De Gulden Passer. Jaargang 33
(1955)– [tijdschrift] Gulden Passer, De– Auteursrechtelijk beschermd
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[De Gulden Passer 1955][Nummer 1-2]Juan Martinez de Ripalda et le troisième volume de son De ente supernaturali (1648)
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un troisième tome. Il nous intéressera un moment. D'après Sommervogel, le titre complet en était: Joan. Martinez de Ripalda, e Societate Iesu, olim in Academia Salmanticensi Professoris Primarii, nunc in Supremo Senatu Inquisitionis Generalis Fidei censoris, Adversus articulos olim a Pio V et Gregorio XIII, et novissime ab Urbano VIII P.P. damnatos, libri duo, ad Disputationes de Ente supernaturali appendix, et tomus III. Coloniae Agrippinae, apud Cornelium ab Egmondt et Socios, 1648, 614 pages (sans l'appareil introductoire, 10 pp., les documents annexés, 22 pp., et les tables, 46 pp.)Ga naar voetnoot(1). D'après l'auteur lui-même, son troisième volume était donc effectivement un appendix, c'est-à-dire un supplément non prévu et difficile à intégrer de façon logique dans l'ouvrage. Si déjà en manuscrit, ce troisième volume ne fut pas sans causer quelque difficulté à l'auteur, il lui en aurait procuré bien davantage après sa publication, si, le 26 avril 1648, la mort n'était pas intervenue. En effet, à peine mis en vente ce tome supplémentaire fut attaqué par un livre intitulé: Joannis Martinez de Ripalda e Societate Nominis Jesu, Vulpes capta, per Theologos Sacrae Falcultatis Academiae Lovaniensis, Louvain 1649Ga naar voetnoot(2). Après deux siècles, ce troisième tome n'a d'ailleurs pas cessé de susciter certaines difficultés. Il pose notamment à l'historien moderne quelques petits problèmes concernant le lieu de sa publication, son titre original, son authenticité, son influence. Nous allons les exposer et essayer de les résoudre autant que possible. Nos problèmes et leur solution reposent sur quelques pièces de correspondance. Pour commencer nous ferons connaître les quatre principales, conservées au manuscrit II, 1220 de la Bibliothèque royale de BelgiqueGa naar voetnoot(3). Elles font partie des lettres que | |
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les jésuites belges au service de la cause antijanséniste échangeaient continuellement entre eux. Il s'agit de quatre missives du P. Adrien CromGa naar voetnoot(1), membre du Collège de Bruxelles, qui dirigeait l'activité antijanséniste de ses confrères et qui auparavant, préfet des études au collège de Louvain, avait pris une part prépondérante dans la préparation des fameuses thèses de 1641 contre l'Augustinus de Jansénius. Le destinataire de ces lettres était le P. François De Cleyn, professeur à Louvain, qui, dès le début, avait été, avec le P. Jean Bollandus d'Anvers, un des antijansénistes les plus zélés.
La première lettre du P. Crom relative à Ripalda date du 9 juin 1648: ‘Ultimis suis datis mense Maio huc perscripsit P. Bivero obiisse Madriti P. Ripalda, magno suo dolore, de qua morte et ego valde doleo, nec dubito quin Reverentia Vestra. Erat eius aetatis cuius P. Vasquez cum obiit. Dignissimus uterque vita longiore! Erat tunc P. Bivero collegii Madritensis vice-rector, nomine rectoris sui, qui tunc vice-provincialem, nescio qua de causa, agebat in quibusdam collegiis visitandis. Aiebat P. Bivero diutius victurum fuisse, si aulicus non fuisset. Forte quod casus Comitis-ducis et familiae in ipsum doloris non exiguam partem derivavit. Interim propterea non laborabit opus eius’...Ga naar voetnoot(2). Cette première mention de l'ouvrage du P. Ripalda devient plus claire dans la lettre du 13 juin 1648: ‘Urgetur opus P. Ripaldi. Iam novos aliquot terniones transmisit huc P. Bollandus, ut in iis quemadmodum in prioribus, errata corrigam. Scriptum etiam hoc cursore ad P. Bivero ut approbationem maturet. Dedicatoriam misit iam P. Bivero. Dedicatur autem P. Ludovico de Haro, novo comiti-duci, qui ob invidiam nominis prioris titulum illum dicitur detrectare, et solius “comitis” contentus vivere. Cum opus Ioannis EgmontiiGa naar voetnoot(3) typis, falso licet nomine, proditurum sit, operae pretium videretur, si Coloniensis approbatio accederet. Sed nescio an satis tuto illa expeti posset, vereorque ne nuntius apostolicus operam suam huic rei nollet | |
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impendere, vel etiam curiosius illud examinare, et sic moram inicere. Rogo R.V. ut quando P. Vander Veken scribet, iudicium eius inquirat’...Ga naar voetnoot(1). Le 5 août 1648, le même informe encore son correspondant: ‘... Properat ad finem Ripalda. Forte illi adiungemus bullam, brevia et huiusmodi. Habemus pro illo approbationem ex Hispania de quibus coram’Ga naar voetnoot(2). Le lendemain il ajoute: ‘... Quia mortuus est P. Ripalda, liberius aliquid addi illi poterit et addemus praeprimis bullam ut a Pio et Gregorio edita est, item ut ab Urbano VIII cum decreto Congregationis Sinnichio et Papio dato brevibusque omnibus et verisimiliter epistola Duacensium et illa ad D. Ab AngelisGa naar voetnoot(3), et rogo R.V. ut si vel horula sit otii dispiciat quid addi possit, quod breve sit et sapidum. Iam enim huic rei intendo cum R.P. Rectore nostroGa naar voetnoot(4), alias occupatissimo et distentissimo. Urgemur autem ut mittamus proxime hebdomade, nam ex improviso nos monet Pater Laurentii opus ad finem vergere, nec moras passurum typographum, quia mittere cupit ad nundinas. Addemus quoque promulgationem hispanicam a Diego de Arce ReinosoGa naar voetnoot(5) et decretum Burgundicum. Vellet R.P. Rector noster semel a R.V. huc transmitti bullam illam Gregorii antiquam, ut videamus vitia bullarum; servabo illam accurate, uti servo illam Reinoso, quae tamen vobis superest, et paratus sum redimere a P. Schilders, ut aerarium eius crescat. Rogo etiam ut R.V. semel perscribat ordinem episcoporum qui servari debet in brevibus imprimendis, et an vixerit tunc Iprensis, quando datum est ad illum breve. Sciet hoc R.P. Praefectus, quem salutoGa naar voetnoot(6). Illustrissimus D. Pronuntius etiam ardet ut denuo imprimat bullam et propediem faciet... | |
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Le lieu d'impressionDans sa lettre du 13 juin 1643, le P. Crom nous apprend qu'à cette date, le troisième tome de Ripalda est sous presse, même dèjà depuis un certain temps, puisque des nouvelles épreuves sont parvenues à Bruxelles. Bien plus, le tirage semble approcher de la fin, car déjà on fait pression sur l'imprimeur, on se préoccupe des approbations des censeurs et on cherche d'éviter des retards. Le P. Jean Bollandus, chef des Bollandistes à Anvers, homme très expert en affaires d'imprimerie, dirige l'édition du volume de Ripalda, comme autrefois il s'était chargé de celle des thèses de Louvain contre JanséniusGa naar voetnoot(1). Le livre sera dédié à Louis de Haro, le neveu et successeur de Gaspar de Olivares, le fameux ‘Conde-Duque’ dont le P. Ripalda fut jusqu'au bout, même dans la disgrâce, le confesseur très dévouéGa naar voetnoot(2). Le texte de la dédicace a déjà été procuré par le P. Pierre Bivero, jésuite de Madrid, qui, auparavant prédicateur à la Cour de Bruxelles, avait pris une part plus fébrile qu'efficace dans la première polémique contre JanséniusGa naar voetnoot(3). De lui, on attend également le texte des approbations qui doivent venir d'Espagne. Vraisemblablement il n'y met aucun empressement, puisque les censures qu'on lira bientôt en tête du troisième volume étaient déjà vieilles de trois ans. Puisque l'édition portera, à tort, d'ailleurs, l'adresse de Cologne, le P. Crom se demande s'il ne convient pas de joindre aux approbations espagnoles quelque censure de l'archevêque rhénanien. Il en avait été ainsi pour le second tome de Ripalda, qui, imprimé à Lyon en 1645, portait, outre l'approbation du provincial de Castille, deux autres approbations lyonnaises. De plus, les règles générales de l'index ne prescrivent-elles pas approbation de l'ordinaire ou de l'inquisiteur du lieuGa naar voetnoot(4)? | |
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Cependant, le P. Crom est le premier à entrevoir le danger d'une pareille démarche. Si on demande la censure à l'archevêque, il la refusera peut-être pour des raisons que nous tâcherons de démêler plus loin. Certes, on pourrait s'adresser au nonce, Fabio Chigi, qui est très lié avec les jésuites et tout particulièrement avec son ami et confesseur, le P. François Vander Veken, de la Province Flandro-Belge, auquel ses confrères ont l'habitude de s'adresser pour suggérer au nonce leurs désirs antijansénistesGa naar voetnoot(1). Mais, bien que très adversaire aux jansénistes, Chigi est un homme de lettres et un diplomate. Curiosité et diplomatie le porteraient facilement à examiner à son aise le texte de Ripalda et à causer ainsi de grands délais à la publication. Or l'approche de la foire des livres de Francfort, au mois de septembre, fait que l'imprimeur est pressé d'achever l'ouvrage. Qui est cet imprimeur? Certainement pas Jean d'Egmondt dont parle le P. Crom, ni Corneille d'Egmont que mentionnera le troisième volume. De l'aveu même de Crom, cette adresse est fausse. Puisque le P. Bollandus, qui habite Anvers, se charge de l'impression, on peut se demander s'il ne s'est pas adressé à quelque imprimeur de son entourage, où certes le choix ne manquait pas. Par exemple, ne pourrait-on penser à Jean van Meurs, qui avait un fils chez les jésuitesGa naar voetnoot(2) et dont les presses avaient travaillé souvent au service de la cause antijansénisteGa naar voetnoot(3). Cependant il faut chercher ailleurs. N'avons nous pas lu dans la lettre de Crom en date du 6 août ‘qu'à l'improviste le Père Laurentii a fait savoir que l'impression s'approche de sa fin’? Or ce Père, de son vrai nom Pierre Laurens, a été, d'après le | |
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Nécrologe du P. Alfred PonceletGa naar voetnoot(1), durant trente-huit ans missionnaire à Amsterdam. Vraisemblablement c'est donc de l'autre côté du Moerdijk qu'il faut chercher l'imprimeur de Ripalda. Aussi peut-on prêter foi aux Louvanistes, quand dans leur Vulpes capta, ils décrivent comme suit le volume qu'ils attaquent: Joannis a Ripalda, Societatis Jesus, Adversus Baium et Baianos, Coloniae Agrippinae, apud Cornelium ab Egmondt et socios, id est, Amstelrodami apud Ioannem Blauw. C'est donc la fameuse imprimerie de Jean Blaeu, déjà à cette époque internationalement connue pour ses cartes géographiques et surtout pour son Atlas, qui a fourni le bel in-folio de Ripalda. | |
La publication illégaleEn pleine décadence, l'Espagne du xviie siècle n'était certes pas un pays indiqué pour le commerce des livres. Aussi comprend-on facilement que Ripalda fit publier ses deux premiers volumes en France, où les conditions étaient plus avantageuses. On s'étonne cependant de le voir chercher plus au nord un imprimeur pour son troisième tome. Il est vrai, à cette époque, Cologne était une ville où les imprimeries (vraies et fausses) florissaient. Ripalda y avait vu paraître chez Bernard Gualterus son Expositio brevis Magistri sententiarum dans l'année même, 1635, où Hyacinthe Tabernier l'avait publié à Salamanque. Devant lancer son troisième volume, Ripalda avait à envisager une autre considération. Il n'y traita pas, comme dans les deux précédents, de dogmatique théorique, nourriture quotidienne des théologiens du monde chrétien tout entier; mais il y vint aux | |
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prises avec les jansénistes. Or ces nouveaux ‘hérétiques’ n'avaient aucune vogue en Espagne et par conséquent il était à prévoir que le livre en préparation ne s'y vendrait pas et que ni le provincial des jésuites de Castille ni quelque imprimeur de Salamanque voudraient courir le risque des frais d'édition. Au contraire, ce volume pourrait devenir un ‘best seller’ en France ou dans les Pays-Bas catholiques, où la polémique janséniste était très chaude. Ces raisons expliqueraient facilement une édition qui aurait été faite non pas en Espagne, mais ailleurs, par exemple en France, aux Pays-Bas, à Liège ou à Cologne, dont le nom figure sur le frontispice. Mais elles sont insuffisantes à nous faire comprendre pourquoi on ait cherché, pour une publication antijanséniste, un imprimeur dans un pays et une ville protestants, dont on tait le nom. Si par ses cartes géographiques, Blaeu avait un renom international, il n'était pas un libraire de théologie, et certainement pas de théologie catholique. Il est vrai, depuis de longues années il imprimait, à l'envie de ses corréligionnaires, des missels et des breviaires. Les jésuites recourraient souvent à luiGa naar voetnoot(1). Mais pourquoi le firent-ils également pour des publications aussi risquées que celles qui concernaient le jansénisme? En effet, en imprimant chez Blaeu à Amsterdam, mais en mentionnant Corneille van Egmondt de Cologne, l'auteur ne se lança-t-il pas dans la contravention tant aux lois ecclésiastiques que civiles? Cette illégalité n'était pas inconsciente et elle ne disparaissait pas par le fait que trois jésuites espagnols, cachant prudemment leur appartenance à la Compagnie, signent une approbation où ils font état de leur office de fidei censores. Même s'ils étaient effectivement des censeurs à Madrid, ils ne pouvaient nullement remplacer l'autorité diocésaine du lieu d'impression. Pourquoi s'est-on exposé aux risques de cette illégalité? Il faut exclure l'impossibilité d'imprimer aux Pays-Bas catholiques. Léo- | |
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pold-Guillaume, grand ami et protecteur des jésuites, plus grand adversaire des jansénistes, était gouverneur général à Bruxelles depuis l'année précédente 1647; la bulle In eminenti n'était toujours pas publiée, de sorte que le Conseil de Brabant ne pouvait pas l'invoquer, comme il le fera à la fin de 1651 (après la publication) pour empêcher le livre antijanséniste du P. Alexandre Sibille, dominicainGa naar voetnoot(1). Les censeurs ecclésiastiques, disposés à approuver quelque livre antijanséniste ne devaient nullement manquer, puisque, par ex., l'internonce, d'accord avec Léopold-Guillaume, venait de déposer en 1647 le censeur apostolique et royal de Louvain, Jacques PontanusGa naar voetnoot(2), qui était un janséniste, et de lui donner un successeur dans la personne du Père Michel Paludanus, augustin, qui était un janséniste convertiGa naar voetnoot(3). Cependant le grand tort de Ripalda était ailleurs. Pouvait-on en 1648 publier quelque livre contre les baianistes et les jansénistes? Les trois bulles pontificales, où Ripalda cherche son point de départ le défendaient expressément, même sous les peines les plus graves. Le jésuite espagnol le sait trop bien. Dans son livre II, disputation XXIV, section II, il consacre des pages à embrouiller les choses. Il appelle bulle d'Urbain VIII le décret du Saint-Office en date du 1er août 1641 afin de prouver que ce Pape n'a défendu que les controverses sur les auxilia. A l'appui de son point de vue, il cite une lettre ‘quam eminentissimus Cardinalis de Lugo, consultus a professoribus Lovaniensibus rescripsit’. Malheureusement, Jean de Lugo n'était pas encore cardinal quand il écrivit cette lettre, qui, en toute hypothèse, n'avait qu'une autorité très privée, contredite même par ces jésuites qui provoquèrent la réponseGa naar voetnoot(4). | |
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Il est vrai, les défenses des bulles n'étaient guère observées, ni par les jansénistes, ni par les antijansénistes. Mais un grand danger était récélé dans le fait que les jésuites belges, invoquant les bulles, faisaient la guerre aux publications jansénistes, les dénonçaient à Rome et les faisaient condamner. Ils avaient donc tout avantage à ne pas sortir eux-mêmes du légitime. Or, ils s'y risquaient en publiant Ripalda et en colportant les écrits antijansénistes de leurs confrères de France. Ici, en effet, la bulle ne fut pas strictement observée. Jamais les antijansénistes n'y cessèrent leurs publications. Les fameuses thèses de Louvain y furent rééditées, même à la suite de la bulle In eminenti, qui les condamnaitGa naar voetnoot(1). En 1645-1646 parurent trois éditions successives de la Defensio Censurae du P. Etienne Deschamps, qui, sous le pseudonyme d'Antoine Ricardus, s'en prenait, à l'exemple de Ripalda, aux propositions de Baius pour attaquer ses propres adversairesGa naar voetnoot(2). Les jansénistes belges s'en plaignirent. Voici, par exemple, la lettre qui fut adressée le 26 septembre 1646 à l'internonce de Bruxelles par un certain louvaniste qui se cachait sous les initiales S.I. (Sinnich Ioannes?): ‘Illustrissime Domine, Heri coepit Lovanii publice prostare tertia editio Antonii Ricardi, qui est professor apud Patres Societatis Lovanii, prohibitus per bullam Sanctissimi Domini Nostri Urbani VIII. Iesuitae eum bibliopolae suppeditaverunt, uti etiam nuper Dionysium Petavium, eadem bulla sub poena excommunicationis prohibitum. Galli Iesuitae quotidie scribunt contra miserum Jansenium, conantes S. Augustini et Ecclesiae catholicae Romanae, matris nostrae, doctrinam in eo opprimere. Rogo igitur per viscera misericordiae Iesu Christi, Domini Nostri, ut dignetur de veritate se informare et Sanctissimum Dominum Nostrum certiorem reddere, quam contemnatur et nihili fiat bulla Sanctissimi Domini Nostri VIII a Iesuitis. Deus Illustrissimae Dominationi Vestrae’...Ga naar voetnoot(3). | |
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Certes, au fond de son coeur, l'internonce, Antoine Bichi, très lié avec les jésuites, ne leur en voulait pas pour ces publications antijansénistes; bien au contraire; mais elles devaient l'ennuyer, cependant, du fait qu'on les lui jetait entre les jambes du moment où il insistait en haut lieu pour la publication et l'observation de la bulle. Prudemment, il transmit la lettre louvaniste à Rome... Il est donc assez probable, qu'au moment où il s'agissait de publier le troisième tome de Ripalda, l'internonce ait prié ses amis de ne pas le faire dans les limites de sa juridictionGa naar voetnoot(1). En cherchant donc ailleurs un imprimeur, pouvait-on mieux trouver qu'un typographe protestant en pays protestant? Lors de l'impression un tel n'aurait pas à craindre l'opposition de quelque évêque, ni éventuellement plus tard la confiscation en vertu des bulles même des papes Pie V, Grégoire XIII, Urbain VIII, qui, tous les trois, sous peines sévères, défendaient toute publication soit antibaianiste, soit antijanséniste. D'avance, ce plan pouvait sembler très attirant. Mais il ne pouvait conserver cet attrait que dans la supposition que le vrai lieu d'impression restait inconnu. Dans le cas contraire il deviendrait évident que la publication était illicite, même avec circonstances aggravantes. Contrevenant aux clausules de trois bulles pontificales et aux règles générales de l'Index, les auteurs du troisième tome avaient délibérément procédé à l'impression dans un pays et chez un imprimeur hors de l'atteinte de la Cour romaine. Une telle attitude devait devenir dangereuse, surtout du fait, répétons-le, que les jésuites belges firent continuellement appel aux bulles pour faire interdire les publications de leurs adversaires. | |
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Le titre du troisième tomeTel qu'on le rencontre ordinairement, le titre du troisième volume est assez innocent: adversus articulos olim a Pio V et Gregorio XIII et novissime ab Urbano VIII P.P. damnatos. La prudence et la ‘modestie’ recommandées par Jean de Lugo sont dépassées. Non seulement, il n'y est fait aucune mention expresse de Jansénius, mais même Baius est laissé dans l'oubli. L'attaque ne vise que des articles condamnés. Mais ce titre est-il original? Dans leur Vulpes capta du milieu de 1649, les Louvanistes donnent une description technique du troisième volume où le titre est libellé comme suit: Joannis a Ripalda, Societatis Jesu, Adversus Baium et BaianosGa naar voetnoot(1). Également Gerberon affirme que ‘le livre parut sur la fin de cette année [1648] avec le titre: Joannes Martinez de Ripalda, Contra Baium et BaianosGa naar voetnoot(2). Chose plus étonnante, le même titre figure sur la seconde édition de Vivès en 1872: R.P. Joannis Martinez de Ripalda, e Societate Jesu, olim in Academia Salmanticensi professoris primarii, postea in supremo senatu inquisitionis generalis fidei censoris. Adversus Baium et Baianos, ad disputationem de ente supernaturali appendixGa naar voetnoot(3). Il est vrai l'édition de Palmès, publiée vers la même époque, revient au titre ordinaire, sans mention de Baius. Les quatre jésuites espagnols qui donnèrent leur approbation en 1645 insinuent tous un titre où le nom de Baius est mis en relief. Finalement, le texte même du troisième tome conserve en tête du livre I et II (les seuls qui existent) le titre: Adversus Baium et Baianos. Il est donc évident que tel a été le titre primitif. Pour des raisons sans doute de prudence, on y a mis par après un autre. Cela d'ailleurs était facile du fait que l'un et l'autre étaient imprimés sur un feuillet indépendant du premier cahier. | |
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L'auteur du troisième tomeLes lettres citées plus haut nous ont appris que les jésuites belges étaient décidés, déjà avant la mort de Ripalda, d'ajouter certains documents au texte de l'auteur. En apprenant sa mort ils s'y prenaient avec d'autant plus de liberté. Après s'être consultés, ils enrichirent donc le livre de plusieurs documents, sans rapport direct avec son contenu. Ces documents, occupant onze feuillets, sont insérés entre la dernière page numérotée et les tables. L'imprimeur, dans une adresse au lecteur, en assume lui-même la responsabilité, mais il reconnait que ‘nonnemo’ lui a prêté secours. Ces documents sont tout d'abord la Confession de Michel Baius, la bulle d'Urbain VIII, et le décret du Saint-Office en date du 14 juin 1944, confirmant l'authenticité de cette bulle; ensuite les brefs d'Urbain VIII à François de Melo, gouverneur général, aux archevêques de Malines et de Cambrai, à l'évêque d'Anvers, aux universités de Louvain et de Douai; les brefs d'Innocent X au Marquis de Castelrodrigo, gouverneur général, aux archevêques de Malines et de Cambrai; aux évêques d'Anvers, de Gand, de Bruges, d'Ypres, de Ruremonde, de Tournai, de Namur et de Saint-Omer; aux universités de Louvain, de Douai et de Paris, au prof. Guillaume ab Angelis de Louvain, à Léopold-Guillaume gouverneur général; la promulgation de la bulle d'Urbain VIII par Diego de Arce Reinoso, inquisiteur général à Madrid, par les évêques d'Anvers, de Namur et de Besançon; finalement des attestations de professeurs de Louvain et de Douai. Tous ces documents, sans aucun doute, ont été ajoutés sur la seule initiative des jésuites belges. Naturellement on peut croire que ceux-ci ont pris d'autres libertés à l'égard du texteGa naar voetnoot(1). Il | |
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est même permis de penser que le manuscrit de Ripalda a été remis aux jésuites belges en vue de le rendre plus digne de la publication et plus efficace dans la lutte contre les jansénistes. Peut-on aller plus loin dans les suppositions et se demander si l'ouvrage entier soit dû aux jésuites belges? Il semble bien que non. En effet, dès le tout premier début du jansénisme, les mêmes jésuites avaient pu gagner à leur cause le P. Ripalda, qui à cette époque se trouvait déjà à Madrid comme professeur d'éthique. Il était en outre censeur de l'Inquisition et confesseur du grand Conde-Duque. C'est lui qui fit dénoncer l'Augustinus sans faire savoir que l'initiative venait des jésuites, comme c'est encore lui qui fut désigné par l'Inquisition de faire le rapport sur le livre incriminéGa naar voetnoot(1). Cette ‘censure’, en date du 18 septembre 1641 est signée des jésuites suivants: Pierre Gonzalez de Mendoza, Luc Rangel, Jean de Robledo, François de Parejas, Augustin de Castro, Alphonse de Castro, Jean Baptiste Davila, Jean Martinez de RipaldaGa naar voetnoot(2). Ce dernier alla plus loin. En effet, dans une lettre du 26 mars 1642, nous apprenons: ‘Heri advenit cursor Hispaniae... P. Joannes Martinez de Ripalda habet secundum tomum sub prelo Lugduni. Parat tertium, ubi impugnabit Baium et, tacite nomine, Jansenium, eius asseclam’Ga naar voetnoot(3). Cet ouvrage prit beaucoup de temps à l'auteur, qui dans sa qualité de confesseur du Conde-Duque dut suivre la Cour dans ses déplacements et après 1642 se retirer en exil avec le premier ministre disgracié. De telles circonstances étaient peu propices pour un travail qui se révélait plus historique que spéculatif. En | |
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tout cas, en publiant en 1645 le second volume à Lyon, et en le nommant ‘tomus posterior’, il semble avoir renoncé au troisième en préparation dès 1642. Mais après la mort du Conde-duque (le 22 juillet 1645), en dépit de la veuve qui demanda son appuiGa naar voetnoot(1), le P. Ripalda a sans doute trouvé des loisirs pour reprendre son troisième volume oublié depuis longtemps. | |
L'influence du troisième tomePour prouver ‘l'utilité publique’ du Ente supernaturali en général, Augustin Arbeloa Egüés fait appel à ‘ses nombreuses éditions’Ga naar voetnoot(2). Quant au troisième tome en particulier, il soutient, en citant S. HarentGa naar voetnoot(3), que ce livre contribua en 1653 à la condamnation des cinq propositions de Jansénius. Cependant, faisons-le remarquer, durant plus de deux siècles le troisième volume ne connut l'honneur d'aucune rééditionGa naar voetnoot(4). La première n'eût lieu qu'en 1872 et elle fut faite sans participation de la part des jésuites. Quant au témoignage du P. Harent, cité par Arbeloa, il est peu probant, car, en réalité, il n'affirme rien. En effet, le jésuite anglais se limite à soutenir que le troisième volume, ‘un puissant ouvrage’, a ‘peut-être contribué à la condamnation des cinq propositions’. P. Dumont, dans la notice qu'il consacre au P. Ripalda dans le Dictionnaire de Théologie, s'exprime également avec beaucoup de réserve. ‘Cette critique du baianisme, écrit-il, ne passa pas inaperçue et produisit vraisemblablement quelque effet’Ga naar voetnoot(5). Néanmoins l'auteur affirme que Ripalda ‘est fort bien documenté’ et qu'il ‘cite et discute minutieusement les passages de saint | |
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Augustin exploités par le docteur de Louvain’. Il admet que son exégèse est trop dialectique, et conclut: ‘à tout le moins trouvera-t-on dans l'ouvrage du professeur de Salamanque tout le matériel de citations patristiques dont s'alimentait la controverse’. Hurter est très prudent également. Pour lui, le troisième tome est un ‘opus admodum rarum ingentique pretio aetate nostra propter controversias hoc de argumento obortas conquisitum, hinc iterum Parisiis 1870... recusum’Ga naar voetnoot(1). Les historiens jésuites n'en parlent guère. Rapin ne fait que mentionner la réplique des louvanistesGa naar voetnoot(2); Patouillet en mentionnant celle-ci, ne fait aucun état du troisième volumeGa naar voetnoot(3). Astrain atténue le troisième volume, qui est un gros in-folio, jusqu'à le nommer ‘un petit traité’ qui procura à l'auteur ‘quelques répliques’ des louvanistesGa naar voetnoot(4). Un des effets certains du troisième tome, c'est d'avoir provoqué une réponse, une seule, des Louvanistes intitulée: Joannis Martinez de Ripalda e Societate nomine Jesu Vulpes capta, per Theologos Sacrae Facultatis Academiae Lovaniensis. Au frontispice, elle ne porte que la date: anno 1649. Au revers de la dernière page, on lit l'adresse typographique suivante: Lovanii. Apud Georgium Lipsium Sacrae Facultatis Bedellum. De mandato eiusdem Sacrae Facultatis. Elle parut au mois d'août de l'année citée. Selon Arbeloa Egüés, cet ouvrage aurait été imprimé, en dépit de l'adresse mentionnée, à AmsterdamGa naar voetnoot(5). Je crois cependant que cette affirmation repose sur un malentenduGa naar voetnoot(6). On a l'habitude d'attribuer ce livre soit à FroidmontGa naar voetnoot(7), soit à SinnichGa naar voetnoot(8). Cependant, nous verrons tout à l'heure que conformément au titre, il fut le fruit de la collaboration des professeurs de Louvain. | |
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Ceux-ci attribuent la première prise de position à certains prélats. ‘Cum enim grandem Joannis a Ripalda... librum... viderent Sociorum favore et elogiis per omnium manus volare, et una audissent variis mendis erroribusque maculosum ac periculosum esse, ne multi imprudentes, doctrinae eius pravitate imbuerentur, monuerunt ut eum inspiceremus, et an talis esset qualis ferebatur dispiceremus. Fecimus sed ut in imminentis mali periculo solet, raptim et festinato. Maculas non omnes, sed insigniores tantum aliquot nudavimus; unde de tota libri turbitudine facilis coniectura et iudicium esset’Ga naar voetnoot(1). Puisque les jésuites belges s'étaient chargés de l'impression, il est facile à croire, qu'ils distribuèrent les exemplaires assez largement dans l'entourage de Louvain et de BruxellesGa naar voetnoot(2), et qu'ils en firent de grands éloges. Or, à cette époque, qui coïncidait avec la première période du gouvernement de Léopold-Guillaume, la lutte janséniste était forteGa naar voetnoot(3), surtout en raison de la publication de la bulle In eminenti que le roi avait commandée dès le commencement de 1646, mais à laquelle l'archevêque de Malines, l'évêque de Gand, les abbés de Prémontré et l'université de Louvain s'étaient opposés. Précisément au printemps 1649, ils avaient envoyés à Madrid deux députés afin d'obtenir l'appui du roi pour la doctrine augustinienne.
Le 26 juin 1649, Henri Calenus, un des premiers jansénistes, archidiacre et commensal de l'archevêque de Malines, écrit aux députés de Madrid: ‘Nostri Lovanienses examinant opus Ripalda, Hispani, egregii impostoris Spero quod mundus cito cito videbit eius nequitiam et imposturas. Ego obstupesco tantam nequitiam; et quando mundum eam videbit, obstupescet et indignabitur contra tam infames homines’Ga naar voetnoot(4). | |
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Il ne reste plus de doute sur l'identité des prélats qui rappelèrent aux théologiens de Louvain qu'ils avaient été ‘placés comme gardiens des vignes’ et qu'ils avaient à en chasser les renards.
Sous la date du 16 mai 1649 on lit dans les Acta Facultatis theologicae: ‘Convocata est facultas sub iuramento ad dispiciendum, quid facto circa examen novi operis Ioannis de Ripalda, Jesuitae, in quo aliqui Eximiorum Dominorum dicebant multas falsitates et corruptiones textuum Sanctorum Patrum contineri. Itaque unicuique sua pars legenda et annotanda assignari placuit’Ga naar voetnoot(1). Une main postérieure y a ajouté: ‘Et ex omnium Eximiorum Dominorum animadversionibus concinnatus est libellus quem Vulpem captam appellare placuit’. Il faudra donc admettre que le Vulpes capta est un ouvrage de collaboration et qu'on ne peut pas l'attribuer exclusivement ni à Sinnich ni à Froidmont. Le jugement que les vieux auteurs ont porté sur le Vulpes capta varie suivant le parti auquel ils appartenaient. D'après Rapin, ‘Froidmont ne répondit à un si solide écrit [de Ripalda] que par certains traits d'une raillerie fort puérile, en faisant le fanfaron sur des citations du jésuite peu exactes, qui sont des fautes moins d'ignorance que de surprise et auxquelles sont sujets les plus savants’Ga naar voetnoot(2).
Le jugement de Gerberon diffère du tout au tout: ‘... Aussitôt que cet ouvrage [de Ripalda] fut en lumière, les théologiens de Louvain y aperçurent tant d'erreurs et de si grandes bévues, qu'ils se crurent obligés de les faire connaître pour désabuser le monde, ou plutôt pour empêcher qu'il ne fut trompé par les faussetés et les erreurs dont ce nouveau livre était | |
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rempli. Et parce que cet auteur, par une méprise fort grossière, avait rapporté comme des sentiments très catholiques et qu'il tenait, ceux que saint Prosper décrit et réfute comme les erreurs des Semi-Pélagiens, ces théologiens intitulèrent l'ouvrage qu'ils firent contre ce fameux professeur: Patris Joannis a Ripalda, Societatis Nominis Jesu, Vulpes capta per theologos Sacrae Facultatis Academiae Lovaniensis, 1649. Chez les auteurs modernes on trouve également des appréciations divergentes. A. De Meyer écrit: ‘... Comme la plupart des théologiens de son époque, Ripalda se montrait peu disposé à s'engager sur le terrain purement historique. Malheureusement pour lui, il s'y était risqué quelquefois, et, comme il n'avait pas le sens critique très développé, il y avait commis quelques bévues. Les jansénistes ne laissèrent pas échapper une si belle occasion de mortifier un adversaire, dont les Jésuites se glorifiaient à juste titre. En 1649 parut à Louvain un écrit mordant, dans lequel Ripalda fut convaincu de certaines erreurs historiques’Ga naar voetnoot(2). | |
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Emilio Ruso n'admet même pas ces ‘certaines erreurs historiques’Ga naar voetnoot(1). Arbeloa Egüés soutient que l'ouvrage de Ripalda est bien documenté. Pour preuve il allègue que l'auteur put employer les opuscules de Baius, ce que Vasquez n'avait pas pu faire. Et il continue: ‘A ello se debe el que Ripalda pusiera tan certeramente el dedo en la llaga Lovaniense y el que la obra del Navarro [Ripalda] irritara tan en alto grado a los profesores de aquella Universidad, como aparece en la áspera contestación que le dieron, si contestación se puede llamar a lo que, más que responder a una argumentación, lo que intenta es el descrédito del Jesuita sin preocuparse de racionamientos serenos. Ouvrons un instant le Vulpes capta. Ce qui frappe d'un bout à l'autre, c'est la préoccupation respectable des premiers jansénistes, de sauvegarder la doctrine de saint Augustin. S'ils semblent vouloir défendre les propositions de Baius, s'ils en veulent à Ripalda, c'est parce qu'en conscience ils croient devoir défendre la doctrine du grand docteur d'Hippone, laquelle à leur avis, est celle de l'ÉgliseGa naar voetnoot(3). C'est pourquoi ils attaquent Ripalda sur le | |
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terrain de la théologie positive. Ils le poursuivent avec acharnement et à visière ouverte. Au quatrième chapitre (De falsis citationibus Ripalda)Ga naar voetnoot(1) ils usent d'une méthode convainquante, mettant en parallèle, d'un côté les citations patristiques de Ripalda, de l'autre le texte des Pères respectifs.
A eux seuls les entêtes des vingt-quatre paragraphes sont éloquents: § 1-§ 2. Ripalda accipit verba disputantis pro sententia resolventis; Le titre du cinquième chapitre annonce: Ripaldae praxes a christiana sinceritate alienae deteguntur: prima, suspectos vel apocryphos auctores pro classicis venditandi; secunda haereticos sub nomine orthodoxorum Patrum obstruendi; tertia unicos auctores in plures multiplicandi et distribue sur dix-neuf paragraphesGa naar voetnoot(2) les cas où la sincérité de Ripalda est trouvée en défaut. Au dernier paragraphe, le vingtième, qui sert d'épilogue, les auteurs protestent hautement qu'ils ne sont mus par aucune haine contra la Compagnie. Ils n'en veulent qu'au livre de Ripalda, qu'ils trouvent: turpis, deformis et... Augiae stabulum. Faisant l'histoire externe du troisième tome de Ripalda, il ne | |
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nous appartient pas de contrôler les affirmations du Vulpes capta. Mais il est évident que ce livre n'est nullement un pamphlet. Au contraire c'est une réfutation méthodique. Si les Louvanistes se trompaient, si leurs parallèles étaient faux, si les connaissances patristiques du Navarrois surpassaient celles des Brabançons, pourquoi les confrères de l'auteur, (déjà mort avant la publication de l'ouvrage) n'ont ils pris sa défense? Les jésuites n'avaient pas coutume d'abandonner facilement les ouvrages des leurs, même de moindre importance que ceux de Ripalda.
Malheureusement nous n'avons que peu de renseignements sur la réaction des jésuites belges. Voici quelques détails. Libert Froidmond écrit, le 22 août 1649, à Jean Recht, le député universitaire à Madrid: ‘... Exiit etiam in lucem breve facultatis nostrae scriptum adversus Ripaldam, quo explicantur viscera et sordes, quibus scatet ille liber. Interim Socii non cessant alios indies libellos tam latine quam gallice pro sua turpi causa scribillare, quibus etiam non segniter respondetur. Breviter vires et navi homines, Deo laus, causae Dei et nostrae quotidie accedunt, et quo magis materia ista gratiae Dei exagitatur, eo plenior lux divinitus affulget, qua animae praesertim piae veritatem agnoscunt et uberius eam in se experiuntur et sentiunt. Multi enim etiam Sociorum, ut quidam aiunt, ad nos accederent aut fluctuarent, si lectio libellorum qui quotidie in publicum eunt ipsis permitteretur. Sed superiores strictissime iis inhibent ne legere possint, cum tamen illi inferiores potestatem habeant legendi Lutherum et Calvinum. Dès le commencement d'octobre le Vulpes était déjà arrivé à Madrid. Le 13 du même mois, Ignace Gillemans, le compagnon de Recht écrit de la capitale espagnole: | |
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‘Scriptum contra Ripaldam hic placuit quibus ostendimus. Tres illius libri censores Jesuitae sunt: Guadingus, successor ipsius Ripaldae in cathedra in Collegio Imperiali Madriti; alter est concionator regius; et notandum quod non soleant apponere Societatem in subscriptione, sed inter alios, titulos, supra per modum tituli’Ga naar voetnoot(1). A Paris, Martin de Barcos, neveu et successeur de feu l'Abbé de Saint-Cyran, obtint le Vulpes dès le comencement de septembre. Le 3 de ce mois, il écrivit à son ancien maître, Henri Calenus, avec lequel il entretenait une correspondanceGa naar voetnoot(2): ‘Litteris illis quae vel perierunt vel adhuc ignotae alicubi errant, scribebant perlatum ad me fuisse Ripaldam meumque de illo iudicium significabam simile vestro. Postea accepi laqueum illum quo Vulpes capta est, qui mihi magna voluptatis fuit et gaudio. Non dubito quin multum utilitatis publicae afferat, tum ad obruendos Augustini adversarios, tum ad confirmandos eius cultores. Visus sum mihi in eo quaedam HomologiGa naar voetnoot(3) vestigia cernere. Gratulor illi et constantiam et peritiam tam bona in causa. Etsi non levi bracchio sicophantam illum agitavit, fuit tamen in eum levior, omissis erroribus fortasse in posterius antidotum, quod ei parari perscribitis’. Faisons le point: le troisième volume est un ouvrage illégal. Il contrevient directement aux stipulations des bulles de Pie V et de Grégoire XIII, confirmées par Urbain VIII; aux décrets de Paul V et d'Urbain VIII et surtout à la bulle de ce dernier Pape. Il pèche ouvertement contre ces bulles de trois Papes dont il reproduit le texte, commente le contenu, défend le bon droit. Cette contravention devient plus grave par le procédé de la publication. L'adresse typographique est fausse; l'approbation requise de l'évêque du lieu manque. | |
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Cette déficience est à nouveau aggravée par le fait qu'on a eu recours à un imprimeur protestant, dans un pays protestant, visiblement avec l'intention de soustraire éventuellement le volume imprimé aux conséquences d'une mesure répressive de Rome. Une dernière circonstance aggravante est celle-ci: dès le début les jésuites n'ont pas cessé de dénoncer les publications illégales de leurs adversaires, et ils ont réussi à en faire condamner plusieurs. Il était dangereux pour eux de donner prise aux adversaires qu'ils avaient attaqués. Les Louvanistes ne tardent pas de profiter de la belle occasion de revanche qu'offre le troisième volume de Ripalda. De suite, ils stigmatisent l'adresse de Corneille Van Egmondt à Cologne et signalent celle de Jean Blaeu à Amsterdam. Cependant, de cette identification ils ne tirent pas tout l'avantage qui s'offrait à eux. Ils ont un plus beau terrain pour affronter leur adversaire: sa méthode historique. Ils lui opposent une critique écrasante: fausses attributions des textes, fausses interprétations, falsifications. Leur procédé est convainquant: en colonnes parallèles, ils juxtaposent les citations de l'auteur et les textes des Pères. Ils annoncent qu'ils se sont limités à relever les plus grosses, et qu'ils sont prêts à revenir sur le reste. Les Louvanistes sont bien certains de leur fait. Ils ne parviennent pas à cacher le plaisir qu'ils trouvent à manifester les viscera et sordes du Goliath que les adversaires ont avancé contre eux. Ils ne sont pas seuls à juger sévèrement le troisième tome. En même temps qu'eux, Martin de Barcos, à Paris, parvient à une conclusion peu favorable. Ceux qui sont moins sagaces et moins érudits peuvent juger à l'aide du Vulpes capta. Celui-ci fait bonne impression à Madrid et à Paris, nous le savons. Comment est-il reçu à Rome? Les exemplaires n'y ont pas manqué. Aujourd'hui encore on en trouve plusieurs dans les biobliothèques publiques. Il a été dénoncé au Saint-Office; et même condamné, mais, fait étonnant, seulement en 1654, une année après la bulle Cum occasione condamnant les cinq pro- | |
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positions, quand pratiquement la bataille est livrée et on passe à la liquidation des victimesGa naar voetnoot(1). Dans l'entretemps, qu'est devenu le volume de Ripalda? A-t-il été cause de cette condamnation des cinq propositions? Y-a-t-il pour le moins contribué? Plus haut nous avons vu annoncer par Froidmont que les jésuites belges cherchaient à se dissocier de la cause de Ripalda, du moment où elle prenait une mauvaise tournure. Venant d'un janséniste cette nouvelle pourrait paraître suspecte. Mais il a plus d'un fait pour la confirmer. Tout d'abord, le premier titre a été changé après coup, signe évidant que le vent n'était pas favorable. Ensuite, les jésuites n'ont pas répondu au terrible coup que le Vulpes capta portait à Ripalda, ‘tourné, d'après Gerberon, tellement en ridicule, qu'il ne fut pas besoin d'écrire davantage contre ce livre’. Enfin de l'aveu de tous, le troisième volume est très rare. Willaert dans sa Bibliotheca Janseniana Belgica n'a pu signaler aucun exemplaire. Sommervogel s'exprime de façon à faire douter s'il l'a eu en main. A Rome, où les exemplaires auraient dû affluer pour l'usage du Pape, des cardinaux, des consulteurs et des qualificateurs, on en trouve à peine quelques spécimens; aucun à la Bibliothèque vaticane, où cependant sont entrées tant de bibliothèques particulières, entre autres celles des Chigi et des BarberiniGa naar voetnoot(2). | |
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Peut-on croire qu'un volume répandu copieusement dans un premier instant, n'ait connu qu'un tirage très restreint? Dans ce cas là, il n'en reste pas moins à expliquer l'absence d'exemplaires à la Bibliothèque vaticane et la rareté aux autres bibliothèques romaines. Peut-on échapper à la conclusion que le troisième tome de Ripalda fut retiré du commerce, soit sur le désir de RomeGa naar voetnoot(1), soit par prudence, soit simplement par honte? |
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