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[Nummer 1]
Un manuscrit de la chambre de rhétorique anversoise ‘De goudtbloemen’
Parmi les sociétés de rhétorique sous la bannière desquelles se rangeaient autrefois les littérateurs et les intellectuels anversois, il y en eut trois surtout qui se distinguèrent par leur ancienneté et par leur importance; c'etaient celles qui portaient comme signe distinctif une giroflée (de Violieren), une branche d'olivier (de Olyftak). et des soucis (de Goudtbloemen).
L'histoire des deux premières a été maintes fois étudiée; elle est suffisamment connue; celle de la troisième l'est moins. Et cependant elle ne manque pas d'intérêt.
De Violieren et de Goudtbloemen ou Goudbloem sont les plus anciennes. Elles florissaient déjà au XVe siècle. Toutefois les documents sont tout à fait muets au sujet de la date de fondation de cette dernière. Tout ce que l'on sait, c'est que le magistrat lui accorda en 1490 un subside de 12 florins du Rhin pour lui permettre de couvrir les frais qu'elle devait faire pour participer, au mois d'août de cette année, à la fête que donnait à Lierre la Société de rhétorique de Jennetten of Ongelierde. Quelques années plus tard, en 1506, c'est encore dans la même ville que se rendaient les confrères des Goudtbloemen pour répondre cette fois à une invitation de l'autre société locale de rhétorique, celle du Groyende boom. Dès lors les excursions de ce genre se multiplient. Ce fut un peu plus tard, à Herenthals, où les membres des deux sociétés, des Violieren et des Goudtbloemen, se rendirent richement costumés au nombre de 400. Ceux de la dernière chambre avaient à leur tête leur recteur François de Valle ou del Vallio et leur doyen, l'amman Gérard van de Werve. Puis ce fut le tour de Termonde où les deux sociétés avaient en même temps été invitées.
Toutefois un différent naquit entre elles à l'occasion de ces excursions. Des conflits de préséance se produisirent, chacune d'elles voulant avoir le pas sur sa rivale. Il fallut pour résoudre ces difficultés que le magistrat d'Anvers intervint. Par décret du 3 août 1510, il décida que la préséance devait appartenir aux membres de la chambre des Violieren, celle-ci étant de fondation antérieure à celle des Goudtbloemen.
Dès lors, dans toutes les cérémonies, les deux sociétés se tinrent soigneusement séparées.
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Le 22 juillet 1515 un important Landjuweel fut organisé à Malines. Le cortège des Goudtbloemen fut impressionnant; il comptait environt 600 participants, qui à cheval, ou en chariot, qui à pied: parmi ceux-ci se remarquaient huit chevaliers, plusieurs membres du magistrat et de nombreux amateurs. Ils obtinrent le prix décerné pour la plus belle entrée. A partir de cette époque l'intervention de la chambre dans les festivités ou les concours se manifeste avec une grande activité. Nous citerons les fêtes qui eurent lieu à Anvers le 16 août 1529 pour célébrer la conclusion de la paix de Cambrai, le Landjuweel du 11 juillet 1535 à Matines où elle remporta le premier prix pour la plus belle entrée et le troisième pour la comédie, les fêtes organisées à Anvers en 1556 lors de l'entrée de Philippe II pendant lesquelles se déroula un cortège solennel auquel cinquante de ses membres prirent part.
Nous devons nous arrêter quelque peu au Landjuweel que les Violieren organisèrent au mois d'août 1561 et qui fut reconstitué avec une fidélité complète et un succès éclatant lors des fêtes qui eurent lieu en 1892, à l'occasion du cinquantenaire de la fondation de l'Académie royale d'archéologie de Belgique.
Les Goudtbloemen prirent une part prépondérante aux festivités de 1561. Au début de celles-ci les Violieren, le 3 août, se rendirent à la porte St-Georges pour y recevoir les sociétés invitées et les ramener solennellement en cortège au centre de la ville. Les Goudtbloemen marchaient en tête de ce cortège. D'abord s'avançait un héraut d'armes que suivaient trois trompettes; puis chevauchait un cavalier portant le blason de la chambre; venaient ensuite seize membres à cheval, un joueur de luth également monté, le messager de la chambre, un nouveau groupe de vingt-quatre cavaliers accompagnés de cinq laquais, le prince et le chef-homme, un char sur lequel se tenaient cinq personnages costumés à l'antique, enfin le fou hissé sur un cheval artificiel. Tous ces personnages étaient richement costumés de manteaux et de chapeaux rouges, tandis que leurs bas, leurs bottes, les courroies et les plumes qui complètaient leur accoutrement étaient blancs.
Pour leur participation les confrères des Goudtbloemen remportèrent le 3e prix pour le ‘plus bel esbatement’ et reçurent à cette occasion un plat en argent pesant 3 onces.
Un anglais, témoin de ces fêtes, en a laissé une relation dans laquelle il consacre un passage à la participation des Goudtbloemen. Voici comment il s'exprime:
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The golde blome where were 60 horssys (horsemen), all in crymsone satten and vell vett; in shourt clokys lynyd with wyte satten, wyte satten hose and doublets; red hatts with wyte fethers; and wyte bootes, all ther hourses trappyd accordyngly; besydes 12 trompeters and heralds and att the least XX footemen, apparalyd accordyngly.
Pendant les dernières années du XVIe siècle et celles du début du siècle suivant, les Goudtbloemen continuèrent la série de leurs succès. C'est ainsi qu'ils participèrent en 1564 au concours dramatique qui eut lieu à Hulst, obtenant à cette occasion du magistrat d'Anvers un subside de 200 florins pour se rendre à cette joute; qu'ils remportèrent en 1565 à Bruxelles le 1r prix pour le jeu de leurs acteurs; que lors de l'entrée à Anvers, le 26 février 1583, du duc d'Aleçon ils élevèrent à leurs frais dans la longue rue de l'Hôpital, à proximité de l'église St-Georges, une estrade richement parée où figuraient leurs dignitaires et leurs principaux membres; et qu'ils prirent une part active à la fête spéciale blazoenfeest, qu'organisa en 1610 à Malines la chambre de rhétorique de Pioene.
Cette dernière société, quelques années plus tard, en 1620, prit l'initiative d'une nouvelle manifestation littéraire bien plus importante sur laquelle on possède des indications précises grâce à une publication qui fut imprimée l'année suivante à Malines, De Schadt Kiste der Philosophen ende Poeten. Le rôle que jouèrent à cette occasion les Goudtbloemen y est entièrement décrit; une planche même donne la représentation de la partie du cortège oû leurs membres figuraient. On y voit se suivant: un héraut, quatre jeunes femmes portant des torches allumées, des confrères portant trois blasons dans lesquels sont inscrits des rébus figurés, Mercure précédant Apollon que suivaient quatre jeunes vierges personnifiant la paix, la tempérance, la renommée et l'éloquence; le grand blason rébus sur lequel sont peints en huit lignes les figures qui traduisent l'une des devises littéraires de la chambre; un groupe nombreux de rhétoriciens clôturant le cortège. Tous ces personnages étaient richement costumés à l'antique.
Cette importante contribution à la fête valut aux Goudtbloemen de nombreuses distinctions, notamment le plus haut prix pour leur participation au cortège triomphal, le second prix pour l'aménagement du groupe qui transporta les insignes de la chambre au local des fêtes, le troisième prix pour la représentation des pièces littéraires composées par leurs membres.
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Toutes les oeuvres littéraires produites à cette occasion furent imprimées dans De Schadt Kiste; ce sont des pièces poétiques: chansons, comédies, interprétations de devises ou de préceptes, éloges, dialogues, etc. Elles sont dues à divers membres et surtout au recteur de la chambre, P.L. Van Hoochstraten.
Cette brillante manifestation constitua en quelque sorte le chant du cygne de la chambre. Une crise semble alors s'être produite. On crut y remédier en réorganisant la société, ou plutôt en décrétant sa dissolution. Tous les anciens dignitaires ou employés furent remerciés, et un nouveau groupe de membres fut constitué. A leur usage on arrêta de nouveaux statuts auxquels le magistrat donna son approbation le 28 février 1630. La chambre s'intitulait alors de gulde van Onse Lieve Vrouwe genaempt de Goud bloem groeyende in deugchden.
Cette mesure radicale ne produisit sans doute pas les effets désirés. En 1640 on constate encore son existence lors du service qu'elle fit célébrer le jour de la fête de la Vierge à son autel dans l'église St-Jacques. Mais on ne decouvre plus nulle part trace de son activité littéraire. Elle dut disparaître sans doute vers cette époque, et il est plus que probable que ses membres se rangèrent alors sous la bannière des Violieren. Quoiqu'il en soit, si sa naissance aussi bien que sa mort sont ignorées, la chambre de rhétorique pendant un siècle et demi joua cependant un rôle important dont l'influence a dû avoir une répercussion indéniable sur la littérature anversoise de cette époque.
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Les archives de la chambre de rhétorique des Goudtbloemen ont malheureusement disparu. Les documents permettant de s'initier à son histoire et à son activité littéraire sont fort rares. Une pièce unique à toutefois survécu à ce naufrage complet, c'est un manuscrit que posssèdent aujourd'hui les archives de l'Académie royale des Beaux Arts, héritière de la gilde de St-Luc, dont dépendaient les Violieren. Vander Straelen en a dit un mot dans son élémentaire Geschiedenis der rederijckkamer de Goudtbloem, mais n'a pas décrit l'ouvrage. Il mérite cependant qu'on s'y arrête quelque peu.
C'est un volume petit in-4o, mesurant 25L × 28H. Il est revêtu d'une reliure en cuir brun, simple mais élégante. Un maigre filet
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d'or souligne les bords extérieurs. Au centre de chaque plat a été appliqué, en un élégant cartouche doré, le blason ou l'emblème du Goudtbloem. Dans un ovale formé par des branches feuillues que coupent quatre fleurs, se dressent l'une à côté de l'autre trois tiges ornées de feuilles et terminées par une fleur de souci. Celle du centre est de proportions plus grandes que celles de ses voisines, et au milieu de la fleur se dresse, vue jusqu'au genoux, une figure de la Vierge, patronne de la chambre. Sur le bras droit elle porte son divin Enfant qui tient à la main une fleur de souci; sa tête est couronnée, sa longue chevelure se répand sur ses épaules, et de la main gauche elle tient un sceptre. Au dessus de ce groupe, à l'intérieur de l'ovale, se déroule gracieusement un listrel sur lequel est inscrit la devise de la société: Groeyende in deuchden. Le volume se ferme au moyen de quatre rubans en soie rose foncée sur lesquels se détache brodée une ornementation en fils argentés.
A l'intérieur, le manuscrit proprement dit est, sous la même reliure, précédé et suivi de sept feuillets de papier blanc marqués d'un filigrane portant une fleur de lys dans un blason et les lettres V.R. Cette marque semble indiquer une fabrication du début du XVIIe siècle, époque correspondant à celle où le manuscrit fut relié. Le premier feuillet du recueil a été enlevé. Le recueil même est formé de dix pages de parchemin. La première page ou second folio est artistiquement enluminée. La partie supérieure, formant la grande moitié de la page, est occupée par une charmante miniature, Sur un terrain jaunâtre est assise la Vierge; elle est entièrement vêtue d'une ample tunique et d'un manteau écarlates dont les bords sont ornés d'un mince filet d'or. Le corsage, un peu échancré en carré, semble laisser deviner une chemisette brodée. Son visage est juvenile et gracieux, sa chevelure blonde dénouée se répand sur ses épaules; un nimbe doré, dans lequel sé distingue le monogramme MR, entoure sa tête. De la main droite ellle soutient l'enfant Jésus assis sur ses genoux; il est entièrement nu; sa tête est également nimbée; il tend les deux mains pour prendre une fleur de souci que sa divine mère lui présente de la main gauche. Cette composition qui présente tous les caractéristiques de l'art du début du XVIe siècle, est exécutée avec talent et dénote une main experte. Trois plants de soucis abondamment fleuris, se dressent aux côtés et derrière le groupe. Une banderole qui se déploie au dessus de la tête de la Vierge porte la devise des
Goudtbloemen: groeiende in
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dueghden. Toute la composition se détache sur un fond d'azur sombre.
Sous la vignette, en un cartouche oblong, a été inscrit en caractères gothiques le serment que devait prononcer le doyen de la gilde. Le texte est précédé d'une initiale insérée dans un carré, une grande et élégante lettre H dorée, en feuillage stylisé de style flamboyant, se détachant sur un fond bleu.
Toute la page est entourée d'un cadre de largeur irrégulière dans lequel, sur un fond rose, ont été peintes des branches ornées de feuilles et de fleurs. Ce sont surtout des soucis, puis des roses, des violettes, d'autres fleurettes encore; des papillons blancs voltigent de ci de là en trois endroits se représente, diversement enroulée, une banderole blanche chargée des lettres noires de la devise de la chambre.
Une partie de cette composition a malheureusement subi des restaurations, tels le fond bleu derrière la vignette, le fond rose du cadre, la verdure de certaines branches. Des traits à l'encre de Chine ont accentué les encadrements des diverses parties de la miniature et certaines lettres des devises. Par contre la plupart des fleurs et surtout le groupe de la Vierge et de l'enfant Jésus sont intacts et permettent de juger de la valeur artistique de l'oeuvre.
La seconde page est entourée d'un cadre du même genre et conçu dans les mêmes teintes que le précédent. Un chardon et quelques araignées en complètent l'illustration. Cette page semble avoir souffert de dégradations causées par l'eau, toutefois la composition en reste parfaitement visible. Seules quelques lettres et les lignes d'encadrement semblent avoir été rajeunies. La partie intérieure est occupée par la reproduction de trois textes d'importance inégale, ce sont les formules de serment des conseillers, des confrères de la chambre et du messager. Les textes sont en lettres gothiques noires, le titre en lettres identiques rouges; chaque formule de serment est précédée d'une lettre initiale dorée sur fond d'azur avec diaprages d'or.
Aux folios 5, 6, 7 et 8 est reproduite l'ordonnance du 22 février 1524 qui stipule les devoirs et les charges du facteur ou directeur général de la gilde. Le titre de cette pièce est inscrit en lettres gothiques, le texte en caractères cursifs.
Une seconde ordonnance, datée du 28 août 1529, occupe les folios 9 et 10. Entièrement écrite en lettres cursives elle énumère
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les contributions pécuniaires mises à charge des différents dignitaires de la gilde, et diverses autres mesures auxquelles ils doivent se soumettre.
Les folios suivants n'ont pas été utilisés. Le folio 19 est entièrement occupé par une peinture assez grossière d'époque plus moderne, peut-être de la fin du XVIIe siècle, représentant une vue fantaisiste d'une ville, entourée de murs que jalonnent des tours, et dominée par une haute tour d'église de style indéterminé. L'avant-plan est formé d'un terrain verdoyant sur lequel s'élèvent des arbres disproportionnés, et qui est arrosé par les bras d'une rivière ou ruisseau. Enfin, au bas de la composition est représenté peu artistiquement, un grand cheval brun qui, de la patte antérieure gauche. frappe la rive élevée du ruisseau et qui, la tête contournée semble fixer un spectateur invisible. Cette figure a peut-être une signification qui nous échappe,
A signaler dans le manuscrit quelques surcharges. C'est d'abord au fo 4 la formule du serment que devait prêter le prince de la gilde, telle qu'elle fut arrêtée en l'année 1632, lors de la dernière et inutile réorganisation du Goudtbloem.
Immédiatement entre le manuscrit en parchemin et les dernières feuilles de papier a été inséré et colé un feuillet en parchemin de qualité plus épaisse et de format plus petit. Il est entièrement occupé par le texte en lettres gothiques avec initiales ornées, du serment que durent prêter les membres de la chambre de rhétorique de l'Olyftack lorsqu'ils furent incorporés dans celle des Violieren. Ce texte au bas de la page est signé: F. Stampart scrip. et daté de 1693.
Citons encore deux annotations plus récentes qui offrent de l'intérêt pour l'histoire du manuscrit. Au premier folio sur parchemin se lisent ces mots:
Emptum 19 Septemb. 1690 a bibliopola vanden Cruyce. D'autre part, sur la feuille de garde de la reliure on trouve inscrite cette mention: Desen boek is verheert aende camer vanden olyf tack inden inden (sic) jare 1690 doer de goedtheydt vande seer eedelen heere mynheer den secretaris van Valckenisse groodt liefhebber der conste.
Il résulterait donc de ces textes que Philippe van Valckenisse acheta le manuscrit en 1690 chez un libraire appelé vanden Cruyce et qu'il en fit immédiatement don à la chambre de rhétorique de l'Olyftak. Cette gilde ayant été englobée dans celle des Violieren,
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la présence du manuscrit s'explique facilement dans les archives de la gilde de St-Luc dont dépendait cette dernière chambre.
Enfin, pour être complet, signalons que sur une des pages en parchemin, au folio 14, on distingue les traces d'un dessin au crayon, à peine esquissé, qui a été soigneusement effacé mais dans lequel on peut retrouver les indices de trois personnages, fort peu artistiquement disposés. Ce dessin semble bien plus moderne.
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Nous avons parlé plus haut des blasons de la chambre de rhétorique des Goudtbloemen. Il y a d'abord le blason proprement dit qu'on peut considérer comme représentant les armoiries de la gilde. Des ouvrages modernes en ont fourni une représentation en tâchant de lui donner une apparence héraldique. D'après cette source la gilde aurait porté: d'azur à la plante de souci feuillée de sinople et fleurie de 3 fleurs d'or, soutenue d'une terrasse de sinople. Devise: Groeyende in deuchden. Nous ignorons à quelle source on a puisé, pour produire ces armoiries; nous doutons fort qu'on puisse nous l'indiquer.
Il reste bien peu de documents qui sur ce point puissent nous fournir des renseignements. Les seules représentations contemporaines que nous connaissions sont celles qui figurent dans le Spelen van Sinne (1561), dans le Schadt kiste der Philosophen (1621) et en deux endroits dans le manuscrit que nous analysons ici (début des XVIe et XVIIe siècles). Sans exception, tous ces blasons représentent le groupe de la Vierge et de l'enfant Jésus. La Vierge était la patronne de la gilde, c'est à son autel dans l'église St-Jacques que se célébraient les services religieux; c'est son patronage dont il est fait mention dans les actes qui la concernent. Tel fut par exemple le cas dans le prologue de la nouvelle ordonnance en 1630 quand les dignitaires de la gilde, s'adressant au magistrat, affirment que la chambre des Goudtbloemen est consacrée à la Vierge s'intitulant de gulde van onse Lieve Vrouwe genaempt de Goud bloem. Et lorsqu'à son entrée dans la gilde, le nouveau confrère prêtait serment, il terminait cet acte en faisant appel à Dieu, à la Vierge du souci, et à tous les Saints: Soe moet my God helpen ende de goudbloeme Maria ende alle Gods heilighen. Il est donc tout naturel que la figure de la mère de Dieu prit place dans le blason.
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Quant au souci, il fut autrefois renseigné parmi les fleurs consacrées à la Vierge. Le flamand l'appelle goud van Maria, l'Anglais Mary gold ou Mary gollde. Il est donc tout naturel que dans un tableau emblèmatique chargé de figurer la chambre de rhétorique des Goudtbloemen, les confrères aient songé à marier la figure de la Vierge et la fleur qui lui était consacrée. Et c'est ainsi qu'a été adopté ce type gracieux dont nous venons de citer les représentations anciennes: la Vierge portant sur le bras l'enfant Jésus et lui offrant une fleur de souci. Ce groupe principal est chaque fois accompagné de plantes ou de fleurs de souci, harmonieusement disposées, ordinairement en triple exemplaire, et repose sur une terrasse plus ou moins étendue. La devise inscrite sur un listrel complète toujours la composition.
Nous nous croyons donc autorisé à affirmer que la gilde ne se servait pas d'autres emblèmes que de ceux que nous fournissent les documents contemporains et dont on trouvera deux des plus gracieuses reproductions sur la reliure et parmi les miniatures qui illustrent notre manuscrit. Ces vignettes n'ont rien de commun avec les sèches armoiries modernes qu'on a présentées il y a quelque temps et que, jusqu'à preuve du contraire, nous considérons comme fantaisistes.
A côté de cet emblème héraldique, la gilde, dans les cérémonies officielles, dans les Landjuweelen, auxquels elle prenait part, se faisait encore précéder d'un grand tableau énigmatique, d'un rébus illustré, qu'on appelait aussi blasoen. C'était la traduction en vignettes plus ou moins appropriées d'une pensée, d'une sentence composée par l'un des membres de la gilde qui la signait de sa devise. Ce tableau variait suivant les circonstances, et même en certaines manifestations plus importantes, on multipliait les blasoenen. Nous ne citerons qu'un exemple. Lors du Landjuweel organisé par le Pioen à Malines en 1620, les Goudtbloemen firent figurer dans leur cortège d'abord un grand blason en losange. Le cadre était orné en sa partie supérieure d'un petit médaillon dans lequel se voyait la Vierge patronne de la gilde, et était surmonté d'une fleur de souci. A l'angle inférieur, un petit cadre portant la devise groeyende in deughde.
Les figurines du blason traduisaient le quatrain suivant qui portait pour signature la devise: In liefde verheught:
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Poeten sullen Rhetorica trou-lyck minnen
Maer Bacchus schouwen met prudencia goet
Want hij stelt ter syen veel leer-baer sinnen,
Die deur hem ver-liesen den lauwieren hoet.
Mais dans le cortège les confrères des Goudtbloemen avaient introduit trois autres blasons un peu plus petits. Ils étaient conçus dans le même sens quoiqu'un peu plus concis, ne comprenant que six lignes de figurines. Nous croyons inutile de reproduire les textes traduits en rébus. Signalons seulement que le cadre d'un de ces blasons portait l'inscription et la date suivantes: groyende in deuchden mint trouheyt meest Ao 1620.
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La perte des archives de la gilde ne permet pas comme pour les autres gildes anversoises, telle par exemple celle des Violieren, de retablir la liste des dignitaires et des membres. Dans les actes que nous avons analysés quelques noms seulement se rencontrent: ils ne sont pas nombreux. En voici la nomenclature:
1510. |
François de Valle on del Vallio, directeur. |
1510. |
l'amman Gérard van den Werve, directeur. |
1524. |
Jean Salomon, facteur. |
1524. |
Arnould De Ruytere, prince. |
1524. |
Philippe De Buekeleer, directeur. |
1524. |
Gaspard Looschaert, doyen. |
1524. |
Simon De Herde, ancien prince. |
1524. |
Gérard Baliaert. |
1524. |
Joseph Van den Wouwer. |
1524. |
Paul van Lybergen. |
1524. |
Paul Robbijns. |
1524. |
Jean Willems. |
1529. |
Jean die Brockere, prince. |
1529. |
Philippe Coutreel, directeur. |
1529. |
Barthélemi Van Mildert, doyen. |
1529. |
Nicolas die Boeckbindere, ancien. |
1529. |
Joachim Suys, ancien. |
1555. |
Gabriel Steudelin, prince. |
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1561. |
Nicolas Rockocx. directeur. |
1561 |
Corneile van Ghistele, facteur. |
1611. |
P. Lenaerts, facteur. |
1630. | Robert Tucher. |
1630. |
A. van Lyere. |
1630. |
J. De Pape. |
1630. |
Lazare Tucher. |
1630. |
G. Le Rousseau. |
1630. |
J. Soydens. |
1630. |
Gisbert van de Cruys. |
1630. |
A. Van der Dussen, ancien doyen. |
1630. |
Paul Lambrechts. |
1630. |
J. Francken. |
1630. |
Jean De Bruyn. |
1630. |
E. Roberts. |
1630. |
Pierre van Cauwenberch. |
1630. |
Pierre van Halle. |
1630. |
François Potteau. |
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Les deux règlements de 1524 et de 1529 que contient notre manuscrit sont intéressants car ils fournissent des indications précises au sujet des devoirs qui incombaient aux divers dignataires de la chambre de rhétorique de Goudtbloemen.
Déjà la formule du serment que ceux-ci devaient prêter esquissait le rôle qu'ils devaient jouer. Le manuscrit nous éclaire aussi sur ce point.
C'est ainsi que le doyen promettait d'aider au maintien et au respect des statuts et privilèges de la gilde; de gérer minutieusement ses finances; et de ne provoquer aucune modification aux règlements existants sans le consentement de tous les dignitaires.
Le directeur qui était en quelque sorte le factotum, l'intendant de la gilde, jurait le maintien de tous les règlements en vigueur et la stricte observation des devoirs qui lui incombaient.
Du reste, chaque confrère, lors de sa nomination, promettait solennellement l'observance du règlement, la défense des intérêts de la communauté, la discrétion la plus complète concernant ses intérêts secrets, et une conduite en tout en rapport avec celle que doit observer un véritable confrère.
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Enfin le messager de la gilde s'engageait à obéir fidèlement à tous les ordres qui lui seraient donnés par les dignitaires, à conserver soigneusement les bijoux et les insignes de la gilde, et à mettre ses chefs au courant de tout ce qu'il apprendrait être tramé contre les intéréts de la gilde par le gouvernement ou la ville.
Mais sur ces divers points les deux ordonnances auxquelles nous faisions allusion sont plus explicites. Comme nous les croyons inédites, il nous semble utile d'en reproduire ici le texte complet:
Dit navolgende is alsulcken ordinancie ende concept als byden prince hootsman deken oudermans ende gemeyne ouders van der gulden van der Goutbloemen geconcipieert ende gesloten is inde exercicie van den facteurscape der selver gulden.
In den iersten dat de facteur vander voers. gulden nu zynde ende namaels wesende, sal gehouden zyn hem te voegene (der rethorycken aengaen̄ intghene dat prince hootsman oft deken in redelycker wys ter eeren vander stadt ende oic der gulden hem ordineren ende bevelen zullen.
Item sal oic de selve facteur sculdich ende gehouden zyn van kersmisse beghinende tot groot vastenavont incluys alle sondage ende oic somtyts des heylichs daechs als die guldebroederen, vergaderen zullen, den personagien over te gevene goets tyts om leeren eenich proper esbatement oft speelken, als hem dat goet duncken sal, oft alsulck als hem dat byden deken geordineert sal worden.
Item dat die selve facteur nu en namaels wesende gehouden sal wesen, de personagien zoe wanneer zy vergaderen sullen om accorderen, te doen vergaderen op ter voers. gulden camere ende elders nyet in deser stadt, principalic in tavernen.
Item sal de voers. facteur sculdich ende gehouden zyn de personagien in dien te hebbene en̄ houdene, dat zy eendrachtich ende vrientscap onder malcanderen houden, ende oft daer onder eenich geschil oft twist gerese, dat hy dat ter stont ter neder leggen sal ende paiseren, ende in gevalle hem dat nyet moegelick en is, sal dat den deken prince hootsman oft deken te kennen geven, om̄e by hem ter neder geleyt te wordene.
Item sal oic de selve facteur by ordinancie van synen deken de personagien die nyet nut oft orborlick en syn om spelen, moegen reformeren, nagelegentheyt der saken.
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Item sal oic de voerscr facteur by inventaris na hem moegen nemen, alle de spelen der gulden oft cameren toebehoōren die op de selve camē in een slot bewaert sullen worden, daer af die deken ten tyde wesende den sloetel alleen dragen ende bewaren sal. Ende daer toe salmen hem geven eenen boeck pampiers, wel verstaende dat de selve facteure gheen spelen van sinne oft oic miraculen oft copie van dien werk geven oft oic selve behouden en sal, maer sal die spelen terstont als die gespeelt zullen wesen, wederom̄e gehouden syn te bringene in handen van den deken, om die te bewaren als vore. Ende dien boeck pampiers in orbore ende proffyte der gulden verdaen ende verscrerven zynde, salmen den selven facteur altyts wederom̄e versien van pampiere.
Item sal de voers facteur nu zynde ende namaels wesende ni vergheldinge van synen dienste hebben alle jare van der voers. gulden dertich scellingen Brabants, zoe voer eenen tabbaert zoe aen gagie, daer af dierste jaer verschynen ende vallen sal op ten iersten feestdach der voers. gulden comen̄ na dat hij aengenomen is.
Item de facteur voers. sal altyts vry zyn van eenige jaercosten te gevene.
Item sal oic vry zyn van allen theercosten die hy op de cameren oft op ander plaetsen, vanden prince hootsman oft deken geroepen zynde, sal moegen vertheeren.
Item sal oic de voerscr. facteur voer elcken dach dat hij vacheren sal en̄ der voers. gulden dienen sal, in blyde incomsten van princen oft princessen, daer toe versocht oft geordineert zynde van der selver gulden hebben XII gron̄ Brabants, dies sal de zelve gulde tghene dat ter causen der selver incompst vander stadt oft anderen uut gracien gegeven sal worden, moegen aenveerden ende behouden, zonder dat hy yet daertoe te seggene sal hebben.
Item sal oic de voerscr. facteur voer elc hondert dichts van nyeuwen spelen van sinne, miraculen, esbatementen, prologen ende oic refereynen, de welcke hy daer toe vanden deken versocht zynde, maken sal hebben twelf gron̄ Brabants, dies sal hy gehouden zyn die over te gevene in dnette gegrosseert.
Item insgelycx daer toe versocht zynde als voē sal hy hebben voer elc hondert dat hy tot behoef van spelene rolleren sal, eenen halven stuiver.
Item zullen oic die vander gulden, ende de facteur malcanderen altyts den dienst vanden facteurscape moegen opseggen, ende dat altyts een jaer te voren.
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Op ten XXIIen dach van februario Ao XVc en vierentwintich nae Cameryck, zoe werdt Jan Salomon opt ghene des vore gescr. staet om̄e facteur vander voers gulden te wesene geaccepteert by Aerde de Ruytere prince, meesteren Phe de Buekelere hoodtsman, Jasper Losschaert deken, Symoene de Herde outprince der voers. gulden, Gheerde Balmert, Joose vand. Wouwē, Pauwelse van Lybergen, Pauwelse Rebbyns, Janne Willems en meer anden̄ vanderselver gulden.
Dit navolghende is alsulcken ordinancie als gheordineert is anno XVc XXIX den XXVIIIen dach in Augusto bij prince hootsman, deken te weten Jan Brockere als prince, heer Philips Coutreel als hootsman, Bartholomeeus van Mildert als deken, Claes die Boeckbindere, Joachim Suys, als oudermans vander Goudtbloemen binnē Antwerpen. Soo is ghesloten gheordineert ende geconsenteert by des voers. officiers ende ouders metten ghemeynen ghesellen vander voers. gulden tot profyte vander camere alsulcke articulen als hier na volghende zyn etc.
Item inden eersten zoo sal den prince ende alle zyn nacomelinghen ghehouden syn der voers. cameren te schinckene een juweelken van zilvere zulckx als daer hy zyn eere mede bewaren wille en̄ dat tot orbor en profyte vander selver camere voers.
Item ten anderen mael zoo sal oock die hootsman des ghelycx ghehouden syn der voers. guldene te begruetene en te beschinckene met eenen juweelken van zilvere, eens binnen synen levene zulcx als hem believen sal ende dat tot eere profyt van der cameren.
Item ten derden zoo sal oock elck deken ghehouden zyn die dese gulde dienen sal te ghevene tot profyte vander camere eens binnen synen levē 11 oneen silvers ende dat sonder der cameren cost etc.
Item te veerden zoo sal oock elck ouderman ghehoudē zyn vanden selver gulden tot profyte vander cameren te ghevene een once silvers sonder der camere cost ende dat eens binnen zynen leven.
Item ten vijfsten zoo sal elck prince ten eynde van zynder prinscap onghemolessteert blyvē van eenighen anderen diensten diensten (sic) der cameren aengaende den termy van VI jaren.
Item ten sesten zoo sal oock elck deken ende oudermās dan synde ten eynde van haren dienste oock als dan omghemolesteert zyn sullen van eenighen dienste der cameren aengaende den termyn
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van IIII jaeren, ende dat by causen dat die deken en syn oudermans haer penninghen tsamen verschieten en verlegghen moeten om dit te sueter en te ghemackelycker mueghen innen etc.
Item ten sevenste zoo sal elck deken ghehouden syn voer syn rekeninghe den nieuwen deken eenen inventaris over te leveren van alle alsulcken spelen van sinne, esbatementn̄ en tafelspelen als hen doude deken leveren sal tot spel met synen name ende alle alle (sic) alsulcke spelen als hy binnen synen jare daer toe vercreghen sal.
p. cotereau.
Quant à l'ordonnance de 1630, il est inutile d'en reproduire le texte, Van der Straelen l'ayant inséré dans sa petite notice. Du reste elle ne dût guère être longtemps en vigueur, la gilde ayant peu après cessé d'exister. De sa splendeur, il ne reste plus qu'un seul témoin, c'est le manuscrit qui nous venons de décrire. En luimême il mérite d'attirer l'attention; son texte aussi nous semble digne d'intérêt; seul il peut encore fournir quelques détails au sujet de l'organisation et de l'existence d'une chambre de rhétorique qui vécut autrefois à Anvers des jours de brillante prospérité.
FERNAND DONNET.
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Bibliographie
Spelen van Sinne vol scoone moralisacien 1562.
De schadt kiste der philosophen ende poeten waer inne te vinden syn veel schoone leerlycke blasoenen, refereynen ende liedekens gebrocht ende gesonden op de Peoen Camere binnen Mechelen. 1620.
Bn VAN ERTBORN. - Geschiedkundige aenteekeningen aengaende de St Lucas gilde en de rederyk Kamer van den Olyftak, de Violieren en de Goudtbloem te Antwerpen. |
MERTENS EN TORFS. - Geschiedenis van Antwerpen. Vol. III, IV, V. |
J.M. BURGAN - The life and times of sir Thomas Gresham. Vol. I. |
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EUGÈNE GENS. - Histoire de la ville d'Anvers. (Pl. II). |
P. GENARD. - Wapenboek der Antwerpsche gemeenteinstellingen. |
VAN DER STRAELEN. Geschiedenis der rederijckkamer de Goudbloem. |
G.J.J. VAN MELCKEBEKE. - Geschiedkundige aenteekeningen rakende de Sint Jans gilde bijgenaemd de Peoene. Landjuweel. Académie d'archéologie de Belgique. Cortège. Catalogue 1892, etc. |
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