Documentatieblad werkgroep Achttiende eeuw. Jaargang 1977
(1977)– [tijdschrift] Documentatieblad werkgroep Achttiende eeuw– Auteursrechtelijk beschermd
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V Marc-Michel Rey imprimeur philosophe ou philosophique?Cette question mérite d'être éclaircie. Les deux mots, on le sait, ont singulièrement évolué depuis le 18e siècle. Le Dictionnaire de l'académie françoise par exemple (Paris 1762), ne s'étend guère sur le mot ‘philosophe’ considéré comme adjectif. Il note (ii.365) qu'on appelle ‘absolument’ philosophe celui ‘qui par libertinage d'esprit, se met au-dessus des devoirs & des obligations ordinaires de la vie civile & chrétienne’. C'est bien ainsi que les dixhuitiémistes nomment aujourd'hui ceux qui ont pensé, jugé, écrit autrement. Mais c'est là langage d'initié car un Paul Robert par exemple note que cet emploi a vieilli, tout comme celui, identique, que confèrent ces mêmes spécialistes à l'adjectif ‘philosophique’. Par ‘philosophe’ nous aimerons désigner un commun dénominateur entre les deux dictionnaires: nous serions tenté d'appeler ‘philosophe’ l'homme sage, résigné, serein, tranquille, supérieur aux querelles d'école. ‘Philosophique’, nous l'entendrions plutôt dans le sens absolu du 18e siècle, vieilli aujourd'hui pour d'aucuns. En un mot comme en cent, nous posons donc la question suivante: éditeur des esprits les plus hardis de son temps, Marc-Michel Rey partageait-il leurs vues ou n'était-il qu'un bourgeois honnête au-dessus de tout soupçon et commerçant astucieux?
Au 18e siècle, les éditeurs ont, pardonnez-nous le mot, mauvaise presse. Le droit d'auteur n'existe pas. L'écrivain est à la merci de son imprimeur-éditeur. Celui-ci achète les manuscrits à des prix fixés arbitrairement et acquiert du coup la propriété de l'oeuvre elle-même. Libre à lui de verser des indemnités, de donner des exemplaires gratuits, de pratiquer des remises, d'envoyer les invendus au pilon. Parfois il n'hésite même pas à mutiler le texte, à l'affaiblir ou à le forcer, grâce à quelque scribe besogneux, selon la conjoncture du jour et du lieu. Si quelques centaines de lieues séparent auteur et éditeur, le mal revêt souvent des dimensions telles que les | |||||||||
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récriminations, les plaintes, les insultes de l'écrivain berné, éloigné, prennent un tour tragique. Car les recours judiciaires restent lettre morte. Les conventions entre Etats ne se soucient guère des droits des écrivains, a fortiori des écrivains suspects. Dans les Provinces-Unies où le libéralisme économique règne sans partage, la concurrence a tous les droits pour les textes venus de l'étranger. Les contrefaçons et les éditions pirates pullulent et se dissimulent volontiers sous des marques fantaisistes ou sybillines. Le public, lui, ne se soucie que fort peu de savoir s'il lit une édition authentique, à la leçon certaine. L'auteur, impuissant, la rage au coeur, assiste à ce triste spectacle sans d'autre ressource que ses cris auxquels répondent des quolibets ou des silences glacés. On dira que ce noir tableau est inspiré des doléances de quelque victime. Non. Cet état de choses n'est que trop courant. Nous ne retiendrons ici que ce cri jailli du coeur de l'auteur malheureusement inconnuGa naar eind1. d'un curieux roman qui se déroule dans les milieux de la librairie bruxelloise au 18e siècle, La Candeur bibliographique, ou le libraire honnête-homme (Bibliopolis 1776): ‘Non habebat animam, erat enim Bibliopola’ (p. 7). Et la voix du libraire dira-t-on? Placé en position de force grâce à ses capitaux, il se soucie davantage de ses intérêts commerciaux, des droits réels que lui confèrent achat et privilège, que de ceux, putatifs, de ses auteurs. Quelquefois il paie lourdement le prix de la concurrence étrangère anonyme et se retrouve alors, ce ne sera que justice après tout, dans le même bateau que son auteur. L'auteur ‘philosophe’ est a fortiori plus mal loti. Ne pouvant, sans danger, utiliser les circuits de la librairie officielle, il se soumet, du fait de son engagement, aux aléas évoqués à l'instant et multipliés à l'excès par la clandestinité qui entoure toutes les opérations de la fabrication et de la mise en vente et la perspective de mesures policières toujours excessives. Dans ce concert, les Provinces-Unies jouent le plus mauvais rôle. Le pays connaît depuis longtemps une excellente renommée typographique d'ailleurs largement méritée. Les fonderies, les imprimeries y sont très | |||||||||
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nombreuses; le français est largement répandu et son traitement typographique ne soulève aucun problème. ‘Le livre de Hollande’ est réputé en France au même titre que les musiciens italiens, les lames espagnoles et les vins de Hongrie. La république jouit, de fait, d'une assez large tolérance: l'on peut y imprimer à peu près n'importe quoi sauf ce qui heurte les dogmes fondamentaux de la civilisation chrétienne, les vérités essentielles du christianisme. Les livres sociniens par exemple sont strictement prohibés. Ce libéralisme porte ses fruits en attirant une foule d'auteurs en rupture de société et de croyance. Peu chaut la république calviniste si le catholicisme, la monarchie absolue, la féodalité prennent des mauvais coups. Les représentations de Versailles, certes, sont nombreuses mais les autorités bataves excellent dans l'art de noyer de tels poissons. Les autorités religieuses s'émeuvent souvent et il arrive quelquefois que leurs dénonciations véhémentes suscitent un écho politique lointain. Dans la plupart des cas le pouvoir n'agit que très lentement et mollement. Est-ce à croire que le magistrat hollandais professe une large et certaine indifférence? Sans doute y eut-il des personnalités libérales, ‘philosophiques’. On ne saurait non plus sousestimer le facteur économique déterminant à notre avis. Juguler à l'extrême une industrie florissante quoique clandestine qui occupe une main-d'oeuvre nombreuse, enrichit son monde et par conséquent l'Etat, n'est-ce pas aller à l'encontre de l'esprit même du libre négoce, de la société? Car après tout, pour répéter une boutade, les livres ne sont-ils pas avant tout fabriqués pour être vendus, et que faut-il offrir à la demande d'écrits hardis, prête à les payer fort cher? On pourra objecter que c'est transformer le libraire en marchand. Plus d'un voyageur a sous l'Ancien RégimeGa naar eind2., souligné pour le moins, le caractère commerçant de la nation tout entière. ‘Je ne crois pas, dit MontesquieuGa naar eind3., que depuis un homme célèbre appelé Judas, il n'y ait eu de Juif plus juif que quelques uns d'eux’. MirabeauGa naar eind4. évoquera ce ‘pays de calculateurs, où l'on ne vaut qu'à raison de son utilite- | |||||||||
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té’ et VoltaireGa naar eind5. affirme que ‘les Hollandais vendent l'air et l'eau aux voyageurs’. Le libraire doit-il échapper ex-officio à l'attrait du gain & du bien vivre? Estce une faute? Et pour reprendre l'idée d'un Voltaire, il faut admettre cette constatation qui fera grincer les dents à plus d'un noble désargenté, lui plaît et explique à ses yeux l'essor sans égal de la petite république repoussoir et modèle d'une anti-FranceGa naar eind6.. Il n'en demeure pas moins que malgré certaines sympathies, les philosophes français ont considéré les libraires hollandais sous cet angle. Qu'on ajoute encore à nos propos les réflexions désabusées d'un Diderot écrivant à FalconnetGa naar eind7. ou dans Ceci n'est pas un conte, voire même celles du jeune LamennaisGa naar eind8.. Nous aimerions encore ajouter un extrait de Voltaire (Des Mensonges imprimés) très significatif: ‘Lorsque les Hollandais s'aperçurent de ce nouveau besoin de l'espèce humaine (la lecture), ils devinrent les facteurs de nos pensées, comme ils l'étaient de nos vins et de nos sels; et tel libraire d'Amsterdam, qui ne savait pas lire, gagna un million parcequ'il y avait quelques Français qui se mêlaient d'écrire’. Le libraire hollandais ne se propose pas de révéler le talent, il fabrique et vend du livre et de préférence celui qui se vend le mieux et le plus cher. Le livre philosophique était à la mode. S'étonnera-t-on dès lors du flot permanent qui inonde le marché français?
Nous répétons done notre question. Rey fut-il à l'instar de ses confrères un simple facteur attiré par le bénéfice ou fut-il le partisan des idées hardies qu'il lança pendant trente années sur le marché de l'esprit et de l'intelligence? C'est prétendre connaître l'homme à fond, forcer une conscience. Marc-Michel Rey ne se laisse pas aborder facilement. Après sa mort, ses papiers furent dispersés, et l'on peut raisonnablement estimer que les deux tiers en ont disparu. On connaît quelques belles correspondances conservées dans la collection des Archives privées de la Maison Royale des Pays-Bas et dans quelques grandes bibliothèques (Amsterdam, Vereniging tot de bevordering van de belangen des boekhandels); Neuchâtel, Bibliothèque de la Ville). La plus émouvante de toutes est sans conteste | |||||||||
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celle qu'il échangea avec Jean-Jacques Rousseau et à peu près entièrement conservée. Citons au hasard d'autres noms illustres: Allamand, Court de Gébelin, Delisle de Sales, Diderot, DuPeyrou, Galitzine, Jacobi, Leuchsenring, Pierre Rousseau, Voltaire. Autant de correspondances inégales en volume, souvent à une voix, et où les sujets abordés, surtout les affaires, ne favorisent guère les épanchements révélateurs d'une âme.
Nous voudrions tout d'abord donner quelques repères biographiques. Puis, en nous interrogeant sur les rapports qu'entretint Rey avec quattre figures des plus représentatives des Lumières françaises, Rousseau, Voltaire, Diderot et Holbach (cet ordre n'implique aucun jugement), nous voudrions tenter de réunir les éléments d'une réponse à notre question initiale.
Marc-Michel Rey est né à Genève le 5 mai 1720 d'Isaac Rey et de Marguerite Du SeigneurGa naar eind9.. L'on ne sait pas grand-chose de sa jeunesse. ‘Je n'ai jamais fait d'études, écrit-il à Rousseau un 17 août 1761Ga naar eind10., et il m'a fallu gagner ma vie à 17 ans, non que je puisse me plaindre de mes pères et mères au contraire ils ont fait tout ce qu'ils pouvoient mais je n'ay pas profité dans mon jeune âge des instructions qu'ils m'ont faite donner’. Il travaille pendant huit années comme apprenti chez son parrain Marc-Michel Bousquet. Il part pour Amsterdam en 1744, y est admis le 18 août dans l'Eglise Wallone. Le 14 janvier 1746 il achète le droit de bourgeoisie, est admis le 31 dans la corporation des libraires et paie ses droits trois jours plus tard, prête sermentGa naar eind11. de ‘poorter’ le 14 juin. L'année suivante, le 24 avril il épouse à Bruiksloot la fille d'un confrère, Elisabeth Bernard (+1778), femme de tête, ayant le sens des affaires. De ce mariage naquirent huit enfantsGa naar eind12.: Isaac (né en 1748) se méconduisit et alla s'établir en Guyane; Marguerite-Jeanne (née en 1749) qui en épousant en 1771 Charles de Weissenbruch, le beau-frère et l'associé du maître de la Société typographique de Bouillon, Pierre Rousseau, deviendra la mère d'une nouvelle lignée d'illustres imprimeurs; Elizabeth (née en 1750), un premier | |||||||||
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Bernard (né en 1752) et un second Bernard (né en 1756) mourront en bas âge; François-Bernard (1754-1780) voulut s'établir libraire en Russie; Suzanne (1762-1777) sera la filleule, la ‘petite Jeannette’ de Rousseau; Julie (1764-1792) au prénom rousseauiste. Marc-Michel Rey meurt le 8 juin 1780, ayant successivement habité la Kalverstraat jusqu'en 1760 et après le Singel près de la Bloemen-Markt. Il sera inhumé hors du bâtiment de l'Eglise Wallonne. Nous verrons plus loin ce qu'il convient d'en penser.
Nous ne donnerons pas ici le tableau des activités commerciales proprement dites de Rey. Ses biographes, Max Fajn en particulier, ont donné d'intéressants aperçus sur ses achats de textes, de droits, ses fortunes et infortunes, ses voyages, ses relations souvent orageuses avec ses contrères et ses nombreux correspondants. Permettez-nous de citer un passage révélateur d'une lettre du 12 septembre 1760 (Leigh 1100) à Rousseau: ‘j'ay le malheur pour le Siècle où nous vivons d'etre trop franc, de dire ce que je pense d'une façon trop crue, pour le premier je ne veux pas m'en départir et pour le second c'est manque de sçavoir mieux, vous n'en avez que trop de preuves par mes lettres’. Caractère difficile, soit. Il est vrai aussi que Rey tenait à l'argent. Pierre Rousseau le lui reprochera, et son compatriote Polier de Bottens constate qu'il s'est immergé dans l'esprit mercantilisteGa naar eind13.. ‘Il n'est aucun de nos libraires, écrit le ministre Moultou à Rousseau le 5 juin 1762 (Leigh 1832) qui veuille négocier avec Rey. C'est un hom̄e avide, & nos libraires ne le sont pas moins que luy’. Voilà un premier trait. Mais, répétons-le, c'est au fil des relations avec les auteurs qu'apparaissent les meilleurs éléments d'une réponse. | |||||||||
Jean - Jacques RousseauLe fait capital dans la carrière d'éditeur de Rey fut, sans doute, la rencontre avec Rousseau. C'est à Genève, au cours de l'été 1754, que les deux hommes firent connaissance. Vingt années durant, leurs relations se déve- | |||||||||
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loppèrent et s'approfondirent, Rey a publié en édition originale la plupart des grands titres de son concitoyen: le Discours sur l'origine et les fondements de de l'inégalité parmi les hommes (1755), la Lettre à m. d'Alembert sur les spectacles (1758), La nouvelle Héloïse (1761), Du Contrat social (1762), la Lettre à Christophe de Baumont (1763), les Lettres écrites de la montagne (1764). Il a réuni plus d'une fois ses écrits sous des titres d'Oeuvres diverses et d'Oeuvres. Le recueil de 1769 en onze volumes se distingue particulièrement pour ses qualités typographiques. Il semble, en outre, que Rey ait songé à une édition authentique des Oeuvres. Leur longue correspondance reflète deux tempéraments différents, voire opposés. D'une part le libraire, soucieux de ses affaires, homme de bonne foi, lent parfois, expéditif à l'occasion, et qui au début du moins, ne semble pas comprendre la qualité ou pour mieux dire le potentiel émotif de son correspondant. En face, nous trouvons le Rousseau bien connu, impatient de voir ses écrits paraître au grand jour, épris de perfection, entendant soumettre autrui à ses façons de voir les choses. Plus d'une fois les propos assez vifs, voire sarcastiques fleuriront sous sa plume, mais chaque lettre s'achève sur des protestations d'amitié et d'affection que l'on a tout lieu croire aussi sincères que les propos qui les précèdent. Au contact de Rousseau, Rey s'est affiné, affirmé. Il n'en demeurera pas moins vis-à-vis de son ‘ami’, de son ‘compère’ dans une position dont l'attentisme ne sera jamais totalement absent. Les lettres des 15 juillet 1758 (Leigh 671) et 15 juin 1764 (Leigh 3349) en offrent la preuve. La nature de ces relations peut tenir dans cette phrase du 29 octobre 1764 (Leigh 3611): ‘Tous vos procedés, écrit Rousseau, sont d'un galant homme, et je crois qu'en nous passant mutuellement quelques petites étourderies nous pouvons l'un et l'autre nous applaudier de nous connoitre’. A partir de 1762, plusieurs circonstances d'ordre privé vont créer des liens marqués par une amitié sincère. Le succès des éditions de Rousseau incite Rey (et le fait est assez rare pour être rapporté) à créer en faveur de ‘Mademoiselle Levasseur’ une pension de | |||||||||
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300 livres: ‘ce que je fait, écrit-il le ler février 1762 (Leigh 1661) n'est pas si considerable, les bénéfices que j'ay fait sur vos ouvrages me mettent a même de vous témoigner se retour’. Ce geste à l'égard de sa compagne devait particulièrement émouvoir Rousseau, et explique peut-être qu'il accepta au mois de mai d'être le parrain de la petite Suzanne Rey. D'autres événements devaient également rapprocher l'auteur et l'éditeur. C'est au cours de la même année que tomberont les premières condemnations frappant l'oeuvre du philosophe. La Hollande, malgré son libéralisme, n'échappera pas à cette vague. En juillet, les autorités civiles condamnent l'Emile et en novembre le Contrat social. En janvier 1765 les Lettres écrites de la montagne subissent le même sort. Fugitif, Rousseau s'inquiète du sort qui sera réservé à son éditeur. Rey veut attirer son auteur en Hollande, où tout compte fait, il vivra plus tranquillement qu'en France. Mais le philosophe préfère l'Angleterre et on sait ce qu'il advint de ce séjour Outre-Manche. L'affaire des Lettres révélera quelques réflexions qui jettent une lumière assez crue sur les opinions de Rey. Nous ne pouvons ignorer ici la lettre du 3 mars 1766 (Leigh ...) qui explique en même temps les raisons du philosophe qui le poussent à décliner l'invitation du libraire: ‘ce qui s'est fait en dernier lieu en Hollande est méprisable et infâme. Je n'aurois pu regarder qu'avec l'indignation qu'ils méritent des gens capables de pareilles lâchetés. Et qu'en pense Rey? A son avis (lettre du 18-22 janvier 1765, Leigh 3902), l'affaire trouve sa source à Genève. L'impression des Lettres lui attire des ennemis ‘qui font leurs eforts pr me faire de la peine dans ce pays ... Je laisse brailler & m'en met peu en peine, le temps & les gens Sage nous rendront plus de justice’. Lorsqu'il apprend que la Cour de justice de La Haye a supprimé l'ouvrage, il ajoute ‘c'est surement les Ecclesiastiques qui ont fait faire le Coup, je m'en informerai ... Vernes (le pasteur) & ses Semblables feront leurs efforts pour vous noircir, mais vous etes au dessus de leurs libelles, Les mépriser est tout ce qu'ils meritent, ce qui me flate veritablement est qu'on me fait aussi le meme honneur, parceque je vous estime & que je vous Serai toûjours Sincerement attachés. Ces | |||||||||
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mesures ne l'intimident pas. Sur les sept mille exemplaires tirés, il n'en reste plus que mille, et encore ... Il songe déjà à une réimpression et le prie de lui renvoyer un exemplaire corrigé. Sur ces entrefaites, Rey est mandé à l'Hôtel de ville, où on lui signifie l'interdiction de vendre les Lettres, et la possibilité de poursuites judiciaires. ‘J'ay répondu, poursuit Rey, que je ne croyois pas qu'il (l'ouvrage) contint rien de répréensible’. Ayant rencontré l'officier de justice, il lui a demandé ‘qui le faisoit agir’ contre lui. La Cour de justice. ‘Je verrai de découvrir qui sont ceux qui ont mis cette affaire en train, ne pouvant me persuader qu'on ay Supprimé cet ouvrage pour l'ouvrage meme, il faut qu'on ay d'autres vues’. L'officier de justice renonça finalement aux poursuites, alléguant l'insuffisance des raisons invoquées (cf. la lettre du 31 mai, Leigh 4459). Le sentiment général, conclut l'imprimeur, est que la Cour de justice mérite un blâme exemplaire ‘d'avoir fait cette cacade’. En silence, il prépare sa riposte. En avril 1766, le Journal des sçavans que Rey réimprime à Amsterdam en l'étoffant d'additions quelquefois piquantesGa naar eind14., publie une violente apologie de Rousseau contre la ‘racaille’ de ses adversairesGa naar eind15.. Ce texte, dû à un certain Vincenzo Gaudio (un scribe) vaudra à son auteur trente années de ‘Rasphuis’ et le bannissement par la suite. Editeur responsable Rey est appelé à comparaître devant le consistoire de l'Eglise Wallonne. Aux pasteurs il répond qu'il n'a rien à voir avec eux, et il s'en tire avec une admonestation puisque à la pluralité des voix on décide d'employer la voie de la ‘douceur’ pour le ramener à de meilleurs sentiments. Arrêtons-nous un instant à ces réflexions. Rey ne semble se soucier des cris et des clameurs indignées que les Lettres ont soulevées à Genève et à Amsterdam. Comment qualifier, sinon de ‘philosophe’ l'attitude de celui qui laisse ‘brailler’ le clergé responsable et met sa confiance dans l'avenir et la sagesse humaine? Mieux encore, il le méprise, l'ignore. Et prétendre que l'ouvrage ne contient rien de répréhensible, n'est-ce pas en partager les vues? Toute cette affaire n'est que ‘cacade’: le mot est signifiant à souhait. | |||||||||
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Nous ne voudrions point achever ce trop bref chapitre sur Rousseau sans relever un autre titre de gloire de Rey. ‘Je ne sais pas par quelle fantaisie Rey me pressoit depuis longtemps, écrit Rousseau dans ses ConfessionsGa naar eind16., d'ecrire les mémoires de ma vie. Quoiqu'ils ne fussent pas jusqu'alors fort interessans par les faits, je sentis qu'ils pouvoient le devenir par la franchise que j'étois capable d'y mettre, et je résolus d'en faire un ouvrage unique par une véracité sans exemple, afin qu'au moins une fois on put voir un homme tel qu'il étoit en dedans’. La première suggestion de Rey remonte, semble-t-il, à 1761. Une lettre du 31 décembre (Leigh 1619) nous apprend que c'est une chose qu'il ‘ambitionne depuis longtems’. Ce voeu rencontre celui du pasteur Moultou (Leigh 1612). Rey reviendra souvent à la charge, et ses insistances détermineront enfin Rousseau à commencer l' ‘entreprise qui n'eut jamais d'exemple, et dont l'exécution n'aura point d'imitateur’ pour reprendre son propre incipit. Rousseau stipulera même le 27 avril 1765 (Leigh 4345) que Rey, ou son fils et successeur, aura l'exclusivité de l'édition. Mais les meilleures choses connaissent une fin. La correspondance des années soixante-dix révèle une tension croissante entre les deux hommes. L'intransigeance, la raideur de Rousseau s'accentuent au fur et à mesure qu'il devient le prisonnier de lui-même, et la rupture, inévitable, éclate en 1774. Les Confessions s'en feront l'écho au livre onzième (Oeuvres complètes, i. 561): ‘le libraire dont on me disoit tant de mal à Paris, est cependant de tous ceux avec qui j'ai eu à faire le seul dont j'aye eu toujours a me louer. Nous étions à la vérité souvent en querelle sur l'execution de mes ouvrages; il étoit étourdi, j'étois emporté. Mais en matiére d'intérest et de procedés qui s'y rapportent, quoique je n'aye jamais fait avec lui de traité en forme, je l'ai toujours trouvé plein d'exactitude et de probité. Il est même aussi le seul qui m'ait avoué franchement qu'il faisoit bien ses affaires avec moi, et souvent il m'a dit qu'il me devoit sa fortune, en offrant de m'en faire part. Ne pouvant éxercer directement avec moi sa gratitude, il voulut me la témoigner au moins dans ma gouvernante, à laquelle il fit une pension via- | |||||||||
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gére de trois cents francs, exprimant dans l'acte que c'étoit en reconnoissance des avantages que je lui avois procurés. Il fit cela de lui à moi sans ostentation, sans pretention, sans bruit, et si je n'en avois parlé le prémier à tout le monde, personne n'en auroit rien su. Je fus si touché de ce procédé, que depuis lors je me suis attaché à Rey d'une amitié veritable. Quelque tems après il me desira pour Parrain d'un de ses enfans, j'y consentis, et l'un de mes regrets dans la situation où l'on m'a réduit est qu'on m'ait ôté tout moyen de rendre desormais mon attachement utile à ma filleule et à ses parens. Pourquoi, si sensible à la modeste générosité de ce Libraire, le suis-je si peu aux bruyans empressemens de tant de gens haut huppés qui remplissent pompeusement l'univers du bien qu'ils disent m'avoir voulu faire et dont je n'ai jamais rien senti? Est-ce leur faute, est-ce la mienne? Ne sont-ils que vains, ne suis-je qu'ingrat? Lecteur sensé, pesez, decidéz; pour moi, je me tais’. Plus tard, Rousseau vint tempérer cet éloge par une note assez sombre: ‘Quand j'écrivois ceci j'étois bien loin encore d'imaginer, de concevoir, et de croire les fraudes que j'ai découvertes ensuite dans ses impressions de mes écrits, et dont il a été forcé de convenir’. Ce propos date probablement de 1774 au moins lorsque Rousseau rédigea le 23 janvier la Déclaration relative à différentes réimpressions de ses ouvrages, et dans laquelle il accuse, après quelque hésitation, nommément Marc-Michel Rey d'avoir participé aux ‘infidélités’ des réimpressions de ces écrits, et trompé sa confiance (Oeuvres complètes, i. 1186-1187). Ce nuage obscurcit donc l'éloge de Rey. Mais il faut reconnaître en faveur du philosophe qui s'est vengé pour toujours des agissements (encore mal définis) de Rey, qu'il ne supprima pas davantage ses propos élogieux, ayant eu tout loisir de le faire. Le propos final ‘Lecteur sensé, pesez, decidéz; pour moi, je me tais’, reste d'actualité. | |||||||||
VoltaireAvec VoltaireGa naar eind17., les rapports changent du tout au | |||||||||
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tout. Les témoignages abondent certes, mais la correspondance se fait plus rare et n'atteindra jamais ce degré d'intimité évoqué à propos de Rousseau. Rey n'est pas le seul libraire de Hollande avec lequel Voltaire a traité. Ses relations avec Arkstée et Merkus, Desbordes, Ledet, Néaulme, Van Duren se soldèrent dans la plupart des cas par des éclats retentissants. Ce n'est qu'après l'installation aux portes de Genève qu'il trouvera l'imprimeur selon son coeur, Cramer. Si la période prussienne de Voltaire est marquée surtout par ses relations avec Conrad Walther de Dresde et Jean Néaulme, elle est aussi celle qui marque le début du commerce avec Rey. C'est la comtesse de Bentinck qui servit d'intermédiaire en juin 1752 (le 27, Best. D. 4923)Ga naar eind18. pour l'envoi de la Réponse d'un académicien de Berlin à un académicien de Paris contre Maupertuis. Par la suite, Rey insérera dans ses ‘Additions’ du Journal des sçavans plus d'un texte de Voltaire; il était en outre bien tenu au courant de la moindre publication du philosophe par ses nombreux correspondants, et il vendra nombre de ses ouvrages comme en témoignent ses listes et prospectus régulièrement publiés dans cette feuille. Un mot malheureux, à propos de la contrefaçon du périodique échappe à Voltaire dans son Fragment d'une lettre écrite par m. de Voltaire à un membre de l'académie de Berlin (ne parle-t-il pas de ‘falsification’?) traverse inopinément ces débuts prometteurs. Rey riposte avec violence (Journal, 7 août 1753, pp. 203-204), et lancé, défend avec non moins de vigueur son confrère Néaulme dans l'affaire de l'Abrégé de l'histoire universelle (avril 1754, pp. 549-550) pour récidiver deux ans plus tard avec la satire infernale de Junquières contre La Pucelle d'Orléans (février 1756, pp. 424-428). Il faudra bien du temps pour que les cieux s'éclaircissent. Rey réédite, de son propre chef, le Traité sur la tolérance en 1764. Les temps semblent mûrs pour de nouvelles collaborations puisque c'est à Marc-Michel Rey que Voltaire songe à cette époque pour la publication de ses principaux écrits contre l' ‘Infâme’. Deux ans plus tard la ‘secte holbachique’ suivra cet exemple. La première édition du Dictionnaire philosophique | |||||||||
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avait à peine vu le jour au cours de l'été 1764 que Voltaire songe à l'augmenter. L'homme de confiance sera cette fois Henri Rieu (1721-1787), un Genevois qui servit longtemps dans les Iles et dirigeait les messageries de Genève, atout combien utile! Voltaire le chargera en octobre (le 7, Best. D. 12127) d'envoyer le manuscrit à Rey. A la fin de novembre, celui-ci lançait anonymement la nouvelle édition sur le marché. Les autorités hollandaises interviennent sans tarder. Deux libraires, Staatman et Janssen, de La Haye, interrogés, révèlent le nom de Rey au procureur 't Hoen. Egalement poursuivi en France et en Suisse, le Dictionnaire philosophique est mal parti. Devant cette situation délicate, Voltaire jouera un jeu subtil qui ne peut être bien compris que s'il est tenu compte de la philosophie de la double vérité et du mensonge. En gros, les règles peuvent s'énoncer comme suit:
Pour le monde extérieur, Voltaire appliquera ces régles; pour le monde des intimes, des ‘frères’, il réserve la vraie vérité. Pendant tout l'hiver 1764-1765 il se livrera avec un plaisir à peine dissimulé à ce jeu excitant, double, puisque Rey imprime également un autre ouvrage de la même volée, L'Evangile de la raison contenant le Testament du curé Meslier, le Sermon des cinquante, le Catéchisme de l'honnête homme, Saül et l'Examen de la religion généralement attribué à Saint-Evremond. | |||||||||
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Voltaire multiplie donc les lettres ostensibles et Rey reçoit la sienne datée du 24 novembre (Best. D. 12207), et qui s'achève sur ces mots: ‘Mr Marc Michel Rey est intéressé plus que personne à faire cesser l'abus criminel qu'on fait de son nom et du mien, et à emploier l'autorité des magistrats qui doivent réprimer une license si infâme. Je le prie instamment de se joindre à moy pour effacer jusqu'aux dernières traces de cette calomnie qui nous outrage tous deux également’. Voltaire croyait de bonne foi que Rey ne s'effaroucherait à ce jeu (lettre à Rieu, novembre-décembre 1764, Best. D. 12220). Malheureusement, Rey ne semble y avoir rien compris, du moins au début. Il est vrai que Voltaire était si différent de Rousseau! C'est à celui-ci que l'imprimeur livrera ses réflexions (18-22 janvier 1765, Leigh 3902): ‘j'en Suis faché, nous som̄es exposés a pareils inconveniens, je n'y ay reflechi qu'aprés coup ce qui me rendra plus circonspect par la Suite mais je ne comprend pas pourquoi il s'est adressé a moi, le lui ay repondu (la lettre manque) que ne Sachant a qui m'adresser pour Sçavoir qui a imprimés cet ouvrage je ne pouvois lui etre d'aucune utilité. Cet homme est je crois le plus fourbe qu'il y ait sous la voute des Cieux. Il travaille Sans cesse a des ouvrages reprehensible, contre la Religion & les Moeurs, puis quand on le chicanne, il nie com̄e beau Diable & Sacrifie tout pr Se tirer d'affaire (...). Ce qu'il a fait avec moi, il peut l'avoir fait avec 100 autres & tout le monde s'en plain, l'admire & désestime (...). Les grands de la terre le craignent & font pour lui des démarches qu'ils ne feroient pas’. Apparemment Rey n'a point mis en oeuvre les principes qu'il avait expliqués au même quelques années plus tôt (29 septembre 1760, Leigh 1109): ‘En me liant avec quelqu'un je com̄ence pas m'assurer, autant que je puis de sa façon de penser, Si je vois qu'il est honnêt hom̄e, je passe Sur certaines circonstance que je dois Supposer lui avoir été impossible de remplir exactement’. Rey riposta très adroitement en publiant le démenti de Voltaire dans le Journal (mars 1765, pp. 265-267), assaisonné de quelques commentaires soulignant la faiblesse et l'ingénuité des protestations du philosophe pour conclure méchamment: ‘La vieillesse la plus mal employée est celle où l'on travaille à perdre la répu- | |||||||||
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tation que l'on avoit acquise jusqu'alors’. Entretemps, le 14 décembre 1764, les Etats de Hollande, Zélande et Frise avaient condamné le Dictionnaire et l'Evangile à la lacération et au feu. Tant mieux proclame Voltaire dans une lettre du 26 au directeur de la Gazette littéraire et de la Gazette de France (Best. D. 12264); ‘Voila une bombe à laquelle on ne s'attendoit point’ confie-t-il le même jour au fidèle Damilaville (Best. D. 12266). Pour mettre tous les atouts de son côté, il fera saisir et interdire les ouvrages à Genève. Puis, tentant d'une pierre deux coups, il écrit en février 1765 une lettre au Grand Pensionnaire qu'il espère voir publiée dans les journaux lus à Versailles. Ce fut un échec complet car il n'obtint aucune réponse et l'on jasa dans les salons. Toujours est-il qu'en 1767 et 1769 Rey donnera à nouveau des éditions augmentées du Dictionnaire philosophique sans susciter la moindre émotion. La question que l'on ne manquera pas de soulever, puisque ces ouvrages (à la différence de ceux de Rousseau) ont paru clandestinement, est celle de l'identification des éditions réellement imprimées à Amsterdam. Nous y reviendrons en évoquant la question bien plus complexe, des éditions d'Holbach et de ses amis. Le Dictionnaire et l'Evangile marquent le véritable coup d'envoi de la lutte contre le christianisme, et qu'il poursuivra jusqu'à ses derniers moments, campagne que l'on ne saurait dissocier de celle, plus violente, menée par la ‘secte holbachique’ par l'entremise du même éditeur. On peut constater, d'année en année à l'aide des allusions de la correspondance de Voltaire et d'autres témoignages, que Marc-Michel Rey imprimera la plupart de ses grands titres philosophiques, soit en édition originale, soit en réédition, non sans susciter quelquefois de nouvelles tensions. Ainsi en ira-t-il par exemple pour les Lettres de m. de Voltaire à ses amis du Parnasse en 1766, l'année où Rey réimprime également Le Philosophe ignorant et les Lettres sur les miracles que lui fournit l'ami fidèle de Rousseau, DuPeyrou. Ajoutons-y Les Seythes (1767), les Lettres à son altesse mgr le prince de*** | |||||||||
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(1768) et l'Examen important de milord Bolingbroke qui coïncide avec le fameux Recueil nécessaire imprimé en 1768 et réimprimé en 1776. Voltaire désignera publiquement Rey comme le fournisseur des prohibés dans L'Homme aux quarante écus et La Princesse de Babylone égalemant réimprimés par lui en 1768. Laissons-lui la parole pour montrer comment il se fait le propagandiste habile du libraire: ‘La princesse fit acheter chez Marc-Michel Rey tous les contes que l'on avait écrits chez les Ausoniens et les Welches, et dont le débit était défendu sagement chez ces peuples pour enrichir les Bataves’. Ces références se multiplieront dans la correspondance. Pour clôturer la liste de cette impressionnante année, citons encore les édition du Dîner du comte de Boulainvilliers, de la Relation de la mort du chevalier de La Barre, la Relation du bannissement des jésuites de la Chine, le Sermon prêché à Bâle, La Guerre civile de Genève et le premier tome (il y en aura dix-huit) de L'Evangile du jour qui regroupera une foule considérable de ‘rogatons’ philosophiques. Un incident ne manque cependant pas d'éclater en même temps. Rey diffusait sous le manteau das ‘catalogues d'impiétés’, listes de nouveautés philosophiques où Voltaire n'était certes point oubliéGa naar eind19.. Un de ces fauillets parvint à sa connaissance et l'on imagine aisément la suite. Le schéma du jeu de 1765 se renouvellara: Voltaire repart ostensiblement en guerre contre ‘les insolences bataviques de Marc-Michel Rey’ (à Chabanon, 16 avril 1768, Best. D. 14955) et lui adresse une belle lettre publique le 7 février 1769 (Best. D. 15468) moins dure que celle de 1764, et à laquelle Rey ne semble pas avoir répondu. L'année 1769 voit éclore les tomes ii, iii et iv de L'Evangile du jour, et en particulier l'édition originale du Pyrrhonisme de l'histoire, de la Collection d'anciens évangiles et de l'Histoire du parlement de Paris. Pour ce dernier titre, Rey a battu Cramer de vitesse. Voltaire ne dissimule guère sa satisfaction jusqu'au moment où il apprend que Rey demande officiellement la permission de débiter l'ouvrage en France. Nouvelle inquiétude, nouvelles manoeuvres: le philosophe obtiendra l'interdiction de l'entrée des volumes | |||||||||
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et Rey doit reporter sa cargaison sur Londres et y organiser le débit clandestin. Les tomes v et vi complétèrent l'année 1769, les tomes vii et viii illustrèrent l'année suivante marquée également par la double édition originale, l'une dépourvue et l'autre pourvue de notes, des Souvenirs de madame de Caylus. Ce ralentissement progressif dans les publications voltairiennes de Rey s'accentua encore en 1771 puisque l'on ne peut citer qu'une réimpression des Questions sur l'Encyclopédie; pour l'année suivante, aucun titre n'est à citer. Les raisons de cet arrêt demeurent obscures. On ne peut invoquer un conflit avec Rey puisque celui-ci servira à partir de décembre 1772 de relai pour la correspondance échangée avec l'un des rescapés de l'autodafé d'Abbeville, d'Etalonde. Voltaire incite le jeune homme à prélever de l'argent sur son compte chez le libraire: ‘Je connais son coeur’, écrit-il le 8 mars 1774 (Best. De 18842). L'officier accepte, et remettra au philosophe, de la part de Rey quelques beaux livres, entre autres la remarquable édition des Oeuvres de 's Gravesande. Aucun fait saillant ne vient donc marquer ces années. Les tomes ix et x de l'Evangile du jour paraissent en 1773, le xième l'année suivante, le xiième en 1775. L'année d'après paraîtront les Lettres chinoises, La Bible enfin expliquée. Les tomes xiii, xiv, xv, xvi de l'Evangile attendront l'année 1778, celle de la mort de Voltaire. Rey imprimera encore le Prix de la justice et de l'humanité qu'il inclut plus tard dans le tome xvii et avant dernier de l'Evangile qui paraît en 1780, l'année de sa propre mort. La disparition de Voltaire n'a suscité aucun écho chez Rey. Le Journal ne publiera aucun texte original à cette occasion. Le libraire songera néanmoins en 1779 à donner, outre quelque ‘voltairiana’ une longue lettre de Henri RieuGa naar eind20., écrite de Ferney le 7 novembre 1778. Cette lettre ne parvint cependant point à ce stade imprévu malgré quelques adaptations prévues à cet effet. L'intime de Voltaire s'y montrait fort dur pour la famille du philosophe, en particulier pour madame Denis, dont la conduite d'héritière intéressée était jugée très sévèrement. Rey crut prudent sans doute de s'abstenir. | |||||||||
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Les relations de l'écrivain et du libraire ont également été marquées par leurs tempéraments respectifs. La vivacité, le ludisme du premier contrastent singulièrement avec le caractère du second. Des heurts étaient inévitables: il s'en produisit, mais point d'irréparables bles. L'histoire de cette relation, au contraire de celle avec Rousseau, progresse de tension en tension, dans un ordre décroissant d'intensité pour se dissoudre insensiblement dans une usure aimable et polie, à l'image d'une vie et du temps qui fuient insensiblement. Evoquant en 1769 la révolution parlementaire, l'un des préludes à 1789, Voltaire écrivait à son ‘ange’ intime Argental (27 février. Best. D 15490): ‘Marc-Michel Rey n'a pas nui à ce prodigieux changement. Il ne s'agissait pas de faire une révolution dans les états comme du tems de Luther et de Calvin, mais d'en faire une dans l'esprit de ceux qui sont faits pour gouverner’. Lui aussi, quoique l'on ait dit, savait apprécier les qualités et les mérites d'autrui. Ce satisfecit élogieux rejoint celui de Rousseau et annonce celui de Diderot. | |||||||||
Denis DiderotAvec Diderot, la question change encore d'aspect car si les matériaux sont rares, ils n'en sont pas moins très révélateurs. Une bibliographie descriptive scientifique complète des éditions anciennes de Diderot fait cruellement défaut. Elle permettrait à l'instar des éditions de Rousseau, Voltaire et Holbach, de distinguer les éditions authentiques de Marc-Michel Rey. Dans ce domaine, les apparences sont excessivement trompeusesGa naar eind21.. Quelques éléments épars montrent que les deux hommes se connaissaient depuis 1758 et que Rousseau ne fut pas étranger au fait puisqu'il exclut formellement Diderot du rôle de correspondant avec Rey pour la remise du manuscrit de la Lettre à m. d'Alembert (15 avril 1758, Leigh 638). Deux lettres du correspondant parisien de Rey, Dussart (29 juillet, 27 août)Ga naar eind22. font état de compliments de l'intérêt du libraire pour l'impression du Père de famille qu'il réimprimera en 1759 et 1761. Il faudra attendre 10 ans cependant pour que l'on voie | |||||||||
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Diderot s'intéresser à Rey de manière directe, en signalant ses mérites (comme Voltaire) dans sa célèbre lettre du 6 septembre 1768 à FalconetGa naar eind23. (Roth 491) et dans son compte rendu des Principes philosophiques, pour servir d'introduction à la connaissance de l'esprit et du coeur humain paru dans la Correspondance littétaire manuscrite du 1er octobre 1769Ga naar eind24.. Ce n'est toutefois qu'au moment du voyage de Russie, bien tard par conséquent, et coupé par deux longs séjours en Hollande que l'on trouve enfin quelque abondance de propos. Nous avons pu montrer ailleursGa naar eind25., grâce à la bibliographie descriptive, que les six volumes des Oeuvres philosophiques de mr D*** marqués d'Amsterdam, M.-M. Rey 1772, n'ont pas été publiés à Amsterdam par le libraire. C'est le 15 juin 1773 que le philosophe, se rendant à Saint-Petersbourg, arrive à La Haye. Son séjour, ses propos sont fidèlement rapportés à Rey par le journaliste Leuchsenring et le physicien Allamand. Il leur fait part de ses intentions de donner une édition exacte et complète de ses oeuvres en 4 ou 5 volumes in-4o. Rey leur paraît tout indiqué. Une entrevue eut lieu avant le 2 août puisque à cette date Leuchsenring fait part des hésitations de Diderot qui a l'impression que le libraire veut ‘ses Manuscripts pour rien’. L'affaire en reste là. Rentrant au printemps suivant, Diderot s'arrête de nouveau en Hollande car il a été chargé de quelques commissions de librairie. Signalons en premier lieu Les Plans et les statuts des différents établissements ordonnés par sa majesté impériale Catherine II, de Betzki. C'est à Rey que Diderot s'adressera pour imprimer la traduction de Clerc. Il ne dépendra que du bon vouloir de l'imprimeur pour que le retour du philosophe à Paris soit une réalité. ‘Bon vouloir’ est un euphémisme car Diderot s'exprime à la manière de son temps. C'est selon que Rey sera ‘plus ou moins arabe’ que l'affaire sera réglée (à Clerc, 8 avril 1774, Roth 832), adjectif qu'il nuancera par trois fois le lendemain: ‘arabe à son ordinaire’ (aux dames Volland, 9 avril. Roth 834), ‘un juif, un arabe comme à son ordinaire’ (à X..., Roth 835), ‘arabe comme il a coutu- | |||||||||
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me de l'être’ (à sa femme, Roth 836). Pris adjectivement le mot désigne à l'époque, comme le dit le Dictionnaire de l'académie françoise (Paris 1762, i. 93) ‘un homme qui exige avec une extrême dureté ce qui lui est dû’. Ce propos confirme donc notre acquis. Les Plans finissent par s'impirimer, mais trop lentement (à Clerc, 15 juin, Roth 846; au général Betzki, 9 & 15 juin, Roth 845, 847; à ses enfants Vandeul, 9 août. Roth 848; aux dames Volland, 3 septembre, Roth 851; à Rey lui même, septembre 1775, Roth 863). Ajoutons à cette entreprise l'impression de l'Homme moral de Pierre-Charles Lévesque (à Grimm, août 1776, Roth 875) et celle des Lettres à différentes personnes de Gaudet (à Rey, 14 avril, 12 mai 1777, Roth, 888, 889; Gaudet à Rey, 12 mai. Roth 889). Le fait capital de ce second séjour réside cependant ailleurs. Le philosophe et le libraire se mettent d'accord sur un projet d'Oeuvres complètes auquel viendront se joindre des idées et des intentions fort révélatrices. C'est à Rey que Diderot confie également par l'entremise de Laurent Van Santen (septembre 1775, Roth 863) l'impression d'un ‘petit manuscit qu'il faudra bien’ imprimer sur deux colonnes et qui pourrait être celui de l'édition bilingue des Pensées philosophiques (1777) dont la typologie est en effet celle de Rey. Le projet des Oeuvres (à Clerc, 15 juin 1774, Roth 846) sera souvent évoqué dans la correspondance. Diderot prépare activement cette édition, rassemblant et revoyant ses écrits, relançant les copistes. Il ne leur sera pas difficile de s'arranger, écrit-il à Rey le 14 avril 1777 (Roth 888) et il serait ‘fâché de mourir sans avoir fait deux choses’. Diderot s'engage à tenir ses promesses ‘par goût pour la chose, par reconnaissance pour vos bons procédés’ (12 mai 1777, Roth 889). hélas, le projet n'aboutit pas. L'autre ‘chose’ si formellement promise, est celle de l'énigmatique ‘bible’ ou ‘bibliothèque des inconvaincus’ également en projet, ‘la besogne importante’ dit le philosophe lui-même plus d'une fois à l'éditeur (septembre 1775, Roth 863; 14 avril 1777, Roth 888; 12 mai, Roth 889). Le propos a suscité bien des commentaires puisque l'on ne connaît aucun ouvrage paru sous un titre analogue ou approchant. Est-ce l'Encyclopédie méthodique | |||||||||
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qui verra le jour plus tard et dont parle R. Lewinter (xii. 1032)? Rien ne le prouve: cette entreprise, dans son ensemble, ne peut être considérée (exception faite pour les volumes de la Philosophie ancienne et moderne par Naigeon) comme une somme de la pensée inconvaincue. Diderot songeait peut-être à une collection de textes philosophiquesGa naar eind26.; le projet fut-il réalisé en fin de compte? Nous l'ignorons. L'important, pour le moment, c'est que Diderot a songé comme Voltaire et Holbach à Marc-Michel Rey pour éditer cette collection.
Les relations des deux hommes offrent surtout ceci d'avantageux pour notre propos, c'est qu'outre ces projets révélateurs, la correspondance malgré son caractère incomplet (des lettres ont disparu, cf. celles des 14 avril et 12 mai 1777, Roth 888, 889) contient quelques réflexions qui doivent être rapportées. Malgré les allusions à la dureté et à la lenteur de Rey, qui se limitent à l'année 1774, la plus grande confiance et la franchise dominent les lettres du philosophe qui rejoint par là le ton de Rousseau. Les effusions peuvent être considérées comme des formules de politesse, soit. Mais plus d'une fois Diderot témoignera chaleureusement sa reconnaissance au libraire pour les ‘procédés honnêtes que vous avez eus avec moi pendant mon séjour en Hollande, et même depuis mon retour’ (14 avril, 12 mai 1777, Roth 888, 889). Concluons ce trop bref chapitre sur cette exclamation qui échappe au philosophe lorsqu' il évoque l'intolérance qui règne dans sa patrie: ‘Ah! si les Hollandais le voulaient, bientôt ils auraient toutes nos productions, et tous nos auteurs. Il ne s'agirait que d'aider le ministère, en nous favorisant un peu. Je vous souhaite tout le bonheur que vous avez bien mérité par votre intrépidité. Sans vous nous eussions prêché dans le désert’. Peut-on être plus clair? Aux yeux de Diderot, Marc-Michel Rey a bien mérité de la philosophie. | |||||||||
Paul Tiry d'HolbachAvec le baron d'Holbach nous nous heurtons aux énigmes | |||||||||
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en série. Rien ne subsiste, en effet, dans les documents connus d'une quelconque trace de correspondance ou de lien entre le libraire et celui qu'on a appelé ‘le maître d'hôtel de la philosophie’. Force est de recourir à d'autres adjuvants. Trois textes d'Holbach ont paru avec la marque authentique de Rey: L'Antiquité dévoilé (1766) mise en forme de Boulanger, l'Ethocratie et La Morale universelle (1776). Nous n'entrerons pas ici dans le détail de l'historique des attributions, retracée ailleursGa naar eind27.. Bornons-nous à un détail, capital. L'ami fidèle de Diderot et du Baron, Naigeon, a rapporté au célèbre bibliographe Barbier une note rédigée par son frère cadet sur un exemplaire du Système de la nature et dont voici la teneur. Soucieux de ne pas être reconnu, même par son écriture, Holbach avait chargé Naigon aîné de lui trouver un copiste sûr, philosophe affirmé. Cette charge délicate échut à son frère cadet. Il envoyait ses copies par Sedan à Liège chez une dame LoncinGa naar eind28. qui les réexpédiait ensuite à Rey. Ce témoignage, doublé d'une liste de trente-trois titres, confirme done le rôle de notre libraire dans la diffusion des oeuvres d'Holbach et de ses amisGa naar eind29.. L'organe des philosophes, la Correspondance littéraire manuscrite vient confirmer ce propos par plusieurs allusions à la boutique de Rey (1 er janvier, août 1768, avril, décembre 1769). Les dates coïncident avec la publicité faite par Voltaire et Diderot: hasard ou concertation? L'amateur des livres prohibés les plus hardis n'éprouvait donc aucune peine à trouver un bon fournisseur. La plupart des lettres conservées de la correspondance de Rey affluent en commandes, les plus significatives étant celles du philosophe Jacobi et du censeur CogerGa naar eind30.. Le fait étant donc établi que Rey fut l'imprimeur d'Holbach et de ses amis, suscite la question, déjà évoquée, de l'identification des éditions authentiques de Marc-Michel Rey, et a fortiori de n'importe quel atelier. Les écrits d'Holbach ont souvent été réimprimés, et il est important de savoir distinguer l'édition originale, hollandaise, du Bon sens, du Christianisme dévoilé, de La Cruauté religieuse, de la Contagion sacrée, de l'Essai sur les préjugés, de l'Histoire critique de Jésus-Christ du Militaire philosophe, de la Politique naturelle, du | |||||||||
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Système de la nature, du Système social, du Tableau des saints, de la Théologie portative, et bien d'autres ouvragesGa naar eind31.. Pour y parvenir, nous avons esquissé dans notre Bibliographie descriptive des écrits du baron d'Holbach une méthode dont voici le schéma.
Nous ne savons pas comment Rey procédait pour l'impression de ces écrits. Point ici de lettres détaillées sur l'impression des feuilles, les corrections, les cartons, les épreuves, le nombre d'exemplaires tirés et vendus, les agents, etc. comme on peut en trouver dans la correspondance avec Rousseau. Les volumes parvenaient à destination grâce aux adresses privilégiées exemptes de contrôles, aux doubles emballages, au colportage, aux fausses reliures, etc.Ga naar eind33.. Nous avons vu Rey épouser les thèses de Rousseau, mériter les éloges de Voltaire et de Diderot. Partageait-il aussi les vues singulièrement provocantes d'Holbach ou se contentait-il simplement d'imprimer à bon prix? S'il | |||||||||
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faut en croire Van SypesteynGa naar eind34. qui ne cite pas ses sources, Holbach faisait imprimer ses ouvrages à compte d'auteur et payait si largement que les typographes amstelodamois le surnommaient ‘la pluied'or mystérieuse’. Rey est toujours disposé à payer d'un bon prix les manuscrits philosophiques. Chargé par le gazetier Pidansat de Mairobert de la commission, Charles de Weissenbruch offre à son beau-pèreGa naar eind35. d'acheter un manuscrit sur la Bible, oeuvre de Voltaire et de la marquise du Châtelet. Ce texte est entre les mains de la veuve d'un autre gazetier, Mustel. Naigeon a racontéGa naar eind36. comment Rey le chargea (et c'est donc la preuve d'autres relations) d'offrir 15 louis au père de Boulanger pour l'achat du manuscrit d'un dictionnaire de langues comparées. Le marché fut conclu, le manuscrit expédié en Hollande, puis revendu par Rey à une bibliothèque publique. Ces faits, pour minimes qu'ils soient, n'en montrent pas moins que Rey n'est pas seulement connu dans les milieux philosophiques comme l'éditeur par excellence des textes qu'on peut lui offrir, mais qu'il les recherche éventuellement de son propre chef. Quoi de plus normal répliquera-t-il on pour un éditeur tant soit peu spécialisé, soucieux de vendre même en courant de gros risques ce qui se vendait le mieux à son époque? cet intérêt, ces risques, doivent, peuvent-ils nécessairement coïncider, et jusqu'à quel point avec l'adoption franche et entière des idées exposées dans ces livres? | |||||||||
ConclusionLe moment nous paraît venu de conclure, du moins à titre provisoire. A l'examen des relations qu'entretint pendant vingt années et plus avec les têtes incontestées des Lumières françaises, on pourrait encore ajouter celui des innombrables lettres échangées avec les ‘sans grade’ et non moins révélatrices. Nous songeons par exemple à quelques lettres adressées entre 1776 et 1778 par un obscur bénédictin vanniste de Metz, dom HenrionGa naar eind37.. Combien lui pèsent le froc et la vie monastique! Le bréviaire n'a pas l'intérêt de la philosophie et de la politique éclairée! Un religieux se | |||||||||
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confie-t-il de la sorte à celui qui ne partage point de pareilles opinions? on ne peut donc que regretter l'absence de la ‘contrevoix’. Nous l'avons vu, les quelques documents conservés révèlent maint propos intéressant. Et quelques autres encore, comme cette lettre du 4 septembre 1769 à la Société typographique de NeuchâtelGa naar eind38. dans laquelle Rey renonce à imprimer en Suisse une coûteuse géographie, préférant sa patrie d'adoption, car, écrit-il, ‘je donne du pain a mes compatriotte’. Ou encore telle autre lettre du 23 août 1777 vraisamblament adressée à GaudetGa naar eind39. où il expose ses vues sur l'anarchie qui domine le marché des blés: ‘il y a tant de gens Qui cherchent a vivre et a faire des fortunes aux depends de quel il appartiendra que les entraves se multiplient a l'infini. Il est bien triste pour les hom̄es de bien qu'on ne puisse pas donner a la chose la plus essentielle a la vie un cours constant & solide’. Qu'on nous permette une dernière citation, extraite d'une lettre du 12 septembre 1760 à Rousseau (Leigh 1100): ‘je voudrois, écrit Rey, com̄e Mr de Volmar & Julie vouloir vivre retiré & que la providance me mit à même de faire du bien aux malheureux, toute mon ambition seroit remplie, en attendant je tâche de rendre mes enfans plus honnet hom̄e que leur pere, & j'ay lieu d'esperer que Dieu benira mes Soins’. Sans aucun doute, Marc-Michel Rey est philosophe comme on l'entendrait aujourd'hui, mais aussi comme on l'entendait absolument à son époque. D'aucuns ont souligné sa dureté en affaires, son apreté au gain; personne n'a pu dire, et prouver, qu'il ait été malhonnête. Sa correspondance avec Rousseau est riche en invocations de Dieu, et ce ne sont pas toujours de banales formules. Sans doute a-t-il pratiqué les rites de sa communauté religieuse. Inscrit sur les registres de l'Eglise Wallonne, il se mariere en son sein, ses enfants y recevront le baptême et la sépulture tout comme son épouse qui fut fortement attachée à la confession réforméeGa naar eind40.. Mais les pratiques religieuses, surtout au 18e siècle ne constituent pas la preuve de convictions. Afficher l'indifférence, même dans un Etat libéral, équivaut à rechercher les ennuis de toute sorte surtout lorsque | |||||||||
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l'on a pignon sur rue. Gallas, Fajn tirent argument de la sépulture hors du temple. C'est un signe possible mais non certain, faute d'un avis motivé. La religion de Rey répond plutôt à celle de son confrère John Dunton (1659-1733), auteur de la Religio bibliopolae; or the religion of a bookseller (Londres 1728, 1742, 1780-1790), traduite sous le titre De Godsdienst van een engelsch boekverkooper, die zyne zedelessen philosophiser wyze te kennen geeft ('s-Gravenhage 1768). Dunton convient que les libraires ont la réputation d'être des athées et des fripons. Il a vu son christianisme s'affiner avec les années, s'élargir, se hisser au-dessus des querelles et des liens d'Eglise, s'ouvrir sur l'humanitaire, se socinianiser en quelque sorte, sans renier l'essentiel. Il confessait donc la religion dont convenait à l'époque ‘tout honnête homme’. C'était aussi confesser son philosophisme.
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