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In memoriam
Louis Polain.
On a parlé quelquefois de ‘Martyrs’ de la bibliographie.
Jamais ce titre, à la fois glorieux et pitoyable, n'a été plus mérité que par feu Louis Polain, car il éprouvait comme les vrais martyrs une âpre joie dans la souffrance, une allégresse dans le sacrifice.
Tout ce qui pour le commun des mortels fait la douceur de la vie, il l'avait sacrifié á son amour du livre. Il n'avait aucun besoin. A le voir dans sa chambrette, rue Madame à Paris, tout encombrée de livres, de dossiers, de papiers et de fiches, on pouvait se croire dans la cellule d'un moine. Et c'est bien à ce qu'on apelle un travail de bénédictin que fait songer l'oeuvre de Louis Polain. OEuvre de patience d'abord, de méthode, de scrupuleuse exactitude ensuite et enfin, oeuvre de longue haleine et qui suppose non seulement de très nombreuses heures d'application, mais encore de vastes connaissances approfondies et précises.
A la mort de Mademoiselle Marie Pellechet qui s'était chargée de dresser le catalogue des incunables des bibliothèques françaises, ce fut Louis Polain qui continua l'ouvrage inachevé et l'on désigne actuellement par: Pellechet le tome I de ce catalogue et par Pellechet-Polain les tomes II et III.
Se figure-t-on ce que représente de recherches, de vérifications, de comparaisons, de flair même, la composition d'un catalogue d'incunables? Pour s'en faire une idée, qu'on lise l'Introduction que M. Polain lui-mème a donnée à son Catalogue des Livres Imprimés au quinzième siècle des Bibliothèques de Belgique, qui fut publié en 1932 par la Société des Bibliophiles de Belgique. On y verra d'abord que l'auteur a vu par lui-même ‘la presque totalité des volumes décrits dans ce catalogue’, et il y en a plus de 4000. A chacun d'eux est consacrée une notice qui comprend: 1o le nom de l'auteur, le titre de l'ouvrage décrit, ou, s'il y a lieu, des divers écrits principaux contenus dans une même édition, avec le nom de leurs auteurs. Enfin l'adresse typographique, lieu d'impression, noms d'imprimeurs ou libraires et dates, 2o la collation de l'édition, 3o la
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description proprement dite, 4o l'indication des exemplaires existant dans les diverses bibliothèques.
Or, ces incunables sont écrits en latin, en grec, en hébreu, en français, en flamand, en espagnol, en italien. Les noms d'auteurs sont parfois supposés, et chaque fois qu'il a pu, M. Polain a rectifié l'indication du livre; certains ouvrages sont anonymes, d'autres sont mal datés. Tout cela, comme on le voit, demande un examen minutieux et de longues recherches. Saura-t-on jamais ce que les travailleurs doivent à ces patients chercheurs qui dressent pour eux des catalogues et des inventaires? Sommes-nous assez reconnaissants aux De Bure, aux Quérard, aux Barbier, aux Cohen, aux Nyhoff, aux Hain, aux Campbell, aux Dahlmann Waitz, aux Lanson, aux Pellechet et aux Polain pour les services qu'ils nous rendent? On n'admire pas assez les véritables érudits. Ils cultivent et nous nous nourrissons de leur pain. Et il est juste de rendre un pieux hommage à la mémoire de ces probes et modestes ouvriers de la science, sans le dévouement desquels bien des grands travaux ne pourraient jamais voir le jour. Qu'un érudit aussi savant que feu Louis Polain ait consacré les meilleures heures de sa vie à un travail ingrat et pénible pour élever à la gloire les Lettres et de l'Imprimerie des monuments comme le Pellechet-Polain et le Catalogue des Incunables de Belgique ne surprendra pas ceux qui comprennent l'importance du travail désintéressé.
Et s'il faut toujours tenter de dégager dans un homme, ou dans une oeuvre, ce qui est digne d'amour, la vie ascétique de cet austère bibliographe, qui était dans le privé un Liégeois jovial et spirituel, est une leçon digne de l'antique. Une vie entière consacrée avec une abnégation monacale à un idéal de travail et de probité intellectuelle, sans aucun souci de profits matériels ou de vanité, est un exemple assez rare aujourd'hui pour qu'on le cite et qu'on s'incline avec une respectueuse émotion devant la tombe de celui que l'amour du Livre brûla d'une si vive ardeur.
Baron Delbeke.
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Notice bibliographique des oeuvres de Louis Polain.
1o | Catalogue de la Bibliothèque du Musée Th. Dobrée (de Nantes) t. II. Imprimés. 1e partie, Nantes 1903, 8o, XI-610 pp. |
2o | Catalogue général des Incunables des Bibliothèques de France, publiée par Melle Marie Pellechet. L. Polain continua l'ouvrage
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| interrompu par la mort de Melle Pellechet. Il publia en 1905 le t. II et en 1909 le t. III qui s'arrête aux deux tiers environ de la lettre G. |
3o | Marques des Imprimeurs et Libraires en France au XVe siècle. Paris E. Droz, 1926, 4o, VIII-207 pp. |
4o | Catalogue des Livres imprimés du XVe siècle des Bibliothèques de Belgique. Bruxelles, Société des Bibliophiles et Iconophiles de Belgique, 1932, 4 vol,, gr. 8o. Les tables, qui achèvent ce catalogue, constituent une oeuvre originale susceptible de rendre les plus grands services. |
M. Polain a écrit encore plusieurs articles dispersés dans plusieurs revues, et donna aussi des conférences, dont une à Anvers en 1926, á l'occasion du 50e anniversaire du musée Plantin-Moretus, sur: les Imprimeurs anversois et Plantin.
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Fernand van Ortroy.
La bibliographie, l'histoire de nos vieilles impressions et celle de nos vieilles cartes, doivent beaucoup à l'érudit scrupuleux, laborieux et modeste qui s'est éteint à Blankenberghe, le 27 août 1934, à l'âge de 78 ans. Dans un recueil consacré à ces disciplines, il importe d'évoquer un instant sa mémoire et de rendre à son activité scientifique l'hommage qu'elle mérite. Ce devoir s'impose d'autant plus, que Fernand Van Ortroy collabora au Compas d'Or et lui donna deux de ses meilleurs travaux: l'un, en 1924, traitant d'une dynastie d'imprimeurs, Les Van Bomberghen d'Anvers, l'autre, en 1929, consacré à une famille de cartographes, Les Verbist.
Nous touchons ici les deux domaines auxquels cet ancien officier de cavalerie, devenu en 1899, à quarante-trois ans, professeur de géographie à l'Université de Gand, consacra le meilleur de ses efforts: le passé de notre typographie, d'une part, les grandes figures et les oeuvres importantes de l'école cartographique des anciens Pays-Bas, de l'autre. Quiconque s'est quelque peu occupé de ces sujets, sait, d'ailleurs, quels liens étroits les unissent, particulièrement pour ce qui concerne le XVIe et le XVIIe siècle.
En dehors de l'article déjà cité, sur les Van Bomberghen, de quelques comptes-rendus et de notices parues dans la Biographie Nationale, l'apport principal de Van Ortroy à l'histoire de notre
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typographie est constitué par sa Contribution à l'histoire des imprimeurs et des libraires belges établis à l'étranger: série d'articles où la minutie des descriptions bibliographiques n'a d'égal que la conscience avec laquelle sont établies les données biographiques (Revue des Bibliothèques, 1924, 1925, 1926).
C'est aussi le caractère bio-bibliographique qui domine dans les travaux consacrés par Van Ortroy aux anciens cartographes de notre pays, et même de l'étranger: Bibliographie sommaire de l'oeuvre mercatorienne (Revue des Bibliothèques, 1918-1920), Bi0-Bibliographie de Gemma Frisius... (Bruxelles, 1920), Notes préliminaires pour la bibliographie d'Abraham Ortelius (Bulletin de la Société Royale Belge de Géographie, 1914-1919), Bibliographie de l'oeuvre de Pierre Apian (Bibliographe moderne, 1901), Chrétien Sgrooten (Annales de l'Académie Royale d'Archéologie de Belgique, 1923), L'oeuvre cartographique de Gérard et Corneille De Jode (Gand, 1914), Jean Van Schille... (Fédération archéologique et historique de Belgique, XXIe Congrès, Gand 1913; Annales, II), l'article déjà cité sur les Verbist... Et nous ne faisons état, ici, que des publications les plus essentielles.
En accomplissant cette oeuvre, toute de rigueur, de minutie, de soin, en recherchant, en identifiant, en classant les cartes anciennes, en établissant leur origine ou leur filiation, en déterminant le curriculum vitae de leurs auteurs, Van Ortroy a jeté les bases solides de l'histoire de notre cartographie et il a même contribué à fixer ou à étendre celles de l'histoire de la cartographie allemande. Avec le désintéressement du vrai savant, il a travaillé pour les autres. On se tromperait, cependant, si l'on voyait en Van Ortroy exclusivement un bibliographe. Il a montré par plus d'un travail ce dont il était capable en fait d'histoire ‘interne’ de la cartographie. Son étude sur la plus ancienne carte gravée de la Flandre (Carte de Flandre de 1538, publiée à Gand par Pierre van der Beke... Gand, 1897), son aperçu d'ensemble sur l'OEuvre géographique de Mercator (Revue des questions Scientifiques, 1892-1893), ses recherches sur Les sources scientifiques de la géographie mercatorienne (Mélanges... Henri Pirenne, II, Bruxelles, 1926) en portent témoignage.
L'histoire de la cartographie des anciens Pays-Bas était le vaste sujet auquel Van Ortroy rêvait de consacrer un grand livre, qui eut été le couronnement de sa carrière. Le rêve a reçu, tout au moins, un commencement de réalisation. En tête de l'excellent cata-
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logue de l'Exposition de la cartographie belge aux XVIe, XVIIe
et XVIIIe siècles, organisée au Musée Plantin-Moretus à l'occasion du Cinquantenaire de la Société Royale de Géographie (Anvers, 1926), Van Ortroy a placé une copieuse introduction, qui constitue la meilleure des initiations à l'étude de cet admirable sujet.
Pour tous ceux qui ont connu Van Ortroy, l'image de l'homme se superpose à celle du savant. A la conscience, à l'ardeur au travail, à la perspicacité de l'un, correspondent la bonté, la loyauté, le patriotisme de l'autre. Ses collègues, ses élèves, ses amis ne lui rendent pas uniquement hommage en pensée: ils lui conservent une place dans leur coeur.
F.L. Ganshof.
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