Documentatieblad werkgroep Achttiende eeuw. Jaargang 1987
(1987)– [tijdschrift] Documentatieblad werkgroep Achttiende eeuw– Auteursrechtelijk beschermd
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L.H.M. Wessels
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en quelque sorte à ce mouvement en étudiant dans un cadre commun les Patriotes dans leurs relations avec les Lumières à l'intérieur des Provinces-Unies. Certes, il ne peut être question dans les limites de cette contribution occasionnelle que d'une présentation impressionniste du problème; présentation dans laquelle on s'en tient aux aspects politicoidéologiques et à la manière dont ils sont traités par l'historiographie. Il est nécessaire par ailleurs pour bien pénétrer les motifs et la conduite des Patriotes de faire brièvement le point sur leurs antécédents historiques et sur les divers arrière-plans de leur action. | |
Antécédents historiques et arrière-plansBien qu'il n'existât pas encore à cette date de réelle force d'opposition, les problèmes politiques et de droit public mobilisaient déjà beaucoup de plumes, surtout à partir de 1770. Cela n'a rien d'étonnant, car jamais les discussions politiques n'avaient disparu de la République; à preuve le grand nombre de pamphlets inventoriés, abondance de sujets étant fournis par le système politique et les rapports de pouvoir.Ga naar eind5. La République des Provinces-Unies était une confédération de sept provinces indépendantes, qui coopéraient dans les domaines de la politique extérieure et de la défense, mais conservaient pour le reste leur autonomie. Issue de ce qui n'était à l'origine qu'une union de circonstance (fixée par l'Union d'Utrecht en 1579) lors du combat pour l'indépendance et de la révolte des 16e et 17e siècles contre Philippe II, roi d'Espagne, la confédération eut à souffrir de luttes internes dès le début de son existence. Après 1581, lorsque la destitution de Philippe II fut officielle dans le Plakkaat van Verlatinge, le problème de la souveraineté devint brûlant. Francois Vrancken, dans son écrit Deductie ofte Corte Vertooninghe publié en 1587, légitime la prétention au pouvoir des États de Hollande en invoquant, entre autres, une supposée souveraineté de ces États, vieille de huit cent ans. Point de vue développé en 1610 par Hugo Grotius dans son De Antiquitate Reipublicae Bataviae, où il fait de nouveau un appel détaillé, mais erroné, à l'histoire.Ga naar eind6. Au cours du 17e siècle, les tensions devinrent plus importantes entre, d'un côté, les partisans des stathouders de la Maison d'Orange, figures centrales du gouvernement fédératif, et de l'autre les États des Provinces, ceux de Hollande en tête, qui voulaient le maintien des anciens privileges et de la souveraineté des villes er des provinces. Les membres de ce dernier groupe sont nommés ceux de Loevestein ou Staatsgezinden. Aussi bien chez les Orangistes que chez les Staatsgezinden, les magistrats et les ‘regents’ se recrutaient dans les familles bourgeoises, notables et fortunées. Sauf en Hollande et en Zélande, la noblesse jouait encore un grand rôle. Concrètement, le peuple n'avait que très peu d'influence. Parfois éclataient des révoltes sociales et politiques contre cette situa- | |
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tion, en 1672 et 1747-1748 par example, ces deux dernières ayant abouti à une période de gouvernement sans stathouder. Comme en Angleterre, les différences d'opinion, mêmes minimes, étaient dans ce climat promptes à s'envenimer, jusqu'à devenir d'âpres polémiques où apparaissaient les questions politiques et les oppositions réellement sérieuses.Ga naar eind7. Le conflit entre Orangistes et Staatsgezinden y tint, jusque tard dans le 18e siècle, une place prédominante. L'historien américain I.L. Leeb a noté le manque ‘d'une constitution fixée par ecrit dans un ou plusieurs documents reconnus par tous’ pour régler le problème de la forme de gouvernement ainsi que les autres questions.Ga naar eind8. Différences d'interprétation et incertitudes subsistaient donc face à la question de la souveraineté, ce dont devait résulter un long débat s'endormant parfois pour mieux se réveiller par la suite. Ce sont ces discussions que Leeb a réunies sous le nom de ‘débat constitutionnel’. Plus le 18e siècle avançait, plus l'absence d'une constitution sur laquelle on fût s'appuyer était considérée comme génante, et plus souhaitable l'établissement d'une telle constitution. Pendant les dernières décennies, nombre de tensions nouvelles obscurcirent le ciel politique. La vieille République ne pouvait plus réagir avec souplesse et d'une manière adéquate. Ainsi l'impuissance manifestée pendant la quatrième guerre avec l'Angleterre (1780-1784) peut-elle être considérée comme bien déconcertante. l'arbitraire et la corruption étaient de plus en plus fréquents. Les rapports de force, basés en grande partie sur un processus d'oligarchisation, etaient plus figés que jamais. Sur ce point, la position du dernier stathouder est particulièrement éclairante. Selon Joan Derk van der Capellen (1741-1784), un des plus importants chefs de file des Patriotes, le système de ‘patronage’, qui permettait au stathouder d'influer sur le choix des magistrats, donnait en pratique à Willem V (1751-1795) le pouvoir d'un roi absolu.Ga naar eind9. Cette période troublée favorisait l'aggravation des conflits déjà existants et l'apparition de nouvelles tensions. Les plumes d'hommes tels que Van der Cappellen, Pieter Vreede, Pieter Paulus, Johan Hendrik Swildens et Samuel Wiselius servaient les désirs de changement, alors que l'ordre établi trouvait d'habiles défenseurs en Elie Luzac, Adriaan Kluit et Rijklof Michael van Goens, parmi d'autres. Plusieurs régents anti-Orangistes dont les chances de siéger de nouveau étaient très restreintes, compte tenu du système de patronage en vigueur, avaient conclu momentanément une alliance ‘contre-nature’ avec les bourgeois qui luttaient pour plus de pouvoirs. Cette alliance connut une fin prématurée lorsque la Prusse, appelée à l'aide, rétablit l'ordre et la position de la Maison d'Orange en 1787. Beaucoup de Patriotes durent fuir, notamment vers la France où ils allaient rencontrer la Révolution. Un grand nombre | |
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d'entre eux rentrerait en 1795 avec les armées françaises; la révolution batave pourrait alors avoir lieu, sans grand heurt ni combat. | |
Une perspective historiographique‘La “période de la révolution démocratique” connut, dans la République, deux temps forts: la révolution prématurée des Patriotes en 1787 et la révolution batave de 1795 qui eut plus de succès que la précédente.’ Cette référence que fait Leeb au livre de R.R. Palmer intitulé The Age of the Democratic Revolution, ne lui sert pas seulement à introduire son étude consacrée aux ‘origines idéologiques de la révolution batave’ mais également à prendre la suite d'auteurs comme Palmer et Jacques Godechot pour montrer qu'il est possible d'intégrer les mouvements révolutionnaires de la République des Provinces-Unies dans un cadre européen et atlantique.Ga naar eind10. Ces mouvements montrent une parenté suffisante avec les événements qui eurent lieu dans d'autres pays pour que l'adoption d'un point de vue si large soit justifié. C'est ce qui explique vraisemblablement l'importance accordée par les historiens américains et anglais, entre autres Palmer, Leeb et aussi Simon Schama, à cette période de l'histoire néerlandaise.Ga naar eind11. Mais cette parenté n'exclut pas les différences. Certains auteurs, notamment des auteurs français, ont démontré que si les différents contextes nationaux étaient comparables, ils n'étaient pas pour autant identiques, surtout en ce qui concerne les situations économique et sociale.Ga naar eind12. Plus particulièrement, Leeb, alors qu'il traite des caractères autochtones du mouvement des Patriotes, signale l'originalité de la constellation politique et de la structure du droit (public) des Provinces-Unies.Ga naar eind13. La question des analogies et des différences est depuis longtemps un point important pour l'historiographie néerlandaise. Hendrik Colenbrander est le premier à présenter une conception complète sur cette période dans son ouvrage De patriottentijd. Hoofdzakelijk naar buiten- landsche bescheiden (3 tomes, 1897-1899), étude basée principalement sur des recherches détaillées dans les archives de Paris, Berlin et Londres. Selon lui, les événements qui touchèrent les Provinces-Unies doivent être vus principalement comme le résultat d'évenements extérieurs au pays et de manoeuvres de diplomates étrangers. Il insiste sur l'influence grandissante qu'exerçaient, au cours du 18e siècle, les puissances européennes sur la politique intérieure. Il crée ainsi l'image du théâtre de marionnettes, image devenue classique dans l'historiographie néerlandaise. Les Patriotes y sont comparés à des pantins dont les fils sont tenus par l'étranger. Colenbrander note aussi une rupture dans la pensée et l'action politique entre 1787 et 1795. C'est seulement à partir de 1795 que le véritable esprit revolutionnaire aurait dominé, lorsque furent rentrés les exilés, fortement influencés par les idées et les expé- | |
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riences acquises en France: de ce fait, selon l'auteur, il ne saurait être vraiment question d'une originalité néerlandaise.Ga naar eind14. La vision des faits présentée par Colenbrander suscita de nombreuses réactions. En 1921, M. de Jong adopta dans son travail sur Van der Capellen un point de vue bien plus favorable aux Patriotes et à leurs idées. Des historiens comme P. Geyl, J. Romein et L.J. Rogier y voient une opposition issue d'un esprit national.Ga naar eind15. A la suite de Palmer, des auteurs modernes comme C.H.E. de Wit et Schama proposent de considérer que le combat, aux Provinces-Unies comme dans d'autres pays, opposait en fait l'aristocratie qui défendait l'ordre établi et la démocratie. Selon eux, on trouverait les véritables aspirations à un ordre démocratique dans les cercles bourgeois qui s'éveillent et qui cherchent à s'émanciper. Les deux auteurs pensent qu'il existe une ligne continue entre ces cercles du début des années 80 et les libéraux du 19e siècle. Leurs travaux ont provoqué un important débat mais c'est surtout leur utilisation relativement rigide de la dichotomie aristocratie-démocratie qui a suscité des réactions négatives.Ga naar eind16. Cependent, à l'heure actuelle, il subsiste encore un certain nombre de lacunes dans l'historiographie. Ainsi, il existe relativement peu d'études portant sur les arrière-plans sociaux et sur les différences locales er régionales dans l'opposition vers la fin du 18e siècle.Ga naar eind17. Pieter Geyl est le premier qui ait prêté amplement attention aux idées qui encadrèrent le mouvement des Patriotes.Ga naar eind18. Il conclut notamment à ce propos, qu'on peut parler d'originalité nationale: abstraction faite des Lumières, c'est l'histoire du pays qui fut le cadre de référence de ce mouvement. Geyl insiste sur l'existence de la tradition déjà ancienne d'emploi d'arguments historiques dans un but de propagande politique - voir les écrits, cités ci-dessus, de Vrancken et Grotius, datant environs du tout début du 17e siècle. Leeb continua dans la même direction:Ga naar eind19. d'après lui, les Patriotes et leurs adversaires, du moins jusqu'en 1787, s'appuyaient plus sur des arguments historiques qu'ils n'utilisaient les fruits des Lumières. En revanche, il pense qu'à partir de 1795 l'argumentation basée sur l'existence d'un droit naturel joua un rôle prédominant, conclusion qui le sépare de la proposition de ‘ligne continue’ adoptée par, entre autres, De Wit et Schama.Ga naar eind20. Les systèmes philosophiques et les théories d'auteurs étrangers ont, certes, joué un rôle important sur ce terrain mais il existait aussi depuis longtemps, aux Provinces-Unies, une certaine tradition avec de grands représentants tels que Grotius, U. Huber, W. van der Meulen, G. Noodt, E. Luzac et enfin Kluit.Ga naar eind21. D'ailleurs, les deux optiques, comme on le voit dans les travaux de Huber, Luzac et Kluit, ne s'excluaient pas mutuellement. Devons-nous conclure, après ce bref aperçu historiographique, que | |
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l'esprit des Lumières eut peu d'influence sur la pensée et les actes des Patriotes, du moins jusqu'en 1787? En d'autres termes, si l'on accepte la conclusion de la solide étude de Leeb et si l'on reconnait la prédominance de l'argumentation basée sur l'histoire, refuse-t-on, ipso facto, d'accorder dans ce domaine quelque importance aux idées des Lumières? En réalité, comme on le verra dans les pages suivantes, la situation était très complexe. Nous utiliserons surtout les travaux et les déclarations des chefs de file les plus importants du mouvement das Patriotes, et parmi ceux-ci notamment Van der Capellen, un des auteurs les plus connus. Nous n'avons pas la prétention d'offrir une vue complète: notre exposé vise à présenter, à grands traits, une atmosphère, et de plus il se limite à la période 1780-1787, première époque de l'opposition, ce qui nous évite de nous engager dans la discussion ‘continuité ou discontinuité’. | |
Les idées et l'argumentationLes trois plus célèbres écrits patriotes de cette période sont certainement Aan het volk van Nederland (1781) de Joan Derk van der Capellen, le Grondwettige Herstelling (2 tomes, 1784-1786) et le ‘Leids Ontwerp’ (1785); les deux derniers pamphlets sont des ouvrages collectifs qui développent en fait celui de Van der Capellen, qui résumait le mécontentement de beaucoup et finissait par un appel puissant à l'action politique.Ga naar eind22. Des historiens tels que De Wit, Schama, Monsieur et Madame Wertheim considèrent Grondwettige Herstelling comme le programme des aristocrates et, à l'opposé, ‘Leids Ontwerp’ comme l'expression des aspirations démocratiques.Ga naar eind23. Toutefois, les deux écrits veulent, suivant en cela Van der Capellen, contribuer à redresser de la situation déchue de la République. Ils réclament sans cesse une constitution qui permettrait le rétablissement des droits et des libertés originels. De plus, l'un et l'autre s'opposent à la démocratie directe et plaident en faveur d'un stathoudérat se transmettant par voie héréditaire et subordonné à un gouvernement représentatif. Aux gens du commun, on accordait peu de pouvoir direct; la peur de ‘la force irréfléchie du peuple’, selon les propres mots de Van der Capellen, était quasi générale à cette époque.Ga naar eind24. L'entente sur ces points importants montre que la division entre aristocratie et démocratie était moins profonde, du moins jusqu'en 1787, que ne le pensent, par example, De Wit et Schama. Les Patriotes formaient un groupe hétérogène mais en pratique, la plupart de ses membres modérés ou radicaux, ainsi que beaucoup d'Orangistes, n'étaient pas éloignés de l'idée, déjà ancienne, d'imperium mixtum. Toutefois, chacun des groupes accordait un poids différent à chaque élément.Ga naar eind25. Il n'est pas si étonnant qu'avant 1787 on n'ait prati- | |
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quement jamais appelé au renversement total du régime: en effet, la forme de gouvernement mixte, introduite en 1747, se rapprochait en théorie, de l'idéal d'imperium mixtum. En théorie, car en pratique les défauts et le caractère figé du gouvernement des stathouders et des régents, conséquences du système de patronage et de l'oligarchisation, se manifestaient de plus en plus, alors que la composante démocratique avait presque totalement disparu. C'est contre cette situation et contre les formes concrètes d'abus de pouvoir et d'arbitraire que l'opposition des années 80 s'est d'abord élevée. Qui veut analyser, outre leur contenu, l'optique des trois documents cités, c'est-à-dire ici la construction de l'argumentation, doit constater que les références aux vieux privilèges et à des expériences appartenant au passé national y jouent en effet un rôle dominant. Ainsi de nombreux Patriotes ont puisé avec reconnaissance dans le populaire ouvrage Vaderlandsche Historie (1749-1759), de l'historien d'Amsterdam Jan Wagenaar, qui présente, pour la première fois, une vue d'ensemble abordable de l'histoire. Un autre livre très important est l'étude connue de Pieter Paulus Verklaring der Unie van Utrecht (1775-1777). Van der Capellen, lui, utilisa de plus le compendium d'histoire de Leonard Offerhaus et l'Histoire du Stathoudérat (1748) de l'abbé Raynal, férocement anti-Orangiste; en même temps, il prenait connaissance de nombreux pamphlets, notamment ceux des années 1672-1674 et 1746-1748.Ga naar eind26. Par ces documents, l'histoire nationale forme un cadre de référence privilégié, qui sert à justifier et à sanctionner les aspirations politiques du moment. Il est aussi remarquable que l'on se soit servi à plusieurs reprises soit de documents, soit de codes remontant aux origines de la République. Les auteurs de Grondwettige Herstelling renvoient par exemple à la Deductie de 1587, ce qui se comprend aisément vu qu'on y reconnaît déjà en principe la souveraineté du peuple.Ga naar eind27. Mais l'argumentation des Patriotes ne s'appuyait pas seulement sur l'histoire. Les Provinces-Unies formaient depuis longtemps une société très ouverte; les Patriotes et les Orangistes ne vivaient pas dans l'isolement et ils manifestaient un grand intérêt pour le monde qui les entourait et pour les fruits de la pensée contemporaine. Des Orangistes comme Luzac et Kluit étaient familiers avec les idées nationales et étrangères des 16e-, 17e- et 18e siècles, notamment en ce que concerne le droit naturel, le droit public et la théorie politique. Dans Grondwettige Herstelling, les renvois au passé alternent avec des passages adoptant un point de vue moderne et traitant du droit naturel. Van der Capellen n'était pas un érudit mais il se référait à des auteurs comme Grotius, Pufendorf, Leibniz, Wolff, Mably, Vattel, Montesquieu, Fletcher, Formey, Locke, Hutcheson, Hume, Price et Priestley. Dans ses écrits, on peut retrouver | |
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ces différents auteurs, surtout quand il est question du droit des nations, du droit contractuel et du droit naturel.Ga naar eind28. Ainsi, l'ancien et le nouveau semblent-ils se rencontrer. Certains critiques en ont conclu que chez différents Patriotes et plus spécialement chez Van der Capellen, les écrits souffrent d'une certaine ambivalence dans leur argumentation. En effet, quoique ces auteurs aient été confrontés avec des idées nouvelles, voire révolutionnaires, ils négligeaient d'en tirer les conséquences er ne réussissaient pas à échapper au passé et aux traditions.Ga naar eind29. D'un autre côté, on peut se demander si la génération des années 80 n'a pas essayé, consciemment ou non, de réaliser un certain accord entre la situation actuelle, le passé, les traditions et le droit naturel, la pensée politique contemporaine. Un tel accord était-il possible? Le passé national semble en tout cas avoir été un terrain propice. Il fournissait, en effet, de nombreux faits et expériences que l'on pouvait concilier avec les principes des Lumières. Kluit n'a t-il pas cherché, par exemple, à démontrer que les habitants des Provinces-Unies profitaient pleinement, depuis le 16e siècle, des ‘droits de l'homme et du citoyen’ proclamés depuis peu en France?Ga naar eind30. Et le Plakkaat van Verlatinge n'avait-il pas non plus déclaré autrefois qu'un ‘prince traitant ses sujets comme des esclaves devait être considéré comme un tyran et pouvait donc être destitué’?; caine, se basant, du moins en partie, sur les théories nouvelles, n'usât à peu près des mêmes termes.Ga naar eind31. Ce dernier exemple indique dans quelle direction on pensait trouver l'accord recherché par préférence: dans le monde anglo-sexon. On peut donc dire que l'intérêt anglais et américain, mentionné cidessus, du 20e siècle pour l'histoire néerlandaise du 18e siècle a été précédé, mutatis mutandis, par l'intérêt des Patriotes pour l'histoire anglaise et surtout pour les événements qui se délourérent à partir de 1773 en Amérique du Nord. Ils en suivaient attentivement les développements dans les journaux, par exemple dans la Gazette de Leyde de Jean et Etienne Luzac, et de plus ils apportaient un soutien financier et politique aux révoltes. Les théories, orientées surtout vers la pratique, qui fournissaient un soutien au droit à la révolte américaine, et à la révolte en général, soulevaient un grand intérêt. Ainsi, outre un écrit de l'auteur écossais Andrew Fletcher, Van der Capellen a traduit les Observations (1776) et les Additional Observations on Civil Liberty (1777) de Richard Price et l'ouvrage de Joseph Priestley Essay on the Principles of Government (1768). In correspondait aussi, comme nombre de ses compagnons, avec des hommes tels que John Adams, Benjamin Franklin, Jonathan Trumbull et William Livingston.Ga naar eind32. C'est ce qui a permis à Palmer d'écrire que, du moins jusqu'en 1787, tant les événements d'Amérique du Nord que des auteurs comme Price | |
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et Priestley ont plus inspiré les Patriotes des Provinces-Unies que ne l'ont fait, par exemple, les écrits d'un Voltaire ou d'un Rousseau.Ga naar eind33. Le citoyen moyen aux Provinces-Unies du 18e siècle, homme de société et généralement de modération, n'avait pas, à cette période, besoin de grandes discussions théoriques. Les auteurs comme Richard Price at comme Thomas Paine, dont on connaissait également les écrits dans les milieux néerlandais, avaient pour eux leur sens pratique; ils rendaient les idées des Lumières abordables et plus aisées à manier pour le grand public. C'est le grand mérite de Price, c'est du moins l'opinion de beaucoup de contemporains - même s'il ne fut pas très original -, d'avoir permis une certaine actualisation des idées philosophiques remarquablement profondes et consistantes de John Locke et de Francis Hutcheson; fait important, vu notamment les événements d'Amérique.Ga naar eind34. Comme on l'a remarqué, la guerre d'indépendance et donc la naissance de la confédération américaine, fruit des expériences issues des idées des Lumières,Ga naar eind35. revêtaient aussi une grande signification pour les Patriotes: ‘un exemple dans le lointain’, Peter Gay définit la position des Américains comme les exportateurs du ‘programme des Lumières mis en pratique’.Ga naar eind36. Certes, pendant tout ce temps les traditions et le souvenir des expériences nationales sont toujours vivants, et restent des sources d'inspiration, mais ne s'en conjuguent pas moins bien avec l'influence angloaméricaine. Pieter Paulus compara, par exemple, les ‘Articles of Confederation’ des Américains avec l'Union d'Utrecht. Il nota avec plaisir que l'Union avait servi, dans une large mesure, de modèle.Ga naar eind37. Quand Van der Capellen, dans son introduction à la traduction de l'ouvrage d'Andrew Fletcher A Discourse of Government with Relation to Militias (1698), plaide en faveur de l'armement des citoyens, il ne lui est pas nécessaire de se baser uniquement sur Fletcher er David Hume. Peut-être pour éviter une possible réaction de rejet du public devant ce qui était étranger, il se réfère à l'article VIII de l'Union d'Utrecht où en effet, l'armement civil est envisagé.Ga naar eind38. Van der Capellen fit connaissance avec les travaux de Price en 1776 et fut immédiatement gagné à ses idées. Ceci s'explique aisément, car il connaissait depuis déjà de nombreuses années Locke, Hutcheson et Hume, dont les deux premiers avaient fortement influencé Price. Ce dernier avait combiné la conception de la souveraineté du peuple selon Locke et la théorie plus tardive de Hutcheson qui, dans sa Philosophia Moralis (1745), s'était plus spécialement penché sur la délégation de pouvoirs du peuple au gouvernement. Van der Capellen prit aussi directement connaissance de cette Philosophia Moralis, mais les abstractions de Hutcheson lui étaient moins utiles.Ga naar eind39. Il traduisit même en 1776 les Observations et l'année suivante les | |
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Additional Observations on Civil Liberty. On peut conclure des introductions à ces travaux qu'il accepte, comme Price, l'idée d'une souveraineté originelle et inaliénable du peuple, à savoir donc ‘l'omnipotence du peuple’, qui implique la possibilité de révocation de la délégation de pouvoirs. Il illustre aussi cette position par un renvoi au passé national: ‘Quel est le peuple qui a usé plus largement de sa toute-puissance que nous autres, habitants des Provinces-Unies?’ s'écrie-t-il, pour rappeler immédiatement ses lecteurs aux années 1581, 1672 et 1747.Ga naar eind40. Paulus et Van der Capellen, pour la construction de l'argumentation, sont à plusieurs égards représentatifs de leurs contemporains. Il est clair que l'influence anglo-américaine ne diminuait pas l'intérêt que les Néerlandais accordaient à leur histoire nationale. Au contraire, il semble juste de penser que l'influence atlantique était à ce point importante pour eux précisément parce qu'elle se conjuguait très bien avec leurs propres expériences dans le passé et dans la situation actuelle, avec les traditions et l'âme nationale. L'aptitude à se prêter à un tel accord était ce qui manquait notamment aux travaux de Voltaire et Rousseau. Nous avons vu que Van der Capellen ne cite pas ces deux auteurs, alors qu'il se réfère par exemple au modéré Montesquieu, ce qui n'est pas surprenant. En effet, comme nous l'avons déjà noté, Orangistes et Patriotes étaient à cette époque, favorables à l'idée d'imperium mixtum; on rencontrait cette idée, mise en pratique, entre autres, dans la forme de gouvernement anglais, dans la constitution modérée du Massachusetts - voir, par exemple, De Imperio Populari caute temperato (1784) de Rutger Jan Schimmelpenninck -, écrite par John Adams sous l'influence des idées de Montesquieu, et plus ou moins dans la forme de gouvernement du pays propre, introduite en 1747 et que l'on voulait en accord avec les idéaux d'équilibre et d'harmonie. Ces idéaux se retrouvent dans L'Esprit des Lois; de plus on appréciait que Montesquieu lui-même eût, à plusieurs reprises, cité la constitution et la société de la République comme exemple, même s'il ne les présentait pas comme parfaites. L'Esprit des Lois et la conception des ‘corps intermédiaires’ étaient donc bien accueillis par un large public.Ga naar eind41. L'intérêt porté à Montesquieu nous amène à chercher pourquoi les deux autres grands représentents de la pensée contemporaine, Voltaire et Rousseau, n'ont exercé, jusqu'en 1787, qu'une influence restreinte in politicis alors que l'influence de la France était très présente, et parfois prépondérante, dans de nombreux autres domaines. Depuis la Révocation de l'Édit de Nantes, de nombreux Huguenots exilés vivaient aux Provinces-Unies et souvent ils jouaient un rôle de premier plan dans la vie sociale, culturelle et économique, surtout en ce qui concerne l'édition, l'éducation, l'enseignement, les conventions sociales et la mode. De plus, de nombreux auteurs tels que Voltaire, Montesquieu, Diderot | |
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et Mirabeau vinrent aux Provinces-Unies, parfois à plusieurs reprises, et y firent imprimer plusieurs de leurs manuscrits.Ga naar eind42. Au 18e siècle, ce fut pendant longtemps le classicisme d'inspiration française qui donna le ton en art et architecture, en littérature et dans le théâtre. D'ailleurs des journalistes de plusieurs périodiques, conçus souvent d'après l'exemple anglais, élevèrent la voix contre la domination française et les imitations néerlandaises d'où était souvent absent tot esprit critique: ‘On mange, on boit, on prise même à la française’ raille le Nederlandsche Spectator.Ga naar eind43. Néanmoins et en faisant exception de cette mode générale et de la position de Montesquieu, les théories et idées politiques françaises semblent avoir joué, pour la République, un rôle biens moins important que les vues des Lumières anglo-saxonnes, et ce au moins jusqu'en 1787. Ainsi le Contrat Social (1762) de Rousseau fut, durant les premières décennies après sa parution, très peu vendu, alors que les Observations de Price et The Age of Reason de Paine étaient immédiatement traduits et connaissaient un grand succès; c'est seulement après 1787 et surtout après 1795 que la conception rousseauiste de l'Etat prit de l'importance.Ga naar eind44. Une des principales raisons de cette situation était sans doute que Rousseau avait de la démocratie une conception trop radicale et trop absolue pour pouvoir s'adapter avec succès à la situation des Provinces-Unies.Ga naar eind45. De plus son ton, souvent passionné et fougueux ne pouvait aller de pair avec l'état d'esprit plus sobre et plus porté au scepticisme qui était celui du pays. Ainsi, De Denker observait que Rousseau faisait de son Émile un homme heureux pour lui-mêmemais inutile pour la société.Ga naar eind46. Une autre raison, peut-être plus importante encore, pour expliquer le peu de popularité de Voltaire et de Rousseau est la religion, ou plutôt l'absence de religion. La rébellion du 16e siècle n'avait pas seulement abouti à la création d'un état politiquement autonome en 1648; elle assurait aussi au calvinisme une position dominante dans la culture nationale.Ga naar eind47. Mais, notamment grâce aux traditions érasmiennes, cela n'impliquait pas encore une véritable intolérance ou étroitesse d'esprit, du moins pas à une grande échelle. Les idées de Leibniz et de Wolff sont en accord avec la représentation que les contemporains se faisaient de leur époque: une vie sociale ordonnée, harmonieuse, allant de pair avec une vue optimiste sur le monde et Dieu. Cela ce traduisait dans le domaine politique par des idées où la modération et l'équilibre étaient au premier rang et dans le domaine religieux par une certaine ouverture d'esprit et une certaine tolérance; remarquons cependant, que cette tolérance n'existait pas à l'égard du déisme et de l'athéisme.Ga naar eind48. Ainsi s'explique dans les Provinces-Unies le mauvais accueil réservé aux sentiments cyniques et anti-religieux de Voltaire. Certaines criti- | |
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ques le mettaient au même rang que Spinoza et De la Mettrie. Bien sûr Voltaire était lu, mais tout d'abord pour ses qualités littéraires; le critique d'un périodique contemporain écrivait à son propos: Ce jugement est également confirmé par certaines mesures prises par les autorités: les Mémoires, La Pucelle d'Orléans, le Dictionnaire Philosophique et la traduction du Traité sur la Tolérance furent interdits pour cause de propos calomnieux ‘en contradiction directe avec la parole sacrée de Dieu’.Ga naar eind50. Les écrits de Rousseau partagèrent en partie ce sort. Du Contrat Social fut interdit non parce qu'il présentait les révolutionnaires ‘principes du droit politique’, mais principalement à cause des idées de l'auteur sur la ‘religion civile’.Ga naar eind51. Pour les mêmes raisons, les Lettres de la Montagne n'échappèrent pas à l'intervention des autorités, interventions qui paraissent d'ailleurs, dans les cas précédents, avoir été superflues, car les travaux politico-philosophiques de Rousseau n'avaient guère de succès dans le pays, au moins dans la période qui précède la revolution française; par la suite, il semble qu'un changement ce soit produit, quoique les conceptions religieuses du philosophe de Genève soient restées longtemps choquantes. Le contenu sentimental et pédagogique de ses travaux reçut en revanche un meilleur accueil, bien que, là encore son attitude libérale face aux sujets religieux restât un obstacle. Ainsi on peut trouver, par exemple, trace d'une influence de Rousseau dans les ouvrages de pédagogie des dames Wolff et Deken alors qu'Émile ou de l'Éducation fut interdit à cause de ses nombreuses ‘remarques athées et pernicieuses’.Ga naar eind52. En résumé, des livres comme Julie ou Émile connurent, aux Provinces-Unies, un succès relativement restreint si on le compare à celui qu'ils recontrèrent dans d'autres pays tels que la France ou l'Angleterre. Apparemment, on préférait lire les romans de Richardson ou les travaux d'un Gellert ou d'un Mendelssohn, dont les idéaux moraux et pédagogiques étaient partagés par le grand public et par les critiques des périodiques contemporains.Ga naar eind53. Les études des vingt dernières années ont montré que l'esprit des Lumières a pu s'implanter aux Provinces-Unies, notamment dans les domaines où il a su vivre en bonne compagnie avec l'importante composante chrétienne de la société, en d'autres termes, où une réconciliation était possible entre Ratio et Revelatio.Ga naar eind54. C'est en cela que les Lumières néerlandaises rejoignent les Lumières anglaiscs, écossaises et allemandes qui, elles aussi, se caractérisaient par de nombreux traits de morale chré- | |
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tienne. La dichotomie et la polarisation entre Religion/Révélation et Lumières/Raison que l'on trouve, à des degrés divers, dans les écrits de Voltaire, De la Mettrie er de Rousseau, semblent avoir été d'abord des phénomènes français.Ga naar eind55. Dans la République, une certaine affinité, si restreinte fût-elle, avec le christianisme, la pensée et la morale chrétienne, était pratiquement une condition sine qua non de l'acquisition d'une popularité de quelque étendue. Le fait que Voltaire et Rousseau aient eu peu de succès sur le plan politique dans ce pays, au moinsjusqu'en 1787, semble avoir eu deux grandes causes: d'abord, comme nous l'avons vu précédemment, leurs points de vue et leurs raisonnements ne s'accordaient pas très bien avec le climat de modération, les traditions et les idées propres à ce pays; en outre, l'opposition entre la religion et les idées ‘éclairées’ de ces deux auteurs était fréquemment trop forte pour les Provinces-Unies, où depuis longtemps les affaires politiques et religieuses étaient intimement liées. | |
Contexte et conclusionDans cette dernière partie nous essayons de résumer notre démonstration et d'arriver à une conclusion provisoire et plutôt ‘impressionniste’. Le thème central de notre article, à savoir la position idéologique des Patriotes des Provinces-Unies à la veille des révolutions, ne pouvait être développé ici sous une forme complète et nuancée; nous avons voulu en présenter un croquis, tracé à grandes lignes. Après un bref aperçu sur les événements historiques précédant la période en question, nous avons également fait le point sur les travaux consacrés au sujet en nous intéressant surtout au débat historiographique. Selon des auteurs tels que Palmer, De Wit, Leeb et Schama, le pays a connu deux révolutions: la révolution patriote manquée, datant de 1780-1787, et la révolution batave réussie de 1795. La comparaison avec d'autres pays amène à constater l'existence de similarités et de différences. Colenbrander insiste sur le fait que l'opposition néerlandaise était influencée par l'étranger et il porte son attention surtout sur l'influence exercée par la France. Pour des historiens comme Palmer, Godechot, De Wit et Schama, qui pensent que les événements antérieurs à 1787 et ceux postérieurs à 1795 font partie d'un même mouvement d'opposition, l'histoire néerlandaise du dernier quart du 18e siècle est une des facettes d'une grande Révolution de l'ouest, ou atlantique, ayant débuté dans les colonies nord-américaines et englobant aussi la révolution francaise. Ce point de vue provoqua évidemment réactions et critiques, que ne provenaient pas uniquement des historiens français dont l'un, Albert Soboul, note que cette approche atlantique nie l'originalité des événements français et un demi-siècle d'historiographie révolutionnaire française, de Jean Jaurès à Georges Lefèbvre.Ga naar eind56. Dans le même esprit, | |
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certains auteurs ont insisté sur les caractères originaux de l'opposition aux Provinces-Unies. Leeb, en particulier, suivant en partie les travaux de Pieter Geyl, a souligné surtout la structure originale de la société néerlandaise, en décrivant le système politique, l'histoire nationale et le cours spécifique suivi par les discussions politico-idéologiques dans les Provinces-Unies depuis le 16e siècle. Dans la deuxième partie de cet article, limitée principalement à la période précédent 1787, afin d'éviter le problème d'une éventuelle continuité entre 1787 et 1795, nous montrons que les Patriotes des années 1780, par leurs aspirations et leurs prises de position, ne peuvent pas être considérés comme de véritable révolutionnaires: l'ordre établi n'était pas fondamentalement remis en question, et très peu d'opposants avaient à l'esprit une forme de gouvernement ou une constitution réellement nouvelle. ‘Modération’ restait un mot clef. La préférance pour les pouvoirs modérés, l'imperium mixtum, un équilibre entre les partis différents, était presque générale. Les critiques de l'opposition visaient surtout la corruption et l'arbitraire a l'intérieur du système, ou l'exclusion de certains groupes ou de certaines personnes de tout pouvoir politique et de toute fonction officielle. La plupart des opposants raisonnaient à partir de la situation existante; ceci valant autant pour Van der Capellen que pour les auteurs de Grondwettige Herstelling. Certes, ils préconisaient quelques réformes et apportaient de nouveaux éléments, mais ils ne souhaitaient pas le complet renversement du système existant. Les événements des années 1780 seraient mieux définis par le mot révolte que par le mot révolution.Ga naar eind57. Si l'on désire employer le mot révolution, il faut garder à l'esprit qu'il s'agit d'une révolution d'essence conservatrice.Ga naar eind58. En dehors des prises de position et de la nature des changements souhaités, le mode d'argumentation et les arguments mêmes vont aussi dans ce sens.Ga naar eind59. Ainsi, les Patriotes et les Orangistes se réfèrent fréquemment à la situation actuelle, à d'exemples, empruntés au droit écrit, et surtout à l'histoire nationale pour étayer leur argumentation et, ce faisant, ils suivaient une tradition autochtone qui datait au moins du 16e siècle. L'emploi de références historiques était d'ailleurs, au cours des 17e et 18e siècles, fréquent et répandu dans toute l'Europe de l'Ouest.Ga naar eind60. Vers la fin du 18e siècle, à côté d'auteurs cherchant des justifications dans le passé et la situation actuelle, on rencontre de plus en plus d'auteurs qui raisonnent à partir de notions appartenant au système théorique et philosophique des Lumières et qui cherchent a légitimer leur points de vue en s'appuyant sur l'idée de droit naturel. D'ailleurs, aux Provinces-Unies, les deux positions ne s'excluaient pas, mais au contraire allaient souvent de pair. L'avis exprimé par Mirabeau - rclativement étranger au problème, bien que pas tout à fait indépendant - | |
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sur cette question, montre que les Néerlandais n'étaient pas les seuls à penser que cette combinaison était possible. En effet dans sa Lettre aux Bataves (1788), il écrit que les nouvelles idées sur les droits inaliénables de l'homme et du peuple n'ont rien de très nouveau pour les Néerlandais car ces droits, toujours selon lui, étaient depuis longtemps présents dans leur histoire.Ga naar eind61. Que cela soit juste ou non n'est pas ici ce qui importe, mais bien de voir que l'on pensait ainsi. Nous avons signalé que l'influence directe de Rousseau et de Voltaire sur les Patriotes fut relativement faible au moins jusqu'en 1787, principalement sans doute à cause de la position de ces deux auteurs en matière de religion, qui ne pouvait s'accorder avec les Lumières néerlandaises, fortement teintées de christianisme. Ne nous étonnons pas qu'une édition spécialement ‘protestantisée’ de l'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert fût imprimée, entre autres, pour la République.Ga naar eind62. On a noté aussi que la popularité de Rousseau en ce qui concerne les idées politiques, fut relativement de peu d'importance surtout si on la compare au succès d'un Price, par exemple. Quoique les motifs religieux aient là aussi joué un rôle important, il faut en outre souligner que la conception que Rousseau avait de l'État ainsi que ses idées de ‘souveraineté’, ‘égalité’ et ‘démocratie’ étaient jugées par beaucoup trop irréelles et trop radicales.Ga naar eind63. En théorie, la souveraineté inaliénable du peuple était acceptée par un large cercle mais en pratique les Patriotes et les Orangistes en souhaitaient une application limitée. Ceci explique certainement l'intérêt porté aux auteurs modérés comme Locke, théoricien post factum de la ‘Glorious Revolution’, ou Price, défenseur des droits américains, et au réaliste Montesquieu.
L'histoire des décennies autour de 1800 peut être présentée comme une lutte entre ‘ancien’ et ‘moderne’.Ga naar eind64. En ce qui concerne les Provinces-Unies et la période 1780-1787, il semble justifié de conclure que ce sont les forces anciennes et conservatrices qui ont dominé, et cette conclusion ne se base pas uniquement sur l'écroulement final de l'opposition en 1787. On ne peut pas dire que les années 1780 représentent une réelle rupture avec le passé. |
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