De Gulden Passer. Jaargang 6
(1928)– [tijdschrift] Gulden Passer, De– Gedeeltelijk auteursrechtelijk beschermd
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[Nummer 2]Théodore Moretus
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des manuscrits de la Bibliothèque de cette UniversitéGa naar voetnoot1), j'appris qu'elle en possédait plusieurs du P. Théodore. M. Sabbe voulut bien se charger de m'en obtenir deux en prêt au Musée Plantin. Ils sont d'ordre mathématique. En me les communiquant, M. Sabbe me pria de ne pas perdre de vue que la plupart des lecteurs du Compas d'Or n'étaient pas des géomètres de métier, mais qu'ils s'intéresseraient probablement aux relations que le P. Théodore avait conservées avec sa famille anversoise. Cette double indication m'a mis à l'aise. J'adopterai pour Théodore Moretus le plan que j'ai suivi dans mes études sur André TacquetGa naar voetnoot2). Je donne au Compas d'Or la biographie du mathématicien, en réservant pour des revues techniques l'examen approfondi de ses oeuvres. Avant d'aborder mon sujet, je dois des remerciements à M.Q. Vetter, professeur à l'Université de Prague, et au R.P. Kleiser S.J. Le premier m'a fourni des renseignements relatifs aux manuscrits et aux ouvrages imprimés de Théodore Moretus possédés par les principales bibliothèques de Prague. Le second a bien voulu faire pour moi des recherches dans les vieux Annuaires manuscrits de la Province de Bohême de la Compagnie de Jésus. Ce secours m'a été singulièrement utile, car il m'a permis de connaître presque année par année les maisons que Théodore Moretus avait habitées après son départ de la Belgique, et les offices qu'il y avait remplis. | |||||||||||||||
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Chapitre I.
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‘Fait à Malines, dans la Maison de Probation de la Compagnie de Jésus, le 25e jour du mois de septembre de l'année 1618. C'est ainsi. Théodore Moretus’.
Les anciens Annuaires de la Province Flandre-Belgique de la Compagnie nous permettent de tracer comme suit le cycle des premières années de la vie religieuse de Moretus. En 1620 il est novice de seconde année. Après l'émission de ses premiers voeux de religion, qui eut lieu à Malines en septembre 1621, il est envoyé à Louvain, où il commence et poursuit ses études supérieures: la Logique en 1621-1622, la Physique en 1622-1623, la première année de Théologie en 1623-1624, la deuxième année de Théologie en 1624-1625, la troisième en 1625-1626, enfin la quatrième année de Théologie en 1626-1627. L'Annuaire de l'année 1627-1628 le mentionne comme professeur de syntaxe à Bruges et ne le qualifie que du titre de Maître, Magister, réservé aux scolastiques. C'est la preuve que Théodore n'avait pas été ordonné prêtre pendant ses années de Théologie. Sans doute, c'était contraire à l'usage. Mais il était tout aussi peu conforme aux habitudes de l'Ordre, d'être envoyé directement de la Physique en Théologie, sans passer d'abord pendant quelques années par l'enseignement dans les collèges, comme cela avait été le cas pour Moretus. Cette faveur exceptionnelle, il la devait à l'influence de Grégoire de Saint-VincentGa naar voetnoot1), qui fut, à n'en pas douter, appuyé dans ses démarches, par l'ancien maître des novices de Théodore, Guillaume Bauters, devenu recteur du collège de Louvain. Les deux Pères avaient été frappés par l'aptitude du jeune scolastique pour les mathématiques. Ils avaient obtenu les autorisations nécessaires des premiers supérieurs de la Compagnie en vue de le faire initier à tous les secrets de la géométrie. J'emploie à dessein le mot secrets, car Grégoire de Saint-Vincent est, après Simon Stevin, le plus grand, le plus génialement inventif, des mathématiciens qu'a vu naître chez elle l'ancienne Belgique. | |||||||||||||||
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Seul le chanoine René François de Sluse, l'ami de Pascal, peut lui être comparé. En calcul infinitésimal et dans la théorie des coniques, Saint-Vincent fit des découvertes si importantes, qu'aux yeux de Leibniz elles l'égalaient à Fermat et à Descartes. Mais le Jésuite croyait avec sincérité en avoir fait une bien plus grande encore, celle de la quadrature du cercle; illusion qui mêla Moretus à un épisode tapageur de la vie de Grégoire que nous avons raconté ailleursGa naar voetnoot1). Nous nous contenterons de le résumer ici brièvement. Au sens ancien et propre du mot, la quadrature du cercle consiste à transformer un cercle en un carré équivalent par la règle et le compas, c'est-à-dire, par l'emploi exclusif de droites et de circonférences. Énoncé en ces termes, le problème est impossible. La chose est aujourd'hui démontrée. Mais, au dix-septième siècle, pas un géomètre ne soupçonnait cette impossibilité; les plus illustres d'entre eux faisaient des efforts que l'on pourrait dire acharnés, pour le résoudre. Gardons-nous cependant de traiter d'infructueuses ces tentatives en apparence inutiles! La science mathématique leur doit des progrès merveilleux dans tous les domaines. Pour m'en tenir à Saint-Vincent, ce sont ses vains essais de quadrature qui lui inspirèrent les beaux théorèmes sur les coniques et les méthodes infinitésimales dont je viens de parler et qui font sa gloire. Grégoire croyait donc tenir enfin la solution du fameux problème, entendu dans le sens que j'ai précisé. Le professeur de Louvain était à cette époque un homme, jeune encore, au tempérament bouillant, débordant d'activité. Cédant à son impétuosité naturelle, il écrivit aussitôt au Général de la Compagnie, Mutius Vitelleschi, pour lui demander l'autorisation de publier sa solution. Vitelleschi était en défiance. Il avait connu jadis son subordonné à Rome et craignait de sa part une démarche précipitée. Mais il appréciait sa vaste intelligence. Il ordonna à Saint-Vincent d'envoyer sa démonstration au P. Christophe GrienbergerGa naar voetnoot2), succes- | |||||||||||||||
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seur de Clavius dans la chaire de mathématiques du Collège Romain. Grienberger étudierait le mémoire et lui en ferait rapport; après quoi, lui Général deciderait. Les premières communications entre Saint-Vincent et Grienberger se firent par lettres. Grienberger était émerveillé par l'élégance, la profondeur, la nouveauté des théorèmes qu'il recevait; mais il y cherchait en vain la quadrature du cercle, qui, la chose va de soi, ne s'y trouvait pas. Cependant, c'était chose malaisée de se comprendre à distance dans un sujet aussi difficile. On piétinait sur place. Pour mettre fin à ces retards, Vitelleschi manda Saint-Vincent à Rome. L'ordre venait d'en parvenir à Louvain au moment qui nous occupe. Or, depuis assez longtemps déjà, Saint-Vincent avait fait appel à la collaboration de ses élèves. Outre les mémoires qu'il écrivait en entier lui-même, il leur en faisait rédiger d'autres dont il leur inspirait en détail le sujet et le plan; il les révisait, puis les envoyait avec les siens à Rome. La Bibliothèque Royale conserve sur cette méthode de travail des documents précieux, qu'il faut chercher aujourd'hui dans l'énorme collection des papiers de Grégoire de Saint-Vincent. Ce sont quatre longs mémoires; l'un est de Guillaume BoelmansGa naar voetnoot1), le second n'est pas signé, mais je crois pouvoir l'attribuer à Ignace Der KennisGa naar voetnoot2); les deux autres sont de MoretusGa naar voetnoot3). | |||||||||||||||
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Le dernier de ceux-ci est accompagné de quatre lettres d'envoi, qui nous apprennent des choses curieuses sur la manière dont le professeur faisait collaborer ses élèves à ses travaux. Je donnerai les lettres dans un instant. Mais j'observerai préalablement qu'elles se complètent, s'expliquent et s'éclaircissent l'une par l'autre. Pour les comprendre sans devoir y ajouter trop de commentaires, il faut cependant les présenter au lecteur en s'écartant de l'ordre chronologique. Il est également nécessaire de connaître les dates où les quatre mémoires quittèrent Louvain pour Rome. Celui de Boelmans partit au début de janvier 1625; celui de Der Kennis peu après, c'est-à-dire le 15 du même mois; le premier mémoire de Moretus le 22 mai suivant. Quant au second mémoire de Moretus, il fut envoyé en trois fragments, qui partirent de Louvain successivement le 22 août, le 20 septembreGa naar voetnoot1) et le 17 octobre. Il faut savoir, enfin, que c'est le 9 septembre 1625, donc entre l'envoi du premier et du second des dits fragments, que Grégoire de Saint-Vincent se mit lui-même en voyage en compagnie du procureur de Flandre-Belgique. | |||||||||||||||
De Théodore Moretus à Grégoire de Saint-VincentGa naar voetnoot2).‘Au révérend Père Grégoire de Saint-VincentGa naar voetnoot3). Avant tout je félicite Votre Révérence d'être, comme je n'en doute pas, arrivée heureusement à Rome, où grâce à l'annonce de cette arrivée, beaucoup de Pères l'attendaient et la désiraient, pour le plus grand bien de la Science et de la Compagnie. Nous faisons le même voeu, tous tant que nous sommes ici, nous les anciens élèves de | |||||||||||||||
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Votre Révérence, les Maïtres Philippe NutiusGa naar voetnoot1), Jacques DurandusGa naar voetnoot2) et tous les autres amis des mathématiques (philomathematici). Absents de corps, nous vous sommes présents de coeur; nous l'avons été durant tout le cours de votre voyage et nous le restons au moment où vous le terminez. Comme Votre Révérence le sait, j'ai déjà fait plusieurs envois au P. Grienberger,Ga naar voetnoot3) et j'ai appris que la plupart sont heureusement parvenus en ses mains. J'espère que dans 17 jours j'apprendrai aussi que l'envoi parti d'ici le 19 septembre est arrivé à Rome en bon état. J'admire la bienveillance et la promptitude que le R.P. Christophe Grienberger met à me répondre. J'ai toujours reçu cette réponse endéans les sept semaines écoulées depuis le départ de mes lettres. J'envoie maintenant trois ou quatre propositions que j'aurais adressées à Votre Révérence si j'avais été certain qu'elle était déjà parvenue au terme de son voyage. J'inclus cependant dans ma lettre la proposition 25 et dernière du Cylindre elliptique, pour ne pas enlever à Votre Révérence la possibilité de prendre telle voie plutôt que telle autre, à son choix. C'est pourquoi je ne mentionne pas cette proposition dans mes lettres au P. ChristopheGa naar voetnoot4). Dans cette proposition, comme Votre Révérence le verra, si elle veut bien la lire, je prends une voie un peu différente de celle que Votre Révérence m'avait indiquée. Cette voie est le but du problème 24. Quant au problème 20, quoiqu'il puisse être utile au problème 25, je ne m'en sers cependant pas. Il me semble plus commode de m'appuyer sur un autre rectangle pour établir les propriétés de ces corps à surface courbe. Que Votre Révérence daigne, je l'en prie, recevoir avec bien- | |||||||||||||||
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veillance mon travail et (pardonner) mes erreurs! Si je pouvais lui être agréable et l'aider en quelque autre chose. Votre Révérence connaît mon désir de lui rendre ce que je lui dois. J'espère aussi qu'il ne sera pas désagréable à Votre Révérence de prendre connaissance des idées qui pourraient à l'occasion me venir en mathématiques. Ici, il n'y a rien de neuf. Le R.P. KoninckGa naar voetnoot1) n'a pas encore revêtu la robe violette. Le P. Liévin WoutersGa naar voetnoot2) se dévoue à Anvers au service des pestiférés. Veuillez, je vous prie, présenter mes salutations au P. Antoine Sucquet,Ga naar voetnoot3) et aux Maîtres Van AelstGa naar voetnoot4) et HorstGa naar voetnoot5). Je me recommande aux Saints Sacrifices et aux prières de Votre Révérence. Louvain, 17 octobre 1625. De Votre Révérence le Serviteur dans le Christ et le Disciple. Théodore Moretus.’ | |||||||||||||||
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La lettre à Grienberger dans laquelle la lettre précédente était incluse nous a été conservée et porte la même date que la lettre à Saint-Vincent, qu'elle complète comme on va le voir. | |||||||||||||||
De Théodore Moretus à Christophe GrienbergerGa naar voetnoot1).‘Révérend Père dans le Christ. J'envoie à Votre Révérence deux lemmes, une proposition sur l'ellipse, et quatre sur le Cylindre elliptique, jusqu'à la 24e inclusivement.’ - Les 20 premières avaient été envoyées, les unes le 22 août, les suivantes le 20 septembre, nous le verrons tantôt. - ‘Je croyais ne plus rien vous envoyer, surtout à cause de la reprise de mes cours (de théologie), mais la proposition 20 du Cylindre elliptique m'a fait changer de résolution.’ Suit ici l'énoncé fort long d'un théorème dont le sens est inintelligible sans l'emploi d'une figure. Puis Moretus continue: ‘J'ai appris par Votre Révérence qu'elle avait reçu mon second envoi datant du 22 août.’ - Le premier envoi était le mémoire du 22 mai. - ‘Je me félicite que Votre Révérence ait en ses mains mon travail. J'espère que le R.P. Grégoire de Saint-Vincent sera déjà à Rome depuis huit jours au moins, quand Votre Révérence recevra cette lettre. S'il n'était pas encore là, que Votre Révérence veuille bien, je l'en prie, garder jusqu'à son arrivée la lettre ci-incluse que je lui adresse. Je me recommande aux Saints Sacrifices et aux prières de Votre Révérence, Louvain, 17 octobre 1625.’
L'autographe de Moretus n'étant en réalité que la minute de la lettre, on s'explique qu'il ne l'ait pas signé, mais il y avait ajouté en tête l'apostille: ‘Au R.P. Christophe Grienberger à Rome.’ La lettre de Moretus à Grégoire de Saint-Vincent incluse dans cette lettre à Grienberger est celle que nous venons de donner. Il est superflu de le répéter. Voici maintenant la lettre que Moretus écrivit à Grienberger en | |||||||||||||||
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date du 22 août. Il y fait allusion, dans les premières lignes, à une lettre qu'il lui avait écrite 14 jours auparavant et qui est perdue. | |||||||||||||||
De Théodore Moretus à Christophe GrienbergerGa naar voetnoot1).‘Révérend Père dans le Christ. Il y a 14 jours, je vous avais promis des lemmes que je vous envoie maintenant, c'est-à-dire, 21 lemmes et 13 propositions sur le Cylindre elliptique. Je n'ai rien à observer sur les lemmes, si ce n'est que j'ai négligé d'en démontrer quelques-uns, parce que leur démonstration est intuitive. Le lemme principal et le plus important est le 5e. Quant aux propositions du Cylindre elliptique, comme je l'observai dans ma dernière lettre, elles sont les mêmes que celles du Cylindre circulaire, dont je m'étais occupé jusqu'ici. Cependant leur démonstration diffère parfois un peu. J'ai ajouté la démonstration quand j'y constatai de la différence.’ Moretus énonce ici quelques propositions de géométrie, puis il reprend. ‘Je ne sais quand je pourrai vous envoyer le reste du mémoire. Je tâcherai de le terminer le plus tôt possible. Je ne demande à Votre Révérence qu'une chose, c'est de me faire savoir par un petit mot, qu'elle a reçu mon envoi et ceux que je lui ferai plus tard. S'il arrivait qu'il s'écoulât deux mois à partir de la date d'une lettre, sans que je sois informé qu'elle a été reçue, je la transcrirai, ou la ferai transcrire, de nouveau, pour que vous les ayez en mains quand le P. Grégoire sera arrivé à Rome.’ Moretus tenait donc les minutes de ses mémoires, et ce sont ces minutes et non pas leurs copies envoyées à Grienberger qui sont à la Bibliothèque Royale. ‘Le R.P. Grégoire ne vous écrira par cette fois-ci. Il s'apprête à se mettre en route au commencement de septembre. Je recommande le R.P. Grégoire et son entreprise aux Saints Sacrifices et aux prières de Votre Révérence, comme je m'y recommande moi-même. Louvain, de l'an 1625 le 22 août. De Votre Révérence Le Serviteur dans le Christ. Théodore Moretus.’ | |||||||||||||||
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Un détail de cette lettre doit être souligné, car j'en aurai besoin tantôt. Saint-Vincent n'avait pas encore quitté Louvain le 22 août. Il se proposait alors de se mettre en voyage au commencement de septembre, et quitta effectivement la ville universitaire le 9 de ce mois, comme nous allons le voir. Le 30 août Grienberger accusa à Moretus réception de la lettre du 22 précédent. Celui-ci en reçut l'avis à Louvain, le 18 septembre et y répondit dès le lendemain 19. Cette troisième lettre à Grienberger est donc écrite entre celles du 22 août et du 17 octobre que je viens de donner. Au risque de fatiguer le lecteur, je le prie derechef de bien vouloir tenir note de ce détail en apparence peu important; j'y devrai faire appel dans ce qui suit. | |||||||||||||||
De Théodore Moretus à Christophe GrienbergerGa naar voetnoot1).‘Révérend Père dans le Christ. J'ai reçu le 18 septembre les lettres du 30 août par lesquelles Votre Révérence m'informe que les miennes lui avaient été remises. Je remercie Votre Révérence pour la peine qu'elle s'est donnée, ainsi que pour l'affection et la bienveillance qu'elle nous témoigne à tous. J'envoie maintenant cinq lemmes, six propositions sur l'Ellipse, sept sur le Cylindre elliptique. Le reste de ce qui sera nécessaire au P. Grégoire pour en déduire ses dernières conclusions, se réduit à peu de chose. Je l'enverrai peut-être dans quelques semaines. Je crois que Votre Révérence aura reçu ce que je lui ai écrit il y a huit jours,Ga naar voetnoot2) touchant le départ du R.P. Grégoire en compagnie du R.P. Procureur de la Province. Ce départ a eu lieu le 9 de ce mois de septembre. Je me recommande aux prières et aux Saints Sacrifices de Votre Révérence. Louvain, le 19 septembre 1625. Le Serviteur dans le Christ. Théodore Moretus.’ | |||||||||||||||
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Une apostille apposée par Moretus en tête de la minute est conçue comme suit: ‘Ces lettres partirent le 20 septembre. Elles se composaient de deux feuillets et d'une page et demie, plus un feuillet entier pour les figures.’ Jetons un coup d'oeil d'ensemble sur cette correspondance. Les trois lettres de Grienberger sont intéressantes pour celui qui voudrait étudier le second mémoire de Moretus. Elles permettent, en effet, d'y faire un départ, mais cependant assez imparfait, entre ce qui revient à Saint-Vincent et ce qu'il faut attribuer à Moretus luimême. Or, cela importe. Jamais ailleurs celui-ci n'a aussi bien prouvé la puissance de son esprit de géométrie, que dans les deux grands mémoires de la Bibliothèque Royale. Que lui appartient-il en propre? D'une manière générale on peut dire que les intuitions inattendues qui se rencontrent dans les propositions difficiles sont du Maître, leur mise en oeuvre est de l'Élève. Ces intuitions atteignaient les plus hauts sommets de la science du XVIIe siècle; elles firent plus tard, nous l'avons dit, l'admiration de Leibniz lui-même, et il était donné à peu de géomètres contemporains de les comprendre. Moretus fut de ces exceptions. Cela lui fait grand honneur. Terminons par quelques précisions. Le premier mémoire tout entier a été lu et approuvé par Saint-Vincent avant d'être envoyé à Rome. Quant au second mémoire, pour y voir clair, il faut remarquer que tel qu'il nous a été conservé, il contient 28 lemmes et 25 propositions sur le Cylindre elliptique, mais qu'il n'en a aucune des six qu'il aurait dû avoir sur l'Ellipse. Moretus les avait peut-être écrites sur des feuillets que je n'ai pas retrouvés. Les lemmes 1-21 et les propositions 1-14 sur le Cylindre elliptique furent, elles aussi, lues et approuvées par Saint-Vincent avant de partir pour Rome. On ne saurait rien dire des lemmes 22-28, des propositions 14-20 du Cylindre elliptique, ni des propositions 1-5 de l'Ellipse. Elles n'étaient certainement pas écrites le 22 août. Moretus nous le fait entendre clairement. Elles furent donc rédigées entre cette date et le 19 septembre. D'autre part, Saint-Vincent quitta Louvain le 9 de ce dernier mois. On ne saurait donc dire ce qu'il a vu de cette partie du mémoire, ni même s'il en a vu et approuvé quelque chose. | |||||||||||||||
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Mais Moretus a la responsabilité entière de la rédaction de la proposition 6 de l'Ellipse et des propositions 21-25 du Cylindre elliptique. La 25e et dernière est même tout entière de son invention. Aussi, on s'aperçoit qu'à son sujet il hésite, n'ose prendre la responsabilité de l'envoyer à Grienberger qui pourrait la juger peu digne des précédentes, et finit par la laisser à l'appréciation de Saint-Vincent. Mais je m'arrête. Pour en dire davantage il me faudrait aborder des problèmes de géométrie pure qui ne sont plus de mon sujet. Comme il a été déjà dit plus haut, Moretus fut attaché en 1627-1623 au collège de Bruges pour y donner la classe de syntaxe. Au cours de cette année scolaire, il assista à une tempête maritime, dont il conserva toujours un vif souvenir. Voici comment il en parlait encore en 1665 dans son Traité des Marées.Ga naar voetnoot1) ‘Je me rappelle, dit-il en parlant de l'influence parfois prodigieuse du vent sur la marée, que lorsque j'habitais Bruges en Flandre, le vent souffla avec une force si violente, qu'après avoir extraordinairement gonflé l'intensité du flux pendant six heures, il maintint les eaux au même niveau pendant les six heures du reflux suivant, alors qu'elles auraient dû baisser. Un nouvel afflux d'eau, s'ajoutant ensuite aux précédents, fit encore une fois monter leur niveau pendant six autres heures, jusqu'à ce que les dunes de sable que la nature leur oppose en première ligne le long de la côte se rompirent. Alors les eaux ne furent plus retenues que par la digue artificielle de seconde ligne, que les habitants nomment la Digue Verte. L'effort immense de plusieurs milliers d'hommes accourus pour conjurer le danger y parvint avec peine. Voilà qui prouve la puissance du vent.’ Vers la fin de 1628 Moretus quitta la Belgique pour ne la plus revoir. J'ignore où il passa l'année scolaire 1628-1629. Peut-être fit-il alors sa 3e année de probation et fut-il enfin élevé à la prêtrise. L'Annuaire de la Province du Rhin-Inférieur pour 1629-1630, le signale à Munster comme professeur de mathématiques et de morale. Il n'y resta qu'un an et fut bientôt appelé à Prague pour y collaborer de nouveau aux travaux de Grégoire de Saint-Vincent, | |||||||||||||||
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dans des circonstances que j'ai racontées ailleursGa naar voetnoot1) mais qu'il convient de résumer. Les conférences de Saint-Vincent avec Grienberger n'avaient abouti à rien. Si l'admiration du Professeur du Collège Romain pour son confrère belge croissait de jour en jour, d'autre part, chaque fois que celui-ci lui présentait un nouvel essai de quadrature, Grienberger lui en montrait aussitôt les lacunes. Cependant Vitelleschi s'impatientait de ces colloques interminables auxquels il ne comprenait rien. Après un an et demi, il y coupa court et malgré les protestations et les supplications de Grienberger,Ga naar voetnoot2) il envoya Saint-Vincent enseigner les mathématiques à Prague. C'était à la prière de l'Empereur Ferdinand II, qui lui avait demandé Grégoire nommément. Grégoire s'exécuta. Mais un affreux malheur vint bientôt l'atteindre à Prague. Il était d'un tempérament apoplectique et sanguin qui dès 1628 lui fit ressentir les atteintes d'une première congestion. Il ne s'en releva jamais qu'imparfaitement. Bientôt la nécessité de ne pas interrompre ses leçons l'obligea à demander à Vitelleschi un assistant de premier choix pour l'aider, et il lui désignait en même temps Moretus. Après quelques hésitations le Général le lui accorda. Grégoire passa avec son ancien élève l'année 1630-1631. Mais le sac de Prague par les Suédois vint brusquement les arracher à leurs études. Le collège des Jésuites fut incendié, une partie des manuscrits de Saint-Vincent périt dans les flammes, le reste jeté pêle-mêle sur un chariot par le P. Rodrigue Arriaga fut envoyé à Vienne. Grégoire dut patienter pendant dix années entières avant de rentrer en leur possession; quand il les recouvra, il était professeur de mathématiques au collège de Gand. Nous rencontrons ici pour la première fois le nom de Rodrigue Arriaga, mais ce nom va revenir si souvent sous la plume des Moretus, qu'il faut nous y arrêter. Rodrigue Arriaga était né à Lograno le 17 janvier 1592 et entra dans la Compagnie le 17 septembre 1606. Il enseigna la philosophie | |||||||||||||||
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à Valladolid, la théologie à Salamanque, et de 1624 à 1633 la théologie à Prague. C'était un savant de valeur, qui mérita d'occuper pendant 13 ans les fonctions de chancelier de l'Université de Prague. Il mourut dans la capitale de la Bohême le 7 janvier 1667. Rodrigue Arriaga a beaucoup écrit et notamment des Commentaires sur la Somme de Saint Thomas, en huit forts volumes in-folio qui s'imprimèrent chez les Moretus. De là une correspondance active entre l'auteur et les propriétaires de l'Officine Plantinienne, qui se poursuivit pendant plusieurs années. De là aussi les nombreuses mentions que Balthasar I et Balthasar II font d'Arriaga, dans leur correspondance avec Théodore. Mais à la suite du sac de Prague le séjour de Théodore dans cette ville était devenu sans objet. Grégoire de Saint-Vincent malade, brisé par la fatigue et l'émotion provoquée par les scènes de carnage auxquelles il venait d'assister, avait en effet reçu l'ordre d'aller se reposer à Vienne. Quant à Moretus, il fut envoyé à Olmutz où il resta plusieurs années. Les Annuaires manuscrits l'y signalent en 1631-1632 comme professeur de logique, en 1632-1633 comme professeur de physique, confesseur des scolastiques et bibliothécaire; en 1633-1634 comme professeur de philosophie et notamment de métaphysique. Je lis à ce propos dans l'Histoire des mathématiques en Bohême et en Moravie par WydraGa naar voetnoot1) que Théodore Moretus était Maître ès Arts libéraux et Philosophie; mais Wydra ne dit pas où, ni quand, il en obtint le titre, C'était sûrement chose faite quand il fut nommé professeur à Olmutz; mais depuis combien de temps? Peutêtre, depuis deux ans, alors qu'il habitait Munster; mais je croirais plutôt que ce fut à Prague, pendant l'année qu'il y passa avec Saint-Vincent. C'est au cours de son séjour à Olmutz que Moretus publia ses deux premiers opuscules; raretés bibliographiques que je ne connais que par la mention qu'en fait Sommervogel,Ga naar voetnoot2) qui lui-même ne | |||||||||||||||
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les cite que de seconde main, et sous des titres visiblement tronqués. Tractatus in octo libros physicorum ex praelectionibus illius (les leçons de Moretus) a Paulo Schrabone canon(ico) Strahov(iensi) descriptus. Olomucii, 1633. C'est probablement le programme d'une soutenance de thèses publiques sur les Physiques d'Aristote, défendues par un jeune chanoine qui avait suivi les cours de Moretus. Tractatus de generatione, corruptione et anima etc. in libros metaphysicorum a Joh(anne) Bövinck can(onico) Strah(oviensi) descriptus. Olomucii, 1634. Programme de Thèses du même genre sur les Métaphysiques d'Aristote. | |||||||||||||||
Chapitre II.
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lesquels Théodore tut un instant en délicatesse à propos du partage d'une succession de famille. Nous le verrons plus tard.Ga naar voetnoot1) Balthasar I, gros bourgeois d'Anvers, homme d'autorité et d'un talent supérieur, était tenu par les siens comme leur chef incontesté; rôle qu'il assumait volontiers et jouait avec d'autant plus d'aisance qu'il ne laissait pas d'héritier direct. Théodore était donc son cousin germain, à deux titres, par son père et par sa mère. Cette double parenté rend naturelle l'intimité de leur correspondance. Nous sommes loin de la posséder en entier, et ce qui en a été sauvé se conserve aux archives du Musée Plantin. Les lettres de Théodore sont des autographes. Au moment où il les écrit, on est au fort de la guerre de Trente ans. Les communications entre Anvers et Prague sont difficiles, lentes et, durant de longs intervalles, tout à fait interrompues. De plus, Balthasar ne garde des lettres de son cousin que celles où Théodore lui donne des nouvelles sur la situation politique et militaire de la Bohême et des pays voisins; ou pour parler plus exactement, des nouvelles de ce qu'on en raconte dans les milieux fréquentés par les Jésuites de Prague. Mais, disons-le une fois pour toutes et pour ne plus y revenir, ces milieux sont loin d'être toujours exactement informés. Les lettres de Théodore, toujours curieuses, ont souvent besoin d'être contrôlées, du moins lorsqu'il n'y rapporte pas ce qui s'est passé à peu près sous ses yeux. Quant aux réponses de Balthasar, nous n'en avons que les minutes autographes, dont les copies sont perdues. Encore, Balthasar écrivait-il souvent ses lettres de famille sans ce brouillon préalable. Il n'a guère tenu note, dans les registres de ses minutes, que des lettres dont il avait intérêt à garder le souvenir précis; je veux dire, celles qui contenaient des demandes d'éclaircissements scientifiques relatifs aux ouvrages qu'il imprimait; ou celles qui intéressaient par quelque cêté ses affaires commerciales; les autres sont l'exception. Balthasar et Théodore s'écrivaient toujours en latin très correct, d'ordinaire même élégant, mais renfermant cependant parfois des négligences dues à la rapidité d'une rédaction faite au courant de la plume. Je traduis sans m'astreindre au mot à mot, ni même à suivre toujours de près la phrase latine, notamment quand je ne me serais | |||||||||||||||
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assujetti à cette contrainte qu'aux dépens de la clarté. En rendant parfois ma version un peu libre, j'ai surtout eu en vue d'arriver à cette clarté, tout en respectant le sens du texte original. La première lettre est du 4 mai 1635. Théodore vient de prononcer ses derniers voeux de religion. Il écrit sous le coup de l'émotion qu'a produite sur lui cet acte solennel dans la vie d'un Jésuite. Mais, pour comprendre la deuxième partie de sa lettre, il faut se rappeler en outre, que, dans la capitale de la Bohême, se discutait en ce moment, entre l'Autriche et la Saxe, le traité connu sous le nom de Paix de Prague. Les pourparlers auxquels ils donnaient lieu faisaient naturellement l'objet de toutes les conversations. Ils prirent fin presque à l'instant même où Théodore écrivait. | |||||||||||||||
De Théodore à Balthasar I.Ga naar voetnoot1)‘Illustrissime Monsieur et Cousin. J'ai été souvent sur le point de prendre la plume pour vous écrire. La sécheresse du cours de philosophie que je professais à Olmutz et la distance des lieux m'en ont dissuadé. Rendu maintenant aux loisirs des mathématiques, je suis délivré du premier de ces obstacles. Si les guerres le permettent je pourrai m'acquitter désormais plus souvent des devoirs de l'amitié. Sans doute, j'ai plusieurs sois demandé des nouvelles de la santé de ceux qui me sont liés par le sang; mais depuis des années je n'ai pas reçu de réponse. Quoique absent et sans être au courant de ce qui les concernait, je n'ai pas cessé de prier le mieux qu'il m'était possible notre commun Seigneur et notre Mère pour la conservation de la bonne santé de tous et de la vôtre. Entre-temps, pour moi, j'ai émis mes derniers voeux de religion au début de février.Ga naar voetnoot2) Je voudrais et je souhaite que ceux qui furent jadis les miens me tiennent pour mort et même pour enterré, tel qu'un habitant de la Région des vivants. Certes jamais journée plus douce ni plus heureuse ne se leva pour moi, que celle où il me fut donné de me séparer de tout et de m'anéantir. Ce n'est pas que je sois blasé ou fatigué d'une affection qui est un devoir; mais parce que, au contraire, je pourrai mieux prouver cette affection et faire honneur à mon nom. | |||||||||||||||
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Ici l'état des affaires du royaume de Bohême oscille entre l'espérance et la crainte. MM. Trautmansdorf, Gebhardus et Curtius, commissaires de l'Empereur, sont arrivés. Les locaux destinés aux envoyés de la Sardaigne qui doivent décider la guerre ou la paix, sont prêts. La trêve conclue entre la Saxe et la Bohême expire dans quelques jours, à moins que de nouveaux accords ne la prorogent. Le Roi - il ne faut pas oublier que l'Empereur d'Allemagne était à Prague Roi de Bohême, - le Roi n'est pas attendu, même pour les Conférences. Il a cependant écrit à M. Balthasar de Mandas, commandant les troupes d'ici, qu'il avait l'espoir de conclure la paix. Toutefois les commissaires en doutent très fort...’ Suivent des nouvelles qui concernent des personnages peu connus chez nous et sans grand intérêt; puis d'autres, relatives aux menées fomentées par les protestants en Pologne. Théodore les envoie parce que Prague étant plus près de ce royaume qu'Anvers, il est à même d'y être mieux et plus vite informé. Car. dit-il, ‘Bien que les communications avec la Belgique soient rétablies, elles sont rares et ont du retard. ‘Je me recommande donc à vous, Monsieur, et je prie Dieu de vous conserver longtemps en bonne santé. Si ma mère vit encore, je la salue très humblement ainsi que tous mes frères. De Votre Illustrissime Seigneurie, Le Serviteur dans le Christ, Théodore Moretus. Prague, 24 mai 1635.’ Si ma mère vit encore, saluez-la très humblement! Exclamation douloureuse, qui prouve à quel point Prague avait alors été séparée d'Anvers. Balthasar n'avait vraisemblablement pas encore reçu cette lettre que déjà Théodore prenait suivant son expression une seconde fois la plume. | |||||||||||||||
De Balthasar à Théodore I.Ga naar voetnootl)‘Illustrissime Monsieur et Cousin Après un intervalle, je reprends la plume avec laquelle je vous avais griffonné il y a déjà quelques semaines, espérant pouvoir vous | |||||||||||||||
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donner plus tard les conditions d'un heureux accord et d'une paix enfin conclue. Pour le moment, dans toute la Pologne, dans tout Prague, rien ne se fait entendre plus souvent, rien ne s'affirme avec plus de force, par ceux que nous savons être du nombre des ambassadeurs et par les grands du royaume, que ceci: la paix est faite entre les Saxons et l'Empereur; elle est ratifiée de part et d'autre; tout ce qui reste à y ajouter, c'est qu'après que le roi Ferdinand aura retiré ses troupes de la Bohème, l'état de paix y soit publiquement claironné au son de l'airain. Car il est à craindre qu'on réprimera difficilement les brutalités et les rapines de la soldatesque, quand le troupier saura que la paix est conclue. C'est comme si rien ne subsistait ici, si ce n'est ce par quoi des deux côtés on assouvira sa faim. En attendant, le Roi est en route. Il a quitté Vienne, il y a quatre ou cinq jours, et atteint Budweis. Là, il convoquera les autorités de Prague; ou bien, ce que beaucoup croient et souhaitent, de là il viendra à Prague et peut y arriver en deux ou trois jours. Il n'y résidera pas plus longtemps que les affaires de la guerre ne l'y contraindront, car je constate que les plus avisés ne s'occupent que des préparatifs de guerre. Il est certain qu'on a réuni au moins dix mille cavaliers Croates ou des contrées voisines. Quand ils auront gagné Misnia par la plaine Blanche, on les mènera facilement à l'ennemi partout où on l'ordonnera.Ga naar voetnoot1) Les troupes Polonaises se sont déjà avancées par la Silésie. L'armée Suédoise et celle de Pannierius y sont aussi. Elles y séjourneront en état d'hostilité quelle que soit l'issue de la paix.Ga naar voetnoot2) Cette dernière armée s'accroît tumultueusement tous les jours de démobilisés ou de fuyards Saxons. Au surplus, jusqu'où le soldat Saxon devra-t-il être ménagé par celui de l'Empereur? Quelle sera de part et d'autre l'étendue des frontières? Comment seront-elles délimitées? Le Roi et le Duc (de Saxe) devront peut-être le régler dans une entrevue. Je crois que la force des choses et la généralité de l'opinion publique l'imposeront avec éclat. Mais sans parler d'autres affaires analogues, qu'il ne | |||||||||||||||
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vaut pas la peine d'écrire, c'est pour ne pas taire totalement ce qui se passe publiquement ici que j'ai condensé ceci en peu de mots. Je le sais, en effet, depuis longtemps les faits se racontent à l'étranger bien différemment de la manière dont ils s'accomplissent ici. Il faut prier Dieu, qu'il prenne au plus tôt en pitié la république chrétienne! M. Barthélemi Bolognino, natif d'Anvers, établi ici comme marchand avec droit de cité, salue beaucoup Votre Seigneurie. Il est assez riche pour un débutant. Jadis, il a plus d'une fois fait venir à Francfort des livres liturgiques. Mon frère Louis, que je salue très amicalement, doit s'en souvenir. Ce monsieur désirerait avoir de nouveau une autorisation du même genre et voudrait savoir par moi ce qu'il en peut espérer. Moi-même j'aimerais beaucoup le savoir, car il y a ici une étonnante pénurie de livres. Le P. Arriaga vous salue très respectueusement. Il n'a pu jusqu'ici mettre son fils au monde, tel à peu près qu'un père qui n'a pas d'enfants.’ Plaisanterie un peu lourde pour dire que le P. Arriaga n'avait pas encore mis la dernière main au grand ouvrage de théologie qu'il avait sur le métier, et dont le manuscrit s'imprimait à Anvers au fur et à mesure que Balthasar le recevait. ‘On n'a encore rien appris ici des fêtes offertes par les Anversois au cardinal Ferdinand. Je ne doute pas que l'imprimerie Plantinienne n'ait pris part aux manifestations. Et sur ce, je me recommande très humblement à Votre Seigneurie, en priant Dieu qu'il la conserve longtemps en bonne santé pour le bien public. Le P. Wadding, qui se porte bien malgré son âge, me demande la même chose. De Votre Seigneurie illustrissime Le Serviteur et Cousin, Théodore Moretus. Prague, 26 mai de l'an 1635. Saluez très humblement ma mère Henriette. J'apprends par mon frère Christophe que sa santé est bonne.’
Pierre Wadding était Irlandais. Il naquit à Waterford en 1583 et fut reçu au noviciat de Tournai le 24 octobre 1601. D'abord professeur de belles-lettres et de philosophie, il enseigna ensuite la théologie à Louvain, où le 3 février 1621 il présidait des thèses publiques défendues par Frédéric Adolphe Reuter, Le 8 juin 1622. | |||||||||||||||
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il en présidait d'autres défendues cette fois par l'un de ses compatriotes, l'Irlandais Pierre Darcanus. Enfin le 6 juillet de la même année, il présidait les thèses publiques de Jean-Baptiste van der Cruyce. De Louvain Wadding se rendit à Prague, où les supérieurs lui confièrent de nouveau la chaire de théologie. Cette science fut à Louvain et à Prague, l'objet de son enseignement pendant un total de 16 ans. En 1641, il ouvrit le premier cours de droit canon de l'Université de Gratz et mourut dans cette ville le 13 septembre 1644. C'est, à n'en pas douter, lors du séjour du Jésuite irlandais en Belgique que Balthasar Moretus fit sa connaissance et se lia avec lui d'une amitié qui ne se démentit jamais. Revenons à Théodore. Sa lettre sur les événements de Bohême était à peine partie depuis une semaine, qu'il revenait au même sujet. | |||||||||||||||
De Théodore à Balthasar I.Ga naar voetnoot1)‘Illustrissime Monsieur et Cousin. Je vous ai écrit il y a huit jours l'angoisse où nous étions alors, hésitant entre l'espoir et la crainte, la paix et la guerre. Le 30 mai la paix l'a maintenant emporté sur la guerre. Les décharges des pièces d'artillerie grandes et petites tonnant en public ont applaudi la paix équitable accordée à l'Électeur de Saxe et acceptée par lui. Mais les acclamations de cet élément brutal exceptées, on n'entend pas d'autres cris de joie, ce qui ne laisse pas de surprendre bien des gens. Le Royaume pâtit de la guerre et en pâtira encore, bien qu'elle soit terminée. Déjà les dix mille Polonais et même en plus grand nombre, qu'on nous a promis, épuisent les bourgs voisins par leur passage à travers l'Empire. C'est une nation munie de flèches et de haches, mais aussi d'armes modernes. Toutefois la concorde rétablie entre voisins donne une grande espérance de voir renaître la prospérité dans une contrée si riche en toutes choses. On espère que les marchands seront autorisés à traverser le pays, notamment ceux de Nuremberg qui ont été compris dans la même convention. On leur a cependant imposé une contribution de quatre cent mille,’ - Comme souvent dans la correspondance de Théo- | |||||||||||||||
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dore, l'unité monétaire dont il s'agit n'est pas déterminée. Elle était, avec raison, supposée, par Théodore, connue de Balthasar. - ‘On exige des Nurembergeois de nombreuses provisions de guerre et une levée de trois cents hommes à leur solde, là où le Roi les enverra. On cache ce qui a été précisé dans le traité d'alliance conclu entre l'Empereur et l'Électeur. Il est, dit-on, honorable pour le premier, mauvais pour le second. Les Grands n'ont cure que de grandes choses! Le Roi réside près de Prague. Il a quitté Budweis depuis près de huit jours. Son séjour actuel se prolongera-t-il? Viendra-t-il visiter son palais? On l'ignore. L'armée Saxonne obéira à César, et le Roi la commandera en tant que général de César.’ - C'est là une fiction diplomatique destinée à ménager des susceptibilités d'amour propre, puisque César et le Roi sont un même personnage. Fasse le grand Dieu très bon que tout tourne au bien de la république chrétienne! Je lui recommande aussi de tout coeur Votre Seigneurie. Saluez très humblement ma mère Henriette et mon frère Louis; très respectueusement, Marie et Jean mes cousins. De Votre Seigneurie Illustrissime Le Serviteur dans le Christ et Cousin Théodore Moretus. Prague, le 2 juin de l'an 1635.’ En août de cette même année 1635, Théodore présidait à Prague les thèses mathématiques ‘De Celeri et Tardo’ défendues par Gaspard Alexis Francq, son élève. Il en publia le programme sans nom d'imprimeur, ni lieu d'édition. C'est une petit plaquette dont je ne connais pas d'exemplaire. Je regrette de ne l'avoir jamais vue, car ces soi-disant thèses de mathématiques sont évidemment des thèses de mécanique, qui nous feraient connaître quelles étaient alors les idées du professeur sur les principes de cette science. Dans la discussion qu'il eut plus tard avec son confrère le P. Gilles de Gottignies à propos d'un théorème de mécanique de Pappus, nous verrons qu'il était encore fort influencé par des doctrines erronées. Où en était-il en 1635? On serait curieux de le savoir. La correspondance de Théodore avec sa famille d'Anvers paraît avoir été active pendant l'année 1636, mais elle se fit avec sa mère et ses frères plutôt qu'avec le cousin Balthasar. Nous n'en possé- | |||||||||||||||
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dons plus rien. Entre-temps le Jésuite était plongé dans ses recherches mathématiques. En mars 1637, une lettre d'Anvers vint inopinément l'y distraire. | |||||||||||||||
De Balthasar I à Théodore.Ga naar voetnoot1)‘Depuis deux ans et davantage, j'ai reçu plusieurs de vos lettres. Mais j'étais fort occupé et il n'était pas indispensable d'y répondre. Je me suis mis à l'aise pour garder le silence, me contentant de faire saluer Votre Révérence par son frère Louis, ce que j'ai considéré comme tenant lieu de lettre. Il y a quelque temps déjà, j'ai envoyé à Cologne un colis pour le P. Arriaga, qui contenait un paquet marqué P.T. où vous trouverez divers petits volumes sur les affaires publiques, et une inscription à l'éloge des princes, qui leur fut offerte lors de leur visite à l'imprimerie. J'y ai ajouté à part le bréviaire in 12o et le diurnal in 32o que le P. Arriaga vous remettra. Bonne santé, Révérend Monsieur et Cousin. Souvenez-vous de moi dans vos prières. Anvers, de l'Officine Plantin, le 5 mars 1637. C'était une lettre d'envoi et le colis à l'adresse du P. Arriaga qu'elle annonçait était arrivé à bon port. Les remerciements ne se firent pas attendre. | |||||||||||||||
De Théodore à Balthasar I.Ga naar voetnoot2)‘Très Illustre Monsieur et Cousin. C'est à l'improviste que j'ai reçu votre lettre, qui m'a fait très grand plaisir. La même surprise me rend d'autant plus agréable le paquet de livres marqué à mon adresse. Le P. Arriaga se livre tout entier au limage et au polissage de son cours de théologie qui est achevé depuis longtemps. Il était merveilleux de voir sa surprise en parcourant la longue liste des livres envoyés par Votre Seigneurie. C'est une vraie bibliothèque digne de la munificence traditionnelle de notre aïeul, Plantin l'Imprimeur! Ni le P. Arriaga, ni moi, ne savons comment nous en montrer assez reconnaissants. Tout ce que nous pouvons faire, c'est que les annales de la bibliothèque de Prague en conservent | |||||||||||||||
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par écrit le souvenir pour la postérité; et que dans nos Saints Sacrifices nous demandions à Dieu de répandre en retour sur vous les plus abondants dons du Ciel. Mercredi prochain, mercredi de la semaine sainte, les autorités célébreront les funérailles de Ferdinand II dans la forteresse de Prague. Le R.P. Pierre Wadding y prononcera l'oraison funèbre. L'ennemi se cache dans les antres de la Saxe. Les Nôtres l'emportent en nombre et en force. Ils n'entreprendront cependant rien de neuf avant le retour du printemps. Il souffrent de la pénurie de blé et de sel. Je crois que de la Bohême on leur enverra ces deux denrées, car s'il reste des approvisionnements aux Saxons, les troupes de Pannierius’ - général au service de l'Empereur - ‘les auront transportés dans leurs retranchements. Le cardinal Pasmem, primat de Hongrie, est mort au mois de mars en Hongrie. Il ne reste donc plus dans les possessions de l'Empereur d'autre cardinal que l'Éminentissime de Harnack, archevêque de Prague. L'Université de Prague s'apprête elle aussi à célébrer les funérailles de Ferdinand II. S'il s'y passe quelque chose qui soit digne de la plume ou du regard, je vous l'écrirai fidèlement et volontiers. Sur ce, je prie le bon Dieu qu'il conserve Votre Seigneurie Illustrissime longtemps en bonne santé Si vous en avez l'occasion, saluez filialement ma mère Henriette. Je ne sais assez m'émerveiller, ni assez louer Dieu de la santé qu'elle conserve malgré son âge. Il y a, je crois, plusieurs années déjà que je n'ai plus reçu de lettre de mon frère Louis. Je lui ai cependant écrit il y a trois mois. Pour ce qui me concerne, je vais extrêmement bien. En dehors des mathématiques je ne m'occupe de presque rien. J'apprends cependant un peu l'allemand pour pouvoir comprendre et me faire comprendre par mes interlocuteurs à la Cour et dans les salons. Ce n'est qu'avec difficulté que je me remettrai au Brabançon. Je ne désespère pas encore de la langue bohémienne, que j'étudie pour me rendre plus utile au prochain. D'ailleurs à la maison et dans les classes je ne m'occupe guère que de mathématiques, ce que je continuerai tant qu'il plaira à Dieu et aux supérieurs. De Votre Seigneurie Illustrissime Le Serviteur dans le Christ, Théodore Moretus. Prague, 4 avril 1637.’ | |||||||||||||||
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Le Jésuite avait promis à son cousin la description des solennités funèbres que l'Université de Prague se proposait de célébrer en l'honneur de Ferdinand II, ‘si toutefois elles en valaient la peine.’ Il n'a garde de l'oublier. Après quoi, il raconte avec un plaisir visible mainte anecdote sur le nouvel Empereur et Roi, Ferdinand III. | |||||||||||||||
De Théodore à Balthasar I.Ga naar voetnoot1)‘Très Illustre Monsieur et Cousin. Il y a quatorze jours je vous ai écrit en même temps que le P. Arriaga. Depuis, les Pères ont célébré les funérailles de l'Empereur, mais modestement. Le catafalque avait, aurait-on pu dire, quatre gradins. Sur le plus élevé reposait la couronne impériale et sur le cercueil les trois couronnes de Hongrie, de Bohême et de l'Empire. Aux quatre coins du lit funèbre, se dressaient sur des piédestaux un nombre égal de Vertus cardinales figurées par des statues entièrement dorées dépassant la grandeur naturelle. De nombreux cierges flambaient sur les degrés. C'était tout. L'oraison funèbre fut prononcée par le P. Arriaga; quand j'en aurai la copie, je vous l'enverrai. D'ici là, je crois qu'à Prague notre Compagnie célèbrera aussi un service funèbre pour celui qui fut notre père. Il faut le remarquer, la perte de l'Empereur ne se fait pas ressentir pour nous dans la personne de son fils. C'est merveille ce que de Vienne on écrit journellement sur la sagesse et la modération de ses jugements. Les meilleurs observateurs les trouvent dans un si grand prince dignes de Salomon. Je ne puis m'empêcher de vous en rapporter quelques traits; petits faits sans doute, mais qui se racontent ici de tous côtés. Ayant mandé le Préfet de la vénerie, il se fit apporter la liste des salariés préposés aux chasses dans l'Autriche. On n'en comptait pas moins de sept cents. Il demanda, si d'un si grand nombre, on ne pourrait pas en retrancher quelques-uns. Sans doute, répondit le Préfet, et il en désigna quatre ou cinq. Sur ce, l'Empereur le congédia. car, dit-il, j'y réfléchirai. Puis de sa main il en raya cinq cents. De même, au lieu de cent vingt musiciens, il n'en voulut garder que seize, et ordonna d'en recruter ailleurs seize nouveaux; car, | |||||||||||||||
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dit-il, il est possible que les anciens resteraient contre leur gré à mes gages. Comme il estime qu'on ne saurait bien gouverner une maison étrangère quand on administre mal la sienne, il réforma ses cuisines avec profit pour ses convives eux-mêmes. Jusqu'alors, trois mille domestiques par semaine y suffisaient à peine; tandis que maintenant quinze cents préparent une cuisine beaucoup meilleure. Ensuite, il était passé en coutume que les décorés de la clef d'or, pour peu qu'ils eussent une fois assisté à la toilette ou au deshabillé de l'Empereur, conservassent indistinctement une clef de fer leur permettant de pénétrer partout, comme prérogative de la charge qu'ils venaient de remplir. Il la retira à tous, à l'exception de ceux auxquels elle était nécessaire par leur devoir d'office. Seul l'Illustrissime Comte de Martinitz, chancelier de la Bohême, fut autorisé à la garder; ainsi que l'Illustrissime Sire de Slavata, maintenu dans sa charge, afin que les contributions des feudataires fussent également réparties entre eux. Digne émule de Charles-Quint, l'Empereur en personne visite souvent les gardes nocturnes de son château. Au premier poste, il reçut l'ordre de donner son nom et le mot de passe. Il s' exécuta en se disant l'un des chambellans de l'Empereur. On exigea alors de lui un pourboire de deux gros. Dans l'obscurité, il donna deux ducats et passa au second poste. On l'y reçut de même et on lui imposa trois gros. Il donna trois ducats. Cette libéralité fit réfléchir les gardes que la peur tint en haleine. Une autre fois, voyant par la fenêtre deux de ses soldats gardes du corps se promener dans la cour l'un porteur d'une lanterne, l'autre superbement vêtu, il les fit approcher tous deux et leur demanda quand ils recevaient leur solde? Apprenant qu'elle était payée à tous les deux régulièrement, - comment, dit-il à celui qui était si bien vêtu, avec une si faible solde, pouvez-vous vous procurer de si beaux habits? - Il apprit que c'était le fruit de l'industrie et de l'économie de cet homme, tandis que l'autre qui était en lambeaux soutenait une famille de beaucoup d'enfants, réduite à une grande misère. Il ordonna que l'on donnât, sur sa cassette, à ce pauvre un magnifique uniforme pareil à celui de l'autre. Quelques intimes de l'Augustissime (Impératrice) Veuve lui avaient persuadé de demander deux ou trois cent mille,Ga naar voetnoot1) pour se | |||||||||||||||
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refaire une Cour qui était déchue de l'éclat impérial. Mais l'Empereur répondit qu'il avait ouvert récemment le testament paternel auquel il entendait se tenir; qu'il y lisait qu'on donnerait option à son Augustissime Mère entre trois palais, celui de Gratz en Styrie, celui de Neustadt et celui de Cracovie: qu'il n'y était nullement fait mention d'une dotation à Vienne, L'Augustissime choisit le palais de Gratz, de beaucoup le plus agréable. Quant à l'Impératrice régnante, l'Empereur a l'habitude de ne la voir qu'en particulier et en secret. On dit qu'il est douteux qu'il produise en public celle à qui il devrait céder le pas. Récemment en public à Vienne, l'Empereur ne montra pas moins de fermeté. Il avait porté je ne sais quelle loi, par laquelle il imposait aux marchands une taxe sur les habits militaires. Peu après, ceux qui y étaient intéressés s'adressèrent au Sérénissime Léopold et le prièrent’ de s'interposer près de l'Empereur, son frère. Mais, le Souverain se retournant vers celui qui s'adressait à lui: Votre Grandeur sait, dit-il, que nous n'avons porté cette loi qu'après une mûre délibération. Je ne veux pas qu'on dise de mes lois que ce sont des lois de Vienne. Car jusque là, il était passé en proverbe, qu'un ordre affiché à Vienne ne valait que pour trois jours. ‘Quant à la Religion de ses ancêtres, il la rétablit avec énergie dans les divers districts de la Silésie, en expulsant tous les prédicants non catholiques. Naguère, il envoya des lettres sévères au lieutenant de Prague, pour avoir délivré un permis de séjour à un individu qui n'était pas revenu à la Foi catholique dans les délais déterminés. Interrogé sur son sentiment relatif à l'élection de l'évêque d'Olmutz,Ga naar voetnoot1) il répondit qu'il en permettait l'examen juridique par ceux auxquels la cause ressortissait, mais qu'il ne voulait cependant pas qu'on procédât à une nouvelle élection sans qu'on eût pris son avis. Sur le reste il garde un complet silence. Il réduisit à cinq le nombre des conseillers. Quant aux autres, il leur prescrivit de se dispenser d'assister aux séances à moins d'y avoir été convoqués. Enfin, tous espèrent voir se réaliser la promesse faite à l'un de ses intimes, qu'il s'efforcerait de montrer en Ferdinand III la magnificence de Rodolphe, la piété de son père Ferdinand II, et, ajouta-t-il en souriant, l'économie de Maximilien I. Il | |||||||||||||||
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reconnaît cependant les dettes laissées par son père et les paie toutes. A Vienne, bientôt après les cérémonies funèbres, s'apprêtent déjà celles des noces de la soeur de l'Empereur avec le Sérénissime de Pologne. On apporte de Pologne une quantité de drap d'or pour les préparatifs nuptiaux. Vers la Pentecôte, l'ambassade royale de Pologne se rendra à Vienne. Casimir, gendre du Roi, y sera accompagné de deux cents cavaliers. A ce qu'on dit, les sabots des chevaux ne seront pas ferrés, mais garnis d'argent. Les brides seront de même argentées. La splendeur des costumes, qui a toujours été extrême en Pologne, y répondra sans nul doute: car, depuis bien des années, nul ne vit à Prague des figurants de théâtre vêtus avec plus de luxe et de plus beaux atours que le cortège de l'envoyé au congrès de Ratisbonne, que nous admirâmes récemment. Sur les opérations de guerre en Saxe, je n'ai rien à ajouter, sinon, que nos troupes ont franchi le pont de Dresde en pleine ville. Elles y ont trouvé de grands approvisionnements et se sont heurtées à une forte cavalerie ennemie, qu'elles ont attaquée, grâce à Dieu, victorieusement. Je vous ai écrit ceci en détail, car j'ai pensé qu'il ne vous serait pas désagréable d'y reconnaître les griffes du lion et de l'aigle. Le P. Arriaga et le P. Wadding saluent très respectueusement Monsieur mon Cousin. Sur ce, je prie la Bonté divine de conserver longtemps saine et sauve Votre Seigneurie. Je salue très amicalement tous mes parents.
De Votre Seigneurie Illustrissime Le Serviteur dans le Christ et Cousin, Théodore Moretus. Prague. 18 avril 1637.’
L'archiduc Léopold dont il est à deux reprises question dans la lettre précédente, gouverna plus tard nos Provinces à l'époque du traité de Westphalie. Fils de l'Empereur Ferdinand II, frère de l'Empereur Ferdinand III et cousin germain de Philippe IV, Roi d'Espagne, ‘c'étaitGa naar voetnoot1) un de ces nombreux princes d'Église produits en Allemagne par la Contre-Réforme, qui, abandonnant à des coadjuteurs le soin de l'apostolat, se consacraient à défendre la reli- | |||||||||||||||
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gion par la politique et par les armes. Celui-ci était un pur soldat, mais dans toute la force du terme un soldat de la foi. Élevé par les jésuites et fougueusement anti-janséniste, il avait dû successivement à l'éclat de sa naissance les évêchés de Strasbourg, de Halberstadt, d'Olmutz et la Grande-Maîtrise de l'Ordre Teutonique. Mais depuis l'âge de vingt-cinq ans il portait l'épée.’ Ce portrait peint par M. Pirenne jette du jour sur plus d'un passage de la correspondance des Moretus. Cependant Théodore s'était empressé de lire les volumes qu'il avait reçus d'Anvers. L'un d'eux, assure-t-il, lui avait plu par-dessus les autres, c'était le traité De disciplinis Mathematicis de Hugues Sempel, Hugo Sempilius, son confrère.Ga naar voetnoot1) Ce Jésuite, né en Écosse en 1589 ou 1590, entré au noviciat de Tolède en 1615, s'était appliqué aux mathématiques qu'il enseigna avec éclat en Espagne, et mourut à Madrid, recteur du Collège des Écossais, le 28 ou 29 septembre 1654. Notre Bibliothèque Royale possède le lourd in-folio du P. Sempel. En dépit de ce que semble promettre le titre, il n'a rien de technique, et n'est qu'une suite de dissertations à l'éloge des mathématiques, en entendant ce dernier mot avec l'extension qu'on lui donnait au XVIIe siècle. Aussi, l'admiration vraiment exagérée de Théodore pour cet ouvrage ne se comprendrait guère, s'il ne fallait y voir une flatterie un peu intéressée pour le cousin Balthasar. L'ouvrage sortait de l'Officine Plantinienne et Théodore espérait être lui-même bientôt autorisé à utiliser les presses de la famille. | |||||||||||||||
De Théodore à Balthasar I.Ga naar voetnoot2)‘Très Illustre Monsieur et Cousin. Le P. Arriaga m'a remis le bréviaire in-12o avec le diurnal et le paquet de livres français relatifs aux affaires publiques de cet État (les Pays-Bas). Ce sont des dons que Votre Seigneurie Illustrissime m'envoie sans que je les eusse mérités. Je l'en remercie on ne peut plus et je les parcourrai avec plaisir. | |||||||||||||||
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Ce qui m'a satisfait le plus, à cause de sa solidité, c'est Le Catholique français. Je l'ai traduit en latin pour que ses belles pensées se répandent chez un plus grand nombre de personnes. Il contient des passages qui pourraient servir à l'instruction des élèves d'humanités. Mais ce que j'ai apprécié par-dessus tout, c'est Hugo Sempilius, De mathematicis disciplinis, que le P. Arriaga m'a donné à lire.Ga naar voetnoot1) Je travaille toujours ces matières, corrigeant et recorrigeant ce que j'ai écrit, pour accoucher de quelque chose qui méritera soit (la forge de) Vulcain, soit vos presses Plantiniennes. La courtoisie et l'amitié que Votre Seigneurie me témoigne, ainsi qu'à la Compagnie, me font espérer que Votre Seigneurie y consentira, quand j'en vois tant d'autres, dans le monde entier, obtenir ce consentement par lequel vos presses semblent moins les mettre au jour, que leur donner de la lumière. Une chose m'inquiète, cependant, car j'ai entendu Votre Seigneurie dire devant moi - propos qui a souvent arrêté ma plume - que deux genres de livres sont une charge pour les imprimeurs: les livres grecs et ceux de mathématiques, parce qu'ils ne se vendent pas et sont encore moins compris. Avoir plu à peu de monde, peut-être est-ce là le sort de tous. Quant à moi qui me sens d'autres inclinations, je me fais violence pour m'occuper de ces matières et ne pas abandonner des travaux commencés, dont quelques-uns sont presque achevés.’ Suivent quelques questions inquiètes sur les événements militaires qui désolaient les Pays-Bas. ‘Sans doute, conclut-il, les prises de Venloo et de Ruremonde m'ont réjoui, mais elles ne compensent pas la perte de Bréda. Il faut toutefois espérer en Dieu, qui est libéral pour ceux qui se confient en lui! Je me recommande vivement à Votre Seigneurie et à l'amitié habituelle de Votre Seigneurie Illustrissime, et je reste en attendant
De Votre Illustrissime Seigneurie Le très attaché Cousin et Serviteur Théodore Moretus. Prague, 19 septembre 1637.’
Balthasar dut sourire en lisant les lignes insinuantes et entortillées par lesquelles le cousin de Prague sollicitait l'emploi de ses | |||||||||||||||
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presses. Sans doute le grand imprimeur anversois savait faire une largesse, mais il était avant tout homme d'affaires. Bon parent, généreux pour les siens, il gardait cependant, même avec eux, l'habitude de calculer. S'il accepta, ce fut un peu fraîchement et avec des réserves, car le pressant quémandeur Théodore ne se trompait pas, l'entreprise ne serait pas lucrative. | |||||||||||||||
De Balthasar I à Théodore.Ga naar voetnoot1)‘Révérend et cher Monsieur, mon Cousin. Vos lettres me sont toujours très agréables, surtout celles qui m'informent des affaires publiques d'Allemagne, bien que je n'y réponde que trop tardivement et trop rarement. Mais une maladie et plusieurs empêchements provoqués par cette indisposition ont, un peu plus que je n'aurais dû, retardé ma réponse. Les Allemands ont combattu cet été le Suédois avec assez de bonheur. On le dit presque vaincu et prêt à demander bientôt la paix. Mais nous, Belges, nous avons subi des revers; car Bréda n'est pas compensée par Venloo et Ruremonde qui nous sont rendus. On ne peut cependant rien reprocher, soit au courage, soit à la capacité de Notre Sérénissime Prince Ferdinand. Il est lié par ses conseillers, auxquels, par ordre du Roi, Comte et Duc, son frère, il obéit. Mais dorénavant, je l'espère, le Roi reconnaîtra la prudence de son frère et ne voudra plus qu'il reste subordonné à ses conseillers. L'été prochain il faudra prendre des mesures sérieuses, sinon la Belgique entière pâtira très fort des attaques du Hollandais et du Français. Vous offrez aux presses plantiniennes un de vos ouvrages de mathématiques. Je ne le refuse pas, pourvu qu'il ne soit pas trop long et ne dépasse pas, à mon avis, l'honneur que vous voulez en retirer. Je songe à réimprimer Ortelius sans tenir compte des remaniements maladroits que la main de Van LangrenGa naar voetnoot2) et d'autres y ont | |||||||||||||||
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apportés. Il paraîtra intact et sans avoir déchu de son aïeul Ptolémée. Je voudrais recevoir de vous un bon traité de géographie qu'on puisse mettre en tête ou à la fin du Theatrum Ortelianum. On pourrait y insérer plusieurs fleurs de la Science mathématique. Jadis, à la prière de Jean-Baptiste Brentius, Michel Coignet a écrit une espèce d'Introduction mathématique, que Brentius a mise luimême au commencement de ce Theatrum. Mais il y a autre chose où je demande votre assistance. J'ai acheté les gravures des monnaies dues à GoltziusGa naar voetnoot1) et les livres édités par BiaeusGa naar voetnoot2). Pour que rien ne manquât à l'ouvrage, j'ai fait regraver parmi les portraits des Empereurs, exécutés par Goltzius, ceux qui avaient péri. Goltzius s'était arrêté à Ferdinand, et j'ai fait ajouter les trois portraits qui manquaient. Reste à écrire leurs vies, c'est-à-dire, leurs éloges sur le modèle de ceux de Goltzius. Ce ne me serait pas difficile, si je connaissais leurs actions de source sûre. Le P. Jules Solimani, qui a publié les éloges des Rois de Bohême, et du même coup ceux des Empereurs, à ce que j'apprends, vit encore, là-bas (à Prague). Il pourrait compléter les éloges qui manquent, sur le modèle de ceux de Goltzius qu'on possède, je n'en doute pas, làbas. Je regrette de ne pas avoir joint Hugo Sempilius aux autres livres. Je l'enverrai par une prochaine occasion. | |||||||||||||||
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Bonne santé, Révérend et très cher Cousin. Saluez de ma par, le P. Bradinus. J'écris directement au P. Arriaga. Anvers, de l'Officine Plantin, 13 novembre 1637.’
Le P. Jules Solimani, dont Balthasar Moretus demandait la collaboration était né à Ferrare, le 28 septembre 1595. Admis dans la Compagnie, en 1613, il enseigna d'abord la grammaire et les humanités, puis à Prague la rhétorique et la philosophie, enfin la théologie à Rome. Il mourut dans la Ville éternelle en 1639. L'ouvrage relatif aux souverains de la Bohême auquel il est fait allusion était les Elogia Ducum, Regum, Interregum, qui Boemis praefueruntGa naar voetnoot1). Solimani semble avoir accepté sans difficulté, plutôt même avec quelque empressement l'invitation qui lui était faite; mais absorbé par d'autres travaux, interrompu plus tard par la mort, il ne put réaliser qu'une partie de sa promesse. Quant à la réédition d'Ortelius que projetait Balthasar, en quoi devait-elle consister au juste? Le grand géographe Ortelius eut tant de relations avec la Maison Plantin, et y a tant publié que la chose reste un peu indécise, et le temps me manque pour me livrer à des recherches sur ce sujet. Mais à s'en tenir aux lettres des deux cousins, tout ce qu'elles contiennent sur ce projet s'explique en admettant qu'il s'agissait de donner une réédition revue de l'Epitome Theatri Orteliani, dont Balthasar avait déjà publié en 1612 une édition préparée par Michel Coignet, qui l'avait préfacée d'une Introduction. L'Epitome est un beau petit atlas. Les rédacteurs de la Bibliotheca Belgica, le Bibliothécaire en chef et les conservateurs de la Bibliothèque de l'Université de Gand, en ont donné une description minutieuse, très soignée comme toujours, d'après l'exemplaire de la Bibliothèque Royale de BelgiqueGa naar voetnoot2). La Préface mathématique que Balthasar demandait à son cousin | |||||||||||||||
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détourna pendant un temps l'activité du Jésuite vers des travaux de géographie restés pour la plupart inédits. Nous possédons cependant un important mémoire publié assez récemment par M. DenucéGa naar voetnoot1). L'auteur y critique d'un ton un peu haut, trop haut même, il faut le dire, les corrections que Michel Florent Van Langren eût désiré pouvoir apporter au Theatrum d'Ortelius. Aussi, en lisant aujourd'hui le mémoire, importe-t-il de ne pas oublier que Van Langren était un savant de valeur, dont les historiens de l'astronomie et de la géographie parlent avec éloge. Cependant vers cette époque le Jésuite avait reçu de mauvaises nouvelles de la santé de Balthasar. Il s'en inquiétait, tout en s'efforçant de se rassurer. | |||||||||||||||
De Théodore à Balthasar IGa naar voetnoot2).‘Très Illustre Monsieur et Cousin. Ma soeur Jeanne, elle aussi, m'a écrit plusieurs fois que la santé de Votre Seigneurie baissait, que Votre Seigneurie a souffert de l'épidémie de fièvre qui a atteint plusieurs membres de la famille. Je me félicite et me réjouis de ce que ce mal domestique soit heureusement écarté. Plût au Ciel, que grâce à la même divinité propice, les maux publics que beaucoup s'attendent à voir fondre sur la Belgique, soient détournés aussi sur ses ennemis. L'ennemi notre voisin, ainsi que Pannierius et Wangelius se trouvent encore dans leurs nids aquatiques. La guerre se prépare en Hollande. Il faut emporter chacune des places fortes, qui renaissent comme l'hydre sous le glaive qui les frappe. Il y a huit jours, Gallas envoya de là-bas à l'Empereur 23 étendards d'infanterie et 5 ou 6 drapeaux de cavalerie arrachés récemment à l'ennemi; car on a battu une des meilleures légions Écossaises jusqu'à l'exterminer. | |||||||||||||||
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D'ailleurs le grand nombre s'est fondu et dispersé et on l'a repoussé dans son refuge maritime. Nous croyons que les troupes de Gallas ont été enthousiasmées là-bas par les exploits de leur héros Jean de Werth, un vrai soldat: et non pas par l'espoir des richesses ni des festins. Elles ont été patriotes et se sont laissé guider par l'amour du bien public. On croit que l'Empereur est parti maintenant pour la Hongrie. Le Sérénissime Léopold a été élu Prince-Évêque d'Olmutz, non pas au scrutin secret, mais par l'acclamation publique de tous les électeurs. M. Curtius, nommé par l'Empereur vice-chancelier de l'Empire, est passé par ici. On le croit envoyé en ambassade près des Electeurs de Saxe et de Brandebourg pour traiter de la paix ou de la guerre en même temps que Pannierius. A Vienne, l'Électeur de Trêves jouit d'une liberté assez grande, sous la responsabilité du Nonce ApostoliqueGa naar voetnoot1). Je n'ajoute rien sur les nouveaux troubles de la Savoie et ce qui s'en suivit, car je crois qu'on les connaît en Belgique aussi bien qu'ici. Il y a ceci. Une forte neige d'hiver est tombée prématurément en Bohême et dans les provinces voisines, non sans endommager et ruiner les édifices et causer la mort de plusieurs voyageurs. En a-t-il été de même en Belgique? Vous offrez vos presses Plantiniennes à mes essais, ce qui m'a été très agréable. Ce me sera un stimulant pour que rien ne m'échappe qui soit indigne d'elles et pour que mes très chères études tournent à la gloire de Dieu. J'interromprai celles que j'avais sous la plume, pour composer d'abord un traité de géographie qui fera mieux connaître le monde que nous habitons. Je ne connais pas l'Introduction mise par Coignet en tête d'Ortelius, parce qu'il ne reste plus aucun exemplaire d'Ortelius au Collège; car les deux qu'il possédait ont disparu du Collège dans la récente échauffourée des Saxons. J'espère néanmoins pouvoir par ailleurs en obtenir un exemplaire en prêt, car je ne voudrais pas m'approprier ce que d'autres ont traité. Pour cette raison, je voudrais lire aussi ce que Froidmont, à ce que j'entends dire, a écrit sur la Terre, dans son Antiaristarcus, et ce que Lansberge a répondu à FroidmontGa naar voetnoot1). Car les siècles sont arrivés, ou viendront bientôt, pendant lesquels les erreurs des athées, qui se glissent par de sur- | |||||||||||||||
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prenants circuits, même chez les catholiques, se réfuteront d'autant mieux par les mathématiques, que ces erreurs se seront glissées plus secrètement et plus loin. J'écrirai aujourd'hui au P. Solimani pour lui demander les Éloges. Les pillards ont aussi emporté Goltzius de ce Collège. J'espère cependant que le P. Jules en trouvera un exemplaire à Vienne où il travaille en ce moment à la vie de Ferdinand II. Le P. Wadding, qui s'est blessé à la jambe en heurtant un obstacle, est au lit. Le P. Arriaga a envoyé à M. Kinckius à Cologne, deux tomes de sa Théologie. Ces deux pères saluent très respectueusement Votre Seigneurie, à laquelle ils souhaitent avec moi toute félicité.
De Votre Seigneurie Illustrissime, Le Serviteur dans le Christ et Cousin
Théodore Moretus Prague, 27 novembre 1637.’
A huit jours de distance, cette lettre fut suivie d'une autre. | |||||||||||||||
De Théodore à Balthasar IGa naar voetnoot1).‘Très Illustre Monsieur et Cousin. Je vous ai écrit, il y a huit jours. Mais en réfléchissant au plan que je devrais adopter dans la composition de mes travaux géographiques, il m'est venu à la pensée, que pour donner plus d'autorité à Ortelius et à son ouvrage, il ne serait pas inutile que je possédasse quelques lettres autographes, soit écrites par l'auteur lui-même, soit écrites à l'auteur pendant qu'il édifiait cet ouvrage (dum hoc opus moliretur). Je ne puis douter, en effet, qu'il n'ait envoyé plus d'une lettre aux savants de France, d'Italie, d'Espagne, d'Allemagne ou d'ailleurs, et qu'il n'en ait reçu en retour des demandes et des éclaircissements sur la chorographie et la géographie. L'autorité de ces savants et celle de la critique d'Ortelius procurera à mon ouvrage de la majesté et de la dignité. Par là Ptolémée lui-même donnera confiance en sa géographie. | |||||||||||||||
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Il y a autre chose que je désirerais beaucoup savoir, D'Ortelius ou de Mercator, lequel, en quelle date, et de combien d'années, est postérieur à l'autre? Votre Seigneurie Illustrissime saura, je l'espère, répondre à mes minutieuses questions. J'eusse pu le faire facilement moi-même, si j'avais eu l'occasion de consulter ces deux auteurs ne fût-ce que pendant une heure. Mais peut-être existe-t-il dans l'Imprimerie Plantinienne des documents qui méritent plus de confiance. En attendant, je soignerai les autres parties qui ont déjà vu le jour dans ma maison, et celles qui vont y naître. A part cela, je ne vois pas autre chose à vous demander. Entre-temps, rien ne s'est passé dans la république. Non loin de Stetin, une troupe de soldats menaçait Pannierius: mais on songe déjà davantage aux quartiers d'hiver qu'aux combats et à une campagne. De quelques-unes des régions les plus éloignées de la Bohême, on rapporte ici des choses étonnantes sur la quantité de neige qui y est tombée vers la Saint-Martin. Non loin de Znaim, sur une route publique et unie, des chevaux avec leurs chariots et leurs conducteurs ont été inextricablement immobilisés par la chute de la neige. Ils n'avaient cependant entrepris qu'une route d'une heure à peine. On compte dix hommes qui sont morts là-bas. De mémoire de vieillard, on ne vit si grande hauteur, ni chute si soudaine de neige. A Prague, quoique la neige ait été abondante, cependant, à cause de la douceur et de la clémence de l'atmosphère, elle ne s'est pas accumulée au point de dépasser la taille d'un homme, qu'elle a atteint de divers côtés. Sur ce, je me recommande vivement à Votre Seigneurie Illustrissime. Le P. Wadding et le P. Arriaga joignent très respectueusement, par ma main, leur salut au mien.
De Votre Seigneurie Illustrissime, Le Serviteur dans le Christ
Théodore Moretus.
Prague, 5 novembre 1637.’
Balthasar ne répondit pas immédiatement et une troisième lettre lui fut envoyée dans les premiers jours de l'année suivante. On avait à lui donner des nouvelles sur l'état d'avancement des Éloges des Empereurs destinés à son édition de Goltzius. | |||||||||||||||
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De Théodore à Balthasar IGa naar voetnoot1).‘Très Illustre Monsieur et Cousin. Je vous souhaite d'abord un très heureux commencement de l'année et qu'elle s'écoule dans la prospérité. Je vous écris cette lettre, parce que j'ai enfin reçu quelque chose concernant le supplément de Goltzius. C'est plus tard, il est vrai, que je ne l'eusse voulu, car, je ne sais par quel malheur, les premières notes que j'avais envoyées à Vienne ont péri en route. Mais les éloges demandés arriveront cependant à temps, si comme je l'espère, je puis les envoyer sans tarder. Le P. Lamormaini avait reçu d'Anvers des lettres sur le même sujet, auxquelles on avait joint quelques imprimés contenant les éloges des Empereurs. Après les avoir lus on jugea que tel ou tel était écrit d'un style trop négligé et qu'il fallait retoucher tout le travail pour lui donner un air plus érudit et plus orné. La Vie de Ferdinand II, paraîtra difficilement cette année. Les fonctionnaires de la Cour ont contribué au retard. C'est lentement et après bien des injonctions et des prières, qu'ils ont fini par rechercher leurs manuscrits et les ont montrés au rédacteur. J'ai enfin reçu la seconde édition du Theatrum d'Ortelius; c'est à ma grande satisfaction et à celle de la Bibliothèque. Le P. Wadding et le P. Arriaga saluent très respectueusement Votre Seigneurie. Il en est de même du P. Jules Solimani qui très opportunément fait un voyage par ici. Sur ce, je prie la Bonté Divine de vous conserver longtemps en bonne santé pour le bien de tous et principalement celui de la république des lettres.
De Votre Seigneurie Illustrissime, Le Serviteur dans le Christ Théodore Moretus. Prague, 9 janvier 1638.’
C'était la seconde édition du Theatrum Orbis Terrae d'Ortelius qui parut à Anvers, chez Gilles Coppens de Diest, en 1570, dont Balthasar avait envoyé un exemplaire à Prague. Sauf plus ample et plus exacte information, je persiste néanmoins à croire qu'il ne | |||||||||||||||
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songeait qu'à rééditer un atlas moins considérable, l'Epitome. Son cousin l'eût doté d'une Introduction mathématique remplaçant celle de Coignet, substitution qui eût été un honneur pour la famille. Quant à la lettre écrite d'Anvers au P. Lamormaini, elle ne pouvait être adressée à un meilleur informateur. Guillaume de Lamormaini, né à Dochamps dans le grand-duché de Luxembourg le 29 décembre 1570, entra dans la Compagnie le 5 février 1590, et mourut à Vienne le 23 février 1648. Recteur du collège de cette ville de 1623 à 1637, il fut pendant tout ce temps le confesseur de l'empereur Ferdinand II, chez lequel il jouissait d'un crédit incontestable, qui lui a même été parfois reproché. Balthasar Moretus devait assez naturellement croire Lamormaini tout disposé à obliger un compatriote qui travaillait à la glorification du défunt Empereur. Entre-temps, trois envois de Prague étaient arrivés à Anvers, et le chef de l'Officine se hâte d'en accuser réception. | |||||||||||||||
De Balthasar I à ThéodoreGa naar voetnoot1).‘Révérend et très cher Monsieur, mon Cousin. J'ai reçu vos trois bien agréables lettres, auxquelles étaient joints les gestes et les éloges des derniers Empereurs, qui complètent l'Histoire des Césars par Goltzius. Mais, puisque vous me dites, que votre bibliothèque n'en a pas d'exemplaire, je vous envoie les Éloges des trois derniers Empereurs par lesquels Goltzius l'a terminée, en laissant cependant Charles-Quint et Ferdinand I en partie inachevés. On devait les compléter plus tard d'après les circonstances. Par les éloges que je vous envoie, vous comprendrez aisément le but et la méthode de Goltzius, qui n'était pas d'écrire séparément l'éloge de chaque Empereur, mais de faire un récit continu de leur histoire, donnant dans la vie du successeur les derniers gestes de son prédécesseur, tout en datant le portrait de l'année de la mort. Quant à Ortelius et aux lettres autographes que vous désirez relatives à son Theatrum, Colius, petit-fils de sa soeur, les a emportées en Angleterre et je ne sais s'il n'y est pas mort. Mercator et Ortelius étaient contemporains et liés d'amitié, ce qui ressort avec évidence de la lettre de Mercator qui se trouve en tête du Theatrum d'Ortelius. | |||||||||||||||
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Je vous enverrai les sottises de Lansberge avec la réponse de Froidmont, lors de la première foire de FrancfortGa naar voetnoot1). Si vous désirez autre chose, faites-le-moi savoir. Rien d'important dans les affaires publiques ne s'est passé ici pendant l'hiver. En vain avons-nous espéré que les fortes gelées nous permettraient d'enlever le fort de Sainte-Croix, qui fait tant de mal à la ville. Quant à ce qui se passera au printemps prochain, nous le redoutons et sommes dans l'incertitude. Nous entendons parler de préparatifs de guerre, qui ne sont pas de minime importance. Que Dieu nous aide et vous conserve en bonne santé, Révérend Monsieur et Cousin. Souvenez-vous de moi dans vos prières. Anvers, de l'Officine Plantin, 12 février 1638. Saluez bien les PP. Arriaga et Wadding.’ | |||||||||||||||
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Lansberge, dont Balthasar Moretus parle avec si peu de respect, n'est pas notre compatriote gantois, le grand Philippe Van Lansberge. que Kepler tenait en haute estime et dont les ouvrages font honneur à la science belge; mais il s'agit de son fils Jacques. Celuici naquit à Goes en Zélande vers 1590. Philippe était partisan du système de Copernic, excellente cause, mais qu'il défendait trop souvent par de mauvais arguments, prêtant le flanc à la critique, ce dont profitaient ses adversaires. Pour défendre son père, Jacques écrivit son Apologia pro Commentationibus Philippi Lansbergi in motum Terrae diurnum et annuum. Théodore, en ce qui concerne le système de Copernic, partageait, à n'en pas douter, les idées de son cousin. Un Jésuite était encore trop sous le coup de la deuxième condamnation de Galilée, qui datait de quatre ans à peine, pour ne pas s'y croire tenu en conscience. Mais, à l'exemple de son confrère et compatriote André TacquetGa naar voetnoot1), faisait-il profession de ne se soumettre que pour des raisons de théologie et de peur d'errer dans la foi? Je ne le pense pas. Jusqu'à la fin de ses jours, il chercha à se convaincre que des arguments purement philosophiques et scientifiques prouvaient l'immobilité de la terre. Je dis avec intention qu'il chercha à se convaincre et non pas qu'il fut convaincu. Un des manuscrits de Prague nous a conservé à ce sujet un très curieux documentGa naar voetnoot2). C'est un fort long sorite, écrit par Théodore pour lui seul, qui conclut à l'immobilité de la terre et au mouvement du soleil. Ce sorite, composé de petits syllogismes d'une forme impeccable, a l'apparence la plus rigoureuse. Construit sur le modèle des sorites que quelques amis de Théodore échafaudaient pour établir la quadrature du cercle, il faisait illusion, et par le même procédé. C'était de débuter par de nombreux syllogismes corrects sous tous les rapports, qui inspiraient la confiance dans l'ensemble de l'argumentation, mais d'autre part dès le milieu du raisonnement fatiguaient l'attention et l'empêchaient de remarquer quelque proposition contestable qui ébranlait tout l'édifice. Pour un professeur de philosophie, ces sorites spécieux et difficiles à débrouiller, eussent été d'excellents exercices à proposer aux élèves afin de les obliger à découvrir les fautes qui y étaient commises contre les règles de la logique. Libert Froidmont répondit à Lansberge par son Vesta sive Anti-Aristarchus vindex adversus J. Lansbergium. | |||||||||||||||
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Interrompue pendant les mois de mars et d'avril la correspondance reprend le 1er mai. | |||||||||||||||
De Théodore à Balthasar IGa naar voetnoot1).‘Cher Monsieur mon Cousin. Je ne voudrais pas que vous puissiez vous formaliser du retard apporté à l'envoi des éloges promis. Le P. Solimani en a cherché ici avec moi les éléments pendant l'hiver. Plus tard, il est parti d'ici pour l'Autriche, d'où j'ai reçu l'éloge de Maximilien qu'il m'avait envoyé et que je vous ai déjà transmis. Je crains cependant qu'il n'ait péri en route avec celui de Ferdinand I. Je suis obligé d'attendre que le reste arrive d'Italie, où Solimani s'est rendu au début d'avril; car tandis qu'il guettait dans l'incertitude une occasion favorable pour se mettre en route, il n'a pu achever le travail commencé. Ce n'est cependant pas défaut de diligence, ni de bonne volonté. Quant à l'état des affaires de ce royaume, l'assemblée que préside le chancelier Georges, comte de Martinitz, se termine avec succès. Les Grands ont accordé une pension de 600.000 (florins) du Rhin; et en outre la levée de deux légions d'hommes à la charge du trésor public. L'Empereur projette toujours de venir à Prague. Entre-temps Gallas est allé à Magdebourg avec ses troupes, d'où il se propose de gagner la Belgique ou le Rhin. Puisque la paix est conclue, le poids de l'armée de Pannierius pèse tout entier sur le Saxon et le Brandebourgeois. Une catastrophe s'est produite à Crembsium. Le Danube y a récemment englouti l'ambassadeur d'Espagne et cinq des principaux nobles de sa suite, ainsi qu'un bagage et des richesses considérables. Seul un matelot s'est sauvé à la nage. En Italie un tremblement de terre a secoué la Calabre et y a enseveli trente mille hommes avec des bourgs et des villages nombreux. En Sicile, le même fléau a renversé une très grande église pendant le sermon. Ce ne sont donc pas les seuls Belges, mais l'Europe presque entière, que de multiples malheurs accablent! On a prescrit pour demain contre la sécherese, des prières publiques et des processions par toute la ville. | |||||||||||||||
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Que la Bonté Divine donne à la République la tranquillité, à la terre, l'abondance, et à vous le bonheur, très Illustre Monsieur et excellent Cousin. Dont je reste Le Serviteur dans le Christ et Cousin Théodore Moretus.’ ‘Prague, 1 mai 1638.’
Contrairement à ce que redoutait Théodore, Balthasar avait reçu les éloges de Ferdinand I et de Maximilien II. Il se hâte de l'en informer. | |||||||||||||||
De Balthasar I à ThéodoreGa naar voetnoot1).‘Révérend et très cher Monsieur, mon Cousin. J'ai reçu depuis longtemps les éloges historiques de Ferdinand I et de Maximilien II; j'attends que vous ayez l'occasion de m'envoyer ceux des autres Empereurs. Dans les premiers éloges, rien ne manque, sauf un apophtegme qui caractérise chaque Empereur, et qu'on puisse, à l'exemple de Goltzius, joindre à leur portrait. Goltzius avait jadis ajouté au portrait de Ferdinand l'apophtegme suivant: C'est an spectacle lamentable et lugubre, de voir scinder en deux professions de Foi, ceux d'un même baptême, d'un même nom, d'un même empire, d'une même religion. Si le P. Solimani en connaît un plus convenable, j'attendrai. J'ai envoyé aux actuelles foires de Francfort un paquet à votre adresse. M. Kinckius, libraire à Cologne, m'écrit qu'il l'a transmis à Mayence, mais ne me dit pas à qui. J'espère qu'il parviendra tout droit en vos mains. Vous y trouverez divers opuscules mathématiques de Lansberge et de Froidmont, l'Apologie de la Reine Mère par D.S. Germain, les Sylvae Uchanianae, ou gestes d'Urbain VIII par Simonide, De Disciplinis Mathematicis Libri du P. Sempel, enfin l'Introduction Mathématique de Michel Coignet, pour le cas où elle ferait défaut dans le Theatrum d'Ortelius que vous avez là-bas. Acceptez favorablement cette pièce destinée à jeter du jour sur le Theatrum d'Ortelius. Saluez respectueusement le P. Arriaga. Jusqu'ici je suis sans nouvelles de ses commentaires sur la Somme de S. Thomas. Par qui et à qui les a-t-il envoyés? La pénurie de papier est si grande | |||||||||||||||
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que je ne puis achever l'Histoire de la Terre Sainte commencée depuis quatre ans. Bonne santé, Révérend et très cher Cousin. Saluez de ma part le P. Wadding. Anvers, de l'Officine Plantin, 7 mai 1638. Je vous envoie l'affiche célébrant la vaillance du Prince Espagnol. Quant aux affaires publiques, qui sont fort indécises, je n'en dis rien.’ Le Prince Espagnol n'est autre que le Cardinal-Infant. | |||||||||||||||
De Théodore à Balthasar I.Ga naar voetnoot1)‘Très Illustre Monsieur, mon Cousin. Je suis heureux que les éloges vous aient été fidèlement remis. Je n'en ai pas reçu d'autres, mais je les attends de jour en jour. Samedi dernier j'ai rappelé au P. Solimani d'avoir soin d'y ajouter des apophtegmes. J'ai reçu, presque au moment même où on me remettait vos lettres, le ballot de livres de mathématiques. C'est de votre part un don que je ne méritais pas; mais je me souviendrai de ce bienfait et tâcherai de vous en payer le prix. Plusieurs des ouvrages de Froidmont et la plupart de ceux de Lansberge m'étaient à peine connus de nom. Le tout m'a fait d'autant plus de plaisir que je m'attendais moins à le recevoir. En lisant les lettres qui lui étaient adressées, le P. Arriaga n'en a pas été médiocrement contrarié, mais il s'est bientôt calmé en lisant celles de M. Kinckius l'informant qu'il avait enfin reçu le manuscrit et qu'il l'avait envoyé à Anvers. Je désirais publier l'Introduction de Coignet dans mon Theatrum. Mais comme Coignet lui-même l'a éditée sous une forme assez savante, je donnerai sur ce sujet quelque chose de plus court que ce que je projetais. Je tâcherai que notre terre, dont Ortelius a décrit la surface, soit mieux connue jusque dans ses profondeurs, par le lecteur curieux; pourvu que Dieu me donne la santé et dirige ma plume. L'inscription destinée à la pyramide de Madrid a plu quand on | |||||||||||||||
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l'a lue dans la maison. Elle circule entre les mains des supérieurs. Je ne sais quand, ni si, on me la rendra. Il faut espérer et prier Dieu qu'une main si puissante (le Cardinal-Infant?) nous donnera une bonne paix et un bonheur complet à la patrie. Que la Bonté Divine conserve longtemps Votre Seigneurie Illustrissime en bonne santé. De Votre Seigneurie Illustrissime, Le Serviteur dans le Christ et Cousin Théodore Moretus. Prague, 5 juin 1638.
Rien de neuf ne se raconte sur les affaires de la république, si ce n'est les événements qui se sont passés très près des Belges. Ici, si Paderborn est perdu, Meppen est repris. La guerre est un jeu de dés. L'Empereur se rapproche de Prague, mais n'y entre pas. En Moravie, les paysans sont parfaitement tranquilles. En Pologne, la paix est faite avec les Turcs et ceux de Dantzig. Seuls les Suédois retardent la tranquillité publique de ces régions et empêchent l'arrivée de l'Empereur. Les Viennois excusent cependant cette lenteur par l'attente des couches de l'Impératrice. On ne sait si l'Empereur prendra l'initiative sur le Bavarois, ce qui fortifierait et consoliderait la République chrétienne.’ La victoire des Belges, à laquelle il est fait plus ou moins clairement allusion dans cette lettre et très explicitement dans la suivante, était la reprise du fort de Calloo, situé en Flandre, sur la rive gauche de l'Escaut, au nord d'Anvers, qui, d'abord un moment perdu, avait été enlevé au prince Fréderic-Henri. | |||||||||||||||
De Balthasar I à Théodore.Ga naar voetnoot1)‘Révérend et très cher Cousin. La semaine dernière j'ai reçu votre lettre, mais l'apparition si soudaine des Hollandais qui dévoraient en espérance Anvers, m'a empêché d'y répondre. Car voici que tout à coup ils occupèrent le fort de Calloo, situé dans le Pays de Flandre, dont le commandant ou n'était pas suffisamment sur ses gardes, ou faisait défection en | |||||||||||||||
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trahissant. En peu de jours ils le fortifièrent au point qu'on eût enlevé plus facilement une ville que cette position. Que fera le Sérénissime Prince-Cardinal? Le fort était à reprendre, ou c'en était fait d'Anvers. A l'improviste, le Prince accourt à Anvers, rassemble des troupes de toute part, et ordonne de pousser vigoureusement à l'ennemi. Dieu le protège, ainsi que la Vierge Mère de Dieu, dont le fils de Guillaume de NassauGa naar voetnoot1) avait brûlé une statue trouvée en l'église de Calloo. Il l'avait jetée dans un bûcher allumé sur place, en l'accompagnant d'un impie sarcasme: Il faut réchauffer les... de Marie. Ils se moquèrent en outre d'une image des SS. Apôtres Pierre et Paul, la jetèrent dans un champ près des eaux et ordonnèrent de la repêcher. Le fils de Guillaume de Nassau, bientôt échaudé par un boulet de canon, mourut; beaucoup de soldats furent engloutis par les flots, d'autres furent tués, d'autres faits prisonniers; c'était la fleur de la cavalerie Orangiste. Le fort de Calloo et les autres positions occupées furent reprises. Depuis trente ans, à peine le Hollandais a-til subi pareille défaite. Grâces en soient rendues à Dieu! Hier les Anversois l'en ont remercié par une procession solennelle, dans laquelle ils portèrent par la ville l'Image de Marie, leur divine protectrice, accompagnée par le Sérénissime Prince victorieux et les principaux généraux de l'armée. Saluez très respectueusement de ma part le P. Arriaga, et informez-le que j'ai déjà reçu deux tomes de son commentaire sur S. Thomas. J'attends, par une occasion, le reste des éloges des Empereurs. A Saint-Omer le Prince Thomas combat les Français avec assez de succès. Nous espérons que bientôt la ville sera délivrée. Bonne santé, Révérend et très cher Cousin. Anvers, de l'Officine Plantin, 25 juin 1638.’
Cette lettre fit sensation. Théodore la lut à de nombreux amis et provoqua leur enthousiasme. Mais un autre événement mettait au comble la joie de son entourage immédiat: l'érection définitive du Collège Saint-Clément de Prague en Université. | |||||||||||||||
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De Théodore à Balthasar I.Ga naar voetnoot1)‘Très Illustre Monsieur et très cher Cousin. C'est incroyable, combien la victoire des Belges m'a fait plaisir ainsi qu'à toute la ville de Prague. Fasse le bon Dieu, qu'avec une même constance, nos troupes continuent à accumuler victoire sur victoire! Par cette faveur, le courage et la chance ont, avec l'aide du Ciel, conduit le premier Bélier à une si grande défaite des ennemis. L'Empereur, depuis si longtemps désiré par les habitants de Prague, est ici. Peut-être, pour l'empêcher de venir, a-t-on essayé, mais inutilement, de l'effrayer par les futiles fantaisies d'un astrologue de Venise, qui prédisait qu'un tremblement de terre et une tempête menaçaient Prague d'un désastre; car vers le 23 juillet le Soleil entrerait dans le Lion, et Prague était sous l'influence de cette constellation. Mais, je crains pour ce prophète, que s'il s'est rendu à Vienne, l'absence de l'Empereur ne cause un grand désastre dans ses bénéfices. L'Empereur est donc venu à Prague le 11 juillet, accompagné par le Sérénissime Léopold. Il a donné l'ordre d'y faire venir en même temps toutes les Expéditions de la Chancellerie, comme on les nomme. C'est un indice que son séjour ne sera pas limité à une journée. On porte aujourd'hui le décret ordonnant de faire venir l'Impératrice à Prague. Les Bohémiens espèrent que dans six mois elle leur donnera un fils, qui sera enfin un Prince Bohémien, leur compatriote. Avant de quitter Vienne, l'Empereur voulut qu'en arrivant à Prague, il y trouvât l'affaire de l'Académie réglée; car depuis dix ans et plus, Rome avait prononcé la validité légale des honneurs académiques contre lesquels l'archevêque de Prague interjetait appel. En conséquence, comme ce prince très prévenant pour notre Compagnie, s'apercevait qu'il renaissait quotidiennement de nouvelles attaques contre l'Université, et contre la Compagnie ellemême, dans ses privilèges, à cause de l'Université, il voulut que l'Université Caroline que nous avions reçue de Ferdinand I lui fût remise; et nous la rendîmes volontiers à ce Prince aimé. | |||||||||||||||
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Il nomma ensuite un des principaux parmi les Grands, comme protecteur de l'Université pour les Facultés de Droit et de Médecine. Il voulut que la Compagnie fît usage des anciens droits de l'Université Ferdinandienne; et ordonna, en vertu de son autorité, que dans toutes les Facultés, tous les grades fussent conférés en public, à la jeunesse bien méritante. Voilà ce que fit l'Empereur alors qu'il n'était pas encore à Prague. Que Dieu bénisse ces heureux débuts! S'il survient quelque événement digne de la plume, quand les ducs de Bavière et de Saxe seront arrivés, je vous l'écrirai. Les PP. Wadding et Arriaga vous saluent très respectueusement. Ce dernier se félicite que sa Théologie soit si près d'être mise sous presse. Et sur ce, je reste De Votre Seigneurie Le Serviteur dans le Christ et Cousin Théodore Moretus. Prague, 17 juillet 1638.’
Le lecteur trouvera dans la Bibliothèque de la Compagnie de Jésus, par les PP. De Backer et Sommervogel, de nombreux renseignements concernant les ouvrages du P. Arriaga, publiés par l'Officine PlantinGa naar voetnoot1). Je ne saurais m'y arrêter. Mais, en juillet 1638, nouvelles d'Anvers, nouvelles de Prague, tout met Théodore en joie. L'Empereur et son frère l'Archiduc Léopold, ont fait aux Jésuites l'honneur de s'asseoir à leur table, le jour de la fête de saint Ignace. Pendant cette visite, le cousin avait été chargé de distraire les deux illustres convives par des récréations mathématiques. Il faut savoir que les expériences de physique amusante faisaient alors partie des sciences mathématiques. | |||||||||||||||
De Théodore à Balthasar IGa naar voetnoot2).‘Illustrissime Seigneur, Monsieur mon Cousin. Le Collège de Prague tout entier a écouté avec la plus grande satisfaction le récit de la victoire des Belges que j'ai reçu de vous. Qui plus est, l'honneur rendu à la statue de la Vierge outragée, la | |||||||||||||||
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réparation qui, sur l'ordre de Dieu, en a été faite par la mort du blasphémateur, ont été proclamés du haut des chaires de vérité. Nul homme prudent ne saurait douter que, parmi les mille narrations différentes qui ont cours, ce que vous écrivez ne soit hors de conteste. Je répondrai en peu de mots à vos nouvelles. L'Empereur est encore à Prague. Il prépare et commence à faire construire les murs d'un nouvel édifice destiné à servir de palais à l'Impératrice. Peut-être, vers le milieu de l'automne, partirat-il pour Vienne. Entre-temps, pendant qu'il est ici, il donne des marques de sa piété et de sa justice. Il a visité le Collège avec son Sérénissime frère, et le jour même de la fête de saint Ignace, n'a pas refusé notre modeste repas. Pour moi, je me suis efforcé d'amuser ces deux nobles frères par mes mathématiques. Le duc de Saxe et celui de Brandebourg se sont excusés de ne pas s'être présentés (à l'Empereur). En leur absence, ils ont demandé et demanderont encore ces jours-ci l'investiture de leurs divers fiefs. La situation de l'Académie redevient florissante depuis qu'on a restitué à la science les anciens honneurs de ses grades. Au Collège, nous avons récemment conféré le baccalauréat, longtemps attendu, à cent six candidats bien triés dans toutes les Facultés. La Maîtrise en philosophie et en théologie s'accordera sous peu à ceux qui l'ont bien méritée. La Justicé et la Médecine s'apprêtent également à rendre à leurs auditeurs les honneurs qui leur sont dus. Voilà comment la présence de l'oeil du maître entretient et nourrit les arts. Il serait honteux que le regret de l'absence de cet oeil soit moins efficace que le bonheur de sa présence, et qu'il réjouisse des ennemis qui ont peine à se contenir. On raconte, et ce n'est pas une rumeur tout à fait vaine, que les Sérénissimes Souverains de Pologne viendront aux bains et aux thermes. Peut-être visiteront-ils Prague et Vienne. Je m'étonne du silence obstiné du P. Solimani. Depuis qu'il est parti d'ici pour Rome, je n'en reçois pas le moindre mot, malgré plus d'une lettre où je lui demande ce qu'il fait? Quel espoir avonsnous d'obtenir les éloges que nous attendons? Je regrette une chose, c'est de ne pas avoir gardé devers moi un exemplaire de ce que j'avais si laborieusement réuni de divers côtés. J'ai cependant écrit de nouveau à Rome et je presse l'affaire par un ami dont j'attends ces jours-ci la réponse. | |||||||||||||||
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J'ai appris, par ma soeur Jeanne, le deuil de la maison fraternelle, causé par la mort de mon frère, la douleur des enfants et de la famille, j'y prends part, et je célébrerai volontiers la messe des défunts. Sur ce, je prie ardemment pour que Votre Seigneurie Illustrissime vive longtemps en bonne santé, pour le bien de la république. Le P. Wadding est au lit atteint de la fièvre. Il semble cependant devoir être bientôt rétabli. Il salue très amicalement Votre Seigneurie. Le P. Arriaga se joint à lui. Adieu. De Votre Seigneurie Illustrissime Le Serviteur dans le Christ et Cousin Théodore Moretus. Prague, 7 août 1638.’
Le frère, dont Jeanne Moretus avait annoncé le décès à Théodore, était Louis, mort sans postérité, et dont la succession occasionnera des tiraillements dans la famille. Quant au P. Solimani, qui devait mourir quelques mois plus tard, sa santé était probablement déjà chancelante, mais à Prague et à plus forte raison à Anvers, on l'ignorait. | |||||||||||||||
De Balthasar I à ThéodoreGa naar voetnoot1).‘Révérend et très cher Cousin. Vous aurez appris les victoires qui ont suivi celle de Calloo, à Saint-Omer et en Gueldre. Je joins aux présentes lettres l'inscription composée par le P. Barthélemi de Los Rios, de l'Ordre de saint Augustin, rappelant notre triple triomphe et l'affreux sacrilège des Hollandais. Je supporte, mais avec une patience de plus en plus nécessaire, les retards du P. Solimani; à la condition cependant qu'une joyeuse couronne ceigne l'Augustissime Empereur. Je me réjouis de l'heureux progrès de votre Académie et j'admire respectueusement l'intérêt que l'Illustrissime Empereur porte à la science, quand elle est jointe à la piété.’ Puis Balthasar informe Théodore que Louis lui a fait un legs de 50 florins. ‘Voyez, ajoute-t-il, s'il vous convient de les toucher làbas et si je dois les y faire parvenir. | |||||||||||||||
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Bonne santé, Révérend et très cher cousin. Souvenez-vous de moi dans vos prières. Anvers, de l'Officine Plantin, 1er octobre 1638.’
Théodore répondit immédiatement, et nous donnerons sa lettre un peu plus loin. Mais, il se doutait de l'impatience que provoquaient chez son correspondant les retards de Solimani, et presque au moment même où Balthasar lui écrivait à Anvers, il s'excusait près de lui à Prague. Les deux lettres se croisèrent. | |||||||||||||||
De Théodore à Balthasar IGa naar voetnoot1).‘Très cher Monsieur et Cousin. Vous vous étonnez, je n'en doute pas, que je vous écrive maintenant pour la première fois, et que de nouveau ma lettre ne contienne rien. Le P. Solimani trompe mes espérances. J'ai écrit à Rome, et - après avoir en vain adressé plus d'une lettre au P. Solimani lui-même - j'ai confié l'affaire en cours à un de mes amis. Mais, comme Solimani, absent de Rome, était en résidence à Ferrare sa patrie, je n'ai rien obtenu par mon ami. J'ai donc formé un autre projet et j'ai demandé à Vienne un court résumé, comme qui dirait quelques notes sur les gestes de Ferdinand II dignes de mémoire. Quand je les aurai reçues, par le P. Lamormaini, je vous les enverrai, pour qu'elles soient mises là-bas (à Anvers) en beau style. Je réunirai de nouveau les actes de Mathias et de Rodolphe en y consacrant le même travail que la première fois. Peu de chose relativement aux affaires publiques. Brisac a été pourvue par le commandant de la place. L'Empereur lui avait envoyé environ quarante mille pièces d'or, qu'on nomme ducats. Il les employa en partie à gagner des Suisses, en partie à acheter des vivres, qu'il se procura à Strasbourg et ailleurs par l'entremise des Suisses qu'il avait gagnés. En conséquence, un courrier envoyé à l'Empereur l'engage à avoir bon espoir. Le 4 octobre notre Ferdinand sera à Litomericium, aux frontières de la Bohême. Il y conférera avec le duc de Saxe. De là il rentrera à Prague, et le 15 octobre se mettra en route pour Vienne. Voilà ce qui est décidé jusqu'ici. | |||||||||||||||
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Entre-temps, il poursuit la construction du palais que doit habiter l'an prochain l'Impératrice. C'est un vrai Empereur qui nous est donné, né pour le bien public de royaumes si nombreux, tant il désire être chez tous présent de sa personne. Infatigable au travail, il lit les requêtes et répond à chacune d'elles. Or le nombre en est si grand, qu'on lui en remet souvent six où sept cents en un jour. Mais, l'activité de ceux qui doivent expédier les affaires n'est pas la même que la sienne. Ils se plaignent d'être écrasés par leur multitude. Le comte de Martinitz, senior, fait les fonctions de Vice-Roi de Bohême, en remplacement de Walstein récemment décédé. Voilà l'état des affaires publiques dans ces contrées; car je n'ai rien à vous écrire de l'expédition de Gallas, puisque j'apprends que les Belges s'en occupent suffisamment par la plume et la presse. Il s'ébranle déjà en vue de l'attaque. OnGa naar voetnoot1) a négocié une nouvelle paix avec Pannierius. Que ce soit avec succès! Et sur ce, je prie la Bonté divine de conserver longtemps Votre Seigneurie en bonne santé pour le bien de la république. Le P. Arriaga et le P. Wadding vous saluent très amicalement. De Votre Seigneurie Illustrissime Le Serviteur dans le Christ et Cousin Théodore Moretus. Prague, 2 octobre 1638.’ | |||||||||||||||
De Théodore à Balthasar IGa naar voetnoot2).‘Très Illustre Monsieur, mon Cousin. J'ai reçu votre lettre du 1er octobre et j'ai lu l'inscription en l'honneur de Ferdinand de Belgique. Je la ferai lire aussi par les Moraves et les Silésiens. Hier, l'Empereur est parti d'ici pour Vienne. En cours de route, il saluera le Roi de Pologne à Nicholsbourg. C'est une ville célèbre par la piété du cardinal Dichtristein envers Notre-Dame de Lorette. Elle est située aux frontières de la Moravie et de l'Autriche. L'empressement que l'Empereur a mis à cette visite fraternelle est la cause pour laquelle Prague a été prématurément privée de son prince. A Leitmeritz, située aux frontières de la Saxe et de la Bohême, l'Empereur s'est entretenu avec l'Électeur de Saxe. On | |||||||||||||||
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s'est quitté très amicalement. Le Saxon fut donc là avec ses quatre enfants mâles déjà en âge adulte. Après leur Père, chacun d'eux s'approcha de l'Empereur dans la plaine de Leitmeritz et se prosterna au moment où il l'abordait. Tout un cercle de nobles et de peuple accouru à ce spectacle se pressait et regardait. Deux fois les deux parties se réunirent en conseil, la première fois les Princes n'y assistèrent pas, la seconde ils le présidèrent. Avant de quitter Prague, l'Empereur voulut que les docteurs en droit fussent proclamés et promus de par son autorité. La licence fut donnée en public du haut de la chaire, par le très magnifique Protecteur des Facultés de Droit et de Médecine, l'Illustrissime M. de Talenberg, second des sept Lieutenants, afin d'enlever aux adversaires de l'Université tout l'espoir d'une victoire que quelques-uns se figuraient leur rester encore un peu. Et si les honneurs dus aux théologiens et aux philosophes, se confèrent par notre Compagnie, c'est par la même autorité de l'Empereur: bien plus, c'est par son ordre. J'ai été affecté par la mort de mon frère Louis et j'ai lu, en y compatissant, le récit que ma soeur Jeanne m'a fait des tourments qu'il a endurés pendant sa maladie. Je vois ma bonne et vieille mère isolée, envoyer avant elle ses fils au Ciel, comme je l'espère et en ai la confiance, pour les y suivre à l'abri de tout souci quand il plaira à Dieu. Puisque mon frère ne m'a pas oublié malgré mon absence, j'accepte avec gratitude le legs qu'il m'a fait. En reconnaissance de ce bienfait, mes confrères et moi nous célébrerons des messes expiatoires pour secourir l'âme de mon Mécène. Votre Seigneurie voudra bien payer ces 50 florins au P. Bollandus quand il les demandera à Votre Seigneurie. Je n'ai encore rien reçu du P. Solimani en réponse à mes nombreuses lettres. J'attends quelque chose de Vienne, ainsi que je vous l'ai écrit la dernière fois. Sur ce, comme je ne vois rien d'autre à vous écrire, je prie la Majesté divine de conserver longtemps Votre Seigneurie en bonne santé. Si la mort de mon frère a causé quelque tort à votre Officine Plantinienne, que ce Divin Rémunérateur le répare abondamment! De Votre Seigneurie Illustrissime Le Serviteur dans le Christ et Cousin Théodore Moretus. Prague, 16 octobre 1638.’ | |||||||||||||||
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On le voit, la correspondance des deux cousins devenait de plus en plus confiante. Leur intimité croissante se manifeste encore mieux dans la lettre suivante. Théodore a reçu de Rome le récit de la mort du P. Christophe de Mendoza, prêtre de la Compagnie de Jésus, qui venait d'être massacré par les sauvages du Paraguay. Les circonstances de ce martyre l'ont ému et il croit qu'il en sera de même de Balthasar. En cela, il ne se trompe pas, car le grand imprimeur a inséré le précis autographe de la narration que lui envoyait son cousin, parmi les lettres qu'il reçut des membres de sa familleGa naar voetnoot1). Je me contente ici de signaler l'existence de cette pièce. Pour être publiée, il conviendrait qu'elle fît l'objet d'une note particulière, mais voici la lettre à laquelle elle était annexée. Dans les premières lignes il est fait allusion à une lettre précédente, que je n'ai pas retrouvée. | |||||||||||||||
De Théodore à Balthasar I.Ga naar voetnoot2)‘Très Illustre Monsieur et Cousin. Je vous ai écrit, il y a, si j'ai bon souvenir, quatorze jours. Je vous récris maintenant, parce qu'on a reçu à Rome, grâce à un voyageur venu du Paraguay, le récit du martyre d'un prêtre de notre Compagnie. J'ai cru faire chose agréable à Votre Seigneurie en le lui envoyant pour qu'elle le lise. Aujourd'hui encore, le P. Josse Van Seurck anversois - d'une famille connue et estimée à Anvers - est en vie là-basGa naar voetnoot3). Il y a douze ans qu'il a quitté Louvain pour s'embarquer vers cette Barbarie Occidentale, où il mène | |||||||||||||||
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une vie à la fois apostolique en prêchant l'Évangile, et poétique, en adoucissant, comme Orphée, les habitants des forêts, pour les amener à la vie civilisée. A lui seul, il gouverne une province d'au moins cent lieues d'étendue dont il est le roi et le prêtre, le médecin, le pasteur et le laboureur; car rien de tout cela n'était jusqu'ici connu par ces demi-barbares. L'Empereur est attendu à Prague avant le carême, avec son frère SérénissimeGa naar voetnoot1). Peut-être se partageront-ils ici la fatigue du voyage et de la guerre; ou bien tous deux continueront leur route vers Ratisbonne, où l'Empereur s'arrêtera; l'un prenant en personne le commandement des camps, l'autre s'en tenant à petite distance pour veiller sur la toge et la saie. Piccolomini est à Vienne. On dit qu'il a le soin de l'armée entière. Il a, ou on lui donnera, le titre de généralissime. Goertz est étroitement prisonnier en Bavière. On lui permet cependant de se promener dans la citadelle accompagné d'un soldat pour gardien. Sa cause est confiée à l'examen des juristes et des conseillers. Jusqu'ici rien n'a été jugé. La troupe de Gallas a pris ses quartiers d'hiver jusqu'en Bohême. Elle pille suivant son habitude. Le comte Slick a été envoyé en ambassade près du Danois, pour demander qu'il protège la Poméranie contre l'invasion des Suédois. Voilà jusqu'à présent ce qu'on se prépare à faire dans nos contrées. Qu'ici aussi Dieu bénisse ces efforts, comme par un bienfait signalé il l'a fait l'an dernier en Belgique et en Espagne. J'ai reçu des lettres de Vienne de la part de celui auquel j'avais confié l'éloge de Ferdinand II. Il traîne beaucoup, parce qu'il veut être trop minutieux et trop exact. Je lui ai écrit (en l'engageant à lire Goltzius), que je lui demandais un abrégé des petits événements et non pas une histoire. Le Sérénissime Léopold est allé à Olmutz en Moravie prendre possession de son trône épiscopal. Il a distribué en don à ses électeurs 20.000 (ducats) du Rhin. Il en a consigné le même nombre pour l'entretien de 12 élèves ecclésiastiques dans les écoles. Il jette l'argent au peuple et donne d'autres preuves de sa magnificence et de sa libéralité. J'ai appris tout récemment par des lettres qui ne m'étaient pas adressées, que le P. Bollandus ne voulait pas prendre sur lui la | |||||||||||||||
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charge de recevoir de Votre Seigneurie le legs qui m'était assigné. S'il l'a accepté, c'est parfait. Sinon, je prie Votre Seigneurie d'en donner la commission que je lui demandais récemment à Barthélemi Bolognino, pour que je puisse la toucher ici. Sur ce, je supplie notre divin Maître qu'il conserve longtemps Votre Seigneurie en bonne santé.
De Votre Seigneurie Illustrissime Le Serviteur dans le Christ et Cousin Théodore Moretus. Prague, le 5 février 1639.’
Mais la situation relativement tranquille de la capitale de la Bohême allait brusquement changer. Prague tombait entre les mains de l'ennemi, et les Jésuites se voyaient contraints de s'enfuir à Znaim en Moravie. Théodore l'annonce dans une lettre écrite à la hâte de Neuhausen en Bohême, où il était de passage. | |||||||||||||||
De Théodore à Balthasar I.Ga naar voetnoot1)‘Très Illustre Seigneur, Monsieur mon Cousin. Votre Seigneurie me pardonnera, je l'espère, si j'ai paru ne pas assez tenir mes engagements. Je lui ai envoyé récemment quelques documents que j'avais réunis sur Rodolphe. J'avais promis le reste. Entre-temps j'ai reçu l'ordre de quitter Prague, d'en fuir la famine, la peste et la guerre, car tous nous y étions frappés par ces trois fléaux. J'espère que notre absence ne sera pas longue, mais cependant, si je ne me trompe, elle sera d'au moins trois mois. J'ai quitté Prague pour Neuhausen. Demain je pars d'ici pour Znaim avec 26 des Nôtres. Ce fut un triste spectacle, le long de la route, de voir les champs incultes; ce qui est pire, le long d'un trajet de 12 heures, ils n'étaient pas même fauchés. La blonde Cérès se tenait debout dans les champs, et par un effort inutile elle s'était répandue et semée elle-même. Durant un voyage de trente heures, nous avons à peine aperçu un paysan. Des villages entiers n'avaient plus un habitant. Nous passâmes la nuit sous le ciel nu, dans les champs, sans abris, près d'un feu allumé. Il me semblait vivre et voyager par quelque Barbarie Tartare. En route, nous avons failli rencontrer le Sérénissime Léopold, | |||||||||||||||
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généralissime de l'Empereur et Gouverneur de la Bohême. Déjà, là-bas, au bruit de son approche, soit par la crainte, soit par son prestige, il a décidé les chefs à oser quelque chose. On dit que Halsfeld s'est rué sur les Suédois et qu'il en a massacré cinq mille en Saxe: que Gallas, quoique relevant d'une récente maladie, est parti avec ses troupes pour récupérer Melnik, le Brundisium des Hongrois. Trois mille hommes au moins s'avancent vers la Hongrie. J'en ai rencontré le plus grand nombre dans ma fuite de Prague. Quand je serai rentré dans la ville, je tâcherai de satisfaire en tout les désirs de Votre Seigneurie. Pour le moment, que Votre Seigneurie daigne recevoir le salut très amical que je lui envoie au cours de mon voyage, et ne pas m'oublier. Que la Bonté divine conserve longtemps Votre Seigneurie en bonne santé.
De Votre Seigneurie Illustrissime, Le Serviteur dans le Christ et Cousin Théodore Moretus. Neuhausen, 30 septembre 1639.’
Cette lettre est l'épilogue du deuxième séjour de Théodore Moretus à Prague. | |||||||||||||||
Chapitre III.
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unes des allusions qui se lisent dans les lettres du Jésuite, il faut savoir, ou se rappeler, que son frère Pierre Moretus s'était établi au Portugal où il s'était marié; et que Jeanne Moretus leur soeur était religieuse à Anvers au monastère des Annonciades. Au cours de leur correspondance des années 1640 et 1641, Ortelius et Goltzius, dont Balthasar et Théodore s'étaient tant occupés jusque-là. sont oubliés. Durant ces deux années, trêve d'un échange de lettres sur des sujets, soit scientifiques, soit politiques. Aussi, si nous n'avions en vue, dans cette notice, que de faire connaïtre le mathématicien, pourrions-nous ne pas nous arrêter aux lettres de ces deux années; mais elles jettent sur le caractère de Théodore un jour que nous ne retrouverions pas ailleurs. Je n'hésite pas à en parler. Le Jésuite s'y montre comme un religieux profondément attaché à la foi, à sa famille et à son Ordre: cherchant à ménager également les intérêts de l'un et de l'autre. Nous n'avons plus toutes les dispositions par lesquelles il fait la cession de ses biens, mais dans la seule que nous possédionsGa naar voetnoot1) encore, il donne en parts, il est vrai inégales, le tiers de sa fortune au Collège Saint-Clément à Prague, ruiné par la guerre, pour reconstituer la bibliothèque, notamment en ouvrages de mathématiques; les deux tiers restants devront être divisés en deux parts égales, l'une pour Pierre Moretus, l'autre pour les enfants de Christophe. Que si pour une cause quelconque, le Collège Saint-Clément ne pouvait entrer en possession de la donation qui lui est faite, ou d'une partie de cette donation, la dite totalité. ou la dite partie devrait être dévolue au Monastère des Annonciades d'Anvers. De l'année 1640 nous ne possédons qu'une lettre, celle du 14 décembre. Écrite par Balthasar I en réponse à plusieurs lettres de Théodore qui n'ont pas été conservées, elle n'offre plus grand intérêt à cause de cette perte. Les lettres de 1641 nous peignent au contraire en traits accentués les sentiments du Jésuite envers sa famille. Nous ne les avons plus toutes, mais de celles qui nous restent, voici d'abord la plus ancienne en date. C'est une procuration donnée à Balthasar I. Théodore le constitue son mandataire pour agir en son nom dans l'affaire de la double succession de son frère et de sa mère ‘comme | |||||||||||||||
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s'il était lui-même présent’. Le chef de l'Officine Plantinienne a toujours joué en même temps le rôle de chef de la famille; il est visible que son cousin ne doute pas de son acceptation. Pour l'intelligence d'un passage de la lettre, il faut savoir que les legs pieux faits par Henriette Plantin devaient dans sa pensée être pris sur la part de ses biens qu'elle laissait à Théodore. En exigeant toute sa ‘légitime’ celui-ci eût rendu, comme il le dit, les legs de sa mère ‘illusoires’ et de nul effet. | |||||||||||||||
De Théodore à Balthasar I.Ga naar voetnoot1)‘Très illustre Monsieur, mon Cousin. J'écris les présentes à Votre Seigneurie pour la prier de bien vouloir accepter le mandat d'agir en ma place. J'ai décidé, en effet, d'user de mon droit en exigeant ma légitime dans l'héritage maternel. Que je possède quelque bien. Votre Seigneurie n'en saurait douter. Mais en quoi consiste ce bien? Je l'ai écrit au R.P. Provincial de Flandre-Belgique, Jean de TollenaereGa naar voetnoot2), pour qu'il le dise à Votre Seigneurie, si elle juge nécessaire de le savoir, ou si l'on (Élisabeth De Prince et ses enfants) ne veut pas s'arranger à l'amiable sans le connaître. Je souhaiterais que la chose soit réglée par Votre Seigneurie, à l'amiable et sans procès devant les tribunaux, avec ma belle-soeur et ses entants; c'est avec elle surtout que j'ai des difficultés. Car, je ne veux pas entrer en possession de toute ma part légitime, | |||||||||||||||
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afin de n'exaspérer personne, et pour ne pas rendre illusoires les legs pieux de ma mère. J'ai seulement en vue cette partie de ma légitime, qui était due à ma mère de pieuse mémoire, dans la succession des biens de son fils, mon frère Louis de pieuse mémoire; car du capital qu'il laissait, on me devait le tiers, puisque nous ne restions que trois fils héritiers légitimesGa naar voetnoot1). Que si mon frère n'a rien laissé à ma mère, ou s'il ne lui a assigné qu'un tiers, moi, je demande que le capital entier soit restitué, et que ma part me soit assignée; car, ma mère de pieuse mémoire ne pouvait y renoncer en me causant du dommage, et si elle l'a fait, je puis toujours le réclamer. Pour qu'à cette fin, Votre Seigneurie puisse faire toute transaction comme si j'étais présent, je lui transmets tous mes pouvoirs, en lui demandant en même temps, de ne rien faire, si ce n'est d'un consentement à l'amiable; à moins que Votre Seigneurie ne juge expédient de recourir à la Justice; car, je lui enverrai des pièces qui ont une valeur légale et qui sont assez fortes. Si j'ai bien compris, la légitime qui m'est due dans l'héritage fraternel consiste en une somme comprise entre cinq et six mille florins. Je la donne en entier à la Bibliothèque de ce Collège, pour que les livres achetés à Anvers par Votre Seigneurie puissent de là être envoyés ici. En retour, j'en témoignerai par parole toute ma reconnaissance à Votre Seigneurie, et je rembourserai tous les frais qu'elle fera. Si Votre Seigneurie désirait se substituer quelque autre, je lui donnerai aussi tout pouvoir de transiger et d'exiger, pourvu toutefois que ce soit sous la direction de Votre Seigneurie. En foi de quoi, j'ai signé les présentes.
Prague, de l'an 1641, le 18 mai.
De Votre Seigneurie Illustrissime Le Serviteur dans le Christ et Cousin. Théodore Moretus.
P.S. J'ajoute que des hommes prudents croient que le testament de mon frère est en entier invalide, pour plusieurs raisons. S'il en était ainsi, le tiers de tout le capital de mon frère me serait | |||||||||||||||
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dû. Mais, je ne l'exige pas. Je veux céder amicalement quelque chose, et même plus que ce que je demande pour moiGa naar voetnoot1).’ Les jurisconsultes d'Anvers étaient d'un avis bien différent de celui des ‘hommes prudents,’ disons des jurisconsultes, que Théodore avait consultés à Prague, et ils n'admettaient pas la nullité du testament de Louis Moretus. On avait aussi exagéré la fortune de ce dernier. Nous le verrons immédiatement. Mais, donnons d'abord le texte de l'acte de donation du JésuiteGa naar voetnoot2). Je soussigné, prêtre de la Compagnie de Jésus, en vertu du pouvoir qui m'a été expressément concédé à cet effet par Notre Très Révérend Père Général Mutius Vitelleschi, je donne, par donation entre vifs, au Collège Saint-Clément de la Compagnie de Jésus à Prague, tout le droit que j'ai, ou auquel je puis prétendre, sur l'héritage fraternel de Louis Moretus pieusement décédé ab intestat. Item, au droit que j'ai à ma légitime, dans cette partie de l'héritage de Henriette Plantin pieusement décédée, qui m'est semblablement due ab intestat, dans la partie du capital fraternel que ma mère de pieuse mémoire a hérité ou devait hériter à la mort de son fils Louis, mon frère de pieuse mémoire. Je donne le reste de ma légitime dans l'héritage maternel à mon frère Pierre et aux héritiers de mon frère Christophe de pieuse mémoire, à diviser en deux parts, aussi par donation entre vifs. Que si cette double donation | |||||||||||||||
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faite à mon frère Pierre et aux héritiers de mon frère Christophe de pieuse mémoire dépassait la somme que le droit permet de donner, je donne de la même manière l'excédent au Monastère des moniales de la Sainte Vierge de l'Annonciation à Anvers. Je veux en outre que les dons faits au Collège de Prague soient employés premièrement à un tableau de la Sainte Vierge, qui sera peint pour le maître-autel de notre église bohémienne; quant au reste, il servira à l'achat de livres de mathématiques et d'autres utiles au Collège, en défalquant cependant les frais nécessaires pour l'exécution du testament. Que si, enfin, pour n'importe quelle cause, il était impossible que le dit héritage ou l'une de ses parties ne soit transmis au dit Collège de Prague, je donne par donation entre vifs, tout mon susdit droit à l'héritage ou à la partie de l'héritage qui n'aurait pas été transmis au Collège, au susdit Monastère des moniales de la Sainte Vierge de l'Annonciation à Anvers. En foi de quoi j'ai écrit la présente donation à Prague, de l'année 1641 le 15e jour de juin, et je l'ai signée de ma propre main.
Théodore Moretus.’
Cet acte arrivé à Anvers dans les premiers jours de juillet, trouva Balthasar I au lit très accablé par une petite fièvre, dont son entourage semble n'avoir pas vu d'abord la gravité, et qui conduisit l'illustre malade rapidement au tombeau. Il expira le 8 juillet 1641. Pour l'Officine Plantinienne, c'était une perte irréparable. Digne émule du fondateur de la Maison, le grand Christophe, aucun de ses successeurs ne la dirigea avec une pareille maîtrise; ce n'est pas le moment d'appuyer sur ce sujet. Pour Théodore, la mort de son Cousin était plus qu'une perte, c'était un malheur; car désormais les relations qu'il entretenait avec sa famille perdront leur intimité. Cependant Balthasar II, qui veillait au chevet du moribond, sans soupçonner peut-être qu'il allait si tôt lui succéder comme chef de l'imprimerie, crut devoir répondre immédiatement à Théodore, en lui envoyant son avis personnel sur l'affaire de la double succession de Henriette Plantin et de Louis Moretus. Par les termes de cette réponse on s'aperçoit que nous n'avons plus toutes les lettres que Balthasar I mourant venait de recevoir de Prague. | |||||||||||||||
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De Balthasar II à Théodore.Ga naar voetnoot1)‘Révérend dans le Christ et très cher Monsieur et Cousin. J'ai bien reçu les lettres de Votre Révérence datées du 15 juin, ainsi qu'un exemplaire de l'acte de sa donationGa naar voetnoot2), et je regrette que mon oncle n'ait pas pu les lire et encore moins y répondre. Voilà déjà le neuvième jour qu'il est au lit, souffrant d'une petite fièvre continue. Il est obsédé de préoccupations si diverses et si angoissantes, que pour ne pas aggraver sa maladie par des soucis nouveaux, je lui ai caché la susdite lettre de Votre Révérence et je me vois obligé d'y donner réponse moi-même, en attendant qu'après la guérison de mon oncle, Votre Révérence en reçoive une autre. Que Votre Révérence me pardonne ce que je lui dirai. Voici ce qu'un très habile jurisconsulte m'a répondu relativement à son affaire. En ce qui concerne le testament du Cousin Louis de pieuse mémoire, frère de Votre Révérence, il serait invalide, d'après Votre Révérence, pour deux raisons: premièrement, parce qu'il n'y a pas été tenu compte de la légitime qui revenait à sa mère; secondement, parce qu'un des héritiers a été déshérité par le testament, s'il devenait religieuxGa naar voetnoot3). A la première raison, le jurisconsulte que j'ai interrogé répond, que la mère n'a aucun droit par intestat sur l'héritage du fils, à moins d'être dans la pauvreté et réduite à une extrême nécessité. En ce cas, elle peut en droit prétendre à une part légitime dans le dit héritage du fils. En outre, si la dite mère de Votre Révérence avait été réduite à cet état - ce qui n'était pas - il lui était en droit donné satisfaction par le testament de son fils, car elle recevait l'usufruit du tiers de l'héritage entier, ce qui lui suffisait abondamment pour vivre comme elle le désirait. Quant à ce que Votre Révérence écrit, que c'est certainement avec raison que sa mère se plaignait d'avoir été oubliée, et que dans son indignation elle aurait refusé la part légitime qu'on lui laissait; je m'en étonne extrêmement, et j'estime qu'on ne pourrait | |||||||||||||||
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trouver ni un argument, ni un écrit par lequel la chose puisse être prouvée devant le juge. Car, pendant deux ans l'usufruit du dit héritage a été touché par mon oncle, sans qu'il soit fait mention d'une indignation ou d'un refus. A la seconde raison, ce jurisconsulte dit de la clause, s'il se faisait religieux, qu'étant impertinente, elle est en soi nulle et comme n'ayant pas été ajoutée; mais que pour cela elle n'annihile cependant en aucune manière le reste du testament. Il y adjoint encore cet autre argument. Si les testaments ne sont pas invalides - et en réalité, ils ne le sont pas - quand le testateur constitue pour héritier un étranger qui ne lui tient par aucun lien du sang, en ne laissant qu'un petit ou même aucun legs à ses frères, avec combien plus de droit ne sera pas invalide le testament dans lequel les héritiers nommés eussent hérité ab intestat.’ Puis viennent des considérations juridiques un peu longues pour calmer les vaines préoccupations de Théodore relatives à la partie de l'héritage de Henriette Plantin qui allait à Pierre Moretus et aux enfants de Christophe. Ensuite Balthasar continue: ‘Que votre Révérence me pardonne, si je lui expose trop librement ma manière de voir. Qu'elle ne se figure pas non plus que je discute ceci, comme si je voulais soutenir la partie adverse de Votre Révérence. Je veux seulement éviter que, par quelque imprudence, il ne naisse, entre amis et parents, des malentendus sans aucune utilité, mais engendrant des inquiétudes, des désagréments et des inimitiés. Puisqu'en effet Votre Révérence espère pouvoir entrer en arrangement avec sa belle-soeur, je ne vois vraiment pas de quel droit ce serait à Votre Révérence de trancher définitivement quelque chose. Car, si nous consultons le testament de son frère, à part sur un legs qui était très petit, il ne reste aucun pouvoir à Votre Révérence pour y modifier quelque chose sans la volonté du défunt. Par le testament maternel, le mobilier et le petit jardin de Berchem lui sont laissés, sous forme de legs, à la condition qu'Elle fera célébrer des funérailles convenables (ce qu'Elle fera). Par conséquent, je ne vois pas non plus, comment de ce chef il lui soit permis d'innover quelque chose. Donc, si Votre Révérence veut encore poursuivre son droit d'héritier, il faudra certainement faire un procès; et cela contre ces héritiers mêmes, auxquels elle a donné sa part de l'héritage maternel, par donation entre vifs! Votre Révérence possède mon avis sur la difficulté qu'elle a | |||||||||||||||
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proposée. Je le soumets à sa prudence - comme il convient à mon êge de le faire - et à l'avis de mon oncle, qu'il lui enverra dès qu'il sera guéri. Votre Révérence voudra bien cordialement saluer le R.P. Ariaga, tant de la part de mon oncle que de la mienne, et l'informer que ses lettres sont bien arrivées. Mon oncle répondra dès que sa santé le lui permettra. Entre-temps, deux typographes s'emploient activement à l'impression de son Cours de Théologie. J'espère qu'aucun empêchement ne viendra désormais l'interrompre. Bonne santé, Révérend Père dans le Christ et très cher Cousin. Souvenez-vous de mon oncle et de moi dans vos saintes prières. Anvers, de l'Officine Plantin, le 5 Juin 1641.’
La nouvelle de la maladie, puis de la mort de Balthasar I fut pour Théodore un coup de foudre. A qui confier désormais le soin des intérêts si grands qu'il conservait à Anvers? Il y avait bien là-bas un autre Balthasar Moretus. L'histoire de la typographie anversoise l'a nommé Balthasar II. C'était un cousin, mais un cousin qui lui était resté jusque-là assez étranger. D'autre part ce cousin devenant le propriétaire de l'Officine Plantinienne se regarderait probablement, à l'exemple de son oncle, comme le conseiller et le chef de toute la famille. Théodore résolut de recourir à lui. Sa première lettre, datée du 27 juillet, est perdue. Voici celle du 3 août qui la suivit bientôt après. | |||||||||||||||
De Théodore à Balthasar II.Ga naar voetnoot1)‘Illustre Monsieur, mon Cousin. Je vous ai écrit samedi dernierGa naar voetnoot2), et je vous envoie, ci-incluses, les lettres qui vous confèrent les pleins pouvoirs que je vous avais promis. Je vous demande instamment de bien vouloir les accepter. Monsieur mon Cousin remarquera facilement, en effet, qu'au milieu de tant de deuils, et après mon absence si prolongée, il ne me reste guère personne autre que lui, qui puisse et veuille convenablement et avec efficacité se charger de ma cause. C'est, je crois, par une attention de la Providence, qu'avant la mort du très | |||||||||||||||
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illustre Seigneur mon Cousin et votre Oncle paternel, j'ai reçu une lettre de Votre SeigneurieGa naar voetnoot1), pour que ce témoignage de confiance et d'amitié mutuelle ne meure pas, mais se perpétue indéfiniment. Je ne regrette qu'une chose dont on m'a informé hier; c'est que les neveux que m'a donnés mon frère Christophe, de pieuse mémoire, n'aient pas rempli les devoirs de parenté et de bienveillance auxquels ils étaient tenus. Pour quelle raison l'ont-ils osé? Je l'ignore complètement, mais j'espère que cette faute ne me sera imputée ni par Votre Seigneurie, ni par aucun de mes autres parents, et qu'il n'en retombera rien sur moi. Je serais plutôt assez porté à regretter presque de leur avoir donné mon héritage maternel à partager avec mon frère Pierre. Certes cela me décide tout à fait à ne pas leur laisser l'héritage de mon frère Louis. C'est pourquoi, je prie Monsieur mon Cousin de bien vouloir, soit par une sentence judiciaire, soit par un arrangement, leur ôter, en fait et en espérance, toute participation à mon héritage, et employer le capital accumulé à l'acquisition de livres; premièrement, de tous les ouvrages de mathématiques qu'on pourra acheter là-bas (à Anvers); ensuite, de ceux que l'imprimerie Plantinienne a publiés, soit maintenant, soit jadis, pourvu que par leur format ils soient dignes d'une bibliothèque; enfin, d'autres livres écrits par des auteurs de quelque mérite et qui se peuvent acheter à Anvers. Je désire notamment les Digesta cum Accursii glossis et le Corpus Juris Canonici. Je veux qu'aucun argent ne me soit envoyé ici, à l'exception de celui qui est destiné à l'achat d'un tableau. Je vous en récrirai, quand je saurai ce qui a été fait. Sur ce, je prie la Bonté divine qu'elle conserve longtemps Votre Seigneurie en parfaite santé et qu'elle bénisse toutes ses entreprises. De Votre très Respectable Seigneurie Le Serviteur dans le Christ et Cousin Théodore Moretus.
Prague, 3 août 1641.’
Le tableau, dont il est question à la fin de la lettre, est évidemment celui de la Sainte Vierge qui était destiné au maître autel de l'église bohémienne de Prague. On se rappelle que le Jésuite en avait écrit antérieurement à Balthasar I. | |||||||||||||||
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Mais, à un tout autre point de vue, cette lettre mérite l'attention, car elle eut pour celui qui l'envoyait, l'effet imprévu d'impatienter son nouveau correspondant. Théodore Moretus, la chose saute aux yeux, croyait assez vite les rapports qu'on lui adressait d'Anvers sur les membres de sa famille; ou du moins, il s'en émouvait outre mesure, et alors agissait parfois rapidement. Balthasar II s'en montrait agacé. Quel était cependant l'informateur malencontreux qui envoyait à Prague des nouvelles inexactes sur le compte des enfants de Christophe? Nulle part il n'est nommé explicitement. Mais des indices très sérieux font croire que c'était le célèbre P. Jean Bollandus. Correspondant ordinaire de Théodore et s'intéressant volontiers à ses affaires, d'autre part il fréquentait beaucoup chez tous les Moretus et en était l'ami très écouté. Bollandus pouvait se croire bien au courant des choses de la famille et se figurer qu'il y avait une sérieuse utilité à en informer son confrère de Prague. Cependant à Prague, Théodore ne se rendait guère compte des vrais sentiments de Balthasar II, sentiments corrects, bienveillants même, mais un peu terre à terre et nullement empressés. Aussi, soucieux de ne rien changer aux bons rapports qu'il avait toujours eus avec sa famille, le Jésuite se hâte-t-il de donner enfin suite à une ancienne proposition de Balthasar I, qu'il avait jusque-là négligée. L'impression d'un livre de mathématiques, lui avait dit le défunt cousin, est une mauvaise affaire; mais on peut sacrifier quelque chose à l'honneur de la famille; et il lui avait offert l'usage de ses presses. Cette gracieuseté en était restée là. Mais sous le coup des récents événements, Théodore se décida à ne pas la négliger davantage, et à envoyer enfin son manuscrit à Anvers. Disons-le tout de suite, il était trop tard et ce travail ne parut pas. | |||||||||||||||
De Théodore à Balthasar II.Ga naar voetnoot1)‘Très Respectable Monsieur, mon Cousin. Après vous avoir présenté mes très humbles hommages, je vous envoie avec les présentes un problème de mathématiques que je | |||||||||||||||
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songe à publier un de ces prochains jours. Il est d'ordre à la fois pratique et spéculatif. C'est un manuscrit de petite étendue, mais qui, si je ne me trompe, contient plusieurs choses qui ne sont pas petites, avec quelques autres qui sont très connues. Cela doit nécessairement arriver quand on réunit plusieurs propositions tendant à un même but; plusieurs paraîtront très connues.’ Le correspondant passe ici aux difficultés soulevées par la double succession. ‘Pour la plus grande facilité de l'affaire commencée et son heureux progrès, j'espère, dit-il, que la nouvelle lettre contenant les nouveaux pleins pouvoirs, spécialement et nommément donnés à Votre Seigneurie, lui a été remise, pour que personne ne puisse peut-être révoquer en doute la première lettreGa naar voetnoot1). J'apprendrai volontiers où en est l'affaire et ce qui a été statué, soit par Votre Seigneurie, soit par son substitut. Je demande de nouveau et avec instance à Votre Seigneurie qu'elle daigne ne pas s'y refuser. En retour je lui promets mes services dans l'avenir; de plus, par mes prières et mes Sacrifices, je supplie notre commun Maître du Ciel de combler Monsieur mon Cousin de toute félicité. De Votre très respectable Seigneurie Le Serviteur dans le Christ et Cousin Théodore Moretus. Prague, 16 août 1641.’
Balthasar n'avait pas attendu cette pressante requête pour répondre à son cousin. Il l'avait fait le jour même où celui-ci lui écrivait de Prague. Mais, avant que les explications qui lui venaient d'Anvers ne lui fussent parvenues, le destinataire insistait une fois de plus. | |||||||||||||||
De Théodore à Balthasar IIGa naar voetnoot2).‘Très respectable Monsieur, mon Cousin. Je vous ai écrit, il y a huit joursGa naar voetnoot3), et fréquemment beaucoup plus tôtGa naar voetnoot4). J'en aurais attendu hier la réponse, si spontanément je | |||||||||||||||
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ne m'étais ravisé, et si je n'en avais repoussé l'idée, car je comprenais les affaires plus importantes et plus urgentes d'une maison en larmes et en deuil. Je n'ai pu, cependant, m'empêcher aujourd'hui de rappeler à Votre Seigneurie ma demande relative à ma donation et à son exécution. Car, pour moi, j'ai fait ce que j'ai pu, et ce que j'ai dû de par mon Institut. J'ai donné ma fortune personnelle aux pauvres. J'attends de Votre Seigneurie et je lui demande instamment qu'ils entrent en jouissance de ma donation, soit que Votre Seigneurie agisse par elle-même, soit qu'elle le fasse par un substitut, mais cependant sous sa direction. Et en vérité, si quelques-uns (de mes parents)Ga naar voetnoot1) s'opposent à mes dispositions, ou songent à s'y opposer, ils réfléchissent peu à ce qu'ils font. Car, les choses en sont venues au point, qu'ou bien ma donation sortira son effet; ou bien cette donation elle-même et la plupart des biens qu'on me demande seront dévolus à mon frère Pierre; à moins qu'ils ne le soient au fisc, si mon frère est jugé incapable d'une succession ab intestat, parce qu'il habite chez les rebelles. Qu'ils considèrent, je les en prie, quels longs procès sur procès vont s'ouvrir, s'ils n'acceptent pas ce qui est juste et raisonnable. Pour moi, si l'avis de plusieurs jurisconsultes, que j'ai consultés, ne m'avait pas convaincu, je n'aurais jamais tenté ni d'obtenir ni de demander, ce que j'aurais cru ne pas m'appartenir, ni de donner à d'autres qu'à des amis, ce que j'avais l'ordre de donner aux pauvres du Christ; en réservant seulement ce qui était nécessairement dû à la reconnaissance de l'amitié fraternelle, que je n'ai pas oubliée, comme on peut le voir et le lire dans ma donation. Que Dieu bénisse les peines que Monsieur mon Cousin se donne dans les démarches qu'il fait pour moi. De Votre très respectable Seigneurie, Le Serviteur dans le Christ et Cousin. Théodore Moretus. Prague, 24 août 1641.
Monsieur mon Cousin voudra bien me dire s'il a reçu mes pleins pouvoirs?’ Cette lettre est un peu obscure; ce défaut de clarté provient sur- | |||||||||||||||
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tout, de ce que plusieurs autres lettres dans lesquelles Théodore faisait connaître ses intentions sont perdues. Peut-être, cependant, n'est-il pas trop difficile de suppléer au contenu de celles qui nous manquent. Pierre Moretus, on se le rappelle, habitait le Portugal, pays des rebelles et ne s'immisça guère dans tous ces tiraillements. C'était Élisabeth De Prince, veuve de Christophe, qui, avec l'appui de ses enfants, se montrait difficile. Il faut le dire, les arguments spécieux ne lui manquaient pas. Théodore était profès de la Compagnie de Jésus. Comme tel, il devait, d'après la Règle de son Ordre, distribuer sa fortune aux pauvres, avant ses derniers voeux. Il l'avait fait, en ce qui concerne les biens de son père, que seuls il avait alors en mains. Mais, ses intentions avaient-elles été remplies? Il paraîtrait que non, puisque Théodore presse Balthasar d'en urger l'exécution. Cependant, Henriette Plantin et Louis Moretus étant morts après la profession de Théodore, celui-ci n'héritait plus d'eux ab intestat. Il ne pouvait pas davantage disposer de ce qui lui serait légué par voie testamentaire, sans une autorisation expresse du Général. Or, celle-ci lui avait été donnée par Mutius Vitelleschi; nous l'avons vu plus haut. C'est probablement contre la validité de cette autorisation et ses effets légaux, que le droit compliqué du temps permettait d'interminables chicanes. Nous ne connaissons pas l'issue de ces démêlés, car le dernier mot de Balthasar fut un refus net et absolu de continuer à s'en occuper. | |||||||||||||||
De Balthasar II à Théodore.Ga naar voetnoot1)‘Révérend Père dans le Christ, Monsieur mon Cousin. Après avoir répondu à votre lettre du 15 juinGa naar voetnoot2), j'ai reçu celle qui était datée du 18Ga naar voetnoot3). J'en ai encore reçu deux autres, du 27 juillet et du 3 aoûtGa naar voetnoot4), traitant toutes le même sujet. Votre Révérence comprendra sans peine, je crois, que moi, qui avant la mort de mon oncle de pieuse mémoire, me sentais peu | |||||||||||||||
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porté à oser me mêler de l'affaire de Votre Révérence, maintenant, après cette mort - qui, par la typographie, par l'Officine de librairie, par les opérations commerciales, m'occupe au point que j'en respire à peine - je ne puis en aucune façon accepter de poursuivre l'affaire de son héritage. Comme Votre Révérence m'y avait engagéGa naar voetnoot1), j'ai donc été trouver la Mére-Servante du Monastère des Annonciades. Je lui ai expliqué la donation de Votre Révérence, et je lui ai demandé si elle voulait confier cette affaire à son nouveau syndic, qu'on élirait. Elle s'y refusa absolument et déclara qu'elle en écrirait à Votre Révérence. Je crois qu'elle l'a fait dans le billet ci-joint. (Ce billet est perdu). Que Votre Révérence me pardonne ma liberté de langage. J'ignore absolument quel est cet informateur qui transmet à Votre Révérence, des méchancetés sur le compte des neveux que lui a donnés son frère Christophe Moretus, ni dans quel dessein il le fait. Car, je ne sache pas que jusqu'ici, ces neveux se soient permis quoi que ce soit qui puisse être regardé comme contraire aux devoirs du sang ou de l'amitié. En outre, celui-là se trompe, quel qu'il soit, qui a dit à Votre Révérence, que le tiers de l'héritage de son frère dépassait cinq à six mille florins; car l'héritage tout entier atteint seulement la somme de treize mille quatre cent quatre-vingts florins, plus une maison que son frère a achetée mille florins. De même, je dirai encore à Votre Révérence, que je n'ai rien appris relativement aux plaintes de sa mère, dont Votre Révérence dit avoir été informée par le P. Jean Bollandus. J'ai voulu l'avertir de ceci, pour que Votre Révérence, en prêtant foi à des nouvelles douteuses, ou même parfois vraies, ne se laisse pas aisément induire en erreur, et ne s'engage pas dans des procès qui n'ont aucun fondement. J'ai reçu hier des lettres du cousin Pierre, par la voie de mer. Il écrit qu'il se porte bien et me demande de saluer Votre Révérence. Mais, il se plaint qu'à cause du désordre du nouveau régime, il n'y ait rien à faire dans sa profession. Bonne santé, Révérend et très cher Cousin. Souvenez-vous de moi et de mon oncle de pieuse mémoire dans vos prières. Anvers, de l'Officine Plantin, 16 août 1641.’ | |||||||||||||||
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Le Jésuite comprit et n'insista plus. Cette lettre jeta, sinon la brouille, du moins un froid dans les relations des deux cousins; car, de 1642 à 1646 je ne trouve aucune trace de correspondance entre eux. La lettre suivante ferait croire que celle-ci avait été tout à fait interrompue, car Balthasar y annonce à Théodore son mariage, qui datait de plus de deux ans. | |||||||||||||||
De Balthasar II à Théodore.Ga naar voetnoot1)‘Révérend cousin dans le Christ. J'ai reçu les 20 impériaux que Votre Révérence m'a fait payer pour l'achat de quatre exemplaires de l'OpusGa naar voetnoot2) du P. Grégoire de Saint-Vincent. Ces volumes auraient dù être joints aux livres destinés au P. Arriaga, qui ont été envoyés à Votre Révérence. Mais, comme bien longtemps avant d'avoir reçu la lettre de Votre Révéce, bien longtemps même avant qu'elle ne fût écrite, j'avais déjà expédié les dits livres destinés au P. Arriaga, il ne se présentera plus aucune occasion d'ici à un bref délai pour faire un nouvel envoi. J'espère que cet envoi aura certainement lieu aux prochaines foires de Francfort. S'il se présentait cependant une occasion pour vous faire parvenir ces quatre exemplaires avant les dites foires, je ne manquerai pas de la saisir. Ma Mère salue Votre Révérence. Après une longue et grave maladie de sept années entières, elle est grâce à Dieu parfaitement guérie. Ma femme vous salue aussi. C'est la fille de Monsieur Jacques Goes, que j'ai épousée il y a deux ans. Elle m'a donné un fils, qui a un an et que je recommande instamment aux prières de Votre Révérence, pour qu'il marche sur les traces de ses ancêtres et puisse un jour soutenir l'honneur de la typographie Plantinienne. Anvers, de cette même typographie, le 5e jour de juillet 1647. Ce fils se nommait Balthasar, comme son père, et lui succéda à la tête de l'Officine sous le nom de Balthasar III. | |||||||||||||||
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Dès ce moment la correspondance reprend régulièrement. Les lettres se succèdent nombreuses. Nous possédons les minutes de celles de Balthasar, mais deux lettres seulement de Théodore nous ont été conservées, et nous ne connaissons les autres que par les réponses qu'on leur fait. Quand on parcourt cette correspondance, qui durera jusqu'à la mort du Jésuite, on voit que les préoccupations des deux cousins ont changé. Ce sont avant tout des mémoires commerciaux qu'ils échangent entre eux: listes d'ouvrages vendus ou commandés, règlements de comptes, en un mot, des relations d'affaires, dans lesquelles, marchand et client, tout en étant l'un et l'autre assez regardants, n'oublient cependant pas qu'ils sont amis et bons parents. Balthasar donne volontiers, en passant, les nouvelles de la famille. Dans une histoire générale de l'Officine Plantin sous Balthasar II, ces lettres, jointes aux autres du même genre, qui nous restent en grand nombre, seraient très intéressantes. Mais, les traduire, ou même seulement les analyser dans la présente notice me paraît un hors-d'oeuvre. Pour qu'on puisse juger du ton qui y règne, il suffira d'en donner une à titre d'exemple. Je la choisis un peu au hasard, mais parmi celles que n'allonge pas une simple nomenclature de titres d'ouvrages. Michel Demennius, dont il est question au commencement, était le représentant de la Maison à Cologne. Les échanges qui se faisaient entre Anvers et les foires de Francfort passaient par ses mains. | |||||||||||||||
De Balthasar II à ThéodoreGa naar voetnoot1).‘Révérend Cousin dans le Christ. J'ajoute ci-incluse la liste des livres contenus dans le ballot, que j'ai envoyé le 2 octobre à Monsieur Michel Demennius, pour qu'il les fasse parvenir le plus tôt possible à Votre Révérence. J'ai un peu tardé à en aviser Votre Révérence, jusqu'à ce que je fusse informé que les livres étaient expédiés à Francfort, et jusqu'à ce que j'eusse reçu la caisse envoyée par Votre Révérence, que j'attendais de jour en jour. Je l'ai enfin depuis la semaine dernière. J'y ai trouvé tous les opuscules que Votre Révérence disait être contenus dans la caisse. Mais, comme ils seront, je le crains, de faible débit, j'eusse préféré ne rien recevoir ou en recevoir un petit nombre. Je ferai cependant ce que je puis pour les écouler. | |||||||||||||||
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Quant à leur prix, il me serait agréable de savoir, par Votre Révérence, à combien ils sont estimés à Prague, car j'ignore la valeur de leurs fermoirs métalliques. Quoi qu'il en soit, quand j'en aurai vendu quelques exemplaires, j'en porterai le prix dans les comptes de Votre Révérence.’ Je ne saurais dire de quels opuscules il s'agit, mais ce n'est pas la seule fois que Théodore chercha, par l'entremise de son cousin, à se défaire de ses rossignols de librairie. Passant à un autre sujet, Balthasar continue: ‘J'ai reçu, dit-il, les deux dernières parties du tome I De Sacramentis du R.P. Arriaga. mais je n'ai pas encore vu les premières. J'ai déjà écrit à Tournai, d'où j'attends la réponse de M. Grulois, et, je l'espère, la copie elle-même. Ce qui était ajouté pour le P. Bollandus, lui a été remis à luimême avec les livres destinés au P. Van der Veken. J'ai reçu l'argent que vous avez envoyé. J'ai trouvé 150 ducats, pas un de plus: à moins que Votre Révérence n'ait peut-être estimé que le chiffre de 150 pouvait être renforcé par un excédent du poids des ducatsGa naar voetnoot1). Je porterai les dits 150 ducats au compte-avoir de Votre Révérence, en évaluant chacun d eux à 5 florins du Brabant, ce qui fait en tout une somme de 750 florins du Brabant. Car bien qu'en particulier 2 patacons valent maintenant 5 florins et 4 sous, les ducats ne dépassent pas la valeur de 5 florins. En outre j'ai découvert qu'il manquait au juste poids de la plupart de ces ducats quelques grains - vulgairement dit, quelques as - dont le total forme aisément deux ducats. Mais, je ne veux pas les porter en compte à Votre Révérence, qui me rend tant de services et à laquelle je reconnais avoir tant d'obligations.’ N'est-elle pas piquante cette petite explication de famille? L'un des cousins surfait le poids de ses ducats; l'autre riposte qu'ils sont au contraire trop rognés. Et pourquoi? Pour le plaisir de se taquiner en réglant un compte, et s'arranger ensuite à l'amiable en toute facilité. Trait de tempérament et de moeurs. On pourrait, chez tous les deux, multiplier les exem- | |||||||||||||||
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ples de parcimonie calculatrice, un peu tatillonne, semblant même friser l'âpreté au gain. ‘Je remercie en outre très vivement Votre Révérence, ajoute Balthasar, tant en mon nom qu'en celui de ma femme, pour le cadeau précieux dont Votre Révérence nous a gratifiés en nous donnant un reliquaire et une croix de valeur. Qu'en retour elle veuille bien s'attendre, je l'en prie, à recevoir de notre part quelques petits objets dans le prochain envoi de livres. Je n'ai pas encore vu Monsieur Janssenboey et je ne sache pas qu'il soit ici. Mais, comme j'apprends par le P. Bollandus qu'il est entré dans l'Ordre des Capucins, je ne sais s'il ne s'est pas rendu au noviciat de Louvain. Je vous prie de saluer très respectueusement en mon nom le R.P. Arriaga et de l'informer que. lorsque je serai en possession de son manuscrit, il pourrait cependant se faire que je ne le mette pas immédiatement sous presse. En attendant, je vous envoie les salutations respectueuses de ma femme et de ma mère, et je vous souhaite que Votre Révérence se conserve en bonne santé. Anvers, de l'Officine Plantin, le 13e jour de décembre 1650.’ Je croyais clore ce chapitre par cette lettre, mais je me ravise et ne résiste pas à l'envie de donner encore ce court billet. C'est qu'elle est amusante la bonne humeur avec laquelle Balthasar badine son cousin et plaisante les calculs financiers que lui fait Théodore en lui proposant d'éditer un de ses ouvrages. En conclusion, Balthasar refuse l'offre, mais avec une feinte de regrets et sous un autre prétexte: il est écrasé par le poids d'entreprises plus importantes. Théodore s'y laissa-t-il tromper? Cette nouvelle petite explication de famille, qui ne manque pas de saveur, achève de peindre les relations des deux cousins redevenues à cette époque, malgré les malentendus d'autrefois, tout à fait amicales. A preuve le ton final de la lettre. | |||||||||||||||
De Balthasar II à Théodore.Ga naar voetnoot1)‘Révérend Cousin dans le Christ. Votre Révérence me propose d'imprimer ses Dissertations philosophiques et naturelles. Je l'en remercie vivement. Mais bien que le lien du sang soit si fort qu'il me laisse à peine la possibilité | |||||||||||||||
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de m'excuser, cependant la masse énorme des travaux qui m'incombent m'oblige à refuser toute entreprise nouvelle, jusqu'à ce que celles dont je suis chargé soient petit à petit un peu liquidées. Que Votre Révérence veuille donc bien trouver bon et raisonnable que je la prie de me pardonner de ne point accepter sa proposition. D'autre part, j'admire on ne peut plus le calcul des typographes qui disent que la vente de deux cents exemplaires couvre tous les frais de l'impression, quand il arrive que ces frais dépassent la vente de trois cents exemplaires! Pour moi je suis d'avis qu'il ne faudrait pas parler d'un pareil calcul en dehors de la maison! - Balthasar veut dire qu'on s'en moquerait - et j'apprendrais bien volontiers par ces typographes, au moyen de quel procédé les frais d'impression d'un livre seraient presque couverts par la vente de deux cents exemplaires seulement! J'ajoute aux présentes lettres le prix auquel revient le bréviaire, pour lequel il m'est dû par Votre Révérence 81 de nos florins. Si aux prochaines foires Votre Révérence désire recevoir quelques livres, je demande à en être averti à temps. En attendant, je me recommande instamment avec tous les miens aux prières de Votre Révérence. Anvers, de l'Officine Plantin, le 4e jour d'août 1656.’ Les Dissertations Philosophiques et Naturelles de Théodore Moretus ne parurent jamais. | |||||||||||||||
Chapitre IV.
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Sainte et non plus de mathématiques, on y adjoignit la charge de consulteur de Province, c'est-à-dire de membre du Conseil du Provincial de Bohême. On sait que d'après les règles de la Compagnie les consulteurs d'un Provincial sont au nombre de quatre, et que le Provincial est tenu de prendre leur avis sur les affaires importantes de la Province qu'il gouverne. Le quatrième séjour de Théodore à Prague semble avoir duré jusque vers 1656, Il était notamment dans la capitale de la Bohême en 1648 lors du sac de la ville par les Suédois, à la veille du jour où allaient se signer les traités de Westphalie. Le Jésuite nous a laissé, écrit sous le coup de l'émotion, un récit des scènes de carnage auxquelles il avait assisté. C'est une lettre au P. Nicolas Zucchi qui se conserve à Rome dans la Bibliothèque Victor-Emmanuel. Mais pour l'intelligence de cette pièce, il convient de rappeler quelques épisodes de la prise et de la défense de Prague, que j'emprunte à Ernest DenisGa naar voetnoot1). ‘Le comte de Koenigsmark surprit la forteresse des HratchanyGa naar voetnoot2) et la partie de la ville située sur la rive gauche de la VltavaGa naar voetnoot3) (la Petite Prague); mais tandis que ses troupes s'attardaient au pillage, la population courut aux armes et fortifia la célèbre porte de Charles IV. Les étudiants de l'Université conduits par leurs professeurs opposèrent aux assaillants une héroïque résistance.’ | |||||||||||||||
De Théodore Moretus à Nicolas ZucchiGa naar voetnoot4).‘Révérend Père dans le Christ. Je vous ai écrit mes dernières lettres le 23 juin (1648), c'est-àdire, la veille du jour où nous tombâmes pendant notre sommeil sous le joug de l'invasion suédoise. Vous raconter ce que nous | |||||||||||||||
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souffrîmes alors dans notre maison et notre église, ce que nous y souffrons encore, serait renouveler en nous une douleur inénarrable.’Ga naar voetnoot1) Réminiscence de l'Infandum Regina jubes renovare dolorem de Virgile. ‘Pendant les premières semaines, les plus grands et les plus petits, les maîtres et le peuple, ne se regardaient qu'avec stupeur, en silence, sans nulle distinction d'uniformes ni de rang. On y voyait plus de larmes qu'on n'y entendait de cris, plus de blessés et de morts que de fuyards à la recherche d'un refuge. Je n'exagère rien. Impossible de dire le peu d'heures qu'il fallut pour piller dans les édifices sacrés et profanes une somme dépassant de plus de trois millions d'or, celle qui sera exigée par l'ennemi lors de la paix. Un ou deux soldats mercenaires se sont, à ma connaissance, partagé plus de quatre-vingt mille ducats enlevés d'une caisse unique. L'Empereur lui-même s'est vu ravir tout son trésor d'objets rares et d'appareils ingénieux, collectionnés depuis le temps de Rodolphe II. Par respect pour l'Empereur, le Duc de Saxe l'avait cependant épargné quand il s'empara, en vainqueur, de la ville entière de Prague. (Ce Musée) a été saccagé au point que de tout le palais il ne subsiste que les murailles nues et à peine quelques fenêtres. Voilà ce que la férocité a commis dans la Petite PragueGa naar voetnoot2). La Vieille et la Nouvelle Prague se défendirent énergiquement durant plusieurs semaines. Elles transformèrent les fossés des fortifications en tombeaux béants pour leur ennemis, tombeaux bien plus larges qu'il ne l'eût fallu, si ces ennemis étaient morts en combat loyal. Mais cette bravoure des citoyens et des étudiants de la Vieille Prague, imprévue par l'adversaire, fut un fardeau pour nous religieux de la Petite Prague, car elle nous jeta tous les blessés sur les épaules. J'en ai parfois compté 150 dans notre maison. Maintenant encore, il y en a 80. Les luthériens firent irruption dans notre église, mais ils se retirèrent bientôt pour se porter ailleurs. Néanmoins, par l'ordre du | |||||||||||||||
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général Koenigsmark, c'est à prix d'or qu'il a fallu racheter nos têtes et notre bibliothèque. De plus, beaucoup de pillards volèrent, durant 30 heures, tous les ornements d'argent de l'église, tout ce qui dans la Maison avait un éclat blanc; brisant toutes les portes qu'ils trouvaient fermées, fracturant les coffres. Votre Révérence comprendra aisément par là pourquoi je n'ai pu faire face à mes promesses, et pourquoi je ne lui envoie pas quelque petite feuille de papier plus digne de ses savantes méditalions. Je crains que la même fatalité aît empêché Votre Révérence de répondre à mes rêveries sur le plan incliné de PappusGa naar voetnoot1) et d'y projeter la lumière. Quant à moi, dès que la paix qui semble à nos portes aura déchargé mes débiles épaules du fardeau de la soldatesque, je ne me mettrai jamais en retard; à moins que l'épidémie ne m'ait emporté auparavant. Je me recommande très humblement aux Saints Sacrifices de Votre Révérence et je salue respectueusement le P. Assistant de GermanieGa naar voetnoot2) ainsi que le P. Sallaerts. Prague. 21 Novembre 1648. De Votre Révérence le Serviteur dans le Christ Théodore Moretus. Notre Préposé, le R.P. Moschinus Santinus (?) salue très amicalement Votre Révérence.’
Le destinataire de la lettre, Nicolas Zucchi, est une personnalité avec laquelle Moretus resta longtemps en relations et qui doit nous arrêter un instant. Il naquit à Parme le 6 décembre 1586 et entra au noviciat des Jésuites de Padoue, le 28 octobre 1602. Il professa la rhétorique; enseigna six ans la philosophie, la théologie et les mathématiques au Collège Romain; fut recteur de ce collège et de celui de Ravenne; prédicateur du Palais Apostolique, et accompagna le Cardinal-légat Alexandre Orsini à la Cour de Ferdinand II, où il connut Képler. Il s'appliqua avec succès aux sciences et découvrit le | |||||||||||||||
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17 mai 1630 les taches de Jupiter. Zucchi était préposé de la Maison Professe de Rome lorsqu'il mourut, le 21 mai 1670. Moretus tenait, avec assez de raison, le P. Zucchi en très haute estime; mais l'opinion si favorable qu'il en avait n'était pas tout à fait partagée par son jeune compatriote et confrère, Gilles François De Gottignies, l'un des familiers cependant du P. Nicolas au Collège Romain et capable de le bien juger. Qui de nos jours connaît encore Gilles François De Gottignies? Voilà encore un de ces savants de mérite dont le nom devrait être ajouté à celui de tant de nos compatriotes qui sont oubliés en Belgique! Les Supérieurs de la Compagnie ne tardèrent pas à remarquer sa vaste et puissante intelligence. De Gottignies n'avait que 32 ans quand ils le firent monter dans la chaire de mathématiques du Collège Romain, qu'avaient illustrée des hommes aussi éminents que Clavius et Grienberger. L'élu se montra digne du choix, et je n'en donnerai qu'une preuve: en 1665 Dominique Cassini, le plus en vue des astronomes de cette époque, lui faisait l'honneur de publier en collaboration avec lui l'un de ses mémoires sur la planète Jupiter. De Gottignies a beaucoup écrit. Mais ses ouvrages presque tous édités en Italie sont pour la plupart introuvables dans les bibliothèques belges. Je n'y ai rencontré que ses principaux travaux sur la LogisticaGa naar voetnoot1), très bons traités d'Algèbre, bien au courant de l'état de cette science, au point où elle était parvenue au milieu du XVIIe siècle. Gilles François De Gottignies était Bruxellois. Un de ses autographes conservé au Noviciat de TronchiennesGa naar voetnoot2) nous donne quelques renseignements sur sa famille et sa jeunesse. Il était de bonne maison, fils d'Augustin De Gottignies, Secrétaire du Conseil Privé du Royaume, et de Marguerite Vereycken, qui lui donna le jour le 10 mai 1630. Son père lui fit faire ses études d'humanités au Collège de la Compagnie de Jésus à Bruxelles, après quoi, il l'envoya pendant 21 mois au Collège du Faucon à Louvain. Gilles François y suivit les cours de Wespen et de Locuer respec- | |||||||||||||||
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tivement premier et second principal de ce Collège. Locuer étant venu à mourir fut remplacé par De Gérin. Ces trois noms sont peu connus. Mais quand Gilles François eut terminé la philosophie au Collège du Faucon, son père le mit pendant trois ans encore entre les mains d'un savant d'une toute autre envergure, André Tacquet qui enseignait avec éclat les mathématiques au Collège de la Compagnie de Jésus à Louvain. L'élève sut profiter des leçons du maître, et le provincial de Flandre-Belgique, Jean-Baptiste EngelgraveGa naar voetnoot1), pouvait se féliciter, quand le 5 novembre 1653 le jeune homme vint à Anvers lui demander d'être admis parmi les religieux de son Ordre. Engelgrave n'eut garde de refuser et dès le 20 du même mois De Gottignies entrait au Noviciat de Malines, sous le rectorat du P. François De CleynGa naar voetnoot2). Le brillant religieux resta peu d'années en Belgique et passa sa vie presque toute entière à Rome dans l'enseignement des mathématiques. Il mourut dans la Ville Éternelle, le 6 avril 1689. Son court passage dans les maisons belges de la Compagnie y avait cependant laissé un souvenir flatteur pour lui, et les lettres que nous publions plus loin en donnent la preuve. Grégoire de Saint-Vincent avait à peu près atteint au terme de sa carrière, et les Supérieurs de la Compagnie lui avaient proposé divers aides pour l'assister dans ses derniers travaux. Grégoire jeta les yeux sur De Gottignies, mais en dépit des plus vives instances il ne put l'obtenir. Combien ce choix honore cependant celui qui en était l'objet! Pouvait-on trouver juge à la fois plus compétent et plus difficile que Grégoire? Avant de passer outre, il me faut encore dire un mot de deux Jésuites qui sont nommés dans les lettres qui vont suivre: les PP. Van der Veken et Kircher. François Van der Veken naquit à Anvers le 3 juillet 1596, entra au noviciat le 31 octobre 1613, enseigna les humanités et la philosophie, puis professa pendant 30 ans la théologie à Cologne. Dans | |||||||||||||||
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cette ville il eut un commerce épistolaire fréquent avec le futur Pape Alexandre VII, qui y était Nonce Apostolique. Quand Alexandre occupa la Chaire de Saint Pierre, il manda le P. Van der Veken à Rome et le nomma théologien de la Pénitencerie. Van der Veken mourut à Rome le 28 avril 1664. Moretus recourait volontiers à ses lumières en théologie. Athanase Kircher est plus connu que Zucchi et Van der Veken. Ses beaux ouvrages sont encore très recherchés, plutôt cependant par les bibliophiles que par les hommes de science. Kircher naquit à Geysen près de Fulda et dans les titres de ses ouvrages se qualifiait parfois de Fuldensis. Il entra dans la Compagnie le 2 octobre 1618, professa d'abord la philosophie et les mathématiques à Wurzbourg; puis, chassé par la guerre, il arriva en France où il passa quelque temps à Avignon; de là on l'envoya à Rome; il y vécut longtemps et y mourut le 27 novembre 1680. On est assez embarrassé quand on cherche à donner un jugement d'ensemble sur l'oeuvre de Kircher, qui embrasse les domaines les plus divers de la science. Le P. Athanase, comme on le nommait, était un informateur hors de pair, toujours prêt à mettre à la disposition de ses amis les trésors de son érudition; mais il avait d'autre part un talent incomparable pour se ménager des collaborateurs capables et complaisants, qui le documentaient et l'aidaient dans ses travaux. De là leur valeur un peu inégale. Le fond en est souvent emprunté pour la plus grande partie; la mise en oeuvre | |||||||||||||||
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est de Kircher. Un exemple concret le précisera mieux. Kircher n'avait jamais mis le pied en Chine, et cependant sa China IllustrataGa naar voetnoot1) était, sur ce qui concernait l'Empire du Milieu, l'un des livres les plus sûrement informés qui eût été publié jusqu'alors. C'est que l'auteur l'avait écrit en utilisant les documents que lui avait fournis son confrère le P. Jean Grueber, alors de retour à Rome, après sa fameuse randonnée de Péking à Agra, (ville des Indes), au travers de l'immense Empire Chinois et par les cîmes de l'HimalayaGa naar voetnoot1). Van der Veken et Kircher étant maintenant connus suffisamment par le lecteur, abordons le fragment qui nous reste de la correspondance de Moretus et de Gottignies. Il est de seize ans postérieur à la lettre de Moretus à Zucchi, puisqu'il date de 1664 et que la lettre à Zucchi était de 1648, Je crois cependant devoir en parler immédiatement, car il complète ce que nous savons des idées de Théodore sur le Problème de Pappus auquel il est fait allusion à la fin de la lettre précédente. En 1663 Moretus avait publié à Breslau des Thèses de Statique que Sommervogel signale comme suit en termes trop sommaires pour satisfaire notre curiosité: De ponderum gravitate. Wratislaviae, 1663, in 4o. Sommervogel ne les a pas vues et emprunte de confiance le renseignement à WydraGa naar voetnoot2). Nul doute cependant que ces thèses n'aient existé; elles donnèrent lieu à un échange de vues entre Moretus et De Gottignies que nous allons brièvement raconter. L'une des thèses De ponderum Gravitate portait sur la proposition 9 du livre 8 des Collections de PappusGa naar voetnoot3). La discussion soulevée à son sujet est très curieuse, parce que tout en semblant raisonner juste, les résultats auxquels parviennent, chacun de son côté, Pappus, De Gottignies, Moretus et Zucchi, diffèrent entre eux et sont contredits par l'expérience. Ce paradoxe apparent n'étonnera | |||||||||||||||
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que ceux qui sont étrangers à la mécanique analytique ancienne et ignorent ce principe cher aux mathématiciens: on ne tire des équations que ce qu'on y a mis. Le problème de Pappus discuté entre les trois Jésuites était celui de l'équilibre d'un corps sur un plan incliné. Or, pour n'indiquer qu'un de leurs oublis, mais qui est une cause d'erreur grave dans ce problème, ni Zucchi, ni Moretus, ni De Gottignies n'y tenaient compte du frottement. La théorie des vecteurs n'étant pas inventée, ils ne voyaient probablement pas la forme qu'ils auraient pu donner à un postulat qui leur eût permis de représenter sur les dessins des figures géométriques servant de base à leurs raisonnements, quelle était l'influence du frottement. On sait que la mécanique analytique est une science purement mathématique, basée sur des définitions et des axiomes, mais de plus sur un certain nombre de postulats choisis arbitrairement. Pour que l'expérience confirme les conclusions logiques qu'on en tire, il faut deux choses: que les postulats adoptés soient parfaitement conformes aux données de la physique, et qu'on n'en ait négligé aucun. Voilà ce qu'avait excellemment compris et pratiqué Archimède, mais ce que démêlaient beaucoup moins bien ses successeurs. Moretus, De Gottignies et Zucchi admettaient a priori, mais à tort, car cela n'était pas, que Pappus avait raison. En quoi le mécanicien grec se trompait-il? Il serait difficile de l'expliquer en quelques mots et je craindrais en m'y attardant de trop m'écarter du plan adopté dans mon travail. Je préfère renvoyer le technicien qui désirerait le savoir aux Origines de la Statique par DuhemGa naar voetnoot1) qui a magistralement traité la question. Les lettres de Gottignies n'en sont pas moins intéressantes, mais j'y supprime les passages d'ordre mathématique, en ayant soin bien entendu d'en avertir. | |||||||||||||||
De Gilles François De Gottignies à Théodore MoretusGa naar voetnoot2).‘Révérend Père dans le Christ. Je me suis rendu chez le P. Van der Veken avec les lettres que | |||||||||||||||
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vous m'aver écrites le 21 mars dernier. Le Pére était alité, depuis plusieurs jours souffrant d'un asthme et d'une fièvre qui ne laissaient pas que de mettre sa vie en danger. Il me dit qu'il n'avait rien reçu qui fût relatif à ce qu'il m'avait demandé, et qu'il y attendait une réponse. Je n'ai pas pu aller trouver le P. Kircher, mais je lui communiquerai aussitôt que possible la lettre que Votre Révérence m'a envoyée.’ Impossible de dire aujourd'hui de quoi il s'agissait dans le double message dont De Gottignies s'était chargé. Il est clair cependant que par son entremise Van der Veken avait demandé l'avis de Moretus relativement à une question de théologie, et que d'autre part ce dernier consultait Kircher sur quelque problème de mathématique, de physique ou de science naturelle. ‘Il m'eût été très agréable de me mettre au service de mon excellent Maître. Mais mes Supérieurs en ont décidé autrement. Je m'incline devant leur désir.’ Cet ‘Excellent Maître’ était Grégoire de Saint-Vincent, mais le mot ‘Maître’ ne peut s'entendre qu'au sens figuré. De Gottignies voulait rappeler à Moretus qu'en mathématiques il admirait Grégoire et appréciait ses méthodes. En effet, André Tacquet, professeur de Gottignies, était élève de Guillaume Boelmans. Or Boelnians lui même était, on se le rappelle, avec Moretus et Der Kennis, un des trois jeunes Jésuites initiés, à Louvain, par Saint-Vincent, à ses procédés de calcul infinitésimal. ‘Je n'ai jamais vu les Thèses de Votre Révérence, dont elle me parle. J'en préférerais voir les démonstrations que les simples énoncés. Mais pour les approuver, l'autorité de celui dont elles portent le nom me suffit à elle seule.’ Nous verrons tout de suite que quand De Gottignies connut mieux ces Thèses il n'en jugea plus aussi favorablement. Dès à présent il ajoute: ‘S'il m'était permis d'exprimer un doute relatif aux matières dont il s'agit dans les énoncés, je souhaiterais vivement qu'on me donnât une définition intelligible pour moi, ou une explication, de ce qu'il faut entendre par Levier de la Puissance et Levier du Poids, car considérés en eux-mêmes la Puissance et le Poids sont une seule et même chose. En cette matière je me sépare de Votre Révérence du tout au tout si son opinion n'est pas contraire à celle du P. Zucchi. J'estime que celle-ci pèche fort dans ses principes. | |||||||||||||||
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J'ai empêché ses partisans de l'enseigner en public et leur ai fermé la bouche en leur proposant par écrit de me résoudre une difficulté unique qui découlait de leurs principes, ou de quelque autre principe de la statique admis soit par quelque autre soit par moi.’ Fin de phrase embrouillée. De Gottignies veut dire que les principes de mécanique adoptés par Zucchi conduisent à des conséquences inadmissibles que d'ailleurs il n'indique pas. ‘Le P. Zucchi lui-même, auquel mon écrit avait été communiqué ne m'a jamais répondu. Je me recommande aux Saints Sacrifices de Votre Révérence.
Rome, 19 avril 1664. De Votre Révérence Le très humble Serviteur dans le Christ Gilles François De Gottignies.’
Nous n'avons pas la réponse de Moretus, mais on verra par la lettre suivante que lui écrit De Gottignies qu'elle traitait de sujets assez divers. | |||||||||||||||
De Gilles François De Gottignies à Théodore MoretusGa naar voetnoot1).‘Révérend Père dans le Christ. J'ai communiqué au P. Kircher les lettres que vous m'avez envoyées. Il m'a répondu qu'il avait récemment reçu pour la quatrième fois des lettres analogues dont il ne comprenait pas le sens. Je n'ai pas encore vu l'évêque grec dont Votre Révérence me parle. J'attendrai son arrivée. Le P. Grégoire (de Saint-Vincent) m'a également fait des plaintes au sujet de Votre Révérence. Je lui ai répondu qu'il devait plutôt des remerciements à Votre Révérence à cause du zèle qu'elle avait mis à tâcher d'obtenir mon retour en Belgique afin d'y assister le P. Grégoire. Je l'ai informé en même temps qu'on me permettra de venir l'aider l'an prochain.’ Les supérieurs de la Compagnie, s'ils avaient fait cette promesse à De Gottignies, se ravisèrent, car elle ne fut pas tenue. Il eût été particulièrement curieux de connaître ici la réponse que Moretus fit à la lettre précédente, car De Gottignies reprend: ‘Ces mots de Puissance et de Poids sont-ils à ce point étranges | |||||||||||||||
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que Votre Révérence m'en demande à moi la définition? Pappus s'en sert souvent dans la proposition 9 de son livre 8 et ailleurs encore. Dans sa lettre, Votre Révérence tire quelques conclusions de cette proposition et en déduit une règle pour diviser un cercle dans un rapport donné. Mais je l'avouerai franchement, je ne vois pas la légitimité de la conclusion. Votre Révérence admet-elle en Statique les théories du P. Zucchi? Je n'en sais rien. Pour moi je suis convaincu qu'elles sont absolument fausses. J'en ai fait ici l'an dernier profession dans mon enseignement. Je crois, en effet, que l'accroissement de la force produite par le levier n'est nullement due, comme Zucchi l'affirme, à la vitesse du mouvement. Je soutiens au contraire que deux poids de même gravité suspendus au même levier peuvent ne pas être en équilibre, tout en étant emportés avec la même vitesse. Quoi qu'il en soit de mes principes de Statique, ils importent peu. Chacun est libre de les juger comme il lui plaît, si quelque jour il y voit clair! Le P. Athanase (Kircher) salue Votre Révérence et moi je me recommande à ses Saints Sacrifices. Rome, 7 juin 1664. De Votre Révérence Le très humble Serviteur dans le Christ Gilles François De Gottignies.’
Le 15 juillet 1694 Moretus répondait longuement à cette lettre et s'efforçait d'expliquer à son confrère comment, d'après lui, de la proposition 9 du livre 8 de Pappus se déduisait correctement une règle permettant de diviser un cercle dans un rapport donné. La minute de la partie mathématique de cette lettre a été conservéeGa naar voetnoot1). De Gottigníes ne se laissa guère convaincre par la nouvelle argumentation de Moretus. | |||||||||||||||
De Gilles François De Gottignies à Théodore Moretus.Ga naar voetnoot2)‘Révérend Père dans le Christ. Les lettres que Votre Révérence m'a écrites le 15 juillet m'apprennent que Votre Révérence n'avait pas reçu celles où je la re- | |||||||||||||||
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merciais pour les Thèses de Statique qu'elle m'avait envoyéesGa naar voetnoot1), Ces Thèses m'ont fait très grand plaisir et m'ont plu beaucoup. Cependant je ne comprends pas bien certaines propositions qui s'y trouvent et notamment celle où Votre Révérence donne un moyen de diviser le cercle dans un rapport donné. Sans doute le raisonnement que Votre Révérence m'a récemment communiqué m'a donné quelque lumière, mais je ne saisis pas encore bien la force de la démonstration. J'aurais précisé par écrit ce qui m'arrête, si je n'en avais été empêché par les occupations qui me retiennent près des novices du P. AndréGa naar voetnoot2) sous lequel j'achève, en l'écourtant, il est vrai, ma troisième annéé de probation. Ces occupations m'ont distrait un peu de mes méditations mathématiques. Mais j'ai repris récemment mes études et je réponds brièvement au dit raisonnement de Votre Révérence. Elle verra ce qui me fait difficulté et dissipera les ténèbres qui m'empêchent d'apercevoir la vérité d'une si belle proposition.’ Suit la réfutation de la preuve imaginée par Moretus. Puis De Gottignies reprend; ‘Voilà mon sentiment sur le raisonnement de Votre Révérence, sentiment qu'elle m'a prié de lui communiquer. Si je m'y écarte de la vérité, il me serait agréable de savoir où est mon erreur. Quant à mes leçons de mathématiques, j'avoue qu'elles n'ont pas produit beaucoup de fleurs pendant ces dernières années. Personne ne nie cependant que si elles n'ont pas été parées de fleurs elle ont toutefois porté quelques fruits. Plusieurs se conserveront, et on me retient ici pour que les mathématiques continuent à y fleurir. Des auditeurs nombreux ne me font pas défaut, et jamais ils ne me manquèrent. C'est pourquoi je vous remercie pour Votre bon conseil. - Quel était ce conseil? - Je le tiens pour excellent, mais dans les circonstances actuelles je ne crois pas pouvoir le suivre. Je me recommande aux Saints Sacrifices de Votre Révérence. Rome. 27 septembre 1664. De Votre Révérence le très humble Serviteur dans le Christ Gilles François De Gottignies. Que répondit Moretus à cette lettre si modeste et en même temps si perspicace? | |||||||||||||||
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Nous l'ignorons, mais le manuscrit de l'Université de Prague qui nous l'a conservée, contient le résumé des minutes de plusieurs autres lettres du Jésuite anversois dans lesquelles celui-ci continue à discuter avec son confrère bruxellois le problème de Pappus, sans parvenir à se mettre s'accord avec lui. Mais, encore une fois, ni Moretus, ni De Gottignies n'ont entièrement raison. La mécanique n'était pas assez avancée pour qu'ils pussent voir vraiment clair dans ce genre de problèmes. Aussi le côté technique de leur controverse a perdu son intérêt pour nous. Ce sujet épuisé retournons de nouveau en arrière de quelques années. Les lettres précédentes datent de 1664; celles dont je vais parler sont de beaucoup antérieures, mais elles me donnent l'occasion de faire connaître sommairement les relations que Moretus entretenait avec les Bollandistes d'Anvers, notamment avec le fondateur de la docte corporation, Jean Bollandus, et son éminent émule et confrère Daniel Papebrochius. L'oeuvre des anciens bollandistes anversois est trop connue pour qu'il faille rappeler qu'ils cherchaient à se documenter sur le culte local des saints, par tous les moyens dont ils disposaient. Leur souci d'information donnait lieu à une correspondance assidue avec les Jésuites de tous les pays de l'Europe. En ce qui concernait les saints de nationalité slave, Moretus était une source abondante de renseignements. Plusieurs des précieux documents qu'il leur envoya se conservent encore dans la collection des Collectanea Bollandiana de notre Bibliothèque Royale. Sans avoir fait beaucoup de recherches pour être complet, je donne en note les cotes des lettres et mémoires de Moretus que j'y ai rencontrésGa naar voetnoot1). Qu'il me suffise de tra- | |||||||||||||||
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duire une de ces pièces à titre d'exemple. C'est une lettre, choisie d'ailleurs parmi celles qui portent le moins l'empreinte du cachet professionnel, s'il m'est permis d'ainsi parler. | |||||||||||||||
De Théodore Moretus à Jean Bollandus.Ga naar voetnoot1)‘Révérend Père dans le Christ. J'envoie à Votre Révérence la Vie latine de Saint Vicelinus et celles de deux martyrs - car ils sont qualifiés de ce nom dans la marge du manuscrit - sans attendre pour faire cet envoi que Votre Révérence m'y invite. Il en existe de plus un récit en langue vulgaire qu'il m'a été jusqu'ici impossible de traduire en latin, car il renferme beaucoup de passages que je ne comprends pas, et je n'ai pas d'interprète.’ Le “Préposé” de la maison professe d'Anvers, dont il va être maintenant parlé est le P. Van Hees, ou HesiusGa naar voetnoot2), qui s'est fait un nom par son talent d'architecte. Je regrette que le voyage de votre P. Préposé - que je salue très humblement - ait été interrompu; mais j'espère qu'il pourra être entrepris de nouveau, peut-être avec son vicaireGa naar voetnoot3). Pourquoi, soit à l'aller, soit au retour, ne visiterait-il pas Prague qui s'est si noblement comportée au cours de cette guerre?’ Allusion à la prise partielle de la ville par les Suèdois en 1648. La présente lettre étant de 1649, le souvenir de la conduite héroïque des étudiants et des habitants était encore dans toutes les mémoires. ‘Je désirais beaucoup rencontrer ces deux Pères. On n'entend pas encore parler de l'évacuation de la ville de Prague par les Suédois. Ils retardent de nouveau cette retraite de semaine en semaine. Ceux de leurs personnages qui n'ont pas d'emploi officiel, disent que quand bien même Frankendael tomberait, ils trouveraient aisément le moyen de provoquer d'autres retards. Je me recommande aux Saints Sacrifices de Votre Révérence. Prague, 3 juillet 1649. De Votre Révérence le serviteur dans le Christ Théodore Moretus. | |||||||||||||||
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La correspondance de Moretus et de Bollandus contient une pièce, unique en son genre, qui nous en dit assez long sur les moeurs peu délicates des jeunes collégiens de Prague. Le père de l'un d'eux, Jean Patz à Tranquilla, habitait Misme. Misme, écrit de sa main Moretus en apostillant la lettre que nous allons traduire, est une très vieille bourgade, jouissant d'anciens privilèges qui datent de Charles IV. Patz à Tranquilla avait reçu de Rome les corps de plusieurs saints martyrs. Il se proposait de leur consacrer une notice biographique et en outre de faire graver des images et frapper des médailles pour développer leur culte. Mais avant d'exécuter ce projet, il désirait avoir l'avis de Bollandus. Il envoya donc à Moretus les ‘Informations’ qu'il avait reçues sur ces martyrs, avec priére de les transmettre à Anvers. Toujours complaisant, celui-ci s'y prêta volontiers. Bien plus, aux ‘Informations’ il joignit la lettre par laquelle Patz à Tranquilla lui demandait ce service. Les deux pièces sont aujourd'hui reliées à la suite l'une de l'autre dans un des volumes des Collectanea BollandianaGa naar voetnoot1). | |||||||||||||||
De Jean Patz à Tranquilla à Théodore Moretus.‘Très Révérend Père dans le Christ. J'envoie à Votre Révérende Paternité les informations qui concernent les saints dont je vous ai parlé. Je la prie instamment d'en référer, comme elle me l'a promis, au R.P. Jean Bollandus; de lui demander son avis, et de bien vouloir me dire ce que Votre Révérence en pense elle-même. C'est afin de pouvoir faire mention de ces saints dans l'histoire, et plus tard, en temps opportun, de leur consacrer un opuscule, qui puisse édifier non seulement les habitants de Misme, mais aussi beaucoup d'autres. Cet opuscule devrait être écrit avec esprit de critique et publié sous l'autorité de l'Eminentissime Ordinaire. J'attends la réponse d'Anvers aussitôt que Votre Révérence l'aura reçue. J'attends en même temps un extrait (de la Vie de ces saints?); ou, au choix de Votre Révérence, quelque chose d'équivalent qui puisse être inséré dans une histoire. Si le R.P. Bollandus | |||||||||||||||
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désirait recevoir des Bulles, je veux dire des Diplômes authentiqués, je les lui enverrai plus tard, quand je lui répondrai. Je ne lésinerai pas. Je couvrirai les frais nécessités par la réponse du R.P. Bollandus et par celle de Votre Révérende Paternité. Je traiterai avec l'Éminentissime Ordinaire ce qui concerne les images, les médailles, l'opuscule et le reste, afin que tout se fasse conformément aux règles habituelles et comme il convient. Je possède et je conserve en outre dans ce but quelques objets qui pourront y contribuer. J'espère et j'ai la certitude que dans ces régions oû sévit l'hérésie, il se rencontrera des hommes capables, décidés à tout tenter en vue du bien des àmes. A la condition qu'on se serve d'eux comme il le faut, non seulement ce ne sera pas sans utilité, mais avec le plus grand fruit. Que Votre Révérence prenne mon affaire à coeur, je l'en prie, afin que je la puisse conduire avec plus de fermeté. Qu'en attendant elle la garde secrète et excuse mon importunité. Mais il y a autre chose. J'ai appris que mon François a bien rèussi son examen. Mais il a des condisciples issus des divers ordres de ce royaume, dont un certain nombre a été examiné et ne sera pas reçu au grade de bachelier. J'ai entendu, non pas de la bouche de mon François, mais de celle d'un autre, et cela de mes propres oreilles, une chose que j'ai tue, c'est qu'avec des moeurs dignes de Hussites, on bafouait François à la face de ceux qui faisaient grand cas du baccalauréat. J'ai vu que mon François avait les larmes aux yeux chaque fois que je lui parlais de cette affaire, et que je lui demandais quels étaient ceux qui avaient obtenu le même grade que lui. Je crains qu'il ne se décourage, ou finisse par ne plus supporter ces vexations. Par conséquent, à moins que son R.P. professeur n'y fasse opposition, et si d'accord avec lui on pouvait l'en dispenser, je ne voudrais pas que mon fils, seul parmi ses pairs, soit honoré de cette distinction. Ce serait sans grand profit. Qu'on la passe sous silence, en dissimulant. Qu'on dise à François qu'on le fait pour qu'il travaille d'autant mieux: et pour que l'année prochaine il passe le premier dans la conquête du grade de Maître, et donnant lors de sa défense publique de toute la philosophie des preuves d'autant plus éclatantes de talent et de jugement. Que Votre Révérence veuille arranger cette affaire avec le R.P. professeur et le R.P. doyen, et ensuite me répondre. | |||||||||||||||
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Daigne le Seigneur Dieu conserver Votre Révérence en sa garde.
Misme, 8 mai 1652.
De Votre Très Révérende Paternité Le serviteur très dévoué
Jean Patz à Tranquilla.’
L'adresse de la lettre en fait connaître le destinataireGa naar voetnoot1).
J'abrège. Le P. Théodore était à Breslau quand il apprit que l'illustre et savant confrère avec lequel il avait eu de si fréquentes et si cordiales relations, Jean Bollandus, s'était éteint à Anvers, le 12 septembre 1665. Il en témoigna aussitôt son chagrin. | |||||||||||||||
De Théodore Moretus à Daniel Papebrochius.Ga naar voetnoot2)‘Révérend Père. J'ai reçu les très tristes lettres qui m'apprennent le décès d'un si éminent ami. J'oserais presque dire, que les Saints à l'unanimité l'ont invité à venir les rejoindre. Votre Révérence a ajoutè à son portrait un éloge qui exprime d'une manière heureuse le mérite de Bollandus. Oserais-je moi aussi mettre une inscription sous ce portrait? Bollando! qui Sanctorum monumenta recludens
In tot ruderibus lumina tot reperit;
Queis Jani primum fastos, Februique deinde
Illustrans, Martii iam quoque gesta dabat.
Bollando! dum plura parat. bona lumina claudens
Autumnus magnum in Marte continet opus.
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Autumnus senibus sit Mars, sit uterque nefastus,
Bollando ad Coelos faustus uterque fuit.Ga naar voetnoot1)
Votre Révérence et d'autres ont pris soin de faire peindre le portrait d'un si grand homme; je m'en réjouis et je me félicite qu'elles y soient parvenues. Mais puisque Votre Révérence m'en offre une copie appropriée, je lui en envoie les dimensions à l'aide d'un fil ci-inclus. Cette copie devrait être un peu plus haute que large; et sa largeur être limitée au noeud qui a été fait dans la longueur du fil. Ce portrait formerait ainsi le pendant de celui de Grégoire de Saint-Vincent que je viens de recevoirGa naar voetnoot2). J'espère que ce nouveau portrait ne coûtera pas non plus davantage que deux patacons. Le peintre aura le temps de l'achever avant les prochaines foires...’ Moretus aborde ici d'autres sujets. Mais comment en parler? Les anciens bollandistes n'ont conservé que la partie supérieure de la lettre et le texte en est brusquement interrompu. Cependant la date ‘Breslau, 23 octobre 1665’ et l'adresse du destinataire de la lettre subsistent encoreGa naar voetnoot3). | |||||||||||||||
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Reprenons enfin l'ordre chronologique, que l'unité comme la clarté de la narration nous ont contraints plusieurs fois d'abandonner un peu; et pour pouvoir désormais le suivre sans nous en écarter, retournons pour la troisième fois de quelques années en arrière. Théodore quitta Prague en 1653 et, le 19 août de la même année, il prenait sur ses épaules le rectorat du collège de Klatteau. C'était un fardeau et plus qu'une charge, car le petit collège de cette ville tombait en ruine, et le nouveau recteur avait pour mission de le rebâtir et naturellement aussi d'en payer la reconstruction. Il gouverna le collège pendant trois ans. Il passa l'année 1657 à Neiss, occupé dans divers ministères apostoliques. De là il se rendit en 1658 à Glogau. Vers cette époque il eut un fréquent échange de lettres avec un de ses amis de vieille date, dont nous n'avons pas encore parlé, Godefroid Aloïs Kinner von Loewerthum. C'était au sujet du Problema Austriacum de Grégoire de Saint-Vincent. Kinner von Loewerthum naquit à Reichenbach en Silésie, vers 1610. Après avoir conquis les grades de docteur en philosophie, en théologie et en droit, il fut appelé à Vienne par l'Empereur Léopold I, qui l'y chargea de l'éducation de l'archiduc Charles-Joseph. En 1653 on trouve Kinner à Prague, où il devint en 1670 supérieur du chapitre Zu aller Heiligen. J'ignore la date de sa mort. Godefroid Kinner était lié d'amitié avec Saint-Vincent, qui nous apprend lui-même, dans une lettre du 15 janvier 1654 à Christiaan HuygensGa naar voetnoot1). - le grand Huygens, - qu'il entretenait un commerce épistolaire suivi avec Kinner. Dans cette même lettre, Grégoire dit encore que ‘son ancien élève Théodore Moretus était au mieux (in deliciis) avec le Silésien,’ leur ami à tous deux. Retenonsle, car c'est probablement d'accord avec eux, et notamment avec Saint-Vincent, que Kinner avait écrit quatre ans auparavant, en 1654, son Elucidatio Geometrica Problematis Austriaci Sive Quadraturae Circuli Feliciter Tandem Detecta per R.P. Gregorium à Sancto VincentioGa naar voetnoot2). | |||||||||||||||
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Dès que l'opuscule fut imprimé, Kinner se hâta de l'envoyer à Moretus, qui s'en montra peu satisfait. Mais, pour s'expliquer leurs hésitations et la ténacité inutile qu'ils dépensèrent. Kinner à perfectionner, Moretus à corriger la nouvelle démonstration, il faut se rappeler qu'au dix-septième siècle, - je l'ai déjà dit au début de ce travail et j'y reviens, - si les géomètres croyaient le problème de la quadrature du cercle difficile, aucun d'eux ne soupçonnait encore que la solution en était impossible. Les premières lettres échangées entre les deux savants à l'occasion de l'Elucidatio furent à n'en pas douter nombreuses; mais nous ne les avons plus. La plus ancienne de celles qui nous restent est une minute autographe de Moretus, datée de Glogau, le 23 avril 1658Ga naar voetnoot1). Le Jésuite y affirme, entre autres, que la démonstration de la 32e proposition de l'Elucidatio est fautive. Kinner lui répond aussitôt par lettre datée de Vienne, le 8 mai suivant, où il s'efforce au contraire de prouver que son raisonnement est correct. Après quoi la discussion se poursuivit pendant plusieurs années encore. Mais nous n'en possédons plus qu'une pièce de quelque importance; c'est une lettre écrite de Vienne par Kinner le 20 juillet 1662. Moretus jugea qu'elle méritait d'être transcrite et conservée. L'autographe de Kinner et la copie de Moretus sont reliés ensemble dans un des manuscrits de Prague. La copie du Jésuite est suivie du sommaire de la réfutation qu'il envoya à VienneGa naar voetnoot2). Cette correspondance, dont je viens de tracer les grands traits, est alourdie par un appareil géométrique encombrant. De part et d'autre on s'écrit dans le style du temps, cela va de soi. Mais nos mathématiciens d'aujourd'hui sont à ce point déshabitués de ce style, qu'il ne tarderait pas à les fatiguer et à les ennuyer. D'ailleurs, quand bien même le plan de mon travail me permettrait de l'essayer, il serait difficile d'intéresser encore nos géomètres aux détails des tentatives faites pour venir à bout de ce problème de la quadrature du cercle, dont ils savent que la solution est impossible a priori. Passons outre. Pendant les deux années qu'il vécut à Glogau, Moretus joignit le ministère apostolique à l'enseignement des mathématiques. En 1658, il entreprit un long voyage à travers la Bohême, la Moravie, l'Autriche, etc., dont il a exceptionnellement noté les principales | |||||||||||||||
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étapes dans un des manuscrits de PragueGa naar voetnoot1). Nous venons de voir qu'il avait écrit encore de Glogau à Kinner le 23 avril. Le 15 mai il était à Brünn et le 19 du même mois à Vienne, qui semble avoir été le terme de son voyage. Au retour, le 31 juillet il est à Olmutz, le 4 août dans un village situé à 3 milles de Neiss, qu'il ne nomme pas, et le 9 suivant à Neiss même. Le 15 il est à Breslau et il rentre enfin à Glogau le 25 août. Et le but de ce voyage? Rien ne peut le faire deviner. Les dates précédentes sont annexées à des remarques d'ordre scientifique. On ne voit pas pourquoi la plupart de ces remarques n'auraient pas tout aussi bien pu être faites à Glogau. En 1660 Moretus fut pour la première fois attaché au collège de Breslau, où il joignit, comme à Glogau, le ministère apostolique à l'enseignement des mathématiques. Il resta dans ce collège pendant deux ans. Un des manuscrits de Prague nous fournit la preuve que, lors de ce premier séjour dans la capitale de la Silésie, Moretus était en relation avec le célèbre astronome Hévélius, qui habitait Dantzig. Ils se communiquaient leurs observations sur les positions occupées par une comète qui brillait au ciel. Je ne puis que signaler le fait. Moretus n'a pas conservé les lettres qu'ils échangèrent au sujet de cet astre errant, et je n'ai pas eu l'occasion de rechercher si la correspondance d'Hévélius en contenaitGa naar voetnoot2). Le Jésuite passa l'année 1662 à Glatz, mais il revint bientôt à Breslau et probablement dès 1663. C'est pendant son séjour à Glatz | |||||||||||||||
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qu'il publia à Cologne, son Principatus, assez fort in-folio qui eut quelque succès, comme le prouvent ses rééditions qui se succédèrent rapidement. Notre Bibliothèque Royale possède celle de Cologne, 1671Ga naar voetnoot1). Le Principatus est un ouvrage, à la fois de théologie et de piété, destiné à défendre la thèse de l'Immaculée Conception de la Sainte Vierge, qui n'avait pas encore été définie comme dogme de foi. Ce n'est pas une oeuvre fortement charpentée, faisant époque, mais plutôt une compilation qui se traîne un peu dans des controverses aujourd'hui périmées et devenues sans importance sérieuse, même pour les théologiens. Après avoir quitté Glatz pour rentrer à Breslau, comme nous venons de le dire, Moretus resta désormais attaché au collège de cette ville jusqu'à la fin de ses jours. La position qu'il y occupa était la même qu'il y avait eue la première foisGa naar voetnoot2). Mais nous n'aurons à parler que du professeur de mathématiques, en entendant ce mot dans le sens large qu'on lui donnait au dix-septième siècle. C'est de Breslau qu'en 1665. Moretus édita, chez Jacques Meursius d'Anvers, son Traité des MaréesGa naar voetnoot3), le plus connu de ses ouvrages. Un premier reproche, qu'il faut lui adresser visa un défaut qui n'est pas personnel à l'auteur et se retrouve chez la plupart des contemporains, je veux dire le travers de chercher à confirmer des thèses de science pure, par des textes de l'Ecriture Sainte qui n'ont rien à faire dans la question. Quoi d'étonnant? Nous sommes au siècle des Van Lansberge et de Galilée. | |||||||||||||||
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Ceci dit, Quetelet, dans son Histoire des Sciences Mathématiques et Physiques chez les Belges,Ga naar voetnoot1) n'a pas mal apprécié le Traité des Marées, à la condition toutefois d'y ajouter une précision. Je le ferai tantôt. Mais écoutons d'abord notre historien. Après avoir affirmé que l'imagination domine dans tous les ouvrages de Moretus - pour ma part j'en excepte formellement ses manuscrits de mathématiques - Quetelet ajoute: ‘On trouve cependant chez lui beaucoup d'instruction’ - en effet, dans tous les ouvrages et opuscules imprimés de Moretus que j'ai eus en mains, l'érudition prédomine - ‘et dans sa dissertation sur les marées, par exemple, il fait preuve de connaissances variées. On voit qu'il marche, mais sans trop de succès, vers la solution du problème qui doit se résoudre bientôt. Il critique Simon Stevin, qui supposait une attraction causée par la lune, mais en l'attribuant au magnétisme,’ - c'est le point qui doit être précisé et expliqué, je vais y revenir dans un instant - ‘il est fâcheux seulement que des idées étrangères au sujet qu'il traite viennent se placer au milieu de son travail et y causer des digressions diverses que souvent on était loin d'attendre.’ Parmi ces idées étrangères et ces digressions, il y a notamment les preuves tirées de l'Écriture Sainte dont j'ai parlé. Mais venons-en à Stevin, car Quetelet s'exprime peu clairement. Le passage critiqué par Moretus est tiré du Livre VI De la Géographie, que le Brugeois intitule lui aussi De la Théorie des MaréesGa naar voetnoot2). Lisons le passage et savourons une phrase de son archaîque langage. ‘Pétition I. Qu'on nous concède de dire que la lune et son point opposite tirent et sucent continuellement les eaux du globe.’ En d'autres termes, Stevin, dans la théorie des marées, postule, c'est-à-dire demande de lui accorder sans démonstration, qu'outre la lune visible on lui permette de supposer l'existence d'un point | |||||||||||||||
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réellement influent, mais invisible, situé à l'opposite de la lune; expression par laquelle il veut dire que ce point est le symétrique du centre de la lune par rapport au centre de la terre. D'autres auteurs, allant plus loin que le Brugeois, introduisirent, dans le système du monde, un astre supplémentaire, l'Anti-SelenusGa naar voetnoot1), lune invisible, elle aussi, comme le point opposite de Stevin, lune symétrique de la première lune par rapport à la terre et agissant magnétiquement, avec la première lune, sur la surface des eaux. C'est contre l'activité réelle du point opposite de Stevin et l'existence de l'Anti-Selenus que Moretus s'inscrit en faux avec raison. Son système à lui est que la lune lumineuse (qu'il qualifie de ce nom, pour la distinguer de l'Anti-Selenus, lune obscure et invisible) cause la double marée quotidienne par sa puissance magnétique, et qu'elle en est la cause principale unique. Après Stevin, écoutons le Jésuite anversois. ‘Simon Stevin, dit-il, qui lui aussi (comme moi) attribue à la lune une force magnétique pour expliquer les marées, postule ceci afin d'éviter les difficultés de la physique: Qu'on me concède que de la Lune et du point opposé à la Lune, l'eau du Globe est perpétuellement attirée. Ce postulat peut à la rigueur être admis ad eruderationem sequelarumGa naar voetnoot2) (pour essayer de défricher le terrain et rechercher les conséquences qui s'ensuivraient) et voir si elles sont conformes à l'expérience ainsi qu'aux phénomènes naturels. Mais quand il s'agit de la cause physique, c'est à tort que l'on postule l'existence de ce point imaginaire opposé à la Lune, qui serait doué d'une force magnétique. Voilà pourquoi d'autres ont dit qu'il y avait en ce point une Lune invisible qu'ils ont nommée Anti-Selenum. c'est-à-dire, opposé à la Lune. Or cela est de nouveau une hypothèse tout à fait gratuite et point du tout nécessaire comme nous le montrerons.’ Moretus a raison, en remarquant que Stevin ne parle pas de l'Anti-Selenum. Mais dans la théorie du Brugeois le point opposite en joue exactement le rôle. Il est bien clair que le Jésuite tient le | |||||||||||||||
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bon bout en attribuant, comme il le fait, les deux marées quotidiennes à la force magnétique d'une Lune unique, celle qui est visible à nos yeux. Car, ne chicanons pas sur le mot magnétisme, qui n'avait pas alors le sens limité et précis que nous lui donnons aujourd'hui. Moretus l'emploie comme synonyme de notre mot attraction, que Newton devait plus tard imposer aux savants. En réalité il n'y a guère là en jeu qu'une question de mots. Nous voici enfin parvenus aux derniers mois de la longue carrière du P. Théodore. En 1667, Moretus était sexagénaire depuis un lustre, mais il était encore très allant et plein d'activité. Au début de cette même année, le 27 janvier 1667, son vieux et incomparable maître, Grégoire de Saint-Vincent, avait été foudroyé à Gand par une attaque d'apoplexie, qui l'enlevait à l'affection de ses admirateurs dans une auréole de respect et de vénération universelle. Quand la nouvelle lui en vint à Breslau, elle rappela à Moretus les belles années où, encore scolastique, il suivait à Louvain, avec Boelmans et Der Kennis, les leçons de ce prestigieux professeur; car le Provincial de Flandre-Belgique lui demandait de rendre à l'illustre défunt un service analogue à celui que les trois jeunes religieux lui avaient rendu à plus de quarante ans de distance, en 1625. Au moment où Saint-Vincent mourut, il travaillait à la publication de son Opus Geometricum ad Mesolabium,Ga naar voetnoot1) et l'un des manuscrits de PragueGa naar voetnoot2) nous apprend quelques circonstances curieuses et tout à fait inconnues de cette entreprise, notamment celle-ci: l'ouvrage imprimé, qui ne contient que quatre livres et que l'on croyait complet, devait dans l'intention de l'auteur en avoir au moins sept. Voici ce qui se passa. A la mort de Saint-Vincent, Joachim Papebrochius, frère du bollandiste, fut chargé de mettre en ordre les papiers du défunt et d'achever l'édition commencée de l'Opus ad Mesolabium. Les quatre premiers livres, ceux qui ont effectivement été publiés, ne lui offrirent pas de difficultés imprévues, mais les suivants le préoccupèrent, car ils contenaient de nouvelles tentatives de quadrature du cercle qui ne le satisfaisaient pas. Que faire? Les supprimer? Il n'osait en prendre la responsabilité. Il consulta donc le P. Gilles | |||||||||||||||
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Van der BekenGa naar voetnoot1), provincial en charge de la province Flandre-Belgique, homme d'administration, assez imparfaitement préparé à prononcer sur le plus ou moins de rigueur apportée dans la solution d'un problème de mathématique pure, universellement reconnu comme très difficile. Van der Beken se rappelant alors son compatriote de Breslau, prescrivit au P. Joachim de lui soumettre les démonstrations douteuses et de s'en rapporter à son arbitrage. Luimême il écrivit à Moretus pour le prier de prendre cette affaire à coeur. La sentence de l'arbitre fut nettement défavorable. Nous n'avons plus les lettres de Joachim Papebrochius ni celles de Van der Beken, mais il nous reste les minutes des réponses qui leur furent faitesGa naar voetnoot2); elles sont datées successivement du 29 juin, du 6 juillet, de la fin de juillet, du 27 août et du 1er octobre. Dans ces minutes, Moretus n'a tenu note que des passages mathématiques de ses réponses. Le Jésuite prouvait en les écrivant, qu'il conservait encore toute la vivacité de son intelligence. C'était cependant le chant du cygne! Quelques semaines plus tard sa santé déclinait rapidement, et il mourait à Breslau le 6 novembre 1667. | |||||||||||||||
Épilogue.M.Q. Vetter, professeur à l'Université de Prague, a eu l'obligeance de m'informer par lettre que la bibliothèque de son Université possédait les Mathematici Tractatus de Fontibus artificialibus. Pragae, 1641.Ga naar voetnoot3) C'est le seul programme imprimé de théses défendues en séance | |||||||||||||||
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solennelle et publique par les élèves de Moretus et sous sa présidence, dont je puisse signaler un exemplaire. En existe-t-il d'autres ailleurs? Je crois pouvoir répondre sans hésiter qu'il n'y en a pas en Belgique. Mais peut-être pourrait-on en rencontrer dans les bibliothèques de la Bohême et de la Silésie, notamment à Breslau. Le Musée Plantin a trois opuscules ascétiques du P. ThéodoreGa naar voetnoot1). Ils témoignent de la tendresse affectueuse du Religieux pour le Christ souffrant et sa Sainte Mère. Considérés en eux-mêmes, ces petits livres de dévotion ne valent ni plus ni moins que tant d'autres du même genre écrits par les Jésuites du dix-septième siècle. Tout en étant bons, voire même dignes d'une approbation sans réserve, ils n'eurent souvent pas grand succès hors du cercle restreint des chrétiens pieux, vivant sous la direction spirituelle des auteurs qui tes avaient écrits à leur intention. Moretus ne paraît pas avoir échappé à la loi générale. Sommervogel dit, dans sa Bibliothèque de la Compagnie de Jésus au mot Moretus, que le Memoria SachsianaGa naar voetnoot2) fait ‘un éloge pompeux’ du P. Moretus. Il ne m'a pas été possible d'en prendre connaissance, l'exemplaire de la Bibliothèque Royale, le seul que je connaisse en Belgique, étant défectueux. Malgré ce ‘pompeux éloge,’ il serait exagéré de comparer Moretus à son maître Grégoire de Saint-Vincent. Peut-être pourrait-on dire qu'il fut le digne émule de deux mathématiciens Jésuites anversois ses contemporains, Jean Charles della FailleGa naar voetnoot3) et André Tacquet, sans cependant les égaler. N'importe, Théodore Moretus honore grandement la ville | |||||||||||||||
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d'Anvers qui l'a vu naître, l'Ordre religieux dont il fut membre, et - on voudrait pouvoir l'ajouter sans restriction, - le nom de Moretus qu'il porte. Mais ici on a le regret de devoir y mettre une réserve, qui d'ailleurs n'atteint Théodore qu'indirectement. Balthasar Moretus II n'avait pas la hauteur de vues de son oncle Balthasar I. Comme lui, il estimait que l'impression d'un livre de mathématiques ou de sciences était une mauvaise affaire commerciale, ces livres se vendant mal. Mais à l'encontre de son oncle, il ne voyait pas qu'il est parfois bon de savoir faire un sacrifice à la renommée de sa famille. Par deux fois, Balthasar II refusa les mémoires, aujourd'hui irrémédiablement perdus, mais à n'en pas douter excellents, que son cousin lui proposait d'éditer. Il ne comprit pas qu'en les acceptant il eût, comme le disait son oncle, travaillé à la gloire du nom de Moretus; qu'en les dédaignant, il manquait l'occasion d'ajouter, somme toute à peu de frais, deux fleurons à la couronne de l'Officine Plantinienne. Bruxelles, Collège Saint-Michel, Décembre 1927. | |||||||||||||||
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