De Gulden Passer. Jaargang 37
(1959)– [tijdschrift] Gulden Passer, De– Auteursrechtelijk beschermd
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Christophe Plantin, facteur en lingeries fines et en dentelles
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Son oeuvre, telle que Max Rooses nous l'a présentée à la lumière dure et objective des textes, forme une suite ininterrompue de déboires et de réussites où la malchance et les mécomptes trouvèrent une large part. Entreprenant, ne se complaisant qu'au milieu de labeurs de dimensions surhumaines, dédaigneux de ses forces, accumulant les difficultés, Plantin connut une activité qui déborde celle, périlleuse entre toutes, à l'époque où il vécut, de son métier d'imprimeurlibraire. Mais la gloire immense qu'il s'est acquise dans ce domaine a éclipsé les aspects multiformes de son oeuvre.
L'esprit sollicité par toutes les orientations nouvelles de l'activité humaine, Plantin s'engage avec enthousiasme dans les opérations les plus diverses. Cet homme rangé, rigoriste, de moeurs paisibles, ce pater familias qui sermonne ses filles à longueur de lettres, se trouve singulièrement pourvu d'imagination et d'audace lorsqu'il s'agit de spéculations commerciales. Dans sa ville d'adoption, bruissante de mouvement, débordante de vie, dans cette métropole qui, après Bruges et Venise, était devenue le rendez-vous du commerce mondial et le carrefour des idées, Plantin ne se limite pas à remplir une mission intellectuelle, il ne se contente pas de diffuser par le livre, instrument nouveau de la pensée, les opinions récentes de la science et de la philosophie. Cet homme qui avait, rappelons-le, des succursales, ou tout au moins, des ‘serviteurs’, c'est-à-dire, des agents dans toute l'Europe, entend intervenir dans les domaines les plus variés et apparemment les plus opposés. Il appartient à la race de ces grands marchands du XVIe siècle, établis sur les bords de l'Escaut, et qui, profitant de leur situation privilégiée achetaient et vendaient tout ce qui s'échangeait sur la place d'Anvers, plaque tournante de l'EuropeGa naar voetnoot(1). Aussi, voit-on cet homme sévère, ce savant humaniste, organiser avec Paris, un très important négoce de lingeries et de dentelles, vendre des grelots, des cuirs pour maroquin, des pierres précieuses et des perles. On imagine mal de nos jours, l'association de disciplines | |||||||||||||||||||||||||
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aussi disparates, et, si l'activité de Plantin dans le domaine du commerce de luxe, et spécialement dans le commerce de la lingerie, n'a jamais été évoquée que pour mémoireGa naar voetnoot(2), elle vaut néanmoins la peine d'être retenue et de faire l'objet d'une étude détaillée. Outre qu'elle fixera un trait ignoré de la personnalité de Plantin, elle évoquera, à la lumière positive des comptes, les débuts de notre jeune industrie dentellière qui n'avaient jamais pu être mis en lumière, les textes faisant, jusqu'ici, complètement défaut.
Plusieurs raisons semblent avoir orienté Plantin vers le commerce de la lingerie fine. Il convient de rappeler que Plantin, d'origine française comme son épouse, tenait, dès son établissement à Anvers en 1548-49, une petite boutique, où il vendait des livres, et sa femme, des linges. Cette donnée, puisée par Max Rooses dans le document Van der Aa, est peut-être exacte et même vraisemblable. C'est l'opinion de Monsieur Voet, Conservateur du Musée Plantin-Moretus, mais il croit, d'après ce qu'on peut présumer de la comptabilité plantinienne, que Jeanne Rivière se contenta de vendre de la lingerie, sans avoir exercé la profession de lingère réglementée en France depuis Charles VIIIGa naar voetnoot(3). Quoiqu'il en soit, la double activité du couple si disparate qu'elle apparaisse à première vue, venait à point nommé; elle répondait à des besoins récents et correspondait à un engouement général.
Métropole du commerce, ville magnifique, Anvers était devenue la capitale du faste, et après Venise qui avait donné l'impulsion en matière vestimentaire, elle accordait au costume une exceptionnelle importance. Faut-il redire qu'au XVIe siècle, la lingerie, née d'un souci d'hygiène transformé rapidement en préoccupation de luxe, était encore une nouveauté? Placée à l'arrière-plan du vêtement, elle lui avait d'abord, au début du siècle, servi d'écrin. On demandait | |||||||||||||||||||||||||
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à son impeccable blancheur de faire valoir l'ombre chaude des velours, la richesse des soies. A cette date, bouillonnante, dans l'échancrure du décolleté, la chemise retombe en manchettes sur les mains et s'échappe par les crevés sillonnant les habits. Rompant la sècheresse de la silhouette gothique, elle introduit dans le vêtement, une souplesse d'allures en accord avec l'esprit de l'époque.
Patrie du beau lin, jouissant d'une main d'oeuvre féminine raffinée, professant pour la propreté un culte presque mythique, les Pays-Bas méridionaux où affluaient aussi les richesses, accueillirent avec enthousiasme les élégances vénitiennes et leur donnèrent un élan original. (fig I). Dans le courant de la première moitié du XVIe siècle, les modes flamandes accordent au linge fin délicatement ouvré une place prédominante. La notion même de lingerie se transforme et ne s'accorde plus au rôle modeste qui la destinait à faire valoir tout ce qui n'était pas elle-même. Sous l'aspect d'objets variés à l'infini elle s'adjuge une place prééminente dans le vêtement. Les cols se muent en fraises indépendantes de la chemise, les manches se garnissent de parements mobiles, les coiffes des femmes se superposent et étagent en ailes leurs blancheurs transparentes. Tous ces objets, de formes inédites, d'exécution précieuse, sollicitent le regard au même titre que les bijoux et confèrent au vêtement un caractère de fantaisie retenue. Le portrait de femme appartenant à la collection E.G. Spencer-Churchill attribué à P. Pourbus, daté 1558, peut nous donner quelque idée de ce qu'on pouvait confectionner à Anvers en fait de lingerie vers l'époque où Plantin s'y livrait à ce genre de commerce (fig. II).
Très tôt, dit Max Rooses, Plantin imprima beaucoup de livres, non seulement à ses frais, mais encore pour le compte de ses confrères anversois, allemands et français. ‘C'était surtout avec les libraires parisiens qu'il faisait de grosses affaires: non seulement, il leur fournissait par centaines d'exemplaires les livres qu'il avait imprimés à ses propres risques, mais il en exécuta plusieurs à frais communs avec eux’Ga naar voetnoot(4). Nous ajouterons que, très rapide- | |||||||||||||||||||||||||
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ment aussi, Plantin, secondé vraisemblablement par Jeanne Rivière, profita de ses débouchés parisiens pour associer à l'exportation de livres, un commerce de lingerie et d'objets divers. Un de ses plus anciens registres de comptabilité en fait foiGa naar voetnoot(5). En l'ouvrant à la date du 1er juin 1556, nous trouvons une facture où sont mentionnés des ‘peaux de chamois’ une ‘juppe’, des ‘potz jaspés’ de différentes façons, couleurs et grandeurs, des exemplaires de livres tels que ‘Le Collier des hérétiques’, ‘Historia Christiana’, ‘Tragedia S. Lamberti’, puis des ‘bendes pour colletz de chemises’ des ‘doubles frases’ etc...Ga naar voetnoot(6). Le tout est ‘baillé’ ‘en une casse de boys aus gens de Matthieu Vandreuille’ pour être adressé à Martin le Jeune, ‘marchant libraire demeurant à Paris en la rue Sainct Jehan de Latran à l'ymage Sainct Christophle près Sainct Benoist davant le College de Cambray’Ga naar voetnoot(7). ‘Martin le Jeune était l'intermédiaire habituel de Plantin pour les affaires que celui-ci traitait en France’, écrit Max Rooses qui poursuit: ‘Il doit avoir demeuré dans la maison qu'habitait notre imprimeur avant son départ pour Anvers puisque le Jeune date ses lettres envoyées à Plantin et dont un petit nombre sont conservées ‘de Votre Maison’Ga naar voetnoot(8). L'hypothèse pleinement justifiée, émise par Max Rooses, se trouve confirmée du fait que l'adresse, dans la facture qui nous occupe, est entièrement libellée, et désigne la fameuse maison à l'enseigne de St-Christophe qui appartenait à Plantin et qu'il fit vendre en 1582 par son ami, Pierre PorretGa naar voetnoot(9).
Déjà en 1556, et peut-être même avant cette date, Plantin livrait à Paris, de la lingerie à d'autres correspondants, notamment à Pierre GassenGa naar voetnoot(10) avec lequel ses rapports commerciaux ne firent | |||||||||||||||||||||||||
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que croître, et à Jean Burillon que nous retrouvons fréquemment mentionné plus tard, comme ‘serviteur’ de Gassen.
Même en supposant que Jeanne Rivière ait continué la pratique de son métier, le résultat de son activité ne pouvait suffire, ni répondre aux exigences de la clientèle parisienne de son mari, aussi voit-on ce dernier faire appel à de nombreux fournisseurs. Relevons parmi eux, les noms suivant: Gerrit Boom Vanden Horst et Damoyselle Cateline van Rosendael sa femme, la femme de Jan-Jan, Frederik, Damoyselle Tanneken Hertson, Pasquine Metser, la femme du Hennuyer, Gilles Beck, Damoyselle Mayeken Van Halle etc... La résidence de ces fournisseurs n'étant pas précisée, nous pouvons croire qu'ils étaient anversois. A Anneken Vertanghen de Malines qui était béguine, Plantin achète, dès 1558Ga naar voetnoot(11) des ‘rézeaux’ par plusieurs dizaines à la fois, et des coiffes, sans doute aussi en réseau. On faisait grand cas, pendant la seconde moitié du XVIe siècle, de ce genre de travail à mailles, connu également sous le nom de ‘lassis’, et qui était probablement du filet. Il répondait au goût généralisé pour la légèreté et la transparence et convenait particulièrement pour les coiffes brodées (fig. III). A Malines encore, Plantin se procurait du fil, de ce fameux ‘fil de cloistre’ dont il est si souvent question dans ses comptes et sa correspondance, auprès d'une autre béguine, Annecken Vanden SonenGa naar voetnoot(12) et de la toile auprès de la ‘béghinne Lienckene’Ga naar voetnoot(13). Il est intéressant de faire remarquer, à la lumière de ces renseignements, que le béguinage de Malines est non seulement associé à l'activité commerciale de Plantin, mais qu'il fut, dès l'origine de l'histoire de la dentelle, un centre important dont l'activité ne fit que grandir.
Certains achats semblent avoir été effectués au comptant, toutefois, les factures étaient, le plus souvent, payables à 2, 3, 4 mois de terme et le registre qui nous occupe, prend, dans certains folios, l'aspect d'un grand livre. | |||||||||||||||||||||||||
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Plusieurs fournisseurs de Plantin étaient eux-même à la tête d'entreprises dont l'importance motivait la tenue de livres de comptes: ‘S'ensuivent’ écrit Plantin, ‘les parties reçeues et payées à Gilles Le Beck par moy, Christophle Plantin pour le sire Pierre Gassen, extraictes ce premier jour de may 1558 hors du livre dudit Giles Le Bec’Ga naar voetnoot(14). Cette annotation et d'autres prouvent, que dès ses débuts, dans le commerce de la lingerie, Plantin joua le rôle de facteur auprès des marchands parisiens avec lesquels il entretint des relations de plus en plus étroites. Le 5e jour d'avril 1557, il achète expressément pour Jean Burillon, plusieurs douzaines de fraises ‘coupé’ et ‘enlevé’ à ‘estoilles ou rosettes coupées’, des mouchoirs, etc...Ga naar voetnoot(15). Le 17 mars 1558, Plantin se procure pour Pierre Gassen, plusieurs douzaines de réseaux s'élevant à la somme de 40 fl. 10 pt. payable dans quatre moisGa naar voetnoot(16).
Ainsi donc apparait, dès l'origine, la structure très spéciale du métier dentellier, structure demeurée inchangée qui consiste à faire passer de main en main un objet que l'ouvrière, privée de sens artistique, ignorante des besoins, dépourvue d'instruction, est inapte à créer et incapable d'écouler.
Nous ne pouvons pas évaluer la mesure dans laquelle Jeanne Rivière assistait son mari dans son commerce de lingerie. Plantin ne la mentionne qu'à l'occasion d'un paiement: ‘ma femme’, écrit-il, ‘a payé au hennuyer, moy estant à Francfort en septembre 1559, 16 fl.’Ga naar voetnoot(17). Ce renseignement paraît indiquer que l'intervention de Jeanne Rivière, tout au moins en ce qui concerne les paiements, était exceptionnelle, mais on peut croire que Plantin écoulait un certain pourcentage de marchandise dans la boutique tenue par sa femme. Cette boutique était peut-être l'échoppe située | |||||||||||||||||||||||||
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au pand et qui fut gérée dès 1564 par une des filles du couple, MartineGa naar voetnoot(18).
Aujourd'hui encore, les facteurs ne se contentent pas de centraliser l'ouvrage des artisanes, mais ils vendent souvent des dentelles au détail, sous un nom d'emprunt, dans quelque magasin bien situé, réalisant des bénéfices d'autant plus appréciables qu'ils ne recourent eux-mêmes à aucun intermédiaire.
Soucieux de donner à toutes ses entreprises un grand style, c'est avec Paris que Plantin établit de préférence ses relations d'affaires. Aristocratique et royale, la France demandait à Anvers, grande pourvoyeuse d'objets de luxe au XVIe siècle, tout ce qui faisait à cette époque le prestige d'une société raffinée: des pierres précieuses, des perles, des diamants, des tableaux, des tapisseries, des miroirs, et, nécessairement aussi, des linges fins. Plantin, comme un grand nombre de ses compatriotes émigrés dans les Pays-Bas, associa son destin à celui de sa ville d'adoption, qui dispensait les idées et les influences reçues après les avoir transmuées en richesses nouvelles. Que dire de la qualité des lingeries vendues par Plantin à Paris, sinon qu'elle devait être exceptionnelle, la clientèle de Gassen, son principal correspondant, appartenant à l'entourage royal. Ce détail reste flatteur, non seulement pour Plantin, mais aussi pour la main-d'oeuvre des Pays-Bas.
Outre le réseau déjà cité, sans cesse reviennent dans le registre de comptabilité qui nous occupe, les expressions suivantes: ‘mouchoirs à large ouvrage’, mouchoirs à trous, mouchoirs à rosettes coupées, bandes coupées et enlevées, collets à trous, frasettes et rosettes, fraises à fil tiré et darrier point, fraises à estoilles et rosettes coupées, ghesnedenwerck, fraises perlées, bords de chemises à plis fins, aunages à trous fins, geghatenwerck, plus évidemment, des cordons. A part le ‘point luysant’ et le ‘point | |||||||||||||||||||||||||
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de Flandre’ termes dont le sens exact nous échappe, le second impliquant pour nos provinces la création d'un genre spécifiqueGa naar voetnoot(19), bien reconnaissable, presque toutes ces expressions trahissent le souci d'éclaircir la toile et trouvent leur illustration dans les documents iconographiques du temps. Les oeuvres - peintures au crayons - de Clouet aussi bien que les portraits flamands de la même époque, montrent que si on faisait encore, comme au début du siècle, des ‘bords de chemises à plis fins’, retenus par des broderies opaques, on cherchait avant tout des effets nouveaux en allégeant la toile. La représentation de certains personnages de la cour de France tout aussi bien que l'image de nobles bourgeois flamands et français, et je songe particulièrement au portrait de l'apothicaire Pierre Cutte, daté 1562, en apportent le témoignage. Ce dernier évoque l'ami de Plantin, Pierre Porret, qui entre autres activités exerçait, lui aussi, la profession d' ‘apothicaire à Paris’. Son beau vêtement sombre est éclairé par un de ces ‘omslaghen cragen ghesneden werck’ dont il est précisément question dans les comptes de Plantin s'échelonnant entre 1556 et 1561Ga naar voetnoot(20) (fig. IV). Pour obtenir des effets ajourés, l'ouvrière, ici, a coupé carrément le tissu, ailleurs elle soustrait simplement à la toile une partie des fils, inscrivant sur la trame restante des ‘rosettes’ et des ‘estoilles’, ou, selon une technique qui apparaît déjà vers 1540, elle se contente d'écarter les fils du tissu, utilisant leurs minces faisceaux bien serrés pour dessiner à l'aiguille des fantaisies décoratives (fig. V). Si, par souci d'économie, et surtout, pour des raisons pratiques de lessivage, les parures de lingerie, bandes de collets, fraises, parements, revers, avaient été rendus indépendants de la chemise, le décor qui les anime, reste en général, tributaire de la toile et appartient presque totalement au domaine de la broderie. Cependant, sous le nom de ‘perles’, et sous l'aspect d'un picot exécuté ‘en l'air’, sur le doigt, à l'aide d'une aiguille, les premières manifestations de la dentelle véritable apparaissent déjà chez nous | |||||||||||||||||||||||||
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avant le milieu du siècleGa naar voetnoot(21). Ces perles, succession de petites boutonnières ou de bâtonnets hérissés destinés à atténuer la sécheresse des bords de la toile, accompagnent souvent des ourlets à ‘trous fins’ ou ‘darrier point’, et correspondent au goût généralisé pour les bordures dentelées que l'on pouvait aisément découper dans le cuir, le velours ou le drap, mais non dans la toile fine ou dans la batiste délicate. C'est ainsi que le portrait d'Adrienne de Buck la femme de Jean Fernaguut, daté 1551, nous montre, à côté de manchettes brodées et perlées, une paire de gants à bords largement dentelés (fig. VI). Lorsque l'évolution technique aura rendu possible l'exécution de ‘perles hautes et larges’ elles se transformeront en véritable ‘dentelle’, terme qui n'évoque plus aujourd'hui l'ouvrage festonné qu'il désignait autrefois. Si, vers la fin du XVIe siècle, Vecellio constate que les ‘Anversoises plus que les femmes de toute autre nation affectionnent la toile de lin qu'elles brodent avec un goût délicat’, nous pouvons assurer qu'elles ne faisaient que suivre une tradition déjà ancienne. Un des seuls registres de comptabilité de Plantin antérieur à 1562, en témoigne. Les renseignements que nous avons pu recueillir nous font regretter la perte des autres livres qui auraient complété notre information, mais elle est néanmoins suffisante pour permettre d'affirmer que Plantin joua un rôle très actif dans l'élaboration de notre industrie dentellière.
On sait comment tous les biens de Plantin furent vendus en 1562, par exécution judiciaire, et comment Plantin lui même se réfugia à Paris, sans qu'on connaisse exactement les raisons de son départ. Il prolongea son séjour en France jusqu'au commencement de septembre 1563, dit Max Rooses, qui ajoute: ‘le 25 août, Plantin liquide son compte à Paris avec Porret, et ses livres de comptabilité reprennent leur marche régulière à Anvers, le 10 du mois suivant’Ga naar voetnoot(22). | |||||||||||||||||||||||||
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Ajoutons que si Plantin, pendant son séjour à Paris, arrêta des marchés importants avec des libraires, il prit aussi des arrangements non moins avantageux avec Pierre Gassen cité antieurement, et expressément désigné dans une lettre célèbre de Plantin à ÇayasGa naar voetnoot(23) comme ‘lingier de Messieurs, frères de Roy’. Les accords conclus avec le marchand parisien assurèrent à Plantin une action prééminente dans la fabrication et le commerce international de la dentelle. Il a ouvert à la plus glorieuse de nos industries nationales la route vers Paris, route qu'elle ne cessera d'emprunter à travers les siècles même au milieu des pires vicissitudes.
En tête du premier registre que Plantin tient à Anvers pour le compte de son ami on peut lire: ‘Journal des affaires passées par les mains de moy Christophle Plantin, pour le sire Pierre Gassen, depuis le dernier jour du mois d'Aoust 1563 que nous arrestâmes ensemble nos comptes à Paris’Ga naar voetnoot(24). Le 31 août, Pierre Gassen fait à Plantin une avance de 376 florins pour ‘envoyer à Anvers’. A ce premier fonds de roulement pour ses affaires anversoises, Gassen ajoute 377 florins; il les baille à Plantin le 2 septembreGa naar voetnoot(25), vraisemblablement au moment où ce dernier s'apprêtait à quitter Paris pour regagner les Pays-Bas.
Les affaires de Plantin dans la métropole furent-elles complètement arrêtées pendant son exil? Il semble qu'il réussit à passer des ordres de lingerie aux fournisseurs des Pays-Bas par l'intermédiaire de Noël Moreau, familier de sa maison, qui assistera en 1565, avec sa femme, au banquet de noces de la fille ainée de PlantinGa naar voetnoot(26). Ce dernier, ‘estant à Paris’, le seigneur Noël Moreau accepte pour lui, divers ouvrages de Pasquine Metser, de Mayken Cares, d'Ysabeau Vande WyerGa naar voetnoot(27), ouvrages dont Plantin note la réception dans la suite. Beaucoup plus tard, lors d'absences | |||||||||||||||||||||||||
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occasionnelles de Plantin appelé pour ses affaires à Paris, le même Moreau reçoit encore des marchandises pour luiGa naar voetnoot(28). Rentré à Anvers, Plantin ne ménage ni sa peine, ni son temps pour servir les intérêts de son correspondant parisien. Le 12 septembre, il se rend ‘expres à Malines pour achapter’ du fil pour Pierre Gassen. Il s'en procure pour la coquette somme de 227 fl. 17 pt. et débourse ‘2 fl. 2 pt. pour sa despense’Ga naar voetnoot(29).
Désormais on peut suivre les opérations effectuées par Plantin pour Gassen, depuis le 31 août 1563 jusqu'au 14 octobre 1574 dans six registres de comptabilité soit trois journaux et trois grands livres. Aux opérations du premier journal (Ar. no 438) correspond un grand livre portant au premier plat: ‘Livre des affaires de Pierre Gassan à Anvers 1564’ (Ar. no 439). Il est tenu par Plantin qui a écrit la note en date du 29 mai 1568, note par laquelle il solde son compte avec GassenGa naar voetnoot(30). Puis vient un autre journal (Ar. no 441) commencé en 1568, dans lequel à la date du 7 octobre 1573, Plantin fait le bilan de ses affaires avec son amiGa naar voetnoot(31). Un autre grand livre (Ar. no 442) reflète toutes les opérations de ce second journal avec la déclaration de cessation d'affaires dressée par Plantin le 7-13 octobre 1573Ga naar voetnoot(32). Enfin, les comptes d'un dernier journal (Ar. no 447), commencé en octobre 1573 et terminé en octobre 1574, sont accordés aux mentions d'un dernier grand livre commencé le 15 octobre 1573 (Ar. no 446).
A une époque où comme le fait remarquer le Professeur E. Coornaert, ‘la tenue des livres n'avait pas une extension générale ni une régularité consacrée’, cette comptabilité apparaît, sans nul doute, comme un bel exemple de ce qu'on réalisait dans ce domaine. Les opérations inscrites aux trois journaux sont repérables aux trois grands livres. Les premiers feuillets de ces | |||||||||||||||||||||||||
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derniers exposent au jour le jour la tenue de caisse de Pierre Gassen avec d'une part, les sommes perçues et d'autre part, les montants décaissés, tandis que les pages suivantes sont affectées aux fournisseurs dont les noms, repris dans un index alphabétique, sont suivis du numéro indiquant le folio qui est consacré à chacun d'entre eux. L'examen, même rapide, de ces dix années d'activité commerciale, d'échanges entre Paris et Anvers, est fertile en trouvailles intéressantes. Pour plus de clarté, et au risque de me répéter, j'en aborderai l'étude en suivant l'ordre chronologique.
En marge des achats d'objets de lingerie, les comptes de 1563-1568 révèlent l'existence d'un commerce de fil dont le fournisseur principal était Janneke Boutzelaer, dite la fille du PrinceGa naar voetnoot(33), et d'un trafic de toiles auquel se trouvent mêlés entre autres, Corneille van Bomberghe, l'associé de PlantinGa naar voetnoot(34), Pierre CourtGa naar voetnoot(35), et Gilles HannekaertGa naar voetnoot(36). Corneille Van Bomberghe fait venir de ‘Venize’, à la requête de Gassen, des cuirs pour maroquinGa naar voetnoot(37), ailleurs, il est question de ‘marroquins de Turquie’ qu'il fait également acheminer de Venise. D'autre part, Gassen lui procurait, comme à Plantin d'ailleurs, des muis de vinGa naar voetnoot(38).
Parmi les fournisseurs habituels de linges fins et de dentelles, nous notons une vingtaine de personnes, presque toutes des femmes dont les noms sont, à de rares exceptions près, repris à leur compte respectif dans le grand livre des années 1563-68 (Ar. no 439) et dans le répertoire par lequel il s'ouvre. Ce sont:
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A cette liste, il faut ajouter les ‘maîtresses’ des filles de PlantinGa naar voetnoot(39), Pasquine HenkelmanGa naar voetnoot(40), Linken RoyeGa naar voetnoot(41), Dinghen VerrietGa naar voetnoot(42). Celle-ci était malinoise comme Anneken Vertanghen déjà citée antérieurement; toutes deux étaient spécialisées dans le réseau, et la dernière en livrera un de 700 mailles, exécuté sans doute sur commande spéciale. Anneken Vertanghen vendait en outre du fil; Janneken Boutzelaer en fournissait également. Toujours à Malines, nous trouvons encore George Farinal et Jean de Raighers. | |||||||||||||||||||||||||
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Linken Roye et Jaqueline Maskeliers étaient Bruxelloises; Pierre de Geldre résidait à Bréda; Pierre Court, fournisseur de toile, habitait Bois-le-Duc. Il est permis de supposer que les autres personnes dont Plantin ne nous fait pas connaître la résidence habitaient Anvers. Betsken Brunnings, femme de RetiusGa naar voetnoot(43) était-elle alliée à ‘Monsieur Retius’ invité au banquet de noces de Marguerite Plantin en 1565Ga naar voetnoot(44)? C'est possible. Max Rooses signale un Gérard Smits, imprimeur à AnversGa naar voetnoot(45) et un certain Mathieu Ghisbrechts qui travailla comme correcteur dans l'atelier de Plantin de 1563 à 1567Ga naar voetnoot(46). Il serait intéressant de préciser s'il existe quelque lien de parenté entre eux et les personnages de même nom repris dans la liste des fournisseurs habituels de Plantin, car on peut supposer que celui-ci les a choisis de préférence dans son entourage habituel. Plusieurs collaborateurs de Plantin portent des noms d'origine française. Rappelons, à cette occasion, que Plantin était lui-même français et qu'un grand nombre de ses compatriotes s'étaient fixés dans les Pays-Bas. Jacques Sanglier appartient vraisemblablement à la famille de ce Pierre Sanglier ‘venu de Brie à Paris et pour lequel la grande ville sera’, dit le Professeur E. Coornaert, ‘un relais sur la route qui le mènera à AnversGa naar voetnoot(47).
Presque tous les fournisseurs de Plantin étaient eux-mêmes des entrepreneurs d'ouvrages. Ils faisaient travailler, en suivant les ordres de Pierre Gassen, sous la direction de Plantin, facteur principal et représentant permanent du marchand français à Anvers, tandis que Plantin déléguait à ses filles Martine et Catherine la surveillance immédiate du travail et la tenue partielle des comptesGa naar voetnoot(48). Ce sont elles aussi qui se chargeaient des commissions du Parisien; Catherine va à Malines solliciter les ‘inconstantes béguines’, nous voyons les deux soeurs acheter de la toile pour Gassen au marché du Vendredi... ‘Je prie aussy’, écrit Pierre | |||||||||||||||||||||||||
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Fig. 1 - Mabuse: Portrait d'homme (début du XVIe siècle).
Copyright A.C.L. | |||||||||||||||||||||||||
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Fig. 2 - P. Pourbus: Portrait de femme (1558).
Copyright A.C.L. | |||||||||||||||||||||||||
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Fig. 3 - Les changeurs par Marius Roymerswaele (1540). Florence, Musée National. (Bonnet en filet brodé).
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Fig. 4 - Clouet: Pierre Cutte (1562).
Musée du Louvre, Paris. | |||||||||||||||||||||||||
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Fig. 5 - P. Pourbus: Adrienne de Buck (1551) (détail)
Musée communal, Bruges. Copyright A.C.L. | |||||||||||||||||||||||||
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Fig. 6 - P. Pourbus: Adrienne de Buck (1551) (détail).
Musée communal, Bruges. Copyright A.C.L. | |||||||||||||||||||||||||
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Fig. 7 - Clouet: Elisabeth d'Autriche, femme de Charles IX (vers 1570).
Musée du Louvre, Paris. | |||||||||||||||||||||||||
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Fig. 8 - J. De Backer: Catherine, Madeleine et Henriette Plantin (détail) Cathédrale, Anvers.
Copyright A.C.L. | |||||||||||||||||||||||||
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Fig. 9 - Martin De Vos: La famille d'Antoine Anselme (1577). Détail: Jeanne (tablier et bonnet ornés de point coupé, manchette garnie de dentelle à l'aiguille).
Musées Royaux des Beaux Arts, Bruxelles. Copyright A.C.L. | |||||||||||||||||||||||||
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Fig. 10 - Otto Voenius: Alexandre Farnèse.
Musées Royaux des Beaux Arts, Bruxelles. (Fraise ornée de dentelle aux fuseaux) Copyright A.C.L. | |||||||||||||||||||||||||
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Gassen en 1568, ‘à Martine ou à Catherine de prendre pour nous chez Madame Sanglier, une douseyne des plus fins et des plus beaux colés à monter, des mesmes ou plus beaux que Jehan Gassen en a envoyé une douseyne dernièrement de 44 patars la pièce point levé et cassé bien fin de belle toile bien fine des plus beaux et divers patrons’Ga naar voetnoot(49).
Comme la plupart des grands facteurs anversois travaillant pour le compte de négociants étrangers, Plantin faisait fabriquer par les fournisseurs habituels de Gassen, des objets de lingerie, pour son propre négoceGa naar voetnoot(50). Il les vendait notamment dans la boutique qu'il louait à cette époque au pand de la Bourse et dont il laissait la gestion à sa fille Martine. Cette dernière jouait également le rôle d'intermédiaire, mettant en mains de la marchandise qu'elle écoulait directement dans son échoppe, ou qu'elle livrait à Pierre Porret, Nicolas Fournier, Pierre et Jean Gassen tous établis à Paris. A 15 ans, elle occupait au moins 35 ouvrières, aussi, n'est-ce-pas sans raison qu'on la voit figurer à titre de facteur secondaire dans la comptabilité.
Les livres des années 1563-68 nous révèlent ainsi toute la complexité du métier dentellier, ébauchée déjà dans le registre de comptes antérieur au séjour de Plantin à Paris.
S'il est impossible de déterminer la date à laquelle les fins travaux décorant la lingerie passèrent aux mains de la spécialiste, nous pouvons assurer que ce fut chose accomplie au milieu du XVIe siècle. La transition, toujours insensible, nous échappe, mais, vers 1560, créant des professions nouvelles, les besognes qui n'étaient plus exécutées par la lingère, exigent déjà, chacune suivant sa technique propre, une main d'oeuvre entraînée à un seul genre | |||||||||||||||||||||||||
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d'ouvrage. Travaillant à façon, suivant des indications précises, l'ouvrière se trouva de plus en plus à l'étroit dans un métier compliqué destiné à répondre aux exigences d'une classe à laquelle elle était doublement étrangère et qui réclamait une imagination créatrice dont elle était complètement dépourvue. Anticipant sur les grands marchands des siècles suivants, Gassen exige de ‘beaux et divers patrons’. Il manifeste ce souci d'originalité, ce besoin de nouveauté constant dans l'industrie dentellière, et sans lequels d'ailleurs un commerce de luxe ne peut ni se développer, ni s'étendre. La diversité croissante de la mode dans l'ornementation du linge entraîna la division du travail. En se spécialisant, l'ouvrière dut se résoudre à n'être que la main anonyme, l'outil vivant desquels on exige uniquement un travail sans défaut. Limitées dans leur action, dépourvues de tout appui, incapables de s'intégrer dans une corporation existante, impuissantes à en créer une, sans défense et sans statut, les dentellières ont toujours offert une proie facile aux exploitants. Toutefois, la situation critique à laquelle les ouvrières durent si souvent faire face dans l'avenir, n'existait pas au XVIe siècle, leur salaire le prouve comme aussi la seule ordonnance officielle de l'époque relative à leur profession. Cette ordonnance se résume à interdire aux jeunes femmes l'exercice d'un métier qui privait les bonnes gens de servantesGa naar voetnoot(51). Elle prouve l'engouement général pour un travail sans nul doute lucratif, et sous-entend un prodigieux essor de l'industrie dentellière naissante. Parmi les ouvrières travaillant pour un entrepreneur qui, tout en étant facteur, s'établissait marchand à son tour, il s'en trouva rapidement quelques unes, plus averties qui eurent tôt fait de jouer le même rôle en tirant bénéfice de la main d'oeuvre d'autrui. Mariées à quelque marchand de toile, qui connaissait le commerce, (c'est le cas pour la femme de George Farinal), qui écrivait les lettres et qui assurait les débouchés, celles-ci devinrent promptement des personnages importants. A côté de ces rares téméraires, apparaît la foule des ouvrières timorées, heureuses de trouver une besogne sédentaire n'exigeant aucun matériel encombrant, ne | |||||||||||||||||||||||||
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réclamant aucune initiative et qui valorisait leurs qualités: ordre, propreté, minutie, adresse manuelle. L'entrepreneur en gros bénéficiait de ce système: en distribuant le travail à des facteurs de second rang, personnellement responsables, il se trouvait à même de faire face à des commandes très importantes sans compliquer ses comptes et sans exercer la surveillance de nombreuses mises en mains. Cette organisation, toute rationnelle, n'allait néanmoins pas sans risques pour l'agent principal placé entre les intermédiaires et le marchand, aussi verrons-nous Plantin, sans cesse en butte aux plus grandes difficultés financières. Invention moderne, le dentelle doit se placer au premier rang de ‘ces industries nouvelles qui se créent au XVIe siècle avec des cadres différents de l'organisation corporative’. Après H. PirenneGa naar voetnoot(52), le Professeur E. Coornaert a magnifiquement souligné le rôle ‘des grands entrepreneurs capitalistes anversois qui, au XVIe siècle approvisionnent en matière première des tisserands à domicile sans toute la campagne flamande, font travailler à façon les batteurs de cuivre de la vallée de la Meuse ou tentent d'exploiter les salines de Hollande’Ga naar voetnoot(53). Débordant les limites d'une entreprise artisanale, la dentelle, ainsi que tous les travaux à l'aiguille et aux fuseaux dont elle est issue, s'inscrit parmi ces innovations, et l'affaire Plantin-Gassen se classe au premier rang de ces tentatives originales promues aux plus beaux lendemains.
Se conformant à l'usage des grands marchands faisant travailler à l'étranger, Pierre Gassen venait régulièrement à Anvers où il faisait de longues visites. S'il ne s'y rendait pas personnellement, il y envoyait un de ses mandataires. Le mieux accrédité paraît avoir été son neveu et associé, Jean Gassen, le futur gendre de Plantin. Au printemps 1564, Jean Gassen fait un séjour sur les bords de l'Escaut et, en rentrant à Paris, il passe par le béguinage de Malines | |||||||||||||||||||||||||
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pour prendre livraison d'ouvrages auprès de Tanneken VertanghenGa naar voetnoot(54). Ce béguinage, nous y insistons, s'était acquis une puissante renommée pour les réseaux. Nous en trouvons encore la confirmation dans une lettre adressée par Pierre Gassen à Plantin quelques mois après la visite de son neveu ‘Ma femme, la malade’ écrit-il, ‘laquelle se recomande à vous et à la vostre, a trouvés fort beaux les rézeaux couvers de roses, toutesfoys un peu par trop bas de auteur et vous prie de prier les saintes béguines pour elle de luy despecher 2 ou 3 douseynes tout le plus tost qu'elles les pourrons fayre, de beaux patrons’Ga naar voetnoot(55). Selon la coutume, Jean Gassen profite de sa présence aux Pays-Bas pour délivrer des cédules à divers fournisseurs, cédules qui, dans la suite, sont présentées à Plantin pour en régler le montant. Cette dernière opération met souvent le facteur de Gassen dans un cruel embarras, soit qu'il ne dispose pas des fonds nécessaires, soit que les fournisseurs, usant de chantage, réclament le paiement de leur dû avant l'échéance prévue. Parmi d'autres, recueillons dans cette lettre, adressée à Jean Gassen, les doléances de Plantin: ‘J'ai reçeu’, écrit Plantin, ‘quasi en mesme temps vos lettres du 23-25 et 28 de juin auxquels j'ay tasché de satisfaire à mon pouvoir. Premièrement, j'ay mis à compte les parties de Tanneken Vertanghen et de Jehanne Masqueliers. J'espère d'envoyer le fil et ouvrages par le premier chartier. Je payeray aussi la fille du Prince comme l'ordonnés’. ‘Ne doubtés que je ne contente vos ouvrières tout ainsy que si vous y estiés, car à cela ay je assés de soing et déjà ay payé Me Pierre de Bruges, pourtant qu'il y avoit peu et aussi la femme de George Farinal, encores que son terme ne fust qu'au 13 du présent, mais elle a aporté ouvrage et se plaignoit fort de n'avoir pas d'argent pour plus entretenir ses ouvrières et qu'elle iroit vendre sa marchandise pour avoir argent, ce que je l'écoutoy dire sans respondre autre chose sinon que je luy baillerois son argent incontinent qu'elle m'aporteroit ouvrage. Ce que oyant, elle me delivra sur le champ pour... d'ouvrage que je pacqueray avec le fil et je la paye de 66 fl. 8 suivant vostre sédule que je voy estre | |||||||||||||||||||||||||
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faicte du 13e juin à ung mois, qui seroit le 13 du présent et par votre mémoire delaissé ici, vous m'escrivés qu'elle doibt estre payée à 2 moisGa naar voetnoot(56). Davantage, elle a voulu aussi que je luy fisse obligation à ung mois et m'a dict qu'elle ne veut pas autrement faire besogner que payer tous les mois. Sur quoy je luy ay dict qu'elle vous en escrive, ce qu'elle m'a promis de faire faire par son mari estant de retour à Malines ‘... quant à Linquen Roy, elle m'a rescrit cejourd'huy une lettre par laquelle elle m'a mandé que je luy rescrive si je la payeray tout comptant ce qu'elle m'envoyeroit pour vous et qu'autrement elle n'estoyt pas déliberée ne d'advis de livrer rien qui soit, sans estre payée tout comtantGa naar voetnoot(57). A cela, et telles choses pourés voir ce dont plusieurs fois je vous ay adverti et que je vous dis advant vostre partment, c'est qu'en vostre presence les personnes vous promectent d'attendre et le font aussi, mais en vostre absence ils pensent que je leur retienne de l'argent’ etc...Ga naar voetnoot(58).
Si, en feuilletant, même superficiellement, la correspondance et les comptes plantiniens, nous saisissons l'importance du commerce de Plantin et la place que ce dernier occupa dans l'organisation économique de son temps, les détails de ses papiers ressuscitent tout le menu peuple sans lequel la physionomie d'une époque demeure abstraite. A la fois hardi et humble, entreprenant et cocasse, nous le voyons protester, discuter, opposer le marchand au facteur. Gassen, souvent se plie aux exigences des ouvrières et cède devant leurs récriminations, aussi, n'est-ce certainement pas sans un soupir que Plantin note dans son journal: ‘Josine Smits débiteur par casse fl. 39 pt 9 pour une cedule que Jehan Gassen luy avoit faicte et baillée le 16 avril à payer en 2 mois, par après mais je l'ay payée plustot par ordonnance du dit GassenGa naar voetnoot(59)’. | |||||||||||||||||||||||||
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Ces incessantes contestations exigent entre Anvers et Paris une correspondance suivie. Un nouveau différend surgit entre Janneke Boutzelaer et Plantin qui en réfère à son ami: ‘Cejourd'hui’, écrit Plantin ‘nous avons reçeu de Janneke Boutzelaer la fille du Prince, sèze livres de fil, montant à la somme de 65 fl. 5 patars, dont je luy ay faict obligation conditionnelle, à cause qu'elle m'a dict que vous luy avés promis qu'elle seroit payée dudict fil, aux mesmes termes de celui qu'elle dict vous avoir livré le 18 de may a paier le 18e juillet, et pourtant, elle n'avoit pas sa sédule avec elle, et que vostre mémoire dict le 28 jour [de septembre] et aussi que ne m'avés pas ordonné de payer ce dernier avec le premier. Je luy ay promis de vous escrire et d'en faire comme sa cédule est faicte, et de payer aussi le dernier fil délivré au mesme terme, si vous me l'ordonnés ainsi, autrement, je me suis obligé de luy paier ledict dernier fil, reçeu le 19 jour d'aoust prochain, assavoir à 2 mois du jour de la livraisonGa naar voetnoot(60). Ces paiements anticipés sont une intarissable source d'ennuis d'argent pour Plantin: ‘Quand à Gassen’, soupire-t-il dans une lettre à son ami Pierre Porret, ‘il faict toujours ses comptes à large, car il compte du jour où il est, et ne pense pas toujours qu'il est besoing de faire provision avant le temps venu. Car il doibt estre asseuré ce que je luy ay souventefois dict et à son nepveu et aussi rescript que ceux à qui il doibt par deça attendront plus tost un moi appres leur jour, quand luy ou son nepveu sont ici, qu'ils ne veulent faire une heure en leur absence et veulent estre paiés comptant’Ga naar voetnoot(61).
C'est à Anvers que se soldent les comptes périodiques de l'affaire Plantin-Gassen pour l'exercice 1563-68. En automne 1564, le marchand parisien se rend dans la métropole, et clôture, dans cette ville, une année d'affaires avec Plantin. ‘Nous, Christophle Plantin et Pierre Gassen’, lit-on dans le livre journal, ‘congnoissons et confessons avoir faict compte par | |||||||||||||||||||||||||
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ensemble de tout le passé iusques à ce jour présent et demeurons quictes l'ung vers l'autre de toutes les affaires qu'avons eu affaire ensemble ou l'un pour l'autre iusques a ce jourd'hui 26 de septembre 1564. Et en tesmoing de la vérité nous avons soussigné ceci de nos signes manuels faict à Anvers’Ga naar voetnoot(62). Suivent alors les signatures de Christophe Plantin et de Gassen. Les comptes, à cette date, s'élèvent à 2742 florins 9 ½ pt. Le 13 mai 1565, la balance accuse un chiffre d'affaires de 4927 florins 5 ¾ ptGa naar voetnoot(63). Le 18 novembre de la même année, Jean Gassen, délégué par son oncle à Anvers, établit un nouveau compte avec PlantinGa naar voetnoot(64). Le 29 mai 1568, nous rencontrons un dernier état des opérations Plantin-Gassen établi vraisemblablement à Paris. En voici les termes: ‘L'an 1568, le 29 iour de may nous avons accordé toutes les parties du reçeu et payé contenues en ce présent livre et trouvé que le reçeu se monte depuis nostre dernier compte faict le 18 novembre 1565 soldé au présent livre fo 3... la somme de treze mille quatre cents trente et sept florins de vingt pat. le fl. et que le payé se monte pareillement autant ascavoir de 13.437 fl. Parquoy nous soldons aussi les livres présent avec son journal et quictons les ungs les autres de tout le passé iusques à ceiourdhuy. En tesmoing de la vérité nous avons soussigné ces deux pages de nos noms et signes manuels l'an mil cinq cents soixante et huict le susdict vingt et neufiesme jour de may’Ga naar voetnoot(65).
Les séjours de Jean Gassen à Anvers étaient dispendieux: Au début de l'année 1566, Plantin compte à son ami ‘32 florins pour la despance de bouche et le louange de la chambre’ de son neveu pendant ‘le mois de décembre et 9 jours du mois de janvier’Ga naar voetnoot(66). En mai de la même année, c'est Jean Burillon ‘serviteur’ de Pierre Gassen qui vient à Anvers. Il est autorisé, lui aussi, à | |||||||||||||||||||||||||
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acheter des marchandises et à délivrer des cédules. Son standing est moins élevé que celui de Jean Gassen, et il ne dépense que 8 patards par jourGa naar voetnoot(67). En août 1566, nous notons un nouveau séjour de Jean Gassen auquel Plantin remet 600 florins pour ‘les affaires de song oncle’, et il débourse 14 florins pour 28 journéesGa naar voetnoot(68).
Plantin, d'autre part, visitait Pierre Gassen à Paris où l'appelaient d'ailleurs d'autres affaires importantes. Nous l'y trouvons fin mai 1568 puisqu'au folio 5 du nouveau livre journal des opérations Plantin-Gassen, nous pouvons lire ‘Christophle Plantin doibt doner à Pierre Gassen du 30 de may (1568) la somme de 334 fl. 14 ¼ pt. monoye de flandres pour autant que le dit Pierre Gassen luy a compté à Paris pour fornir aux afairs dudit Gassen...’Ga naar voetnoot(69). Ce folio n'est d'ailleurs pas daté d'Anvers, mais bien de Paris.
Pour permettre à Plantin de tenir ses engagements envers ses fournisseurs, Pierre Gassen alimentait la caisse que son ami tenait pour lui, à Anvers, de différentes façons. Nous avons vu qu'il lui remettait souvent de l'argent, soit directement, soit par l'intermédiaire de ses mandataires. ‘La lettre de change n'était pas ignorée, mais selon une vieille habitude dans les paiements interurbains même à longue distance’Ga naar voetnoot(70), il lui envoyait aussi, par des messagers, des espèces qu'il fallait convertir en monnaie du pays. Les livres comptables Plantin-Gassen accusent continuellement la réception de ballots de ‘passemans’Ga naar voetnoot(71) contenant des ‘demi-reaux dor, des pistoles dor, des filipus dor, des lions dor, des nobles à la rose, des angelos, des carolus, des réaux dor’, etc... Aussi n'est-ce pas sans raison que nous voyons, dans la belle gravure d'après Jost Amman, symbolisant le commerce anversois, le messager armé d'une pertuisane et un employé occupé | |||||||||||||||||||||||||
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à trier des pièces de monnaieGa naar voetnoot(72). Parmi les commissionnaires dépêchés de Paris vers Anvers, nous trouvons Claude DuBois, Jacques le petit flameng, Jacques Gouthals, Gilles Estienne, etc...
Plantin réalisait aussi pour Gassen, certaines opérations commerciales dont il versait le produit au compte de son ami. C'est ainsi que nous trouvons trace d'un assez important commerce de passements acheminés de Cambrai et vendus, semble-t-il, au comptant sur la place d'Anvers. Le 21 avril 1570, Plantin vend 2800 aunes de passements: ‘800 aulnes passemens envoyés de Cambray par Jehan Pierre Van Ast - trouvé moins de cinq aunes que les dits 800 et ont esté vendus comptant pour la somme de 402 fl. 10 pt.’ ‘mille aulnes de passements vendus audit prix sauf 3 ½ aulnes trouvées pourries et gastées’ pour 502 fl., et encore mille aulnes pour 505 fl. 15 pt.Ga naar voetnoot(73). Le contexte n'existant pas, nous ne pouvons préciser s'il s'agit de passements de lin, de métal ou de soie. Certains passements sont vendus au poids, ce qui pourrait laisser supposer que la matière en était précieuseGa naar voetnoot(74), mais plus tard, il semble que des ‘passemens blancgs’ soient vendus également au poidsGa naar voetnoot(75), détail qui infirme la première opinion. On observera avec intérêt que les dentelles seront souvent taxées suivant le même mode d'évaluation lors de l'établissement des tarifs douaniersGa naar voetnoot(76).
Gassen effectuait parfois à Paris, des paiements pour Plantin, paiements dont la contre valeur était versée à l'actif de Gassen à Anvers. C'est ainsi qu'un paiement de 800 livres, soit 666 fl. 13 ½ pt., fait entre les mains de Pierre Porret par Gassen pour | |||||||||||||||||||||||||
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‘subvenir a nos affaires’ [de Plantin à Paris] est porté, le 4 août 1570, par ce dernier au compte de Gassen à Anvers, mais non sans un prélèvement de 13 fl. 5, soit ‘2 pour cent pour le changeGa naar voetnoot(77)’. A la même époque, signalons encore un paiement de mille livres tournois fait à Porret par Gassen, plus divers versements destinés, notamment à régler des achats de papierGa naar voetnoot(78).
En 1566, Plantin et Corneille van Bomberghe, son associé, se portent garants en faveur de Claude de Withem, seigneur de Risbourg envers le Chevalier de Sèvre, pour la somme de 1300 écus au soleil. L'engagement était contracté pour un terme de neuf ans. Le seigneur de Risbourg s'obligeait à leur payer annuellement la somme de 2646 florins, 1 sou, le florin compté à 20 patarsGa naar voetnoot(79). Très tôt, Corneille van Bomberghe passe son contrat à Pierre Gassen qui le 12 juin 1567 touche 1323 florins, donc l'annuité qui lui revenaitGa naar voetnoot(80). Les paiements étaient faits à Plantin qui les portait au compte de Gassen, mais le perpétuel ajournement des échéances devint, pour Plantin, une source d'incessantes tracasseries, car Gassen, dès le terme échu, tirait sur ces fonds des ‘obligations’ ou des ‘cédules’ auxquelles Plantin ne pouvait faire face qu'au prix de mille difficultés. En 1568, Plantin, supplie Risbourg de considérer le danger dans lequel il se trouve, car n'ayant rien reçu de lui, et n'ayant ‘trouvé argent à crédict à nul prix’, il s'est vu près du deshonneur et a été obligé d'engager les ‘1500 ducats d'arres’ qu'il avait reçus pour la Bible polyglotteGa naar voetnoot(81). En 1569, nouvel appel désespéré: ‘Jamais’, écrit Plantin à Claude de Withem, ‘le terme de Pasque n'approche que, dès quinze jours devant, Pierre Gassen ne m'envoye lettres de change pour payer précisément au dict terme’,... et ‘ainsi m'en faict il devant le terme de Sainct Jehan’. ‘Parquoy, c'est à moy de penser, de | |||||||||||||||||||||||||
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courir, de chercher et trouver, faisant tousjours bonne mine le moyen de satisfaire. Car quand on est d'espérer quelque grâce ou respit de Mgr le Chevalier de Sèvre, ce n'est rien que de perdre temps et despens, veu ce qu'il en a rescrit au Sigr Pierre Gassen qui m'a envoyé les lectres dudict Sigr de Sèvre par lesquelles il luy mande ces mots en bref: ‘Ne m'escry plus rien de Monseigneur de Risbourg et pense seulement à me tenir mon argent prest aux termes assignés, nonobstant quelquonques inconvénients, survenus ou à survenir, soit des vents, gresles, tempestes, desbordements d'eaux, stérilités, guerres, feux, famines, fautes de payements, procès ou autres allégations quelles qu'elles soyent ou se puissent alléguer ainsi que tu t'y es obligé, corps et biens généralement et ypothéqué ta maison et en fay, avec le dict Seigneur de Risbourg et tous autres comme tu voudras, sans jamais plus m'en escrire ne requérir de rien!Ga naar voetnoot(82). Entretemps, Risbourg avait endossé sa dette à l'évêque de Liège qui se trouvait être son débiteur, mais Ambroise Lotz, trésorier de l'évêque Gérard de Groesbeek dont la caisse est vide, éconduit Plantin, le priant d'attendre ‘huict à diex jours après le Noël prochain’Ga naar voetnoot(83). En 1570-71, Plantin est poussé à bout. Après avoir écrit qu'il n'était pas convenable d'envoyer un homme expres à Liège pour ‘recevoir le dict argent, à cause des périls et dangers du chemin’Ga naar voetnoot(84), il se résigne à y déléguer son gendre, et exhorte Ambroise Lotz à lui verser 1150 florins qu'il avait promis de payer il y a six mois passés pour le compte de Monseigneur de RisbourgGa naar voetnoot(85). La démarche du gendre n'a-t-elle pas abouti? Sans doute, puisque Plantin qui, une première fois déjà, était ‘alé expres avec deux chevaux au dit Liège, neuf jours entiers’Ga naar voetnoot(86), entreprend une seconde fois le long et périlleux voyage. Il en détaille tous les frais et en porte la moitié du montant au compte de son amiGa naar voetnoot(87): | |||||||||||||||||||||||||
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Toute cette affaire très compliquée dans laquelle intervient Gilles Chastelain, facteur des VignonGa naar voetnoot(88) et qui exigea de la part de Plantin, des démarches incessantes, de nombreuses épîtres et de multiples suppliques, se termina pour lui, malencontreusement, par une perte de 2630 florinsGa naar voetnoot(89). On s'apercevra que Plantin apporte, dans ses comptes, une scrupuleuse minutie. Il note les moindres dépenses faites pour Gassen, ses frais de voyage, ceux de ses filles, les ‘fassons’ de coffres ou de tonneaux destinés à l'emballage, le port des lettres, les bottes de ficelle et les mains de papier. Sans doute, faisait-il à, Francfort des affaires pour Gassen, puisque celui-ci participe aux frais de déplacement de son amiGa naar voetnoot(90).
Entre 1568 et 1573, Plantin comme auparavant procurait à Gassen des objets extrêmement divers: ‘Estienne Coets, quinquailler’ lui fournit 132 et 128 douzaines de grelotsGa naar voetnoot(91), Pierre Danantez lui procure des peaux de chamois qu'il a achetées en Pologne et qu'il a fait envoyer de ‘Lypsich à Anvers’Ga naar voetnoot(92). Signalons aussi plusieurs achats de pierres fines. Adrian Gras touche, en 1570, 23 fl. 1 ½ pt. de courtage sur des perles achetées à Jehan de CuellarGa naar voetnoot(93). Peut-être, s'agit-il d'Adrienne Gras, la mère de Jean et Pierre Morentorf, les gendres de Plantin ou d'un autre membre de cette famille spécialisée dans le commerce des pierres fines. Pierre, ouvrier diamantaire qui figure également la même année | |||||||||||||||||||||||||
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dans les comptes pour la livraison de pierres précieusesGa naar voetnoot(94), travailla à Lisbonne depuis décembre 1570 jusqu'en 1577Ga naar voetnoot(95). Pendant son séjour au Portugal il commande des livres à son frère Jean, époux de Martine Plantin, et chaque fois que la flotte des Indes en apportait, il se procurait des diamants qu'il envoyait à AnversGa naar voetnoot(96). Après son mariage avec Henriette Plantin, il continua à exercer son commerce de pierres fines dans la métropole. Toujours en 1570, un certain Nicolas Malpart vend également des perlesGa naar voetnoot(97), et l'Espagnol Camalloa procure à Plantin, pour Gassen, des chausses de soieGa naar voetnoot(98). Francesco d'Aquilar et Jehan de Cuellar livrent en 1572, des perles pour l'importante somme de 2907 florins 6 pt.,Ga naar voetnoot(99) enfin, un certain Roulant fournit du cuivre de MoselleGa naar voetnoot(100), peut-être par l'intermédiaire de Catherine ou de Martine Plantin que nous trouvons ailleurs associées à un commerce de métaux. Notons qu'en 1567 déjà, Plantin vendait du cuivre à Jean GassenGa naar voetnoot(101). Enfin, et peut-être s'agit-il ici d'un simple cadeau entre amis, nous voyons Pierre Gassen, remercier Plantin pour un envoi de graines de chouxGa naar voetnoot(102).
Toutefois, la lingerie et la dentelle continuent à occuper la première place parmi les objets de luxe délivrés à Gassen. En tête des fournisseurs apparaissent Georges Farinal et Jean de Raighers. Ce dernier qui avait un atelier à domicile, tenait lui-même des livres de comptabilité dont les données permettaient à Plantin d'établir ses comptesGa naar voetnoot(103). Il travaillait à façon ou avec sa toile, et fournissait surtout des fraises ornées et des lassis. Habile au | |||||||||||||||||||||||||
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blanchiment, grande spécialité des Pays-Bas, il se voit confier par Gassen des pièces de toiles à blanchir: ‘P. Gassen doibt donner pour autant payé à Jean de Rayguers pour ouvrages 12 p. de toylles qu'il a faict blanchir et pour lassis...’Ga naar voetnoot(104). Outre les deux fournisseurs précités, les registres de l'exercice 1568-73 nous livrent des noms déjà connus, noms de facteurs plutôt que d'ouvrières: Alleken van Dievelt, Bayken (Barbe) Van Wolfstraeten, Catherine Vincent, Dinghen Verriet, boulangère et marchande de ‘lassis’ à Malines, Gilles Van Huffele, Jacqueline Masqueliers, Josine Smits, Lisken Vande Wyer, Mayken Carest, Marie Hugo, Martine Moerentorf Plantin, Tanneken Vertanghen. Toutes ces personnes livrent leurs ouvrages payables par cédules à deux et trois mois, ou à plus long terme, les paiements au comptant étant exceptionnels.
Entre Pierre Gassen et Christophe Plantin, l'amitié était grande, et totale, la confiance. Les témoignages de cette estime mutuelle se multiplient pendant les années qui nous occupent. Plantin consent au mariage de sa fille Catherine avec Jean Gassen, neveu de Pierre, et leurs noces se célèbrent à Paris en juin 1571. Jean n'avait-il pas appris à connaître Catherine lors de ses séjours sur les bords de l'Escaut et Catherine ne s'occupait-elle pas avec assiduité des affaires de son oncle? On peut supposer qu'une certaine communauté de goûts ait rapproché les jeunes gens, mais presqu'aussitôt les festivités du mariage passées, la brouille s'installe entre les nouveaux mariés établis à Paris chez l'oncle Pierre. Quelques épîtres grandiloquentes et pittoresques de Plantin, véritables chefs-d'oeuvre d'admonestation paternelle, nous apportent le reflet de leurs querelles de ménageGa naar voetnoot(105). Si Catherine Plantin, désormais fixée à Paris, contribue à écouler sur le marché français des objets de luxe venant des Pays-Bas, une main-d'oeuvre de choix attirait vers ces même Pays-Bas, la jeunesse française désireuse de s'initier à des techniques raffinées. Aussi, | |||||||||||||||||||||||||
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Pierre Gassen n'hésite-t-il pas à placer en pension, sa nièce Jeanne Classart, chez le malinois Jean de Raighers. Outre les 40 florins pour les deux ans pendant lesquels ‘Jan de Rayguers doit’ lui faire apprendre à éscrire et lire, ‘le sieur Gassen luy baile 4 florins par an...’ ‘pour lui faire aprendre à faire ouvrages de point couppé de toutes sortes et aussi de toutes sortes de perles grandes et petites’Ga naar voetnoot(106). Le fait qu'un grand marchand parisien, fournisseur de ‘Messieurs, frères du Roy’ ait placé sa nièce à Malines, chez un facteur qui semble avoir abrité une véritable école dentellière où l'on enseignait non seulement le métier, mais aussi les rudiments de la lecture et de l'écriture, est significatif. Il proclame l'excellence de nos centres dentelliers organisés en vue de former des ouvrières d'élite. Loin d'être rétribuées, ces ‘petites mains’, qui, sans aucun doute acquéraient rapidement une certaine dextérité, et contribuaient à exécuter les commandes, payaient leur apprentissage, selon une coutume demeurée longtemps en vigueur. Insistons encore sur l'importance accordée dans nos provinces, au point coupé avec réserves de toile et à la véritable dentelle à l'aiguille qui, sous le nom de ‘perles’ s'épanouit en festons arrondis ou en dentelures aigues. Les portraits de l'époque, tant flamands que français révèlent toutes les ressources décoratives de ces techniques (fig. VII). Jeanne Classart (Classard) est venue aux Pays-Bas avec son frère Pierre. Celui-ci se rend à Bréda où Plantin avait des attaches, et y est placé chez le ‘maistre d'escole Henry Vanden Breda’. Les Classart quittent nos provinces au printemps 1573, non sans que Plantin ait déboursé 21 fl. 7 pt. pour ‘diverses parties d'habillements’ en faveur de ‘Jehanne Classart’, celle-ci ‘estant venue de Malines (à Anvers) despouillée’Ga naar voetnoot(107). Il règle le ‘reste de despenses ou pension’ ‘et autres ménutes’ de ‘Pierre Classard à Bréda’, et avant le départ des jeunes gens qui eut lieu le 2 avril il leur baille argent pour ‘leurs despens par chemin’Ga naar voetnoot(108). Tout | |||||||||||||||||||||||||
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est évidemment porté en compte à l'oncle Pierre, et le détail des débours est, en partie, extrait d'un livre tenu par Henriette Plantin qui avait 11 ou 12 ans.
En 1571, nous trouvons à Anvers un autre membre de la famille Gassen, Gaspard. Plantin note les nombreuses dépenses qu'il fait pour lui et les porte au compte de Pierre GassenGa naar voetnoot(109). En automne 1573, il achète des peaux de chamois pour lui faire un pourpoint et des chausses, quelques jours après il baille à Gaspard Gassen 3 fl. 4 pt. pour ‘le canevas et fason et toutes menutes qu'il falloit à ses chauses et pourpoint qu'il a fait ferre des devant dites peaus’Ga naar voetnoot(110). Plus tard, viendront les débours occasionnés par sa longue maladie pendant laquelle Plantin, plein de sollicitide, le fit transporter chez lui: ‘P. Gassen doibt à casse Fl. 4 et 2 pt pour aultant paié encores à Gaspar Gassen en arghent, asavoir pour achever à payer son oste où il a esté juques à se jourduy qu'il est venu séans fl. 3 pt 7 et 15 pt pour ung omme qui l'a asisté en sa maladie et aydé à lamener à la MaisonGa naar voetnoot(111)’. Tous ces détails paraissent prouver que Gaspard Gassen n'était pas encore arrivé à l'âge d'homme et que Plantin lui tenait lieu de père. Peut-être le jeune garçon s'était-il rendu dans la métropole pour y apprendre le commerce? Ainsi donc des rapports de tous ordres s'établissent entre Paris et Anvers. Si les Classart viennent chercher leur formation aux Pays-Bas, de nombreux jeunes flamands trouvent la leur à Paris, comme le montrent les sommes parfois importantes que de hauts personnages anversois doivent à Pierre Porret pour la pension de leurs enfants. Il s'occupait notamment du fils du margrave d'Anvers, Simon Van de Werve, qui faisait des études à Paris, mais sa conduite ne lui donnant sans doute pas satisfaction, il s'en ouvre à Jean Moretus et demande d'être déchargé de ce pensionnaire gênantGa naar voetnoot(112). Ne faut-il pas rappeler que Marguerite Plantin | |||||||||||||||||||||||||
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fut, elle aussi, envoyée à Paris, probablement chez Porret, vers l'âge de 12 ans pour lui faire enseigner la calligraphie par le maître d'écriture du Roi?Ga naar voetnoot(113).
Illustrant d'un exemple éminent les réflexions de Guichardin, Plantin confia une large part de responsabilité à ses filles qu'il initia aux affaires dès leur âge le plus tendre. Le voyageur italien, habitué à la réserve des femmes de son pays, s'étonne et s'émerveille de voir les flamandes et particulièrement les Anversoises, se mêler à la foule, participer à l'activité commerciale de la métropole, parler trois ou quatre langues et jusque cinq et six. Ce que nous savons au sujet des demoiselles Plantin est loin d'infirmer l'opinion du Florentin. Faut-il rappeler que Madeleine, à 13 ans, corrigeait les épreuves de la Bible Polyglotte, que Martine, vers sa quinzième année, tenait d'importants livres de compte, qu'elle avait la haute main sur de nombreuses ouvrières, puisqu'elle géra une boutique au coeur même de la ville, que Catherine, dès l'âge de 11 ans, consignait les livraisons des ouvrières et des facteurs travaillant aux Pays-Bas pour Gassen? Seule, ou avec Martine elle se rend à Malines par le chariot, achète de la toile au marché, discute le prix avec les marchands. Même Henriette dont Plantin ne vante pas l'intelligence, se voit investie, dès l'âge de 12 ans, d'une partie de la comptabilité; quant à Madeleine, mieux que quiconque elle mettait ‘et la main et la langue aux affaires propres aux hommes!’ Ces mignonnes que l'on imagine volontiers plus délurées que ne l'a voulu leur portraitiste J. De Backer dans le tableau officiel qu'il fit de la famille (fig. VIII), se marient jeunes. Au sein même de ses affaires, Plantin s'assure des gendres et s'attache, du même coup, des collaborateurs plus ou moins efficaces. Abstraction faite de l'imprimerie et du commerce de livres, nous les trouvons associés aux trafics les plus variés: Jean et Pierre | |||||||||||||||||||||||||
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Moerentorf, respectivement époux de Martine et d'Henriette, s'intéressent à la vente de perles et de diamants, Gilles Beys après avoir été garçon de boutique chez Plantin, se fixe à Paris où il épouse Madeleine. Il tient la succursale de son beau-père, mais il vend aussi des passementsGa naar voetnoot(114) et n'est pas étranger à des livraisons de lingeriesGa naar voetnoot(115). Enfin, Jean Gassen, le malheureux mari de Catherine, après avoir secondé son oncle, s'occupe à Paris ‘d'un propre train de marchandises’ et se fournit de linges fins à Anvers jusqu'en 1574, date de sa mort prématurée.
Pendant la période s'étendant de 1568 à 1573, Pierre Gassen fit plusieurs séjours dans la métropole. En 1569, il y délègue son neveuGa naar voetnoot(116), mais en 1570, il se rend personnellement à Anvers pour y établir, fin juin, la balance de ses comptes avec son ami. La note suivante de la main de Plantin ‘... et par ce compte accordé et conclud avec le dit Gassen estant présent avec Madame sa femme en sette ville d'Anvers’Ga naar voetnoot(117), nous apprend que cette dernière qui n'était pas étrangère au commerce de lingeries fines, avait accompagné son mari aux Pays-Bas. En août 1570, Pierre Gassen revient à Anvers où il s'attarde jusqu'en octobreGa naar voetnoot(118). Nous l'y retrouvons en automne 1573 et Plantin débourse ‘30 patards pour la voiture de sa malle et paquet venus de Paris...’Ga naar voetnoot(119). Le 7 octobre de la même année, Plantin rédige une déclaration de cessation d'affaires avec Gassen. Celles-ci s'élèvent à 61.472 florins 9 ½ patars; Christophe Plantin restant redevable de 1731 florins envers Gassen, il s'acquitte de sa dette le 13 octobre. La conclusion de tous les comptes suivie ‘des signes manuels’ de Plantin et de Gassen se retrouve au grand livre et au journalGa naar voetnoot(120). (Voir annexe). | |||||||||||||||||||||||||
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Si Plantin percevait une commission sur les livraisons faites à GassenGa naar voetnoot(121) l'estimation de ses bénéfices nous échappe. Il nous est impossible, d'autre part, d'évaluer, dans le volume général de ses affaires avec Gassen, le chiffre qui doit être attaché au seul commerce de linges et de dentelles. Celui-ci, selon les déclarations de Plantin à Çayas s'élevait à plus de 12.000 ducats par anGa naar voetnoot(122).
Le 15 octobre, soit deux jours après la clôture des comptes pour la période 1568-73, un nouveau journal et un nouveau grand-livre s'ouvrent à Anvers pour les affaires Plantin-GassenGa naar voetnoot(123). Se conformant à l'usage, Gassen verse à Plantin une provision de 257 florins ‘pour payier pour son compte ce que besoin seraGa naar voetnoot(124) et fait une avance de 100 florins à Jehan de Raiguers’ ‘pour les tenir entre mains si long tamps qu'il fera faire des ouvrages pour ledit Gassen come ils ont acordé par ensemble’Ga naar voetnoot(125). Ce personnage qui, nous l'avons vu, avait un atelier, travaillait à façon pour Gassen, mais livrait les marchandises au domicile de Plantin. En octobre 1573, il avait encore ‘entre mains, du dit Gassen’ 348 fraises en ‘batiste, toile de Hollande et de Cambray’. En février 1574, il en avait fourni 159, puis il continue ses livraisons pendant les mois suivants à raison de 10, 9, 27, 12, 8, 26, 10... pièces. Il est payé, écrit Martine, des ‘parties... à la mesure qu'il les a livrées, quome apert par le compte de la casse’; le 9 juillet, il a terminé tout le travail et a touché en tout 692 florins 15 pt., plus une commission de 51 fl. 19 pt. ‘qu'il lui failloit avoir’ écrit Martine pour le profit de toute la lingerie si contre escripteGa naar voetnoot(126).
Les affaires de l'année 1573-74 ne semblent pas avoir été très actives. La mort de Jean Gassen qui périt assassiné dana les Pays-Bas au printemps 1574 ne fut certes pas étrangère au ralentissement des échanges commerciaux entre Paris et Anvers. | |||||||||||||||||||||||||
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Nous ne relevons que quelques noms de fournisseurs: citons, outre Jean de Raighers, Catherine Vincent, Gilles van Huffele, Jaqueline Masqueliers, Jehan Hugo, Josine Smits, Martine Plantin, Suzanne Valck. Certains d'entre eux envoient directement la marchandise à Paris, mais c'est Plantin qui paie les cédules. Tous livrent des objets tant de fois énumérés: fraises, garnitures, coiffes, ornées surtout de point coupé de plus en plus large. Vers cette époque, le mot ‘perle’ semble disparaître avec la chose qu'il désignait, au profit du terme ‘fraises à pointes’ et nous rencontrons même l'expression actuelle ‘dentelle à leguille’ (fig. IX). Affranchie de l'objet qu'elle est appelée à orner, celle-ci a désormais sa valeur propre et se débite à l'aune, comme la ‘dentelle de brainat’ (aux fuseaux) dont nous trouvons également mentionGa naar voetnoot(127), mais qui, en raison de sa technique même était née indépendante (fig. X). Le 14 octobre 1574, Plantin clôture définitivement ses comptes avec Gassen. Il délivre ‘huitante et quatre florins 4 ½ pt.’ à trois fournisseurs, par le commandement de Gassen lequel, écrit-il ‘me l'a einsi mandé de Paris le 30e septembre afin de faire compte net avec eus 3 de tout le passé’Ga naar voetnoot(128).
Si les relations entre Gassen et Plantin paraissent s'arrêter en 1574, le commerce de la lingerie fine entre Paris et Anvers ne s'en trouva pas complètement compromis. Martine Plantin poursuit, avec Antoine, frère de Jean Gassen, un trafic de dentelles, d'acier et de tableaux dont nous trouvons trace jusqu'à la veille du Siège qu'Anvers eut à soutenir contre Alexandre Farnèse (1584). Or, cette période compte parmi les plus sombres que la ville eut à traverser. Faut-il rappeler la Furie Espagnole de 1576, les discordes civiles et religieuses entraînant la déchéance de Philippe II et l'éphémère domination française qui porta au pouvoir un client de Pierre Gassen, le duc d'Anjou, frère d'Henri III? En France d'ailleurs, la situation n'était pas plus brillante. Le trouble était partout, tandis que des mains de femmes continuaient à oeuvrer à des besognes doublement fragiles, car si elles énervèrent un moment le luxe, le portant à son paroxysme parmi une noblesse | |||||||||||||||||||||||||
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débauchée, les crises du XVIe siècle dont la France fut le théâtre eurent de douloureux lendemains économiques, et les dentellières qui constituaient un pourcentage appréciable du prolétariat façonné par les industries nouvelles, en subirent les conséquences désastreuses. Toute l'histoire de la dentelle, à partir du XVIIe siècle est une longue suite de vicissitudes. Aux périodes d'invention et de production intense surexcitées par les besoins d'une cour fastueuse ou d'une bourgeoisie enrichie, succèdent toujours des temps morts pendant lesquels le marchand dérive son activité ou la ralentit, entraînant les ouvrières au chômage.
Parce qu'il était de son temps et de sa ville, Plantin a brisé le conservatisme routinier, mais les années lui manquèrent pour entrevoir les conséquences sociales du régime capitaliste. Il a vu grandir une manufacture nouvelle, il contribua à sa croissance en lui apportant toutes les richesses de son intelligence et toutes les ressources de son savoir-faire. Parmi tant d'autres dont les noms sont aujourd'hui oubliés, il a fait apprécier au délà des frontières la main d'oeuvre des Pays-Bas exercée dans la plus délicate des industries de luxe. Plantin érigea sa fabrique de dentelle au rang d'une institution familiale dont bénéficièrent, non seulement ses proches, mais encore sa descendance, puisque les papiers de famille nous révèlent, au XVIIIe siècle, des fabricants et des marchands de dentelle parmi les Moretus. Comme tant d'autres grands marchands anversois, Plantin a imposé une tradition à ses successeurs qui, dans tous les domaines, eurent, toujours, comme lui, les yeux fixés sur les débouchés les plus neufs et les plus avantageux.
En terminant cet aperçu, il me reste à remercier Monsieur Voet, Conservateur du Musée Plantin-Moretus qui m'a permis d'étudier à loisir le dépôt qui lui est confié. C'est grâce à lui que mon travail a pu être mis au point; il m'a, non seulement, prodigué ses précieux conseils et ses encouragements, mais il a bien voulu revoir les textes puisés dans les manuscrits. Je l'en remercie très chaleureusement. | |||||||||||||||||||||||||
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Annexe:Ar. no 442, fol. 33 Vo et 34.Le septiesme iour du mois d'octobre en l'an mil 5 ct septante et trois, après avoir bien et duement conféré toutes les parties contenues es vingt et six feillets de ce présent livre et de son journal, tenus pour les seules affaires du Sire Pierre Gassen par moy, Christophle, Plantin, nous, d'un commun accord les avons trouvé monter à la somme de soixante et ung mille quatre cents septante et deux florins neuf patarts et demy de payé par ledit Sire Pierre Gassen et reçus par ledit Plantin ou payés pour luy et que ledit Plantin, réciproquement avoit payé pour ledit Gassen la somme de soixante et trois mille six cents septante et six fl. trois patarts et trois quarts, parquoy reste dudit compte à payer audit Plantin par ledit Gassen, la somme de deux mille deux cents trois florins quatorze patt. et ung quart, lesquel 2203 fl. 14 ¼ ont esté déduicts audit Plantin par ledit Gassen sur la somme de quatre mille huit cents vingt et huit fl. quinze patt. et demy à quoy se sont trouvé monter le reste de tous les payements faicts par ledit Gassen à Mons. le Chevalier de Sèvre pour ces fermes annuelles de six années passées de la commanderie de Liège au nom et acquit de Monseigneur Claude de Withem, Seigneur de Risbourg, lesquels 2203 fl. 14 pat. ¼ déduits de la dite somme de 4828 fl. 15 ½ pat. tant pour lesdits payements du principal que pour les rentes iusques à ce jour. Reste que ledit Plantin doibt payer audit Gassen pour toutes conclusions du passé iusques à ceiourdhuy, la somme de dix sept cents trente et ung florin net et par ainsi, doibt ledit Plantin recevoir en son propre et privé nom toutes et quelquonques sommes de deniers tant principaux que des interests rentes ou despenses faictes ou à faire, pour ledit faict qui peuvent rester à estre payées tant par les héritiers des Coopman, les Vignon et Chastelain que par ledit Sr de Risbourg ainsi qu'il appert par deux bilan qui ont esté tirés, faicts et extraicts des articles de ce présent livre et soussignés par lesdites parties C. Plantin et P. Gassen desquels Bilan chaicun deux en a gardé ung par devers soy. Et ainsi demeurent lesdits Christophle Plantin et Pierre Gassen | |||||||||||||||||||||||||
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quictes lun vers lautre de tout le temps passé iusques au susdit iour présent. Et en tesmoing de la vérité, nous avons soussigné tous deux la page présente pour toute conclusion de comptes et quictance générale les ungs envers les autres excepté desdits dix sept cents trente et ung florins, deus par ledit Plantin audit P. Gassen. Facti en Anvers, lan et iour susdits, Ascavoir le septiesme iour doctobre de lan mil cinq cents septante et trois.
Ch. Plantin P. GassenGa naar voetnoot(129) |
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