visage comme défait par tant de luttes et refait toujours par un puissant AMOUR, qu'elle était belle! Belle comme sont les images des Saintes, belle comme un miracle perceptible. Nous n' avions plus rien à dire, nous écoutions une voix lente et douce, qui de l'infini mystère d'une âme pure nous parvenait, équitable, mesurée. Les paroles les plus simples, l'une à l'autre s'enchainaient ainsi que les grains d'un rosaire.
Autour de la figure, l'esprit de Bloy formait une invisible auréole Après que nous eûmes discuté les termes d'un contrat pour une réédition du Salut par les Juifs, Madame Bloy me dit: ‘Voulez-vous voir les manuscrits de mon mari?’ et du vaste bureau elle sortit quelques cahiers, couverts d'une écriture, moulée, fine, régulière, enjoliveé. Madame Bloy dit encore ‘Mon mari se mettait à l'ouvrage comme un artisan patient. Ces périodes, ces envolées qui semblent écrits dans des accès de lyrisme furent doucement, lentement, couchés sur le papier, parfois avec effort; jamais sa plume ne traçait plus vite les jambages. ‘Quelle leçon, quelle preuve! ce débordement torrentiel de mots et de pensée, cet âpre jugement des hommes, cette haine de l'impie etaient donc minutieusement controlés. L'âme de Bloy à travers sa compagne, à travers son écriture aussi m'apparaissait tout à coup, nouvelle, telle que véritablement elle fut, telle qu'elle est encore à l'ombre des deux Bras en Croix.
Quand je quittai la rue Cler je pensai à Sainte Véronique qui épongea la figure du Seigneur, qui l'aima malgré la foule ricanante, qui est la patronne des artistes depuis que Dieu lui permit par Miracle de peindre avec Son Sang, Sa Divine Figure sur un voile. En Madame Bloy je retrouvais l'humble et Grande Véronique d'un autre martyr: pareillement ses mains chastes essuyèrent les pleurs du souffrant et ses doigts, aussi, firent en une vie un unique portrait, celui de Léon Bloy qui nous parait aujourd'hui une lointaine et modeste réplique de l'image de Turin, mais sanctifié comme Elle, par le limpide amour du Christ.
Les amis de Madame Bloy ont beaucoup prié pour elle, mais c'est elle maintenant qui va prier pour eux.
4 Février 1928