Quelques réflections sur l'art religieux.
Permettez-moi de vous soumettre aujourd'hui quelques réflections très bréves et très simples, qui vous paraîtront trop simples, sans doute, mais enfin que j'espère inspirées par le bon sens.
Ce que je voudrais examiner avec vous très rapidement, c'est l'état actuel des relations entre les artistes catholiques et le public catholique. Nous devons constater ici qu'en général on n'est pas très satisfait les uns des autres. Et comme dans les querelles de famille, il faut sans doute dire ici ‘qu'il y a des torts des deux côtés’, et qu'on a de part et d'autres quelques bonnes raisons de se plaindre.
On a tout dit sur ce qu'on appelle, - vocable d'ailleurs mal choisi, et fort injurieux pour une digne paroisse et son vénéré clergé, - on a tout dit sur ce qu'on appelle l'art de Saint-Sulpice; sur la laideur diabolique, offensante à Dieu et beaucoup plus nuisible qu'on ne croit au rayonnement de la Vérité catholique, d'un trop grand nombre d'objets destinés à l'ornement des églises; sur l'espèce d'âcre mépris qui règne encore dans quelques milieux ‘bien pensants’, d'ailleurs de plus en plus restreints, à l'égard des artistes et des poètes; enfin sur l'absence de goût et de formation artistique qui constitue un mal beaucoup plus répandu, et qui fait vivement désirer l'institution, dans les séminaires, de cours d'esthétique ou d'histoire de l'art comme S.S. Pie XI, avant d'être élevée au souverain pontificat, en avait organisé à Milan.
Oui, mais d'autre part il y a un grand nombre de curés qui désirent ardemment obéir au. voeu de Pie X, et ‘faire prier leur peuple sur de la beauté’, et qui cherchent à délivrer leurs églises des productions vomies par les caves du mercantilisme religieux; or beaucoup parmi ceux-là, nous devons bien l'avouer, ne sont pas satisfaits de ce qu'on leur propose au nom de l'Art moderne. Je ne parle pas, évidemment, de quelques oeuvres supérieures, ni de bien des réussites de grande valeur dont nous avons vu et voyons quelques-unes aux expositions des Cahiers Catholiques, je parle de la moyenne de la production ces dernières années. Or notre affection pour nos amis ne doit pas, bien au contraire, nous empêcher de constater ce qu'il pent y avoir encore d'insuffisant dans un effort que par ailleurs nous admirons de tout notre coeur. Et je dis que souvent ces curés ont raison, car leur office, comprenons-le bien, n'est pas d'encourager les beauxarts, mais de donner aux fidèles ce qui répond aux besoins spirituels de ceux-ci, ce qui peut vraiment servir à la vie religieuse d'une communauté chrétienne. Parfois on les voit contraints de se rabattre, désespérés, sur l'art dit de Saint-Sulpice. Pourquoi? parce que ces produits de la fabrication commerciale, quand ils ne sont pas trop écoeurants, ont au moins cet avantage d'être parfaitement indéterminés, si neutres, si vides, que nous pouvons les regarder sans les voir, et ainsi projeter sur eux nos propres sentiments, tandis que certaines oeuvres modernes, et les plus tourmentées, les plus passionnées d'entre elles, prétendent nous imposer par violence, telles quelles, à l'état sauvage, dans ce qu'elles ont de plus subjectif, les émotions individuelles de
l'artiste lui-même. Et pour prier c'est une gêne insupportable, au lieu de se trouver devant une représentation de Notre-Seigneur ou d'un saint, de recevoir en pleine poitrine, comme un coup de poing, la sensibilité religieuse de Monsieur un tel.