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Les Nuits Electriques! Le chant confus et âpre de la T.S.F. audessus des grandes villes, la trépidation d'images laiteuses sur les écrans, le clignotement éperdu des enseignes électriques, le grouillis furieux des hommes inassouvis et inassouvissables vraiment sous la lumière blafarde des lampes à arc gigantesques, sous l'oeil impénétrable des statues mystérieuses, le Rêve cristallisé en mille féeriques images, voilà certes les éléments d'un romantisme nouveau que le cinéma se doit de transcrire.
Le film ‘à acteurs’ ne me tente absolument pas. J'estime que la nuit moderne, peuplée de lumières étranges et chantantes, la nuit moderne qui ne ressemble vraiment à aucune autre nuit de l'histoire, est photogénique autant, plus encore que le visage d'une belle femme.
La douceur hantante de la nuit n'est-elle point comme la synthèse de tous les sourires et de toutes les larmes de toutes les femmes du monde? N'est-elle point aussi toute la poésie à la fois nostalgique et turbulente d'aujourd hui? N'est-elle point comme le réservoir ultime de la Liberté, de l'Amour?
Je ne travaillais pas selon un scénario préconçu. Je sortais le soir avec beaucoup de foi et mon petit appareil que tout le monde prenait pour un simple appareil photographique. Je me perdais dans la mer, dans la nuit, dans la foule. Je chassais les images comme on chasse des oiseaux. Des vagues sonores déferlaient. Le miraele venait à pas rapides, haletant. Je le saisissais confusément et l'enfermais dans ma boîte.
Ce ‘miracle cinématographique’ dont parle Jean Epstein, je l'ai vu s'opérer cent fois, mille fois. Des combinaisons insoupçonnées, imprononçables de lumières et de formes. La transfiguration complète du monde par une image, par un feu. La poésie descendant soudain place Saint-Augustin, bousculant les manoeuvres occupés à réparer des rails, me lançant à pleines mains des images, me donnant le vertige et l'impression d'avoir enfin, au coin du boulevard Haussmann, accédé à l'infini. Ce n'est pas en vain que déçus des hommes, des abstractions, du monde superficiel, ce n'est pas en vain, dis-je, que les lyriques d'aujourd'hui vont fervemment aux éléments - au feu et à l'eau. Nous ignorons encore tout de la vie profonde, de la vie intérieure, de l'immense vie amoureuse du feu et de l'eau. Le cinéma nous doit révéler encore mille mystères.
C'est le montage qui permet d'ordonner les bribes du mystére, d'organiser et d'endiguer le merveilleux moderne. Je regarde le montage comme l'axe de l'art cinématographique. Un montage quelconque, décousu, négligé, frappe souvent de stérilité les oeuvres les plus belles. Instrument à faire, tour á tour haleter de joie et hurler de désespoir le spectateur, instrument insurpassablement puissant, le montage est comme la baguette du cinéaste-magicien. Atteindre le plus rapidement, le plus efficacement, le plus fortement les nerfs du spectateur, voilà la tâche du monteur. J'ai résolument adopté le ‘montage d'attractions’ des nouveaux cinéastes russes. J'ai essayé de m'émanciper complètement de la littérature et du théâtre. J'ai essayé de ne faire que du cinéma, tout purement.
Le cinéma sera poétique ou ne sera pas.
Le cinéma sera humain ou ne sera pas.
Le cinéma sera ‘primitivement’ émouvant et beau ou il mourra.
Dans la faible, très faible mesure de mes moyens, m'attaquant à un sujet entre tous très enchanteur, la nuit, la grande nuit moderne, dans la très faible mesure de mes moyens, j'ai essayé de remonter le courant débilitant de la lâcheté humaine, du ‘business’ ignare, de la fade joliesse du ‘métier’ dévirilisé et atrocement sec.