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[Nummer 1]
Quatre images populaire Anversoises inconnues.
Dans l'Histoire de l'Imagerie populaire flamande, publiée en 1910 avec la collaboration de notre ami M. le Dr G.J. Boekenoogen, de Leyde, nous disions, en décrivant l'image no 54 de la maison Brepols, de Turnhout, que comme presque toutes les locutions populaires qui accompagnent les bois gravés appartiennent au dialecte anversois, il était fort probable que l'image de Turnhout n'est qu'une copie modernisée d'une ancienne image anversoise. Il en est bien ainsi. Nous venons d'acquérir pour nos collections, par voie d'échange, quatre planches en taille-douce, dont trois à proverbes. Elles ont été trouvées dans le grenier poussiéreux d'une antique maison patricienne d'Anvers et il est hors de doute que ces planches sont anversoises et ont été exploitées dans notre ville natale, bien qu'elles ne portent ni nom de graveur ni nom d'éditeur. Elles remontent à la fin du XVIIIe siècle et au commencement du XIXe; elles mesurent 343 mm. sur 300 mm. Les images étaient donc du format ordinaire de nos vieilles images populaires flamandes, dit pot.
Une de ces planches à proverbes est probablement le prototype de la planche gravée en bois de Brepols (no 54); elle lui est en tout cas antérieure. Nous allons mentionner les légendes de ses trente sujets allégoriques, dont l'ordre est le même que celui de l'image de Turnhout. Nous donnons d'ailleurs une reproduction des deux images, ce qui nous dispense d'en donner une description, et une traduction libre des savoureuses locutions.
Hy schiet met spek (C'est un hâbleur). - Hy heeft het spek weg (Il en déjà tiré tout le profit). - Hy kan het niet volhoudē (Il ne persévérera pas) - Hy scheurt er zijn kleere aen (Il y perd de l'argent). - Hy ziet hem koomen (Il s'apprête à le tondre). - Hy heeft de flesch (Il est dupé). - Dat ziet er rot uyt (Cela prend mauvaise tournure). - Hy is eenen voddeman (C'est un homme peu sérieux). - Hy maekt hem een kleeken (Il le gronde). - Pekrul (Vieillard). - Tikkenhaen (Tricorne: prêtre). - Hy maekt mannekens (Il fait des façons). - Zulke volk zulken wierook (Tel peuple, telle renommée). - t'is den hond gevloeyt (A blanchir un nègre, on perd son savon). - Hy gaet eenen gang (Il va fort). - Hy ziet er een rat in (Ça a l'air d'être une mauvaise affaire). - Hy smoort (Il rage en dedans). - Hy gaet om zeep (Il va mourir; il décline). - t'moet allemael op (Courte mais
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bonne; bouffe-tout). - Hy is koppig (Il est entêté). - Niewe bessems keere goet (Il n'est tel que balai neuf). - Hy steunt op een̄ gebrokē stok (Sa confiance est mal placée). - Dat is onnoozel (C'est idiot). - Hy loopt een blauw scheen (Il essuie un refus). - Zuygt er eenen punt aen (Tàchez d'en faire autant). - t'is eenen spuyter (C'est un espiègle), - Hy doet hem af (Il le surpasse). - Maekt u niet moey (Ne vous donnez pas la peine de...). - Hy is er niet achter (Il n'est pas dans le secret). - Hy heeft hem in de buys (Il l'a en vue; il le surveille).
Dans l'imagerie de Turnhout, on a une copie fidèle de l'image de Brepols, éditée plus tard par Beersmans, à rangées transposées, avec texte nouveau (no 62). Des éditeurs hollandais en ont publié une réplique fidèle (Erve Wysmuller, Amsterdam) ou bien ont imprimé quelques tableaux semblables (Broese et Co, à Bréda, no 12).
Les autres planches à dictons ne sont pas moins intéressantes ni moins curieuses, La deuxième, qui nous paraît de la même main que la précédente, présente trente sujets, disposés six à six, sur cinq rangées. Brepols en a donné une réplique assez libre, où l'ordre des sujets est interverti (no 41).
Als t' kalf verdronken is vult men den pot (Quand le veau est noyé on bouche le trou). - t'is eenen pluym stryker (C'est un flatteur). - Hij gaet met t' vispaen uyt (C'est un parasite). - Ider zingt zoo hy gebekt is (A chacun selon ses moyens). - Met vogels vangt men vogels (Avec des oiseaux on en attrape d'autres). - Hy zorgt voor zyn bors (Il défend ses intérêts). - Hy drayt zoo lang ik slaen (Il tourne aussi longtemps que je le fouette). - Roosen voor de verkens (Des roses aux pourceaux). - Hy ontsteekt eene keers aen den duyvel (Faire des concessions). - Al tegen wint (Autant en emporte le vent). - Eenen kolf naer myn hand (C'est précisément mon affaire). - D'huyk naer den wint (Hurler avec les loups). - Den paling by den steert (Etre engagé dans une entreprise dont le succès est incertain). - In deen hand water en dander vuer (Il souffle le chaud et le froid). - Hy ziet door de vingers (Il ferme les yeux, il est indulgent). - Ik loop uyt dwank (Je n'agis que contraint et forcé). - Hy vind den hond in den utspot (Il trouve table rase). - t'is een geleert man (C'est un homme savant). - Hy brengt zyn zelven in t'net (Il se crée des difficultés). - Ik ben der door (J'ai vaincu la difficulté). - Ik lach met de wereld (Je me fiche du monde). - Ik lach in myn vuyst (Il rit sous cape). - De jeugt moet er uyt (Jeter ses gourmes). - Ik leef zonder zorg (Je vis sans soucis). - Ongebonden best (Rien ne vaut la liberté). - Ik ben verlicht (Je suis édifié ou encore je suis soulagé). - Wacht u voor de geteekende (Méfiez-vous des contrefaits). - Houd den dief (Au voleur). - Beter ontyd als noyt (Mieux vaut tard que jamais). - Hy waeyt met alle winden (Il tourne à tous vents).
Quelques variantes hollandaises s'apparentent de très près à notre image. On y voit la plupart des scènes représentées dans celle-ci, souvent traitées d'une manière identique. Les bois de ces images hollandaises datent en partie du XVIIe siècle, ou sont des
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copies plus ou moins anciennes d'après des gravures de cette époque. Le proverbe ‘Al tegen de maen gepist’ qu'on a comme dernier tableau dans l'image de Brepols (no 41) et dans celle des éditeurs hollandais, ne figure pas dans l'image anversoise, bien qu'on le trouve représenté dans le célèbre tableau de Bruegel l'Ancien ‘Douze proverbes flamands’ (Musée Mayer-vanden Bergh, Anvers), dans la grande planche à proverbes, dont Louis Fruytiers publiera au XVIIIe siècle une réplique à Anvers et dans une image populaire à proverbes publiée à Gand au commencement du XVIIIe siècle et dont on conserve le bois au Musée archéologique de cette ville.
On retrouve aussi un grand nombre des sujets dans une série de belles planches en taille-douce dont il existe plusieurs éditions, la plus ancienne datée portant l'adresse de Jean van Doetechum, de Deventer, la date Ao 1577 et le titre ‘DE BLAVWE HVYCKE IS DITH MEEST GHENAEMT. MAER DES WERELDS IDEL SPROCKEN HEM BEETER BETAEMT’. Jean Galle, à Anvers (1600-1676), en publie une réplique, où les mêmes proverbes sont rangés dans un autre ordre, avec titre flamand et français ‘LE VRAI PORTRAIT DV MONDE RENVERSE’. Enfin, une troisième planche, en vente chez le graveur Louis Fruytiers, né à Malines mais travaillant à Anvers (1713-1782), représente les mêmes proverbes et porte ce titre bilingue ‘PAR CE DESEIN IL EST MONSTRE LES ABVS DV MONDE RENVERSE. DESE WTBEELDINGHE WORT DIE BLAVW HVYCK GHENAEMT, MAER DES WERELTS YDEL SPRECK WOORDEN BETER BETAEMT’. Le cuivre de cette belle et grande planche gravée, qui appartenait à feu M. Van den Broeck, portier de l'église Notre-Dame, à Anvers, semble être aujourd'hui perdu.
La troisième planche, dont nous allons maintenant reproduire les légendes en les accompagnant d'une traduction libre, nous paraît quelque peu plus ancienne que les précédentes, d'une autre main et d'un graveur plus habile. Nous n'en connaissons pas le prototype ni une réplique dans l'imagerie de Turnhout. Est-ce une copie d'après une image française? C'est possible. En tout cas, le Dr G.J. Boekenoogen nous écrit que ses représentations et ses proverbes ne figurent sur aucune image hollandaise. Elle comporte vingt sujets, disposés cinq à cinq sur quatre rangées.
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Hy vischt agter 't net (Il vient trop tard). - Hy slaegt er neven (Il se trompe). - Hy laet hem hooren (Il fait du bruit). - Hy poedert ze (Il les flatte). - 't gat is vernaegelt (Il a le cul cloué). - Hy steekt hem er in (Il se met dedans). - Hy heeft het (Il l'a). - Hy voyert hem onder de steert (Il lui donne plus de coups de bâton que de nourriture). - Zy legt het uyt (Elle l'explique bien). - Met zyn Slippē in (andermans) d'assche (Il se mêle des affaires d'autrui). - Maekt geenē Wind (Il est modeste). - Dat ziet er net uyt (C'est du propre). - Hy heeft een jup aen (Il est fier). - Hy is er aen vast (Il n'en démord pas). - Hy is groen (Il est jeune). - Vieze manne vieze baerdē (Telles gens telles moeurs). - 't is er geen weēr naer (Il fait mauvais). - Hy pakt ze (Il la tient). - Hy trekt den pot (Il se tire mal d'une affaire). - Zoo wit als schuppen aes (Il est coupable).
Il nous reste à décrire la quatrième et dernière planche, variante d'une image publiée au commencement du XIXe siècle à Anvers par Corneille Parys (1776-1830) (no 1) et à Turnhout par la maison Brepols (no 26) et qui s'apparente aux billets des Rois (Koningsbrieven) qu'on criait dans les rues d'Anvers la veille et le jour de l'Epiphanie:
Koningsbrieven en kroon, en kroon!
Actuellement, la fête de l'Epiphanie étant tombée dans l'oubli, on ne vend plus de billets des Rois ni à Anvers ni ailleurs. Ces billets, qui étaient découpés, pliés et mêlés, servaient à tirer au sort le roi de la fête et les autres charges de la cour improvisée. Les feuilles simples comprenaient seize billets ou compartiments, contenant chacun à gauche un bois gravé représentant un des personnages ci-après, à droite un quatrain. La cour se composait d'un conseiller, d'un secrétaire, d'un valet de chambre, d'un laquais, d'un médecin, d'un échanson, d'un écuyer tranchant, d'un confesseur, d'un Suisse, d'un portier, d'un messager, d'un musicien, d'un ménétrier, d'un cuisinier et d'un bouffon. Chacun devait s'efforcer de soutenir pendant la soirée le rôle que lui assignait son billet et de chanter son couplet. Quand le roi, qui portait en signe de sa dignité une couronne de papier, se mettait à boire, tous les convives devaient crier ‘De Koning drinkt’ (Le roi boit) et c'était au bouffon de veiller à la stricte observation de ce devoir et de noircir le visage de ceux qui ne faisaient pas entendre le cri de rigueur.
Quelquefois les billets, chacun d'eux enroulé autour d'un minuscule bâtonnet, étaient piqués en cercle dans le gâteau des Rois.
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Image populaire anversoise inconnue - No 1
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Brepols, Turnhout - No 54.
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Image populaire anversoise inconnue - No 2.
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Image populaire anversoise inconnue - No 3.
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Image populaire anversoise inconnue - No 4.
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Brepols, Turnhout - No 26.
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Les plus anciens billets des Rois connus sont des gravures sur bois trouvées à Bruges et portant le millésime 1577.
Au cabinet des Estampes, d'Amsterdam, il y a un exemplaire de billets des Rois, gravés en bois par Jan Jeghers, d'Anvers, qui contient non seulement la série ordinaire des servants du roi, à cheval, mais encore seize figures correspondantes de femmes debout ou assises. Le texte, qui a été découpé, a disparu.
Au XVIIIe siècle, on a publié à Anvers, à Bruxelles et peut-être même à Gand, de ces billets ayant un caractère nettement politique. Nous mentionnerons entre autres la magnifique et rare planche anversoise de Philibert Bouttats (1663-après 1731), gravée en tailledouce, qui fait partie de nos collections et a pour titre: Den keyserlycken KONINGHS-BRIEF, Verbeeldende de Triumphen van den Roomschen keyser LEOPOLDUS DEN I. (Texte bilingue). Nous possédons encore d'autres billets du XVIIIe siècle, représentant les divers personnages de la cour, en buste, dans de magnifiques encadrements composés avec les attributs de leurs fonctions. La partie réservée au texte imprimé est fruste et devait être remplie à la main.
La planche que nous avons à décrire maintenant n'a rien de commun avec le type ordinaire des billets des Rois. A l'exception du roi, du bouffon et du ménétrier, tous les personnages représentés sont nouveaux. On y a successivement:
Mostaertman (le Moutardier), Schauw-vagher (le Ramoneur), Ratte vanger (le Preneur de rats), Blaeskaek (le Hàbleur), Luyze-vanger (le Chercheur de poux), Venum (lisez Venus) Koppelaer (le Proxénète), Korf-Draeger (Jean-fesse), Tailloorlekker (Pique-assiette), Hinne-Taster (le Tâte-poule), Hooren-Draeger (le Cornard), Kiek-Eter (le Mange-poulets), Hansken op (Arlequin), Slyper (Rémouleur), Lange-Tonge (le Médisant), Hannen in de Keef (le Benêt dans ta cage), Pronckaert (le Petit-Maître), Allemans-Vrind (le gai Compère), Niemans Vrind (le Misanthrope), Ian Goed bloed (le Bonasse), Boeren Straever (la Garde rurale), Altyd zat (l'Ivrogne), Zelden zat (le Buveur), Smeer op (le Gaspilleur), Boon eter (le Rageur), Raez Bol (le Criailleur), Steven Klopt Stysel (Etienne prépare l'empois, le Benêt), Pot a Fer (le Rétameur), Los-Gat (le Chieur), Voey kak (le Buveur).
La planche, dont la surface gravée est haute de 275 mm. et longue de 360 mm., est oblongue et comprend 32 billets représentant 32 personnages divers. Quelques figures, comme celles de Hooren-Draeger, Altyd zat et surtout celle de Los-Gat, sont assez libres. Quelques quatrains sont triviaux, notamment celui de Los-Gat- | |
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cependant bien moins que ceux des planches de Parys et de Brepols. L'orthographe des vers de notre planche anonyme laisse bien à désirer; elle est quelquefois tout un poème et on peut dire sans crainte de médire que le graveur, comme beaucoup de ses confrères, ignorait les règles élémentaires de la grammaire.
Voici les quatrains qui accompagnent les représentations de Los-Gat et de Voey-kak:
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Los-gat
Siet vry toe myn lieven makken
Daer men med de Landen mest.
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Voey-kak
Ach goeie vrinden ziet myn kaeken
Op gezwollen wit als Laeken
Ziet hoe dat myn beenen staen
Dit doet my Brandaris aen.
Dans notre nouvel ouvrage, L'Imagerie populaire des Pays-Bas, écrit en collaboration avec le Dr G.J. Boekenoogen et qui doit paraître incessamment (Paris, Editions Duchartre & Van Buggenhoudt), nous écrivons qu'il ne nous est pas possible de faire l'histoire de l'imagerie populaire en Belgique avant le XIXe siècle, par suite de l'extrême rareté de pièces anciennes. Cette singulière rareté a été toujours pour nous un sujet d'étonnement. Que sont devenues les nombreuses images sorties des ateliers de nos provinces flamandes et wallonnes? Ont-elles été détruites au cours des années, ontelles pris te chemin de l'étranger, restent-elles enfouies dans des bibliothèques inaccessibles?
La découverte des quatre belles planches qui font l'objet de cette notice et qui ne sont pas sans intérêt pour l'histoire de notre imagerie et de la parémiologie, nous permet de supposer que nous ne nous sommes guère trompé et d'espérer de nouvelles, heureuses et importantes trouvailles.
Emile H. VAN HEURCK.
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