gassen. Ascavoir en habillements faict faire à Paris 207 1b., 8 s., 5 d. Et pour le bancquet des dites nopces 250 lb. Qui fait ensemble 457 Ib. 8 s. 5 d. vallants notre monnoye dicy 381 fl. 4 st.Ga naar voetnoot5.,’ laquelle somme Plantin verse au compte qu'il tenait à Anvers pour son ami.Ga naar voetnoot6. | ||||||||||||||||||
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Dès le début le jeune ménage se gouverna mal. - Les nouveaux mariés qui s'étaient établis chez Pierre Gassen ne donnent pas de leurs nouvelles et, écrit, Plantin à son gendre ‘Je n'ay sceu que penser sinon qu'il y avoit quelques pièces (comme on dict) mal taillées’.Ga naar voetnoot1. II serait amusant d'énumérer tous les petits griefs, source de conflits entre les deux époux et leur entourage. Jean Gassen a interdit à Martine d'assister ‘aux nopces de la fille de la seur de sa tante’, ce ‘sont choses’, écrit Plantin, ‘que je n'eusse estimé qu'eussiez encore volu chopper’. Puis après certaines remontrances, le beau-père ajoute: ‘Je n'entendois pas vous avoir baillé ma fille afin qu'elle empirasse’. Il traite sans plus de ménagements Catherine et lui dépeint l'inquiétude dans laquelle le jette l'absence de lettre: ‘attendant,’ écrit-il, ‘de jour en aultre des nouvelles d'entre vous tous nos amis de par de là,... j'ay esté fort esmerveillé que trois messaigiers sont venus par deçà sans apporter un seul mot de lectres de vous... A quoy j'ay incontinent conclud en moy-mesmes qu'il y avoit quelque choses malfaictes’. Il en a ressenti ‘une tristesse occulte et pesanteur de coeur’ qui l'a fait tomber ‘en une maladie corporelle de cholique qui le vexe outre que de coutume laquelle’, continue-t-il, ‘me serait peu de chose si j'eusse peu entendre quelque occasion de me resjouir de vostre bon portement et de vostre mary...’. La conduite de Catherine, dont il a eu des échos, le peine profondément, aussi ajoute-t-il: ‘Mais ayant entendu le contraire et une partie de la légèreté et sotte outrecuidance et cholérique superbité dont vous commencés user a vouloir vous montrer... je n'ay sceu que devenir, que penser, que faire’. Les conseils suivent: ‘Levés vous matin, faictes ou aidés à faire le mesnage; à chaicune heure qu'avés le loysir faictes ung tour, quand aurés le moyen commode, de la boutique à la cuisine ou ailleurs pour voir s'il n'y a rien à faire,... car il ne faut pas suivre la mode, ni prendre garde à la paresse, négligence ou nonchallance et sottises des autres, mais à ce qu'il appartient de faire selon Dieu et rayson.’ Bien des erreurs ont été commises par Catherine qui vit au milieu de la famille de Pierre Gassen, et des heurts se sont produits: ‘Gardés vous bien’, dit Plantin, ‘de vous tenir esgale aux filles de la mayson; considérés | ||||||||||||||||||
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qu'elles sont en la mayson de leur père, héritières d'iceluy, et sous sa seule charge et gouvernement, ce que vous n'estes pas ni vostre mari, ni Antoine (frère de Jean) ni autre quiconque. Et, par conséquent, c'est à vous à leur obéir’. Puis, en bon père, il encourage sur un ton patriarcal: ‘ce n'est pas honte ni mal faict que de tomber aucunes fois par mégarde mais c'est honte et mal faict quant, après estre tumbé on ne prend paine de se relever...’. Il se fait persuasif avec beaucoup d'élévation: ‘ma fille reprenés courage et faicte gue je puisse entendre à la vérité autant de bonnes nouvelles que je puisse m'esjouir de quoy telles fautes vous soyent advenues pour estre occasion de milleur gouvernement et maintien au lieu où vous êtes apelée de Dieu pour peu d'années, afin que, par après, vous soyés avec vostre mari, désirés, bien voulus, aimés et jugés dignes d'estre mis et aidés à gouverner ung propre mesnage et train de marchandise’, Il espère que sa fille lui fera ce singulier plaisir ‘qui prolongera ses jours’ ne prenant rien plus rien à coeur’, dit-il, ‘que d'entendre que mes enfants s'addonnassent à quelque orgueil ou supperbité indigne de toute personne qui se puisse vanter d'estre chretien et de vouloir vivre chrestiennement’.Ga naar voetnoot1. - L'histoire ne dit pas comment fut reçue cette admirable admonestation paternelle.
Après le mariage de Catherine, c'est Martine, qui prend à Anvers, les affaires de Gassen, en main, mais toujours sous la direction de son père. Le 30 octobre 1571, elle envoie à Gassen pour 74 fl. 8 pt. de marchandise,Ga naar voetnoot2. le 2 décembre, elle ne lui expédie pas moins de 363 fraises, pour la somme de 252 fl. 1 pt.Ga naar voetnoot3. Ces deux postes lui seront payés en janvier, par son père qui débite Gassen de 326 fl. 9 pts.Ga naar voetnoot4. Parfois aussi, elle fait parvenir les commandes à Gassen, par l'intermédiaire de son beau-frère ‘Gilles Bais’Ga naar voetnoot5. - | ||||||||||||||||||
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Elle figure sous le nom de Martine Moerentorf dans l'index alphabétique placé en tête du livre que Plantin tenait pour Gassen pendant les années 1568-73.Ga naar voetnoot1. Au folio 26 vo qui lui est consacré, nous constatons qu'il lui a été payé depuis le ‘6 iour de febvrier 1571 iusques a jourdhuy 12 febvrier 1573 la somme de 1910 fl. 5 1/2 pts.’, plus 300 florins ‘du passé’. C'est elle aussi à présent qui fait le compte des fournisseurs du marchand parisien, besogne qui était habituellement dévolue à sa cadette. Plantin, dans les livres commerciaux qu'il tient pour son ami semble avoir rigoureusement établi la distinction. Au compte de Dinghen Verriet,Ga naar voetnoot2. Plantin annote: ‘faut voir au livre de Catherine s'il y a rien de son temps’ et ‘voyez les parties de Martine Plantin’. Au compte de Jehan de Reghers,Ga naar voetnoot3. nous lisons: ‘Des parties susdites (depuis le 24 octobre 1570 jusqu'au 26 may 1571), a tenu compte par le même Catherine Plantin... 1032 fl. 3 1/2’ - ‘Des parties ensuivantes a tenu compte Martine Plantin (12 juin 1571 au 7 février 1573): 2171 fl. 9 1/2’. Le compte de Catherine VincentGa naar voetnoot4. révèle qu'elle a remis de la marchandise à P. Gassen ‘mesmes’, lors de son séjour en 1570, puis, qu'elle l'a livrée par l'intermédiaire de Catherine, jusqu'à l'époque de son mariage; après cette date, c'est Martine qui intervient... etc. etc. Si nous ouvrons le journal des affaires anversoises de P. Gassen tenu par Plantin, nous voyons que celui-ci, après avoir annoncé quelques changements dans sa comptabilité,Ga naar voetnoot5. inscrit en date du 4 mars 1573: ‘sensuit extrait d'un journal que tient Martine Plantin, femme de Jehan de Mourentorf, à compte nouveau..., preuve des responsabilités prises par Martine, dans les affaires de Gassen.Ga naar voetnoot6. | ||||||||||||||||||
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Plantin réalisait un bénéfice sur les opérations de ses filles. ‘Christophle Plantin, mon Père me doibt pour Pierre Gassen’, écrit Martine le 12 février 1573Ga naar voetnoot1. ‘la somme de trois cens et soisante et sept florins et onse et demi pats, lesquels me devoit ledit Gassen et ce afin que ledit Gassen ne me deut que trois cens florins net de toute la marchandise que jay envoiee pour son compte jusques a ce jouruy et mon Pere les a mis en compte audit Gassen en plus grande somme comme sil les avoit paiés parguoi il ma comande de le faire debiteur de la dite somme et quil en faict sa debte’. Ce texte manque de clarté. Ailleurs, et ceci est plus explicite, Plantin porte 105 florins en compte à Gassen pour ‘les profists de 1400 fl d'ouvrages du temps de Catherine’ livrés par Jehan de Reghers, ce qui représente un bénéfice de 7,5%. Les profits du temps de Martine s'élèvent à 170 fl 6 1/2 pour les parties fournies par le même Reghers.Ga naar voetnoot2.
Au début du mois d'octobre 1573, Pierre Gassen qui a fait le voyage de Paris à Anvers met ses comptes en règle avec son ami. Le 15 s'ouvrent un nouveau livre journalGa naar voetnoot3. et un nouveau grand livreGa naar voetnoot4. pour les transactions effectuées par l'intermédiaire de Plantin. Certaines inscriptions, celles des premiers folios, paraissent être de P. Gassen même. Celui-ci prend quelques dispositions avec ses fournisseurs, notamment avec (épelé ici Raiquers) Jehan de Reghers auquel il baille 100 florins ‘pour les tenir entre mains si long tamps quil fera faire des ouvrages pour ledit Gassen’.Ga naar voetnoot5. Martine lui livre 198 fraises pour 179 fl. 7 pt. et le note dans son journal | ||||||||||||||||||
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personnel.Ga naar voetnoot1. Elle en sera payée en décembre 1573 et en janvier 1574.Ga naar voetnoot2. Martine, indépendamment de son journal commencé au mois de mars 1573 auquel Plantin fait allusion, mais qui semble perdu, faisait de nombreuses inscriptions au livre journal et au grand livre de Gassen. Elle était rétribuée, puisqu'en date du 26 février 1575 nous pouvons lire ‘Pierre Gassen doibt a casse florins nonante six lesquelles sont pour aultant quil a mande par ses lettres que Martine Plantin prenne pour son salaire des travaulx, quelle a eu pour ses affaires’.Ga naar voetnoot3. Quelque temps après leur mariage, Catherine Plantin et Jean Gassen semblent s'être occupés d'un ‘propre train de marchandise’. ‘Le tiers’, dit Plantin à Çayas, en parlant de ses gendres, ‘se mêle de lingeries à Paris’.Ga naar voetnoot4. A l'occasion de son séjour dans les Pays-Bas qui devait lui être funeste, il commence le ‘Memorial pour les voyages faictz par Jehan Gassen à Anvers - 1574’. Le titre en dit long sur les intentions du mari de Catherine qui semble s'être rendu à Anvers pour des affaires personnelles. L'index alphabétique des fournisseurs parmi lesquels figure Martine, est entièrement de sa main, comme aussi de nombreuses inscriptions relatives aux opérations qu'il exécuta durant le court délai que lui laissa la mort. Pendant la première quinzaine de mars, il délivre des obligations et fait, auprès de Catherine Vincent,Ga naar voetnoot5. d'Aillequen Van Divelt,Ga naar voetnoot6. de Maiquen Reniers,Ga naar voetnoot7. de Nicolas BerguesGa naar voetnoot8. etc., - de nombreux achats. Il leur prend, par plusieurs douzaines à la fois de fraises de ‘point coupé’ et ‘demi coupé’. Cette grande activité fut brutalement interrompue. Max Rooses, s'appuyant sans doute sur les termes d'une lettre de Plantin à Çayas, nous apprend | ||||||||||||||||||
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que Jean Gassen fut assassiné dans les Pays-Bas par des voleurs.Ga naar voetnoot1. Les scènes de brigandage avec convois attaqués par des malfaiteurs, devaient être assez fréquentes dans les Pays-Bas, au XVIe siècle, puisqu'elles sont reproduites dans la gravure exécutée d'après Jost Amman qui synthétise le commerce anversois au XVIe siècle. Si, d'une part, on voit de paisibles marchands convoyer leurs approvisionnements en toute tranquillité, on assiste, d'autre part, à de sévères coups de main jusque dans le paysage de la rade d'AnversGa naar voetnoot2. (fig. 9). Jean Gassen n'est vraisemblablement pas mort sur le coup; le drame s'est déroulé après le 15 mars, jour où il délivre encore une obligation à Farinal, (fo 8 vo) et avant le 28 avril, puisque à cette date Martine note dans le Memorial commencé par son beau-frère: ‘[Mon Pere doibt avoir] encores pour aultant paie aus médesins, sirurgiens, et apotiqueres et funerailles de feu notre feu frère Gassen - fl. 79 pt. 5’.Ga naar voetnoot3. Nous ignorons si sa femme l'accompagnait à Anvers; toutefois nous savons que Plantin au début d'avril a paié et déboursé pour elle ‘septante sing florins sing et demi patars’.Ga naar voetnoot4. Après la mort de Jean Gassen, Catherine continua pendant un temps, à Paris, son négoce, secondée peut-être par Pierre Porret. Celui-ci se rend avec elle à Anvers, en 1574, à la fin de l'été. ‘Ma femme vous salue’, écrit Gilles Beys à Jean Moretus, en le remerciant du ‘begin envoyé pour sa fille’, ‘et aussi faict ma soeur Catherine et Monsieur Porret lequel doibt partir demain ou après demain pour vous aller trouver pardela avec machere seur Catherine’.Ga naar voetnoot5. La lettre est datée du 2 août 1574. En septembre, Catherine effectue des achats à Anvers et ailleursGa naar voetnoot6., Pierre Porret et Martine | ||||||||||||||||||
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l'accompagnent dans ses déplacements à Bruxelles et à MalinesGa naar voetnoot1. où elle visite vraisemblablement ses fournisseurs car elle paie Jaqueline MasqueliersGa naar voetnoot2. de la marchandise livrée à Jean Gassen, lui en prend, et en achète à Farinal.Ga naar voetnoot3. Elle prolonge son séjour dans les Pays-Bas certainement jusqu'au 23 septembreGa naar voetnoot4. et manifeste une grande activité. Elle reçoit des marchandises, surtout des fraises de point coupé large, des fraises a arrierpoints, des garnitures etc.... auprès des fournisseurs habituels, Jehan de Reghers, Catherine Vincens, Suzanne Valck, Jehan Boins etc. etc. Elle établit aussi son compte avec Martine qui faisait travailler à façon, elle paie certaines dettes et délivre des obligations.Ga naar voetnoot5. A Paris, Catherine intervient dans plusieurs commandes exécutées pour son père, ce qui permet de supposer que ses affaires étaient importantes et qu'elle jouissait d'un large crédit: ‘Quant aux marchandises desquelles vous m'escrivés avoir communiqué avec ma fille’, écrit Plantin à Gabriel Madur, ‘marchand d'Auvergne estant de présent à Paris’, ‘je suis bien content de vous en fournir à conditions raisonnables pour mes peines et fraiz de les delivrer (à Paris) entre les mains de ma dicte fille Catherine’.Ga naar voetnoot6. Une autre fois, Catherine se charge de payer à Paris, pour Plantin, des papiers à Moreau.Ga naar voetnoot7. Nous trouvons un écho de ces paiements dans le ‘Memorial’ continué par Martine à Anvers. Du 27 avril au 25 juin 1574, Catherine a payé pour Plantin à Paris 1487 fl. 6 pt. à divers, notamment à Porret, à Madure, à Gilles Beys et Plantin lui accorde 76 fl. 8 pts. de commission.Ga naar voetnoot8. | ||||||||||||||||||
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Entretemps, et après le séjour de Catherine à Anvers, c'est Martine qui gère les affaires anversoises de sa soeur. Elle fait travailler à façon pour elle, surveille les livraisons de Jehan de Reghers qui lui aussi travaille avec la toile de Catherine, paie différents fournisseurs et prend leurs ouvrages. Jaqueline Masqueliers lui livre des aunages de ‘paceman’, des fraises de point coupé large à 55 patards, etc.Ga naar voetnoot1. Nicolas Bergues,Ga naar voetnoot2. Magdelayne KarmansGa naar voetnoot3. fournissent des mouchoirs, des ‘renverses’ sans doute des cols, synonymes de omslagende cragen, des fraises ‘coupé’ ‘à arrierpoints’ etc. Madame Josine (Smits)Ga naar voetnoot4. se distingue par l'importance de ses envois. Elle livre des fraises ‘my coupé’ et ‘à arrierpointes’ par 6 et 4 douzaines. Outre des aunages de ‘pacemans’, de ‘dantelles’ et des marchandises diverses, elle fournit, précisément l'année de l'élection d'Henri III au trône, 39 fraises à fleurs de lis.Ga naar voetnoot5. A côté de Suzanne Valck (Vallek),Ga naar voetnoot6. de Lisken Barbirs à laquelle Martine achète ‘6 grosses de glans ditalie’,Ga naar voetnoot7. de Jehan Boins,Ga naar voetnoot8. ‘Lisken Ackers, la seur de la Maison paint de meurant à Bruselles’Ga naar voetnoot9. livre, outre des fraises à grand bord, des aunages de ‘dantelles à leguille’. Tous les comptes sont clôturés le 12 août 1575,Ga naar voetnoot10. sans doute immédiatement après le retour de Catherine à Anvers. Ses parents étaient, au début du même mois, allés la chercher à Paris pour la ramener avec son enfant dans sa ville natale où elle devait se trouver avant le 13-14 août 1575, date à laquelle Plantin écrit à Montanus et parle de son voyage à Paris et du retour de sa fille.Ga naar voetnoot11. Les prétendants à la main de la jeune veuve ne manquèrent pas. | ||||||||||||||||||
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Son père refusa pour elle plusieurs partis notamment Marcelin le PoivreGa naar voetnoot1. qui, pour se rendre plus persuasif auprès de Christophe Plantin, avait accompagné sa demande d'une ‘escritoire’. Tout en l'éconduisant, Plantin le remercie, écrit-il de ‘la bonne affection que nous avés demonstrée, demandant nostre aliance par le mariage qu'avés pretendu faire avec nostre fille Catherine, de quoy n'eussiés esté refusé si eussions eu tels tesmoignages de vostre personne que l'avons eu depuis ou plus tot qu'eussions eu nousmesmes vraye congnoissance d'icelle avant que l'amener par deça où je voy qu'elle est si affectionnée de résider quelque temps avec nous, et si aimée de ceux qui ont esté nourris et eslevés avec elle et nous ni elle sommes délibérés qu'elle retourne encores pardela. Parquoy nous vous prions et supplions d'avoir agreable ceste nostre response et contrainct refus.’ Plantin assure le soupirant de son amitié ‘en signe et ares de quoy il lui envoie deux petits bendelettes a faire frase de chemise’. On se demande si Plantin procura quelque consolation au prétendant marri en lui envoyant des pièces de lingerie qui, selon toute vraisemblance, devaient provenir du commerce de Catherine. Le 26 novembre 1575, Plantin marie sa fille à Hans Arents alias Spierinck, marchand d'épices.Ga naar voetnoot2. Le mariage auquel assista Louis Perez, se célébra dans la cathédrale d'Anvers. Les épousailles se firent avec éclat, selon la coutume qui n'a pas échappé à Guicciardini: ‘Ils’, écrit-il, en parlant des Flamands, ‘sont larges et magnifigues à la naissance et baptesme de leurs enfants comme aussi ils sont aux nopçages et mortuaires et obsèques, et en fin en tous festins et cérémonies publicques où ils trenchent du grand et du magnificque’.Ga naar voetnoot3. Les festivités en l'honneur de la nouvelle mariée furent sans nul doute, absorbantes, puisque Plantin invoque les noces de sa fille pour s'excuser auprès de plusieurs correspondants, du retard qu'il mit à leur répondre.Ga naar voetnoot4. ‘Les noces durent environ l'espace de trois jours’, ajoute Guicciardini: ‘l'espoux est bien vestu, mais mieux encor l'espousée, changeant d'habille- | ||||||||||||||||||
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mentz tous les trois jours et iceux enrichis de riches et gentils ornementz de passementerie et autre ouvrage’.Ga naar voetnoot1. Cette remarque du voyageur italien n'est pas négligeable. L'assemblée galante représentant les noces d'Hofnaegel au Musée des Beaux Arts de Bruxelles peut nous donner une idée de ce qu'étaient ces réunions joyeuses dans le milieu anversois du XVIe siècle. Après son second mariage, Catherine Plantin renonca-t-elle à ses affaires? Sans doute; en tout cas, nous n'en avons plus trouvé mention, et le 17 décembre 1575 le nouveau gendre part pour Paris afin de liquider les affaires de sa femme.Ga naar voetnoot2. Celle-ci accompagne son mari à la foire de Francfort en 1576, et au retour, elle demeure Cologne à cause des troubles.Ga naar voetnoot3. D'abord, réfugié à Cologne en 1577,Ga naar voetnoot4. en raison de ses opinions religieuses, le ménage se retira à Hambourg où il géra avec peu de succès une succursale plantinienne jusqu'en 1583,Ga naar voetnoot5. puis on le trouve à Leyde et ensuite à Anvers; Catherine mourut en 1622, onze ans après son mari.Ga naar voetnoot6.
Après 1575, on perd trace pendant quelque temps de l'activité de Martine Plantin. Cette activité, si elle se ralentit peut-être à la suite des événements politiques ne s'arrête néanmoins pas. En automne 1587, Martine expédie à Nicolas Fournier, ‘marchant linguer a Paris’ par l'intermédiaire de ‘Michel Sonius, libraire au dit lieu’,Ga naar voetnoot7. des dentelles, des fraises et d'autres pièces de lingerie reçues de divers fournisseurs dont Jehan de Reiguers, Suzanne Valck, J. Masqueliers. Sonius, rappelons-le, s'était en 1577 rendu acquéreur de la boutique malencontreusement gérée par Porret et Beys. Quant à Nicolas Fournier, il était cousin de Jehan Gassen par sa femme née Sarah Gassen.Ga naar voetnoot8. Le volume des affaires réalisées par Martine pour Fournier ne fut pas très important, et elle clôture | ||||||||||||||||||
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ses comptes avec lui en 1581. En 1580, et peut-être avant cette date, Martine qui depuis 1576 habitait à Anvers au ‘Compas d'Or’ dans la Kammerstrate où son mari dirigeait la boutique de Plantin, faisait des affaires avec Antoine Gassen, frère de Jean Gassen, établi à Paris et qui avait commercé déjà avec Catherine.Ga naar voetnoot1. Il lui commandait diverses marchandises, de la lingerie, des dentelles, de l'acier et des tableaux.Ga naar voetnoot2. Le commerce de la dentelle a toujours été soumis aux fluctuations de l'état économique et social. Déjà, à la fin du XVIe siècle, Antoine Gassen détaille les causes de mévente telles qu'elles ne cesseront d'apparaître aux siècles suivants. La peste qui en 1579 a fait plus de 30.000 victimes à Paris ne cesse de sévir: ‘plus de la moystyé du monde est deors’, ‘la noblesse est au chans et les bourgoys le semblable’, écrit Gassen. La lutte intestine sévit et, dit-il: ‘les ecolyers sont ja deors’. Tout va mal. Lui-même et sa famille ont eu la ‘quoqueluche’.... ‘Asture, nous sommes en un povre regne’, constate-t-il, ‘on delese la vylle de Parys’. ‘Je ne suys pas delybéré d'avoyr davantaje de marchandyze dont je vous prye et vous suplye de vouloyr dyre a madamoyzelle Suzanne que je l'y feray tenyr argent le plus tost que me sera posyble -’. Comme Pierre et comme Jean, il venait aux Pays-Bas pour ses affaires que Martine gérait à Anvers. ‘Je vodroys byen avoyr’, continue-t-il, ‘les sedulles que avés payé pour moy, et moy estant par dela vous satysferay sy plest a Dyeu’.Ga naar voetnoot3. La dernière lettre de l'imposante correspondance Plantin-Gassen émane d'Antoine et est adressée à Jean Moretus.Ga naar voetnoot4. Il a joint un post-scriptum destiné à Martine: ‘Ma cousyne je receu les pyeses de l'asys qui me contantent, mes n'y a qui sont trocheres. Je receu de Jen Legros un pasquest de mademoyzelle Moucheron, dont cela et fort cher. Je ne demande plus de ses couls a bors de 24 patz. Je seuys contant d'an avoyr mes que le toust soy byen fect ou plus tost poynt’. Martine lui a envoié un échantillon de passement dont il ne ‘veut poynt du tout’. ‘Je ne desyre d'avoyr sy non des | ||||||||||||||||||
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montres (échantillons) dont je vous ay mande et de celui de 25 patz aune gue jé unne foys et quant l'y a n'auroyt 200 aunes je le praindray byen, mes je vous prye de ly dyre gue soyt byen fect seurtoust’ (fig. 10).
Nous sommes en 1583, malgré les crises politiques, sociales, religieuses, Anvers ne cesse de fournir des objets de luxe à l'étranger. Des dynasties de grands marchands se fondent dont les générations successives s'occupèrent à un même trafic. En marge de leur profession d'imprimeur-éditeur, les Moretus continueront à présider à la fabrication de la dentelle et à son écoulement sur le marché mondial.Ga naar voetnoot1. Au terme de cette étude, je voudrais attirer l'attention sur l'exceptionnelle importance des documents écrits relatifs à l'une de nos plus glorieuses industries d'art. A travers la donnée sèche des comptes et à la lumière de la correspondance plantinienne, nous avons vu agir, s'agiter, vivre tout un monde parmi lequel se détachent des personnalités féminines attachantes par maints traits de caractère et qui, outre le grand privilège d'avoir vécu dans le milieu anversois du XVIe siècle, tout bourdonnant d'affaires, possèdent l'exceptionnel avantage d'être les filles de Christophe Plantin. C'est ce qui leur a valu d'être sauvées de l'oubli. Nous avons reconnu la part active qu'elles ont prise à la fabrication et au trafic de la lingerie fine et de la dentelle, objet d'un grand commerce international. Elles ne furent pas les seules à l'époque à s'en occuper, et on peut sans peine s'imaginer l'extraordinaire source de renseignements que présenteraient, s'ils avaient été épargnés, les livres d'un Georges Farinal, d'un Jehan de Reghers, d'une Jaqueline Masqueliers, de tant d'autres. On peut assurer que le Brabant fut, pendant la seconde moitié du XVIe siècle, d'une activité étonnante dans un domaine dont le XVIIe siècle et le XVIIIe ne firent que recueillir la tradition. Monsieur Voet, conservateur du Musée Plantin-Moretus m'a très largement ouvert le dépôt confié à ses soins, il m'a aidée de ses conseils et a interprété pour moi des passages d'une lecture | ||||||||||||||||||
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particulièrement difficile. Je l'en remercie très chaleureusement. Des erreurs de détails doivent encore exister; je ne suis pas archiviste. Si je me suis aventurée sur un terrain quelque peu étranger à mes préocupations habituelles, l'intérêt que je porte, à la dentelle est ma seule excuse. Je souhaite voir naître un jour du travail combiné des archivistes, des collectionneurs et des conservateurs de musées une véritable histoire de la dentelle en Belgique: ce serait un des plus beaux chapitres de son histoire artistique, économique et sociale. Une des pages les plus émouvantes de son grand livre d'or. |
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